Archives mensuelles : avril 2013

Italie : « compromis historique » – le remix.

Les derniers rebondissements de la crise politique ouverte en Italie à la suite des élections politiques de février 2013 représentent à ce stade un retour vers le passé que même mon pessimisme, bien connu de mes proches et étudiants, ne m’avait pas permis d’envisager.

Bien sûr, la réélection de Giorgio Napolitano comme Président de la République à 87 ans pour un mandat (théorique) de 7 ans, constitue l’élément le plus visible de ces dysfonctionnements de la vie politique italienne  – ou plutôt de la tendance de ceux qui la dirigent à persister dans leur être au détriment désormais de tout semblant de justification autre que le poids des circonstances. De fait, l’élection du Président de la République semble avoir ouvert la voie à une solution impensable encore il y a quelques mois : un nouveau « compromis historique » comme dans les années 1970 entre la droite et la gauche. G. Napolitano semble avoir négocié avec les partis désirant le réélire, malgré son opposition affirmée à cette hypothèse de réélection à l’âge où même les Papes demandent désormais à pouvoir se reposer. Il a obtenu d’eux une promesse formelle de créer et d’appuyer un gouvernement d’union nationale – dans le cas contraire, il démissionnera!  On se trouve ainsi dans une solution inédite en Italie – et ailleurs peut-être : la menace de démission d’un chef de l’État, irremplaçable pour l’instant, lui donne tout pouvoir pour imposer sa politique aux partis majoritaires au Parlement. C’est donc lui ou le chaos, donc désormais, il faut lui obéir! Il n’aurait pas 87 ans, tout le monde se méfierait un peu plus, car cela revient à lui offrir la dictature.

Il y a donc une « présidentialisation de fait » du régime –  le politiste Ilvo Diamanti parle de « présidentialisme sans intention de l’instituer ». Ce dernier est totalement contraire à l’esprit de la Constitution italienne de 1947-48, qui refusait tout pouvoir personnel. Ce « présidentialisme de fait » se trouve en contradiction, au moins partielle, avec toute l’évolution institutionnelle depuis les années 1990, qui avait  visé à aller vers un système politique parlementaire à la manière de Westminster. Cette évolution devait permette des alternances entre deux camps bien différenciés. Contrairement à l’époque de la « partitocratie » (1946-1992) et de son sommet, le « compromis historique » des années 1970, les électeurs devaient être en mesure de choisir directement la majorité gouvernementale et le chef du gouvernement. Ce fut le but de la réforme instituant un scrutin mixte (majoritaire-proportionnel) en 1993-94, ce fut encore le but du mode de scrutin mixte (proportionnel-majoritaire) créé en 2005-06 qui institua des primes de majorité pour la coalition de listes  ou la listes arrivée en tête au niveau national ou régional et qui fit en sorte que chaque coalition de listes ou liste déclare par avance son candidat à la Présidence du Conseil. A la fin des années 2000, la création du « Parti démocrate » d’une part, et celle du « Peuple de la Liberté » d’autre part, allaient aussi dans le sens de cette « démocratie de l’alternance ». Les « primaires » régulièrement organisées par le Parti démocrate ce dernier automne allaient encore dans cette direction. Et, là que fait-on, parce que nécessité oblige, on jette tout cela par dessus bord, au nom de l’urgence – comme dans les années 1970. On évoque même comme possible Président du Conseil le nom de Giuliano Amato, 75 ans, ancien Président du Conseil par deux fois, n’ayant pas laissé des souvenirs impérissables de bonheur aux Italiens – euphémisme. J’ose encore espérer à cette heure où j’écris que tel ne sera pas le cas. En effet, j’imagine sans peine la rancœur, l’amertume, voire la désespérance, que cela pourrait soulever chez tous les Italiens  voulant sincèrement un renouvellement de leur pays. Il n’y aurait guère pire insulte à leur faire… J’espère au moins que ce gouvernement d’union nationale aura l’hypocrisie de choisir un homme moins marqué, plus jeune si possible.

On semble en effet se diriger en effet vers un gouvernement d’union nationale entre la droite (PDL), le centre-gauche (PD) et le centre (Monti). On retrouverait au gouvernement exactement les mêmes forces qu’avant l’élection où toutes ces forces ont perdu massivement des suffrages. En effet, depuis novembre 2011, un « gouvernement du Président », formé de « techniciens »,  a été dirigé par Mario Monti, avec le soutien parlementaire de ces mêmes trois forces. Toutes trois, en particulier le PDL et le PD, ont perdu plusieurs millions de suffrages par rapport à leurs scores des élections de 2008. Deux petits partis du centre (UDC et FLI), qui soutenaient avec enthousiasme, le gouvernement Monti, ont même disparu de la scène parlementaire à cette occasion faute d’électeurs.

