Bobards grecs

 La déesse Europe est très mécontente. Zeus l’a entendue, voilà qu’il s’essaye à défaire avec ses moyens traditionnels – avant même qu’il ne se forme – le nouveau « couple franco-allemand ».

Zeus semble bien décidé aussi à égarer les esprits des journalistes français qui parlent de la Grèce. Je ne cesse en effet de lire sous leur plume des propos dont l’incohérence m’afflige. Je pense en particulier à un long article d’il y a quelques jours dans le Monde. Face à la crise grecque, j’ai l’impression de mieux comprendre le terme de « bobard » – utilisé par les historiens –  que je n’avais jamais vraiment compris en situation.

Ces « bobards » concernent essentiellement la situation qui se créerait en cas de sortie de la Grèce de la zone Euro, mais ils concernent en fait la situation en général en Grèce .

Premier « bobard » : « Si la Grèce était amenée à revenir à la drachme, celle-ci se dévaluerait par rapport à l’Euro, mais il n’y aurait pas d’effet économique positif à cette dévaluation, car les exportations grecques n’augmenteraient pas, car la Grèce n’a de fait rien à exporter. » Le problème de ce bobard-là (que je jure avoir lu plusieurs fois sous des plumes journalistiques) est qu’il s’avère totalement contradictoire avec la stratégie actuelle de redressement à terme de l’économie grecque menée sous l’égide de la « troïka » (BCE-FMI-Commission). En effet, selon cette dernière, il est vrai que la Grèce a un problème de compétitivité-prix: les coûts de production grecs sont peu compétitifs, car les salaires grecs sont trop élevés. Cette dernière a donc demandé que les salaires dans le secteur privé soient abaissés fortement – ce que le gouvernement grec sortant d’union nationale  a dû accepter de faire sous les protestations du… patronat local  craignant (à juste titre) un écroulement de la demande interne. Selon un responsable de l’OCDE, les salaires du secteur privé grec auraient déjà diminué de 25% depuis le début de la crise. Cette baisse des salaires est destinée à rendre de nouveau la Grèce « compétitive », et donc à lui permettre de dégager un excédent commercial – et, aussi, d’accueillir plus de touristes . Toute la stratégie actuelle repose donc, comme dans les autres pays soumis à un ajustement par le bas pour retrouver de la compétitivité-prix (Irlande, Portugal, Espagne, etc.), sur la prémisse fondamentale : des prix bas font des exportations  – ou des entrées touristiques –  en hausse! C’est le raisonnement économique le plus ordinaire qui soit. Si, effectivement la Grèce n’avait vraiment rien à exporter (ou, subsidiairement, si le niveau d’affluence touristique dans ce pays était insensible au prix des prestations offertes), la situation de néant économique de ce pays serait effectivement telle que le reste de l’Europe communautaire devrait subventionner les importations grecques jusqu’à la fin des temps – un peu comme si la Grèce était comme un vaste camp de réfugiés installé aux froides et inhospitalières Kerguelen – ce qui bien sûr est actuellement impensable dans le schéma européen actuel où chaque pays membre est censé vivre sa vie en adulte sans subventions permanentes des autres.

Deuxième bobard : « En cas de sortie de la zone Euro de la Grèce, sa dette publique reste libellée en Euro, et de ce fait, elle explose au regard du PIB grec. » Comme l’éventualité d’une sortie d’un pays de la zone Euro n’a nullement été codifiée dans les Traités européens, il va de soi que cette question de la monnaie dans laquelle est libellée la dette publique grecque après la sortie ferait partie d’un rapport de force politique entre la Grèce et ses créanciers. Cela m’étonnerait beaucoup qu’un gouvernement grec qui serait amené à assumer la sortie de la Grèce de la zone Euro dans une situation de lâchage de facto de la part de ses partenaires européens ne décide pas unilatéralement que tous les titres de dette publique émis en euros sont désormais libellés en drachmes, et qu’un moratoire au remboursement soit établi. Cela ferait un tollé, mais, de toute façon, cette question ferait partie d’un conflit plus large autour de la liquidation de cette dette en euros. Personne ne peut dire raisonnablement comment cela finirait.

