Le sénateur Haenel de la Délégation pour les Affaires européennes du Sénat français vient de publier le 8 novembre son analyse du Traité de Lisbonne sous la forme d’un rapport parlementaire. On le trouvera sur le site du Sénat français en pdf en télécharement libre (www.senat.fr) .
De ce texte, il résulte que :
a) les différences de détail avec le Traité constitutionnel sont nombreuses et parfois très subtiles à comprendre;
b) celles-ci ne vont pas toutes dans le sens « fédéraliste » ou dans le sens « souverainiste » , même si cette dernière approche pourrait se trouver gagnante au total, mais de peu au total;
c) le contenu institutionnel majeur de la Constitution est conservé comme l’a dit plus succinctement Valéry Giscard d’Estaing.
Bref, ce document du Sénat confirme que le Traité constitutionnel et le Traité de Lisbonne sont grosso modo la même chose sous une enveloppe juridique différente. Dans le débat entre sénateurs annexé au rapport proprement dit, certaines interventions ne sont pas loin de reconnaitre l’escamotage opéré et la nécessité politique de ce dernier pour sortir de l’impasse créé par les votes français et néerlandais entre partenaires européens.
Fort bien. Mais ce qui ne laisse pas de m’impressionner, c’est que par la vertu d’internet une telle analyse qu’on pourrait qualifier de cynique ou de « despotisme éclairé » assumé est disponible pour tous ceux … qui veulent se donner la peine de la rechercher. Un peu comme le disent les spécialistes des services secrets, 99% de l’information pertinente est en réalité ouverte, seuls les 1% restants sont couverts par un vrai secret. Ici nous avons donc le « secret de Polichinelle » de l’année : les électeurs français par la grâce de leurs élus seront soumis à des règles institutionnelles qu’ils ont refusé majoritairement en 2005 – ce qui rompt singulièrement la boucle habituelle de la légitimité démocratique du droit.
Cela vaut peut-être mieux ainsi, si l’on veut la continuation de la construction européenne, ou tout au moins ne pas se fâcher officiellement avec nos principaux partenaires. Mais cela veut dire que, presque officiellement, « le peuple n’est plus souverain ». Le Sénat dixit. Cela me frappe, car cela rejoint l’analyse d’un Guy Hermet dans L’hiver de la démocratie ou le nouveau régime (Paris, Armand Colin, 2007) qui prétend que nous serions en train de sortir de la démocratie représentative libérale pour aller vers un nouveau régime sans autre nom pour l’instant que la « gouvernance ».
Un article de Schneidermann dans Libération remarquait récemment que les médias avaient totalement occulté les enjeux du Traité de Lisbonne. Il a raison, mais ces enjeux sont disponibles publiquement pour les happy few.