Le seul résultat de l’élection de février 2012 aura donc été d’obliger  ces mêmes forces – ou de leur permettre?- à continuer à gouverner ensemble. Ce n’est sans doute pas ce que la majorité des électeurs voulaient quand ils se sont exprimés en février… On ne saurait imaginer déni plus cinglant des promesses d’organiser désormais les élections en Italie comme le choix direct des dirigeants par le vote populaire.

Quoi qu’il en soit, il devrait pourtant y avoir une majorité parlementaire en ce sens: le centre (Monti) et le PDL de Berlusconi étaient sur cette ligne depuis la proclamation des résultats en février, et le PD va suivre le mouvement comme un poulet décapité… En effet, la coalition autour du PD, arrivée en tête en février, est morte en cette fin d’avril, et en tant qu’acteur unitaire sur la scène politique italienne, il faut sans doute admettre que le PD n’existe plus.

Lors de l’élection présidentielle par les députés, sénateurs et délégués des régions (1007 électeurs), le PD a en effet explosé façon puzzle au delà de tout ce qu’on pouvait même imaginer. S. Berlusconi aurait télé-contrôlé avec quelque dispositif de science-fiction la direction du PD qu’il n’aurait pas pu mieux servir ses intérêts – à part peut-être organiser sa propre élection à la Présidence. Avec de tels adversaires, le jeu en devient trop facile. Premier essai de faire élire un Président de la République par le centre-gauche : le leader du PD propose de voter pour un vieux dirigeant post-démocrate-chrétien issu de leurs rangs,  Francesco Marini, qui serait acceptable par le centre, et surtout par la droite de Berlusconi. Première catastrophe : face à la perspective de cette alliance de fait avec Berlusconi, une partie des élus PD se rebiffent. Certains font même défection pour Stefano Rodotà, un autre noble vieillard issu de la gauche communiste, le candidat soutenu par le M5S, et aussi par l’allié de gauche du PD, le SEL. Échec cuisant de Marini, qui se retire de la course. Deuxième essai, après avoir voté blanc aux tours suivants de scrutin : Bersani, le leader du PD, fait acclamer par l’assemblée des grands électeurs PD (députés, sénateurs, délégués des régions) la candidature de Romani Prodi, ancien Président du Conseil, père spirituel du « centre-gauche » des années 1990. C’est là choisir un personnage dont ne veut pas S. Berlusconi comme ce dernier l’a déclaré à maintes reprises. Et, là, re-catastrophe, un quart des votants du PD font défection à leur candidat… sans aucune explication de vote bien sûr de la part des traîtres. A ce stade, la direction du PD semble avoir complètement perdu pied. Elle ne s’attendait pas à un tel niveau de duplicité. Au lieu de temporiser et de chercher un candidat « technique », sans passé politique marqué, qui aurait au moins pu apparaître comme un renouvellement normal de la charge présidentielle, elle se rallie à Napolitano. Elle accepte par la même occasion le gouvernement d’union nationale que ce dernier veut depuis quelque temps.  Elle en  vient exactement là où Bersani et l’ensemble de la direction du PD déclaraient depuis des mois ne pas vouloir aller, tenant compte à mon avis de l’aversion profonde d’une bonne partie des militants et électeurs du PD envers une telle hypothèse. Le petit parti allié du PD, SEL, a toute de suite annoncé qu’il ne participerait pas à cette alliance au centre, faisant donc éclater la coalition arrivée en tête en février 2013 à la Chambre des députés. Le M5S de Beppe Grillo fait ainsi la preuve que le PD, avec lequel il ne voulait pas s’allier, n’était pas vraiment opposé à S. Berlusconi. Je ne suis pas sûr cependant que cette preuve profite électoralement au M5S; en effet, beaucoup de ses électeurs voulaient un changement tout de suite, et vont lui reprocher de ne pas avoir au moins essayé de gouverner avec le PD. S. Berlusconi, sans même avoir dû trop se fatiguer, gagne sur toute la ligne. Finalement, on va faire comme il a dit…

Au final, le vote de confiance pour le nouveau « gouvernement du Président » marquera sans doute la fin du PD. L’une de ses rares raisons d’être était justement de s’opposer à S. Berlusconi.

Il faudra aussi prévenir F. Hollande que son objectif d’avoir un « gouvernement de gauche » à Rome, c’est fini pour un temps dépassant a priori de loin le terme de son propre mandat.