Troisième bobard : « Si la Grèce fait défaut sur dette publique, fait faillite, plus personne ne lui prêtera jamais ».  Certes, comme le montrent de nombreux articles parus ces derniers jours, l’addition serait salée pour les créditeurs (autres pays européens, BCE, FMI, créanciers privés), mais, entendons-nous, sur le sens de ce « jamais ». L’histoire économique montre (cf. Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, Cette fois c’est différent. Huit siècles de folie financière, Paris : Pearson, 2010) qu’un débiteur défaillant trouve toujours à terme des prêteurs pour lui prêter de nouveau après son défaut. C’est juste une question de délais, et il n’est nullement indispensable d’avoir remboursé l’ancienne dette pour en contracter une nouvelle. Les emprunts russes d’avant 1914, non remboursés, n’ont pas empêché l’Union soviétique de commercer et de s’endetter avec l’ouest ensuite. Dans le cas de la Grèce contemporaine, on peut imaginer que la Chine ou la Russie – qui ne manquent ni l’une ni l’autre de liquidités à placer –  jouent  un rôle pour stabiliser le pays afin de gagner de l’influence dans l’Union européenne – si la Grèce reste membre de cette dernière, ou pour aider à l’affaiblissement de l’Union européenne – si la Grèce a été sortie du « club » dont elle n’a pas su respecter les règles (comme dirait J. M. Barroso).

Quatrième « bobard » : « Les électeurs grecs ont fait preuve d’immaturité, de colère, d’irrationalité, en ne votant pas majoritairement pour deux partis, PASOK et Nouvelle Démocratie, qui soutiennent la politique actuelle de la « troïka ». » A force de déplorer que le nouveau Parlement grec ne soit pas capable de dégager une majorité « austéritaire », on semble oublier que les deux partis censés la former demeurent les plus éminents responsables du chaos économique grec actuel! De fait, ces deux partis, d’après tout ce que j’ai pu lire sous la plume des spécialistes de la Grèce, sont les responsables premiers de ce qui arrive aujourd’hui. Les électeurs grecs ont enfin – au moins à cette élection – sanctionnés ces partis clientélistes, corrompus, sans vision, ayant bien mal utilisé les fonds européens mis à leur disposition depuis 30 ans.  Toute personne attachée à la démocratie et à une bonne gestion de la Grèce devrait s’en réjouir, comme on a pu se réjouir de la fin des partis italiens de la « Première République » (1946-1992) ou de celle des partis communistes dans l’est de l’Europe. Eh bien non, certains  journalistes visiblement mettraient presque des cierges (au Mont Athos?) pour souhaiter qu’ils regagnent une majorité aux prochaines élections du mois de juin. Or, si l’on admet que ces deux partis sont des instances littéralement crapuleuses, le salut de la Grèce passe sans doute par leur liquidation pure et simple! Quoi de mieux alors qu’une liquidation démocratique par les électeurs grecs eux-mêmes? Pour lutter contre la fraude fiscale, la corruption et l’inefficacité de l’État grec, ne faut-il pas en effet commencer par liquider les deux partis qui les ont autorisées si longtemps? Vu leur efficacité à gérer l’État grec dans le passé, ne vaut-il pas mieux s’en passer désormais? Je sais bien que le PASOK est membre du PSE et « Nouvelle Démocratie » du PPE, les deux « partis au niveau européen » dominants en Europe, mais après tout, si ces branches-là sont pourries, pourquoi ne pas se réjouir que des électeurs grecs, enfin rationnels, les coupent? Ne vaut-il pas mieux pour les autres dirigeants européens avoir à (re-)négocier avec des « hommes nouveaux », fussent-ils radicaux, qu’avec des produits de l’Ancien Régime?

