Retour sur le référendum irlandais: l’intérêt national joue et gagne.

La Commission européenne met à disposition sur son site les résultats de son sondage post-électoral effectué lors du récent référendum (cf. EB Flash 245 Sondage post-référendum en Irlande : résultats prélimaires, uniquement version en anglais à ce jour).

Ces données ont été le plus souvent utilisées pour expliquer la victoire du « non ». Il en ressort clairement que la campagne du « oui » n’a pas été perçue comme des plus claires par les électeurs. Il en ressort aussi l’opposition sociale entre les « gagnants » et les « perdants » de la société irlandaise; comme en France en 2005, le vote dans un tel référendum semble découper la société entre ceux qui croient à leur avenir et ceux qui n’y croient pas ou plus. Il est ainsi frappant que les jeunes Irlandais, quand ils ont voté, votent majoritairement non.

Tout cela n’est désormais pas très original, mais ce qui est plus étonnant à mon sens, ce sont les raisons allégués par les partisans de chaque camp pour justifier de leur vote. Première raison de vote « oui »: « It was in the best interest for Ireland » (32%), seconde raison : « Ireland gets a lot of benefits from the EU » (19%). Pour trouver une raison « européenne » de voter oui au Traité de Lisbonne, il faut aller en fond de classement avec des réponses qui représentent chacune entre 1% et 5% des explications données.

Du côté du non, la situation est en fait presque symétrique : la première raison alléguée, c’est la méconnaissance du Traité (à 22%), mais ensuite se trouvent toute une série de raisons qui défendent les intérêts irlandais (entre 12% et 1%) et quelques raisons proprement européennes (entre 5% et 1%).

Les Irlandais qu’ils soient pour le « oui » ou pour le « non » déclarent donc majoritairement avoir voté en raison de leur perception de l’orientation de ce Traité vis-à-vis des intérêts irlandais; comme par un heureux hasard, ce jugement semble bien réflèter la position statutaire de chaque personne dans la société irlandaise. Comme le montre aussi le sondage, l’appartenance proprement dite du pays à l’Union européenne n’est nullement en cause.

Il me semble du coup que ce vote ne dit rien d’autre que la prééminence chez les électeurs d’une vision intéressée du monde social – qui ose se dire publiquement – où la nation reste le lieu privilégié de l’expression des intérêts; les Irlandais ne sont donc pas pro-ou anti-Européens comme les commentaires journalistiques auraient tendance à le dire, ils sont majoritairement dans les deux camps pour leurs seuls intérêts et ne voient que l’échelle nationale pour défendre ces derniers. Par exemple, les partisans du « oui » croient que le Traité de Lisbonne permettra à l’Irlande de continuer à compter en Europe, ceux du non craignent pour le statut dans l’UE des petites nations dont celui de l’Irlande. Les électeurs du « oui » en fait ne démontrent dans leurs réponses aucun « idéalisme » européen : ils ont voté « oui » comme on voterait un réglement de copropriété qui vous paraît au total favorable.

On peut juger cet égoïsme national comme légitime, mais ces données jettent un jour cru sur les difficultés à cheminer vers une « communautarisation des esprits » et sur la quasi-absence dans les esprits d’un « intérêt général européen » tel qu’il devait être promu par la construction européenne selon ses premiers zélateurs. Seule une minorité des électeurs déclare avoir voté en fonction d’une telle perception (place de l’Europe dans la globalisation par exemple, qui est d’ailleurs la grande raison de défendre ce Traité pour les Eurodéputés qui le soutiennent).

2 réponses à “Retour sur le référendum irlandais: l’intérêt national joue et gagne.

  1. Comme on me le soufflait récemment, ce non irlandais fait doucement penser au pauvre manifestant chinois debout devant une colonne de char sur la place Tian’anmen en 1989… L’Europe n’a elle non plus visiblement pas de marche arrière…
    La dimension nationale des « oui » et des « non » ne fait que rappeler une évidence : l’intérêt général ne se conçoit toujours pas en dehors de la nation, et ce pour une raison très simple, aucune forme de démocratie n’a réussi à émerger d’une structure supranationale. Sur ce point, l’UE est une caricature de despotisme éclairé. Le ralliement des élites à la démocratie, qui a été long et difficile, semble de plus en plus fragile en Europe. Le peuple est bien trop stupide pour donner son avis sur un texte de 400 pages écrit en novlangue juridique. C’est un fait crié haut et fort. Mais pourquoi le serait-il moins pour désigner un gouvernement qui doit décider entre autres du niveau des prélèvements obligatoires, du nombre de fonctionnaires utiles, ou de l’effort à faire en matière de lutte anti-terroriste ou contre le changement climatique ?
    En ce sens le discours désormais convenu sur le « déficit démocratique » de l’Europe fait partie de ses « bavardages » dont nos systèmes politiques (notamment en France mais pas seulement) ont le secret : je pense ici entre autres à la démocratie participative et à ses nombreux avatars (cf l’enterrement de première classe via une assemblée citoyenne de la réforme du mode de scrutin en Colombie britannique dont aucun politicien canadien ne voulait en 2006), ou pour être très franco-français à la fin du cumul des mandats (« je dois cumuler pour abolir le cumul qui m’empêchera de cumuler pour abolir le cumul ») ou à la réforme du Sénat (une maison de retraite et de prestige à l’abri du peuple fougueux qui convient à tout le monde, y compris aux Verts ; cependant le Parlement européen devient un vrai concurrent avec quelques prises de choix : Rocard, Weber…).

  2. Je reconnais bien là votre jeune cynisme, vous avez raison sur bien des points, le malheur est que la plupart des politistes tendent à prendre au sérieux ces bavardages, par exemple un éminent et encore jeune collègue vient de faire paraître un ouvrage de synthèse sur la « démocratie participative ». En même temps, ce n’est parce que les choses sont immobiles qu’il ne faut pas en parler : prenons le statut du Sénat en France et son mode de scrutin pour le moins archaïque et plus que clairement biaisé, il est indéfendable publiquement; à terme, mais quand? il finira par s’écrouler. Dans le fond, si on regarde l’histoire, il peut se passer cent à cent cinquante ans entre les débuts de la critique d’un régime, et sa transformation complète. Par exemple, de l’expérience, il ressort qu’un Président de gauche (si un jour ce phénomène se reproduit de notre vivant…) cohérent devra « tuer le Sénat » dans les premiers mois de son mandat, en passant par une réforme constitutionnelle par voie référendaire.

    Par ailleurs, ces « bavardages » ont au moins le mérite de pointer du doigt un manque, une absence, une hypocrisie. Cela ne change pas grand chose à court terme ni à moyen terme, mais sait-on jamais?

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