Ps 1. Allez voir ce rapide entretien dans les  Echos avec le politiste italien Sergio Fabbrini. C’est l’un des Italiens qui rêve pour son pays d’institutions « gaulliennes ». L’un des éléments serait d’adopter le scrutin majoritaire à deux tours. En effet, c’est le mode de scrutin qui permet de se débarrasser de tous les petits partis, extrémistes de deux bords et autres empêcheurs de gouverner l’État en rond. Bonne idée, cher collègue!

Ps. Ce matin, mercredi 24 avril 2013, G. Napolitano a finalement choisi de donner la charge de former le gouvernement à Enrico Letta, vice-secrétaire (démissionnaire) du PD. Le « nouveau » Président aura eu au moins la décence d’épargner aux Italiens le retour de G. Amato. J’ai même l’impression que le bruit du retour de ce dernier a couru justement pour souligner que, tout de même, E. Letta est « un petit jeune », de même pas 50 ans. Ouf. En même temps, son oncle, Gianni Letta, a été l’homme-lige de S. Berlusconi dans les belles années 2000, en dirigeant son cabinet de Président du Conseil. Il pourra donc donner des conseils à son neveu sur le fonctionnement d’un gouvernement. Pour être aimable, on dira que les Letta représentent bien la continuité de l’État italien.

En tout cas, ce choix de G. Napolitano est entièrement cohérent avec le choix pro-européen de ce dernier; en effet, E. Letta, un post- démocrate chrétien s’est fait un (pré)nom dans la politique italienne justement parce qu’il prétendait vouloir prendre l’Europe au sérieux (c’est-à-dire ne pas dire simplement que l’Europe était l’avenir de l’Italie, ce que prétendent tous les politiciens italiens ou presque depuis 1980, mais rechercher vraiment à « européaniser » l’Italie). C’est le représentant par excellence de la nouvelle génération de politiciens professionnels pour lesquels l’Europe a toujours fait partie de l’équation.

Austérité, austérité, austérité, jamais tu ne prononceras ce nom.

Au même moment où F. Hollande se lance dans une croisade contre la corruption supposée des élites, avalisant au passage et sans doute par mégarde la croyance populaire selon laquelle ils sont « tous pourris », il n’a pu s’empêcher de récuser encore une fois le terme d‘austérité. Comme tous les politiciens français depuis des lustres, en France, il n’est jamais question de faire de l’austérité. C’est un terme maudit. Il l’est depuis qu’en des temps fort lointains désormais, le « meilleur économiste de France » devenu Premier Ministre, Raymond Barre, avait qualifié sa politique ainsi, et l’avait mise en œuvre à travers des Plans successifs d’austérité (Plan Barre I, Plan Barre II). A l’époque, il s’agissait surtout de vaincre l’inflation, et un peu moins de rétablir les comptes publics de la France.

La gauche mitterandienne pratique en 1983 le « tournant de la rigueur » – en déniant avec tout autant de vigueur qu’aujourd’hui faire de l’austérité à la manière de l’odieux (à ses yeux) R. Barre. La rigueur n’est pas l’austérité – tout comme, dans les années 1950, le rétablissement de la paix civile en Algérie n’est surtout pas la guerre.  On sait ce qu’il en advint.

Aujourd’hui, le vocabulaire a encore une fois changé, on ne fait pas de l’austérité – ce qui serait vraiment diabolique! – ni même de la rigueur – ce qui serait presque satanique! – , on se contente désormais du « sérieux budgétaire » – ce qui est angélique bien sûr.  N. Sarkozy tenait d’ailleurs exactement le même discours de dénégation. Jamais, ô mon Dieu, ne livrerait-il le bon peuple de France aux pompes sataniques de l’austérité! Il l’en saurait garder.

Pourquoi un tel entêtement de la part des politiques à nier cette évidence?

Parce qu’ils supposent que les électeurs français (au moins une partie d’entre eux) vont très mal réagir à ce seul mot, comme si les gens allaient se réveiller d’un coup en l’entendant et commencer du coup à mordre : les Français ne sont pas si endormis que cela, ils sont au courant des choix faits, utiliser le mot juste  serait plutôt un hommage rendu à leur intelligence  – cela tend à oublier par ailleurs que toute une partie de l’électorat n’attend que cela, des comptes publics en équilibre, quitte à avoir beaucoup moins de services publics (mal rendus et inefficaces par nature), de fonctionnaires (nécessairement fainéants et inutiles), etc.  Il existe aussi une « France libérale » qui voudrait « affamer la bête« .