Cinquième « bobard » : « La sortie de la Grèce de la zone Euro ne concernerait qu’elle ». C’est le bobard le moins répandu, il reprend largement les menaces des dirigeants conservateurs du nord de l’Europe (et d’O. Rehhn et  J. M. Barroso qui se sont joints au chorus), selon lesquelles la zone Euro est un club dont on doit respecter les règles sauf à en être exclu. En dehors des aspects proprement économiques et financiers, qui font l’objet d’évaluations très divergentes entre la vaguelette financière et la mère de toutes les tempêtes financières, la sortie de la Grèce de la zone Euro, et à plus forte raison de l’Union européenne, serait une blessure fatale à tout le projet européen. En effet, si la Grèce sort, J. M. Barroso aura eu raison : l’Union européenne n’est qu’un « club », une alliance de raison, entre pays sérieux. Ce n’est qu’une question de business, de commodités, de confort. Rien de plus, rien de moins. Tous les discours sur l’esprit européen sont vanités des vanités, et poudre aux yeux pour les enfants des écoles, les philosophes et les étudiants en Erasmus. La Nouvelle Zélande pourra demander à adhérer pour remplacer la Grèce. Si la Grèce reste, ce qui ne manquera pas de coûter aux Grecs et aux autres européens, on aura un indice fort que l’Union européenne réagit collectivement comme un État ou une Fédération pour lequel il est absolument inacceptable de perdre du territoire – sauf, contraint et forcé, si les habitants de ce dernier se battent pour leur indépendance (genre Timor-Oriental se battant pour se détacher de l’Indonésie, le Kosovo de la Serbie, ou le Sud-Soudan du Soudan).

Je me réserve le droit de compléter ma liste…

Ps 1. Décidément, je n’ai pas à chercher loin pour trouver mes bobards en première page… En éditorial du Monde de ce jour (daté du jeudi 17 mai 2012), qui lui aussi fait allusion à la colère de Zeus (comme quoi… la culture partagée cela existe), je peux lire :  » [les Grecs] n’ont guère à attendre du retour à la drachme, qui, même dévaluée de 50%, n’améliorerait pas leurs comptes extérieurs pour une raison simple : la Grèce n’a rien à exporter.[je souligne, sic](…). Le pays a besoin d’investissements pas d’une dévaluation compétitive. »  Autrement dit, la Grèce serait un cas vraiment unique! Cela m’étonnerait vraiment que la « courbe en J » ne fonctionne pas pour ce pays (détérioration des comptes extérieurs dans un premier temps après la dévaluation, puis amélioration progressive).

Pour les « investissements », surtout s’ils consistent en la création d’infrastructures avec l’argent européen (« fonds structurels ») faisant intervenir comme opérateur la puissance publique grecque, je ne me retiens pas de souligner l’humour, involontaire sans doute, qu’il y a à proposer ce genre de remèdes… alors même qu’on sait désormais par expérience la propension des politiciens grecs et autres (ir)responsables administratifs locaux à en profiter pour piquer dans la caisse à pleines mains! L’organisation des Jeux olympiques d’Athènes en 2004 n’a-il rien appris à personne? Apporter de l’argent public européen pour investir en Grèce! Quelle blague! Autant verser directement l’argent européen sur des comptes numérotés en Suisse, aux Bahamas… Un État qui  repose sur la corruption de masse depuis des décennies ne va pas du jour au lendemain se comporter correctement. Cela n’est jamais arrivé nulle part. Il faut surtout arrêter de nourrir la bête. L’argent européen, s’il doit y avoir argent européen, doit aider à couvrir les besoins essentiels de la population, et à préparer vraiment l’avenir (éducation) – ou, alors, si on veut investir, il faut écarter totalement les élites grecques actuelles de l’utilisation de cet argent.

Ps 2. Allez voir le dernier post de Jean Quatremer, et aussi les divers arguments évoqués par les commentateurs. J. Quatremer souligne lui aussi, pas difficile, que ceux (dans les autres capitales qu’Athènes) qui évoquent la sortie de la Grèce de la zone Euro jouent un jeu pour le moins dangereux. Je dois dire que les affirmations de la presse selon lesquelles à Bruxelles et ailleurs, on se préparerait techniquement à la sortie de la Grèce de la zone Euro, je ne sais comment les prendre : soit comme une façon de faire peur à l’électorat grec (« Votez bien chers redevables de nos bontés, sinon c’est la famine assurée pour vous! »); soit comme une vraie préparation, qui signifierait que les dirigeants politiques européens ont vraiment perdu tout sens de la « construction européenne », que l’effet « renouvellement des générations » joue à plein, que « l’Europe comme puissance du XXIème siècle » va mourir sous nos yeux.

