Comme je suis parallèlement la politique française et la politique italienne, je ne peux que constater le contraste pour le moins saisissant entre le sort des deux partis de gouvernement de part et d’autre des Alpes. Le PS de F. Hollande connait à ces élections européennes un plus bas historique: 14% des suffrages exprimés, bravo l’artiste! Ce n’est d’ailleurs là que justice immanente des sentiments populaires. A trop renier toutes ses promesses et à ne tenir que celles qui n’intéressent qu’une minorité (le « mariage pour tous »), il ne fallait pas s’attendre à autre chose. Inversement, le PD de Matteo Renzi enregistre un score extraordinaire : un peu plus de 40% des suffrages à lui seul (avec en plus une participation électorale de près de 59%) laissant très loin derrière le second parti (le M5S de Beppe Grillo avec 21%).
La situation économique des deux pays latins n’est pourtant guère différente : chômage au plus haut, croissance nulle ou anémique, budgets publics en peau de chagrin, consommation des ménages qui flanche, régions entières en déshérence, mais pourtant le PD de Matteo Renzi réussit à « casser la baraque », et se retrouve l’un des rares partis de gouvernement de l’Europe des 28 à dépasser à lui seul le seuil de 35% des suffrages exprimés. Une des premières raisons du succès du PD se trouve à mon avis dans le prédiction faite par son principal adversaire, Beppe Grillo, qu’en cas de victoire du M5S (entendue comme ce parti devant le PD), il faudrait changer de gouvernement. Je parierais que cette crainte d’une nouvelle crise gouvernementale, sans issue claire, a effrayé les électeurs italiens, et cela d’autant plus que B. Grillo a organisé toute une série de meetings semblant annoncer la révolution par les urnes. Or les ménages italiens, étant les premiers possesseurs de la dette publique italienne, ne peuvent qu’avoir quelque crainte face aux projets révolutionnaires de B. Grillo sur le traitement de cette dernière. Bref, le succès du PD -seul grand parti de gouvernement encore crédible actuellement en Italie -, c’est d’abord le refus des aventurismes qu’incarne le M5S. Par ailleurs, Matteo Renzi, depuis qu’il s’est imposé sans grande élégance au poste de Président du Conseil en débarquant Enrico Letta, son collègue de parti, n’a eu de cesse de promettre des réformes en Italie et de critiquer assez durement les choix « austéritaires » de l’Union européenne. M. Renzi n’est au pouvoir que depuis quelques mois, et les électeurs ont pu lui faire aussi crédit de sa volonté réelle de réorienter la politique européenne – mais là encore sans aventurismes excessifs.
Dans le cas français, c’est bien sûr tout le contraire. F. Hollande a été élu en mai 2012 sur la promesse de réorienter la politique européenne. Il n’a en réalité rien fait, rien en tout cas qui soit perceptible par l’électeur français de base. Le slogan du PS, tiré d’une phrase du candidat PSE à la présidence de la Commission, l’allemand Martin Schulz, « L’austérité en Europe est une erreur », qui se trouvait sur ses affiches électorales, se trouve pleinement démenti par la pratique des gouvernements Ayrault et Valls d’une austérité, déniée certes, mais bien réelle. La campagne du PS était schizophrène ou hypocrite au choix.
Maintenant les perspectives pour le PS de F. Hollande et la gauche française en général sont sombres. Le scénario central comprend désormais : défaite aux sénatoriales à l’automne prochain; déroute générale aux régionales de 2015 et aux cantonales si elles sont organisées; non qualification d’un candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle en 2017; et enfin victoire très probable du candidat de la droite modéré à la présidentielle avec le secours effrayé des électeurs « républicains » face au « péril brun ». Bis repetita placent. On reparlera donc d’alternance à gauche en 2022 ou en 2027. Je comprend la mine contrite de J. L. Mélenchon hier soir.
Peut-on encore éviter ce sort tragique (ou juste)? Sur les seules bases françaises, et en restant dans le calendrier institutionnel actuel, non. En effet, la politique du « socialisme de l’offre » n’aura au mieux que des effets limités, à la fois géographiquement et socialement, pour améliorer le sort des Français. Ce sera toujours la France des grandes métropoles modernes qui en profitera, et la France du XXème siècle continuera sa lente agonie. Ce seront toujours les personnes qualifiées qui auront un emploi et celles qui le sont peu qui « galéreront » ou attendront petitement de toucher leur petite retraite dans la gêne d’un chômage sans fin. Ce n’est pas en baissant les impôts sur le revenu que les électeurs vont se (re)découvrir soudain une âme d’électeur de gauche. Surtout, j’ai ainsi entendu à la veille de l’élection européenne un ministre socialiste promettre qu’on redescendrait à 3.000.000 de chômeurs début 2017, autant dire que le chômage de masse restera sans doute donc la préoccupation numéro 1 des Français à ce moment-là et que le parti au pouvoir n’aura même pas besoin d’espérer être qualifié au second tour de l’élection présidentielle. Feu la gauche…
Maintenant, il ne reste qu’à espérer que Matteo Renzi, fort de son résultat, fort aussi de la la situation italienne où tous les partis qui ont des électeurs, y compris le sien, critiquent l’austérité imposée par Bruxelles, soit à même de faire modifier vraiment les grands choix de politique économique européenne. Déjà, c’est l’italien Mario Draghi, à la tête de la BCE, qui a sauvé l’Euro à l’été 2012 et qui semble bien décidé depuis quelques mois à éviter une déflation européenne à la japonaise. C’est peut-être Matteo Renzi qui va réussir à persuader ses pairs européens qu’il faut absolument se débarrasser de la charge de l’endettement public par un retour à une croissance un peu solide dans tous les pays de l’Union, y compris dans l’Europe du sud, et non par l’austérité à tout crin. Dans un tel scénario, où l’Union européenne choisirait un relance concertée de son économie pour solder ses dettes accumulées, on peut espérer une diminution sensible du chômage et une transformation de l’ambiance générale en Europe. Cela finirait par profiter au parti au pouvoir en France.
La première étape de ce scénario va bien sûr être le choix du Président de la Commission et la composition de cette dernière. La logique de démocratisation du choix du Président de la Commission qu’avaient publiquement adoptée les « partis européens » (PPE, PSE, ALDE, PVE, PGE) avant le vote devrait assurer la nomination du luxembourgeois J.- C. Juncker par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement. Cet homme d’expérience ne va pas donner une image très réjouissante de l’Europe. Est-ce que les partisans d’une Europe à l’image plus dynamique réussiront à imposer une autre personnalité plus dynamique? A. Merkel a déjà dit qu’il y aurait des « discussions ». Là encore, F. Hollande risque d’être sauvé ou enfoncé encore plus par des éléments qui ne dépendent plus de lui. Plus généralement, le PS de F. Hollande ne me semble plus maître de son destin, et cela d’autant plus que je vois mal comment de ce parti fatigué avant même d’avoir gouverné trois ans puisse sortir des idées novatrices pour relancer l’économie française sans aide d’un contexte européen plus favorable.
Enfin, il va falloir se supporter tout cela.