Parce qu’ils ont l’impression que l’austérité affichée crânement à la R. Barre (à ne pas confondre avec la réalité des chiffres sous sa gestion) les mènera nécessairement à la catastrophe politique. Il vaut donc mieux prétendre ne pas faire d’austérité, ne serait-ce que pour ne pas annoncer à son propre camp que la défaite électorale se trouve désormais certaine aux prochaines élections, ce qui ne manquerait pas de produire quelques remous au sein de la majorité en place. Si F. Hollande disait faire effectivement de l’austérité, il annoncerait aux élus socialistes que les élections de 2014, municipales et européennes, seront en conséquence une Bérézina. ( Hypothèse d’ailleurs à ce stade la plus probable vu la popularité de l’exécutif. )

Parce qu’ils veulent préserver aux yeux des électeurs l’illusion d’une autonomie budgétaire de la France.  Au même moment où F. Hollande prétend ne pas faire d’austérité, la Commission européenne rappelle par un rapport de suivi des finances publiques des pays européens que des efforts en ce sens sont engagés, mais qu’il va falloir en faire encore beaucoup plus dans les années à venir. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a lui aussi craché le morceau.

Parce qu’en comparaison avec d’autres pays européens, la France n’est certes pas (complètement) engagée dans une correction budgétaire radicale (et suicidaire). L’évolution du point d’indice de la fonction publique est gelé depuis 2010 – mais il n’a pas été baissé. Les prestations sociales n’ont pas été diminuées, et elles ont même continuées à suivre l’inflation. Les retraites n’ont pas été rognées – même si un premier pas en ce sens vient d’être franchi par le récent accord interprofessionnel sur les retraites complémentaires. Le gel des dépenses de l’État n’est pas général (cf. éducation nationale) et ne provoque pas pour l’instant des désagréments insupportables pour l’ensemble de la population; les diminutions de crédits restent largement du ressort de conflits sectoriels.  En ce sens, si l’on attribue au mot « austérité », le sens de « disette » ou « famine » budgétaire – ce qui tendrait être le sens de ce mot désormais en Europe – , la France n’en est pas encore à ce stade.  C’est vrai que P. Moscovici n’est pas G. Osborne.

Quoiqu’il en soit, cette stratégie de dénégation de l’austérité par F. Hollande va apparaitre de plus en plus artificieuse à mesure que la France va être obligée de céder – comme elle s’y est récemment engagée – aux obligations en ce sens que l’Union européenne lui impose. Les prochaines semaines risquent d’être amusantes à observer – surtout avec des prévisions de croissance aussi médiocres que celles annoncées pour la France par la Commission elle-même pour 2013 et 2014.

Un dernier point : la Commission européenne réclame à la France (comme à ses autres patients) des « réformes structurelles ». Je trouve cela très bien vu comme demande à un Président de la République et un Premier Ministre qui sont déjà en train de battre des records d’impopularité sondagière après moins d’un an de mandat.

Ps 1. Deux matins de suite sur France-Inter, l’auditeur que je suis a eu droit à une dénégation en règle de l’austérité.  Hier, mardi, Pierre Moscovici a tenu un discours propre à rendre fou tout auditeur un peu cohérent : première partie du discours, non, non, au grand jamais, ce gouvernement ne donne pas dans l’austérité; deuxième partie, illustration des diverses mesures d’économies dans les dépenses de l’État engagées depuis 2012, et à poursuivre en 2013 et 2014. Il est donc à conclure qu’en France, stabiliser ou même diminuer les dépenses de l’État ne constitue pas de l’austérité – avec les effets récessifs que cela peut avoir ailleurs  -, et n’a donc aucun effet sur la conjoncture économique générale. A croire que toutes ces dépenses de l’État qui se faisaient l’étaient auprès d’agents économiques fantômes qui prenaient l’argent de l’État, ne rendaient aucun service en échange, et disparaissaient ensuite dans le néant avec l’argent reçu… Idem pour les impôts supplémentaires, sans doute prélevés sur des thésauriseurs qui gardaient de toute façon leur argent sous leur matelas. Ce jour, mercredi, rebelote avec Jean-Marc Ayrault sur le même thème : non pas d’austérité bien sûr, mais des dépenses amoindries pour rétablir… (sic) la capacité de dépenser pour l’avenir. Ayrault ajoutait en effet aux propos de Moscovici une complication supplémentaire : la réduction de dépenses d’aujourd’hui constitue la réduction de la dette accumulée et des intérêts à verser de demain (jusqu’ici tout va bien..), qui permettra plus de dépenses d’investissements après-demain (ou tout de suite???), qui, faut-il en douter, apporteront de la croissance… dans un certain temps (ou dans pas longtemps???). Pour donner un exemple de la cohérence de la ligne gouvernementale, autant que je le sache, en raison de l’austérité, les dépenses afférentes au « Grand Paris » n’ont effectivement pas été annulées, mais elles ont été différées dans le temps en raison d’économies budgétaires à faire tout de suite… ce qui veut dire que les effets économiquement positifs pour la France de renforcer ainsi la métropole mondiale parisienne se trouvent décalés d’autant à un horizon tel que je risque d’être au cimetière au moment où ils seront là… Tout cela est un peu fou : soit ce sont des dépenses porteuses d’avenir dans le cadre de la « guerre économique mondiale » dans laquelle nous sommes engagés, et il faut les faire tout de suite, à marche forcée; soit cela ne sert à rien en fait, et on les annule tout de suite.