17 réponses à “Bobards grecs

  1. Si la Grèce sort de l’euro et décide unilatéralement que sa dette est libellée en drachmes (alors que les emprunts ont été contractés en euros et donc qu’ils devraient en principe être remboursés en euros, au moins du point de vue des banques), il est à peu près certain que personne ne voudra prêter à nouveau à la Grèce à court terme. Bien sûr, l’URSS a fini par emprunter à nouveau à l’Occident, mais ça a pris plusieurs décennies. Qui aurait intérêt à prêter à la Grèce en drachmes, en sachant que la drachme continuera à perdre de la valeur dans les mois et les années à venir?

    Votre post d’aujourd’hui m’a rappelé un de vos anciens (je suis allé voir dans les archives : il s’agit de Too European to fail, du 06/02/10), où vous écriviez : « Les spéculateurs ont donc raison de spéculer sur un fait (la faillite, le défaut) qu’ils sont certains de ne pas voir se réaliser, et, entre temps, ils vont toucher des taux d’intérêts plus élevés sur les émissions de dette publique par les PIGS pour un risque inexistant. » Vous (comme beaucoup d’autres à l’époque, notamment moi) critiquiez les spéculateurs qui se faisaient de l’argent sur la Grèce sans prendre aucun réel risque. Pour le coup, votre position d’aujourd’hui (la Grèce pourrait faire défaut en ne remboursant aucune de ses dettes) montre que les spéculateurs avaient raison de ne pas avoir confiance dans l’Etat Grec.

    Si la Grèce ne peut pas emprunter à court terme (ce qui se passera forcément si elle sort de l’Euro et décide de rembourser en drachmes), elle sera de toute façon contrainte d’en appeler au FMI (sauf à devenir une économie très largement isolée, comme l’URSS l’a été entre 1917 et 1991) et donc d’avoir des contraintes d’austérité. Je ne vois pas ce que ça leur apporterait de positif dans leur vie quotidienne. On aurait la dévaluation qui permettrait d’augmenter le tourisme, mais on aurait aussi un effondrement total du système bancaire Grec, qui ne pourrait résister à la dévaluation de la drachme. En gros, on détruit tout (notamment les anciens partis) et on fait table rase du passé : c’est attirant, vu la situation désespérée… Mais quand on sait que la Grèce fait défaut régulièrement depuis deux siècles, on a du mal à imaginer que la situation s’améliorera en faisant table rase…

    Sur le dernier bobard en revanche je suis complètement d’accord avec vous, et les Grecs peuvent avoir intérêt à engager un rapport de force avec l’UE car l’UE a peut-être plus à perdre que la Grèce elle-même (qui de toute façon est dans une situation catastrophique dans tous les cas…) Les leaders d’extrême gauche ont voulu rencontrer Hollande, car ils ont compris qu’il pourrait être un atout pour faire plier l’Allemagne. Mais bon, de toute façon ce n’est pas ça qui fera retrouver de la croissance à la Grèce et à l’Europe…

    • @ champagne : enchanté de vous savoir toujours là avec votre position de critique constructive à mon égard!

      Ma position n’est pas que la Grèce devrait faire défaut sur sa dette si elle sort de l’Eurozone (au sens d’un conseil de ma part…), mais qu’elle pourrait probablement (au sens d’une possibilité du réel) ré-libeller sa dette en euros en drachmes ou suspendre tout paiement. De ce second point de vue, si la Grèce fait défaut sur sa dette, c’est parce que ses partenaires ne seront pas venus comme ils le font depuis deux ans à son secours. Le gouvernement grec qui aurait à gérer cela ne se générait pas pour renvoyer à plus tard le problème de cette dette passée. Par ailleurs, pour reprendre l’exemple de l’URSS, c’est dès les années 1920, à peine la guerre civile finie, que les échanges commerciaux reprennent, avec ce que cela suppose de crédit commercial. Il est probable que la Grèce trouverait de quoi entretenir un minimum d’échanges commerciaux avec l’extérieur, comme tous les pays qui ont fait défaut sur leur dette publique dans les années récentes.

      Dans le cas présent, je vous rappelle par contre, pour aller dans votre sens, que le FMI n’aiderait sans doute pas la Grèce dans cette configuration. Autant que je le sache, le FMI aide déjà la Grèce, et ferait partie des « cocus » d’une Grèce envoyant tout valser.

      De fait, à voir que l’histoire grecque n’a été faite depuis 1829 que d’interventions étrangères malvenues, je ne sais pas si le temps de la table rase n’est pas venue! Et que personne n’intervienne! Mais bien sûr cette fois-ci encore, cela ne sera pas le cas…

  2. Il y a dans cette dénonciation une erreur de raisonnement : celle de les considérer isolément, et non comme une partie d’un tout.

    En effet, si la Grèce avait une capacité d’exportation existante, une dévaluation pourrait lui être bénéfique. De même, si le coût du travail (ou son niveau de qualification) était compétitif, elle trouverait des gens prêts à investir en monnaie locale. Le problème est qu’elle n’a ni l’un, ni l’autre, et qu’il lui faut « à la fois » baisser ses coûts et attirer des investissements.
    Le premier et le troisième argument doivent donc être considérés ensemble pour que le problème apparaissent clairement : on ne peut pas simultanément dévaluer (i.e. réduire drastiquement la valeur des actifs sur le sol grec exprimés en termes de monnaie étrangère) et attirer les capitaux massifs nécessaires pour créer la capacité de production.
    Je regrette également votre lecture un peu rapide de Reinhart et Rogoff. Oui, la Grèce trouvera des prêteurs même après un défaut. Dans dix ans. En l’état du déficit primaire du budget grec, le pays ne pourrait pas attendre dix ans sans sombrer dans la guerre civile : on parle d’une réduction drastique des pensions et traitements « en termes nominaux » à un moment où tous les produits importés (pétrole, médicaments, ordinateurs) explosent du fait de la dévaluation massive.

    • @ Mathieu P. : nous discutons ici de scénarios et vous avez raison d’attirer mon attention sur des « effets de système ».
      (J’en avais déjà envisagé un autre : qui ira faire du tourisme dans un pays avec une inflation galopante? et des problèmes de transfert d’argent? etc.)
      Mais je voulais rester sur un étonnement face à chaque affirmation prise isolément.

      Pour ce qui est de la non-compétitivité de l’économie grecque (en incluant le tourisme et autres services), la baisse des prix des produits et services grecs en euros, de quelque manière qu’on l’obtienne, aura nécessairement un effet sur la compétitivité du pays. Si je propose aux touristes du nord de l’Europe d’aller dans un « cinq étoiles » à Santorin ou à Mykonos (qui existe déjà) en Grèce à un prix extrêmement bas, j’aurais toutes choses égales par ailleurs des clients désireux de profiter de l’aubaine. La Grèce pourrait se réinventer dans le low cost touristique. Au moins, pour le tourisme, et pour toutes les (faibles) capacités de production déjà installées, il n’y a donc pas besoin de nouveaux investisseurs. On peut déjà faire pas mal avec ce qui existe – ne serait-ce que parce la Grèce n’est pas (encore?) la Somalie du point de vue de ses infrastructures. Du point de vue des importations que vous évoquez (« pétrole, médicaments, ordinateurs »), les Grecs ont déjà appris à faire des économies (en achetant par exemple moins de ces magnifiques berlines germaniques dont ils étaient friands), et ils devraient désormais optimiser… Qui sait s’ils ne deviendraient pas de ce fait les as du solaire et de l’éolien?