Ps2. La vraie bonne nouvelle de la semaine, un peu passée inaperçue : les Pays-Bas sont en train de craquer. Apparemment, selon les Echos, le gouvernement de coalition libéraux/sociaux-démocrates est en train de revenir sur le train d’économies qu’il avait envisagé en se mettant en place – sans qu’il y ait eu apparemment de grandes mobilisations populaires en ce sens d’ailleurs.  La petite économie ouverte, donneuse de leçons, qui ne compte que sur ses exportations pour vivre semble avoir quelques difficultés elle aussi dans ce contexte… Bien étonnant, tout de même, mais apparemment, ils ont aussi en plus leur propre crise de l’immobilier.  Avec un peu de chance, quand tout le monde en Europe sera vraiment au fond du trou, on va pouvoir commencer à discuter sérieusement de l’avenir économique du continent, on se rapproche de l’échéance.

Laurent Mauduit, L’étrange capitulation.

mauduitLaurent Mauduit vient de faire paraître ce vendredi 5 avril 2013 l’un des premiers livres (si ce n’est le premier?) qui s’essaye à faire un bilan de la Présidence Hollande engagée en mai 2012. Je l’ai lu L’étrange capitulation (Paris : Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2013) profitant d’un samedi bien maussade sur Lyon. Cet ancien journaliste de Libération et du Monde, actuellement à Médiapart, ne cache pas son attachement à « la gauche », et c’est de ce point de vue qu’il entend rendre compte d’un peu moins d’une année de retour du PS au pouvoir après dix années d’opposition.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que L. Mauduit  n’est pas tendre. Comme le titre l’indique, il s’agit d’une « étrange capitulation ». Il  construit en effet toute la rhétorique de son ouvrage autour d’une méditation sur le livre de Marc Bloch, l’Étrange défaite.  Ce dernier, historien du Moyen-Age, avait voulu comprendre, alors même qu’il était engagé dans la Résistance, comment la France avait vu ses défenses s’écrouler si subitement en mai-juin 1940. Il en attribuait la responsabilité à la nature des élites d’alors, guère prêtes à faire ce qu’il fallait pour sauver le pays du désastre, peut-être même au contraire bien contentes de se faire battre par l’Allemagne de Hitler pour sauver par la même occasion d’inavouables intérêts domestiques. Dans le cas présent, il s’agit de monter que, contrairement aux expériences précédentes d’accès aux responsabilités nationales de la gauche (en 1936, en 1981 et en 1997), F. Hollande n’a même pas essayé de faire des réformes correspondants à ce qu’attendait (confusément) le « peuple de gauche » : (…) « d’emblée, en 2012, les socialistes baissent les bras et appliquent la politique du camp d’en face » (p. 250) En effet, selon L. Mauduit, F. Hollande fait exactement ce qu’attendent les milieux patronaux et la haute fonction publique  (libérale), et cela en liaison avec ses amis de toujours, comme Jean-Pierre Jouyet, actuel dirigeant de la CDC. Ce dernier avait défini publiquement la ligne réelle de la future Présidence dès l’automne 2011 sans qu’on y prenne garde (p. 201-204). « En vérité, 2012 est comme un épilogue dans l’histoire socialiste. C’est François Hollande qui gagne l’élection présidentielle, mais ce sont les milieux d’argent qui détiennent plus que jamais le pouvoir » (sic, p. 272). Ce livre de journaliste, bon connaisseur des élites parisiennes, vaut d’ailleurs surtout par sa capacité à mettre en lumière les continuités humaines entre l’époque sarkozyste et la Présidence Hollande qui commence.

Du fait, on aurait du mal à donner tort sur le fond de l’affaire  à L. Mauduit, ce n’est pas de fait un scoop de dire que le « choc de compétitivité » auquel Louis Gallois associe son nom, la « réforme bancaire » (enfin réforme, c’est un grand mot …), l’ « Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi », la « Modernisation de l’action publique (MAP) », la création de la « Banque publique d’investissement(BPI) », les décisions prises autour du sort de l’aciérie de Florange,  les choix budgétaires annoncés pour les années 2013-2017, dessinent, selon la terminologie consacrée, les contours d’un « socialisme de l’offre ». Ce dernier se trouve pour le moins assez éloigné de ce qu’attendaient, à court terme, une partie au moins des électeurs de F. Hollande lors du second tour – ceux qui croyaient que leur vie quotidienne serait moins dure.