      Par ailleurs, pour les investisseurs, tout dépendrait du statut de ce pays vis-à-vis de l’Union européenne. Si la Grèce reste dans le « marché unique » européen, je vois des tas de gens bien intentionnés qui auront envie d’investir en Grèce. Pas les mêmes bien sûr que ceux qui y auront perdu leur chemise (par exemple, le Crédit agricole), d’autres (chinois, russes, pourquoi pas iraniens)… Il faut aussi compter avec les élites grecques qui auront mis tout leur argent en lieu sûr à l’étranger, et pourront en rapatrier une partie pour investir dans leur pays si cela leur parait opportun. Si, par contre, la Grèce est sortie de l’Union européenne et ne participe plus au « marché unique », là, effectivement, cela risque d’être plus compliqué, surtout si la Grèce devient le « Cuba de l’Europe ».

      Quant au risque de « guerre civile », si les salaires et les retraites ne sont plus payées, c’est une hypothèse aussi évoquée par Daniel Cohn-Bendit dans une interview récente. Je n’y crois guère. Par contre, la lutte entre Grecs sera âpre, car, derrière les problèmes actuels, c’est tout l’équilibre sociopolitique qu’il faut redéfinir. Qui paye les impôts? Plus les partenaires européens aideront les « Anciens » à se maintenir, plus cela coûtera à terme. Si la haute bourgeoisie grecque refuse de payer des impôts, ce n’est pas aux Européens de payer le fonctionnement de l’État grec qui lui profite.

  3. Une question sur votre réponse : à qui et comment les Grecs achèteraient-ils les panneaux solaires ou les éoliennes (ou la technologie pour les fabriquer) s’ils ne disposent pas des devises étrangères pour payer ces fournisseurs?
    J’entends bien que les infrastructures hôtelières existent. Encore faut-il de l’électricité pour la climatisation, la restauration et les piscines, et du pétrole pour les moyens de transport, toutes choses dont le coût augmenterait en proportion de la dévaluation de la drachme. Le low-cost ne reposerait alors que sur le prix de la main-d’oeuvre.

    • @ Mathieu P. : j’ai bien peur qu’au moins pour les panneaux solaires, les producteurs chinois, qui sont déjà en train d’« exécuter » proprement l’industrie solaire germanique, ne se gêneraient guère pour prendre le marché. Il n’est pas impossible non plus que les Grecs soient capables de faire cela eux-mêmes. Ils ne sont pas si nuls, et, sans doute, ils pourraient tricher avec le droit des brevets si nécessaire.

      L’industrie touristique (hôtellerie et restauration) est une industrie de main d’œuvre, à basse valeur ajoutée. Si les Grecs travaillent « pour rien » selon les critères européens, cela m’étonnerait que le tourisme ne reparte pas très fort : la Grèce reste un pays de rêve pour un touriste moyen qui cherche « sea, sex and sun ». Par ailleurs, comme le montre l’exemple de tous les complexes touristiques installés dans les pays sous-développés, les opérateurs touristiques s’arrangent toujours pour que les touristes, venus du « premier monde », porteurs de devises, aient droit pendant leur séjour à tout le confort moderne… (cf. Cuba, la République Dominicaine, etc.). C’est un principe de base de notre triste monde contemporain.

  4. En complément du post : quand la Grèce sortira de l’euro, il est vraisemblable que ça déclenchera un effet domino, auquel cas nous serons confrontés à des problèmes autrement plus sérieux qu’un « simple » défaut grec…

    • @ Vincent : si cette éventualité devait se produire, effectivement, cela secouerait, y compris sur le plan politique. Le problème est que les Grecs sont définis « par essence » si j’ose dire comme des « Européens ».

  5. @ Mathieu P : la Grèce, sur les 10 années avant l’euro, avait un déficit cumulé de 44 milliards d’euros (75 pour l’Allemagne). 10 ans après l’euro, la Grèce a un déficit cumulé de 256 milliards d’euros.
    http://www.lalettrevolee.net/article-entre-la-grece-et-la-france-combien-de-temps-99610398.html
    C’est un problème de compétitivité lié au coût trop élevé de l’euro et à son différentiel d’inflation avec l’Allemagne. Les points soulignés par M. Bouillaud sont parfaitement valables.