En revanche, j’aurais quelques critiques à formuler sur la surprise (supposée) que cela représente et sur les raisons qui expliquent cette accentuation des politiques économiques d’inspiration néo-libérale depuis l’élection de F. Hollande.

Premièrement, j’oserais dire que n’ont été surpris que ceux qui voulaient bien se laisser surprendre! (au vieux sens du mot surprendre). Le livre est d’ailleurs un peu contradictoire en ce qu’il apporte lui-même des éléments pour prouver que, dès 2011, F. Hollande a choisi la ligne « socio-libérale » qu’il appliquera s’il parvient à la Présidence. L. Mauduit explique aussi comment la taxe à 75% constitue un coup de génie qui permet d’enterrer la réforme fiscale voulue par le PS dans son programme et … de prouver au bon peuple de gauche qu’on porte des intentions sérieuses de redistribution  (p. 134-140). L. Mauduit ne fouille pas assez la dynamique de l’opinion publique : en effet, à mon sens, dès avant l’élection de 2012, toutes les personnes informées (parce qu’elles lisent la presse, dont Médiapart) savent que F. Hollande tiendra la ligne qu’il va finalement tenir; en revanche, une bonne part de ses électeurs (peu informés), de ses militants (trop confiants), croient apparemment, ou se laissent aller à croire pour ne pas désespérer, que « le changement, c’est maintenant ». Cela tient sans doute à l’habileté de F. Hollande d’avoir réussi à tenir ce double discours pour deux cibles socialement et politiquement différentiées. Quand Emmanuel Todd parle de « hollandisme révolutionnaire » en mars 2012, c’est bien parce que toute une partie de l’opinion (de gauche) sait déjà largement à quoi s’en tenir. De ce point de vue, tous ceux qui geignent maintenant (genre Gérard Filoche ou les récents pétitionnaires « Ce n’est pas pour cela que nous nous sommes engagés ») font preuve d’une bêtise crasse ou d’une duplicité coupable.

Deuxièmement, L. Mauduit tisse son livre de comparaison avec 1936, 1981 ou 1997, en soulignant qu’à chaque fois la gauche essaye au moins de faire au début quelque chose. Certes. Il devrait souligner encore plus qu’il ne le fait, qu’à chaque fois, on trouve derrière les changements législatifs annoncés par les socialistes et leurs alliés du moment une forte poussée d’un mouvement social. Pour prendre l’exemple de 1997, la « réduction du temps de travail », mise en œuvre mollement et lentement par le PS, est portée par un mouvement social. Ce dernier a même été capable d’influencer la droite au pouvoir avant 1997, qui vote  la « loi Robien » qui ouvre la voie à cette idée de réduction du temps de travail (certes dans une forme néo-libérale). Sans doute, L. Mauduit ne veut-il pas insulter le public qu’il vise en écrivant ce livre, mais, après tout, si le PS revenu au pouvoir avec F. Hollande se donne tout entier, selon lui, aux idées de son adversaire traditionnel, n’est-ce pas aussi parce que la poussée pour le changement social s’avère en fait nulle en 2012? Ou n’est-ce pas que ceux qui voulaient ce changement ont été encore une fois trop naïfs vis-à-vis des actuels dirigeants du PS?  Feu sur le quartier général, camarades!

Troisièmement, L. Mauduit me semble négliger de mettre en lumière une cause majeure des choix de F. Hollande : l’Europe, l’Europe, l’Europe. Il consacre un chapitre 9, « Le FMI comme maître à penser » (p.169-179) à faire le lien entre l’ANI sur la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013 et les recommandations des instances économiques internationales en matière de « réformes structurelles » du marché du travail. L. Mauduit n’a pas tort. Mais, pour le reste, il néglige l’importance des contraintes européennes que doit affronter désormais tout dirigeant français. La véritable « étrange capitulation » est peut-être justement là : lorsqu’il fait campagne, F. Hollande prétend vouloir renégocier le TSCG et surtout réorienter l’Europe vers la croissance. Pour l’instant, c’est l’échec complet. La vraie question est alors de se demander pourquoi, en juin 2012, fort de l’onction du suffrage universel français, F. Hollande n’ose pas provoquer une crise européenne en affirmant clairement que la politique menée depuis 2010-11 de rigueur à marche forcée ne fera qu’emmener l’UE dans la récession, et bloquer à ce moment l’adoption du TSCG. Il est vrai que, pour le fils spirituel de Jacques Delors, jouer le tout pour le tout à ce moment-là aurait sans doute été difficile. Sans doute aussi, l’onction du suffrage universel français se trouve un peu démonétisée dans le cadre européen – elle ne l’est pas tant que cela pour les Français. On est certes plus au temps du Général de Gaulle et de la « crise de la chaise vide ». Il est vrai aussi que seulement menacer de se fâcher aurait pu entraîner une crise financière si grave que l’Euro en aurait passé l’arme à gauche – ce qui n’était pas dans le programme de F. Hollande- , mais tout de même? D’ailleurs, dans son récent interview sur France 2, le Président a eu des phrases alarmistes sur l’effet de l’austérité sur la tenue de l’Union européenne : pourquoi continuer alors dans le même temps (comme il l’a confirmé aussi) à respecter la rigueur européenne? Je soupçonne que si L. Mauduit a négligé cet aspect européen qu’il connait sans doute bien, c’est parce que cela l’aurait emmené sur des routes fort sinueuses, dans la mesure où il voulait reprendre la thématique de Marc Bloch. Dans le fond, n’aurait-on pas alors une étrange capitulation devant l’ordo-libéralisme germanique, auquel les élites françaises seraient bien contentes de se livrer pour de trop évidentes raisons intérieures? Pour en finir ainsi avec les « archaïsmes français »?

Enfin, dernière critique. L. Mauduit reproduit un schéma bien connu dans les monarchies : le roi a un bon fond, seuls ses conseillers sont mauvais. L. Jouyet, et les anciens proches de DSK, P. Moscovici et J. Cahuzac, apparaissent comme les responsables de tout cela, mais F. Hollande lui-même, comme le montre la fin de l’ouvrage qui reproduit une tribune de ce même F. Hollande en 1999 contre un autre ouvrage critique de L. Mauduit à propos de la gestion Jospin (p. 289-295), semble ne pas être un mauvais bougre, c’est un vrai réformiste de gauche qui veut avancer à tous petits pas de manière réaliste. C’est là un peu vouloir sauver ce qu’il peut rester d’espoir à gauche dans cette Présidence Hollande. Encore un peu de courage, camarade Mauduit…

Et, le plus drôle dans tout cela, c’est que la droite, elle, ne fait mine d’y voir que de l’affreux socialisme rétrograde… Où comment perdre sur les deux tableaux…

Couacs, Cahuzac, Jarnac

Comme me l’a toujours dit mon père, qui a été juriste et qui a bien retenu la leçon de ses professeurs de droit, « n’avoue jamais! » Quel manque de professionnalisme politique tout de même de la part de Jérôme Cahuzac de finir par reconnaître devant les juges chargés de son affaire qu’il possédait effectivement des comptes bancaires à l’étranger depuis une vingtaine d’années.  Même devant l’évidence, il faut toujours nier, nier et encore nier,  n’importe quel petit malfrat sait cela. Qu’est-ce qui lui a pris? Il a une crise mystique? Il va bientôt nous annoncer qu’il se retire dans un couvent après avoir distribué tous ses biens aux pauvres. N’importe quoi vraiment! On ne peut plus avoir confiance en personne.

La ligne de défense de F. Hollande et de l’ensemble des socialistes que j’ai entendus s’exprimer depuis hier après-midi est qu’ils ont été trompés de bout en bout par J. Cahuzac. Certes. Ils se trompèrent déjà pour la plupart sur la double vie de DSK, dont ils firent semblant de découvrir l’existence au moment du scandale du Sofitel. Pas mal pour un parti qui se prétend « féministe »…

Je me permets de rappeler que la fonction en démocratie des partis politiques, selon la théorie la plus banalement partagée, est entre autres choses de « sélectionner le personnel politique », de servir en quelque sorte de filtre aristocratique (au sens platonicien du terme) pour déterminer quels sont les meilleurs représentants d’une certaine idée politique.  Les députés et militants de base disent se sentir trahis, et craignent de porter dorénavant l’opprobre liée aux délits et mensonges de l’ex-Ministre du Budget Cahuzac, désormais ci-devant « fraudeur au fisc », alors qu’eux, ils travaillent avec honnêteté et dévouement pour ce qu’ils croient être le bien commun. Malheureusement pour eux – les honnêtes, les dévoués -, les citoyens n’auront cependant pas tort de leur en vouloir aussi à eux, et au PS en général. En effet, un parti en démocratie représentative libérale constitue une entreprise collective, à laquelle personne n’est obligé de participer et où il existe une responsabilité collective sur ce qui est fait et décidé. Si un militant ou un élu suppute qu’il s’y trouve en mauvaise compagnie, libre à lui de partir. Il se trouve de fait que le PS s’avère à l’expérience d’une grande carence  à repérer et à exclure les personnes qui n’ont pas les mœurs voulues au regard de ce qu’on peut ordinairement admettre comme faisant partie du bien commun (en l’occurrence, ne pas frauder le fisc), pourtant, cela devrait aussi être l’un de ses rôles que de jouer le rôle de filtre.