  6. @ edgarpoe : vous avez raison, des économistes ont aussi rappelé que tout cela a supposé que l’épargne excédentaire du centre du continent finance les investissements excessifs du sud (Espagne par exemple) ou la consommation du sud (Grèce par exemple), d’où le chaos bancaire qui menace tout le monde. De fait, les gouvernants allemands ont même reconnu ces derniers jours à demi-mot qu’il fallait laisser un peu filer l’inflation chez eux pour aider à l’ajustement…

  7. Bonjour M. Bouillaud. J’ai découvert votre blog ce jour-même – pourquoi ne pas l’avoir vu plus tôt -. Une question sur la Grèce me taraude, et je n’ai pas les connaissances nécessaires pour y répondre. Je vous la soumets donc.

    Il y a deux ans, une sortie de la zone euro de la Grèce était « impossible ». Aujourd’hui, on en parle beaucoup plus facilement et le scenario est envisagé, voire plébiscité par certains. Que s’est-il passé pendant deux ans? Les banques et organismes privés ont échangé leurs titres à risque à la BCE et autres organismes « publics », « d’État ». Pour les banques, une sortie de la zone euro est donc moins problématique désormais. Pour les Etats, elle l’est plus. Ce raisonnement, peut-être simpliste, est-il vrai, selon vous ?

    Merci d’avance !

    • @ cricri : il semble bien que les banques privées soient moins engagées dans les créances grecques qu’auparavant, et plus les autres Etats membres de l’Union européenne, l’Union européenne elle-même, la BCE bien sûr et enfin le Fonds monétaire international.

      En même temps, je ne crois pas que ce transfert des créances du privé au public soit la raison pour laquelle on parle de « sortie de la Grèce » de la zone Euro. En effet, en cas de faillite grecque, il y a deux ans, les pouvoirs publics auraient dû venir au secours des acteurs privés (banques comme la BNP, la Société générale, etc.), mais cela aurait coûté moins cher que les dettes d’aujourd’hui (qui ont augmenté depuis).

      Les raisons de l’évocation insistante d’une faillite de la Grèce sont multiples :
      – la politique d’austérité menée depuis deux ans est en train de conduire à une dépression majeure en Grèce dont personne ne voit la fin à court terme, et qui rend illusoire tout équilibrage des comptes publics grecs à court terme;
      – les électeurs grecs ont traduit leur désarroi dans les urnes, comme il fallait s’y attendre d’ailleurs vu la situation socio-économique du pays;
      – les autres Européens ne font toujours aucun progrès substantiel vers la seule solution qui vaille à ce stade pour sauver vraiment la Grèce et la zone Euro, à savoir le fédéralisme, où la relance de l’économie européenne est gérée par le centre bruxellois.

      On se trouve donc dans une impasse, et la tentation est grande de se débarrasser du problème en faisant porter le chapeau de la faillite de conception des institutions de la zone Euro au seul comportement des Grecs, qui n’auraient pas dû se trouver dans cette dernière. Cependant, à mon sens, cela serait une folie que de laisser les Grecs sortir, cela du point de vue de l’ensemble du projet européen.

  8. Pourriez vous donner vos sources « journalistiques » pour lesdits bobards ? Comme je suis – notamment – abonné au « Monde » un petit courrier pourrait s’imposer !

    • @ Seb : je n’ai effectivement pas donné mes sources – ce qui n’est pas bien!-, j’ai retrouvé par exemple, un article du vendredi 11 mai 2012, dans le Monde, « Tempête grecque sur l’Europe », p. 2-3, de la version papier, mais il me semble que ce n’était pas le meilleur dans son genre. Il y a surtout l’éditorial de ce même journal, que je cite dans le présent post, qui annonce que « la Grèce ne produit rien » ou peu s’en faut. A mon avis, il n’y a guère à se fatiguer à écrire à ce journal, ou à d’autres, dans la mesure où les opinions dont ils se font l’écho correspondent à des rapports interpersonnels au sein et aux marges des rédactions qui dépassent largement les possibilités de pression des lecteurs ordinaires. Il faut simplement enregistrer que la presse française n’est pas très forte sur le traitement de la crise grecque : allez donc lire le Guardian, vous verrez la différence.

  9. En lisant ce blog, je m’aperçois que je vous ai comme enseignant…(M2 Europe)

    Je suis en stage au Parlement Européen (Commission Econ) en ce moment, et pour ce qui est de l’argument n°1, je l’entends tous les jours en réunion, dans les couloirs, en conférence de presse. Du coup, j’ose penser que les journalistes prennent leurs arguments à ces moments là…

    Très curieux donc de voir une réfutation de cet argument, alors que pour moi il se tenait tout à fait.

    Tenir ce discours (de la part des institutions) et en même temps agir dans un sens opposé (forcer à diminuer les salaires), ne serait-il pas un moyen de jouer un double-jeu et de tout de même agir sur la compétitivité-prix sans toucher à la monnaie ?

    Pour ce qui est du tourisme en Grèce, j’ai malheureusement peur qu’il soit freiné par de nombreux facteurs. Les infrastructures ne sont pas assez luxueuses et modernes pour un tourisme « chic ». La situation instable, même si ce n’est pas la guerre civile, freinera de très très nombreux touristes et tour-opérateurs. (Cf. le tourisme au Maghreb qui peine à reprendre).
    Pour ce qui est du tourisme low-cost, je pense que l’offre en Europe (et sécurisée) est déjà largement important : Ibiza, Baléares, Canaries, Costa Brava…

    En tout cas ici au Parlement, les avis sont très divergents. J’entends d’un côté les très défaitistes qui voient la dictature arriver, et, de l’autre côté, les très positifs qui visent la convergence à grand renfort d’investissements de la BEI et de fonds structurels.

  10. @ Alix : je suis content que vous m’ayez découvert… et très intéressé par vos remarques.

    Fondamentalement, la « dévaluation interne » et la « dévaluation » tout court reposent sur les mêmes mécanismes économiques de la compétitivité-prix, bien connus en économie internationale, et supposent que l’entité économique qui dévalue le prix de ses efforts ait quelque chose à vendre sur un marché international! Dire que « la Grèce n’a rien à exporter » revient à condamner dans le même mouvement les deux stratégies (dévaluation interne et dévaluation tout court). De fait, cela revient à dire que, de toute façon, la Grèce est comme un territoire qui devra toujours vivre selon un niveau de vie que détermine en réalité sa « métropole », comme le font les DOM-TOM français vis-à-vis de la France métropolitaine. Le « contrat européen » est à mon avis tout autre : chaque État membre est supposé subvenir à ses besoins vitaux de manière autonome sur la moyenne période, et surtout avoir le niveau de vie de sa productivité du travail. Si « la Grèce n’a rien à exporter » (pas même du tourisme de luxe ou low cost), eh bien elle devrait vivre selon ses pauvres moyens… comme le Niger ou le Swaziland, comme certains le supposent de fait. Et pourquoi donner aux Grecs un bon niveau de vie? et pas aux Lettons ou aux Bulgares?

    Pour ma part, je suis persuadé que, si le prix des services touristiques en Grèce baissait suffisamment (de 70% par exemple en cas de dévaluation radicale de la nouvelle drachme face à l’Euro maintenu), il y aurait un boom touristique, surtout si les Grecs avaient en plus l’idée d’offrir clairement ce que les pays musulmans ne pourront bientôt plus offrir sur la rive sud de la Méditerranée.

    En revanche, il est certain que cette hypothèse suppose que le pays soit stable politiquement, que l’ordre social y soit maintenu. Les troubles que ne manqueraient pas de provoquer la sortie de la Grèce de la zone Euro ne seraient pas très favorables à une expansion du tourisme.

    Sur l’impact positif d’investissements importants en Grèce (entendus comme routes, autoroutes, infrastructures en général), je suis toujours étonné que des professionnels de la politique puissent être assez « bisousnours » pour croire (ou faire semblant de croire?) un instant que cet argent européen (malgré les contrôles) ne va pas servir surtout à alimenter les maffias locales – ou, alors, il faut tout faire faire sous un régime d’occupation de fait, où pas un Grec n’aurait le droit de se mêler de ce qui se passe en la matière. C’est en priorité les fonctionnements de l’État grec, de la justice, de l’administration, de la vie politique, qu’il faut changer. Il faudrait exiger par exemple que l’État grec mette en place un cadastre dans les plus brefs délais.

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