Que J. Cahuzac ait pu jusqu’à présent faire une aussi belle carrière au sein du PS sans que personne ne soupçonne, selon les dires actuels des élus du PS, qu’il y avait quelque anguille sous roche n’est pas très brillant pour ce vieux parti de la gauche modérée. Cela l’est encore moins pour F. Hollande, ancien Premier secrétaire de ce dernier au moment même où J. Cahuzac commençait son ascension. Il aurait peut-être pu mieux se renseigner sur le personnage. Bien sûr, comme le savent tous les connaisseurs de l’histoire, de l’espionnage en particulier, on peut toujours tromper son monde, mais, pour un F. Hollande se voulant l’héritier de François Mitterand qui ne serait sans doute pas laissé abuser, ce n’est pas encourageant sur sa capacité à jauger ses collaborateurs. De toute façon, en dehors des mesures cosmétiques annoncées ce midi par le Président Hollande pour lutter contre la corruption des élus, il faudra sans doute faire sauter aussi un « fusible » dans les jours qui viennent – Moscovici parait l’homme de la situation.

Je n’ai guère été non plus impressionné par le socialiste Gérard Filoche perdant ses nerfs à la télévision (sur LCI), et gémissant sur la misère montante dans le pays vis-à-vis de laquelle le cas Cahuzac constitue (certes) une insulte vivante. Il semblerait à l’entendre qu’il ait découvert  seulement à ce moment-là que J. Cahuzac comme Ministre du Budget n’en avait rien à faire de la souffrance sociale. Je n’ai guère de compassion pour quelqu’un qui découvre en direct qu’il n’est sans doute, comme disait Lénine, rien d’autre qu’un « idiot utile », un brave gars qui croit sincèrement à la justice sociale old style dans un parti qui n’y croit plus vraiment depuis longtemps. On n’est en effet pas obligé de rester dans un parti dont la majorité ne partage pas par ses actes vos valeurs profondes, et, si on y reste, on ne saurait ensuite trop se plaindre. Idem pour la journaliste bien connue pour son attirance pour la gauche socialiste, Audrey Pulvar, disant dans une émission de télévision en conclure que le PS « cocufie » (sic) les Français depuis 1981… Le choix du verbe « cocufier » m’a beaucoup amusé, qu’en termes galants ces choses-là sont dites, la dame serait-elle rancunière?

Avec tout cela, Marine Le Pen est bien sûr en lévitation, et demande du coup dans un élan d’enthousiasme rien moins que la dissolution de l’Assemblée nationale. Why not? F. Hollande devrait la prendre au mot. Bien sûr la droite gagnerait haut la main ces élections anticipées avec n’importe quel leader à sa tête, sans avoir à demander l’aide du FN d’ailleurs pour emporter une majorité, par simple écroulement électoral de la gauche. La droite serait alors confrontée à ses propres promesses et à l’obligation de faire le très sale boulot qui attend tout exécutif français dans les prochaines années si l’on reste dans le cadre européen actuel. La droite devrait  revenir sur les 35 heures, repousser l’âge légal de la retraite jusqu’à 67 ans (ou plus même si nécessaire), elle pourrait diminuer drastiquement les allocations familiales, etc.  Ce qui resterait du PS pourrait en profiter pour changer de nom afin de faire oublier ses errements (ce qui n’a pas été fait depuis 1969 tout de même), et, avec un peu de chance, le gouvernement de droite, issu des élections anticipées, serait devenu lui-même tellement impopulaire au printemps 2014 que la gauche post-socialiste sauverait sans doute son bien le plus précieux, ses nombreuses mairies. En se faisant oublier pendant deux-trois ans comme Président-potiche d’une nouvelle et inattendue cohabitation, F. Hollande aurait même une petite chance de se faire réélire en 2017, qui sait?

J’ai élaboré ce scénario – très fantaisiste, je l’accorde volontiers -, parce qu’à ce stade, d’impopularité, de récession économique, de chômage croissant, et maintenant d’affaires bien glauques pour pimenter le débat, j’ai comme l’impression que F. Hollande va avoir du mal à remonter la pente, et que l’addition électorale va être fort salée pour le PS et ses alliés en 2014.