Business as usual : « S. Berlusconi vs. les juges », épisode 5439.

Suivre la politique italienne au jour le jour depuis quinze ans a fini par me rendre morose sur ce pays : un même scénario se répète à l’infini depuis 1994, « Silvio Berlusconi s’oppose à la magistrature italienne ». Au moment où l’on croyait le conflit enfin apaisé avec le triomphe de la coalition des droites aux récentes élections, triomphe qui aurait dû inciter S. Berlusconi à traiter les affaires judiciaires le concernant par le mépris (et la prescription qui finira bien par arranger tout…), il repart de plus belle à l’attaque de la magistrature (en se disant of course attaquée par elle!). C’est pour le moins lassant. Cette fois-ci, S. Berlusconi a fait voter une loi dite « lodo Alfano », qui garantit une immunité pénale (et pas civile) temporaire aux cinq plus hautes charges de l’Etat italien pendant la durée de leur mandat. Une loi à peu prés similaire (le « lodo Schifani ») avait été votée sous la précédente législature de centre-droit et rejetée par la Cour constitutionnelle italienne sous des motifs pris en compte cette fois qui ne devraient donc pas empêcher l’entrée en vigueur du « lodo Alfano ». Le quatrième gouvernement Berlusconi a aussi décidé de restreindre trés fortement les possibilités pour la magistrature de mettre sur écoutes les suspects lors d’enquêtes, et de punir trés durement quiconque révélerait ou diffuserait de telles écoutes. Il est vrai que certaines écoutes effectuées au détriment de S. Berlusconi auraient à ce qu’on croit comprendre un contenu peu reluisant – y compris sur certains aspects de sa vie privée. Il a par contre échoué à faire voter par le Parlement une norme dite « blocca processi » (stoppe-procès) dont l’absurdité patente ne dévoilait que trop l’aspect d’intérêt personnel qu’elle recelait.

Toute cette activité pour défendre le chef du gouvernement du « risque judiciaire » a déclenché la remobilisation de tous les groupes antiberlusconiens, qui ont organisé le 8 juillet un « No Cav Day » (littéralement « Jour du Pas de Chevalier du Travail »). Ce terme construit sur le modèle du « D-Day » a donné lieu à des tas de déclinaisons politiques en Italie (le « No Tax Day », le « Family Day », etc.) pour nommer une manifestation de protestation organisée par la droite. Les anti-berslusconiens par le titre choisi pour leur propre manifestation se moquent ainsi d’une routine de la droite.

Une manifestation auquel se résumait ce « No Cav Day » en pratique a donc eu lieu Piazza Navona à Rome, manifestation qui, semble-t-il, a eu quelque succès populaire. Le petit parti « Italie des Valeurs », dont le leader est l’ex-juge anti-corruption Antonio Di Pietro, a largement contribué à l’organiser et les critiques habituels de S. Berlusconi (S. Guzzanti, B. Grillo, M. Travaglio, A. Camilleri, etc.) y ont participé , mais pas un seul représentant de la classe dirigeante du Parti démocratique (PD). Cette dernière a d’ailleurs fini elle aussi accusée – y compris G. Napoletano le Président de la République – par certains orateurs pour son attentisme face aux décisions berlusconiennes.

Face à cette situation, S. Berlusconi en a rajouté encore en affirmant qu’une profonde réforme de la justice était plus que jamais nécessaire, et qu’elle devait se faire le plus tôt possible, à savoir cet automne.

A en croire les sondages, ce conflit ne passionne pas les Italiens, et moi non plus. En effet, les divers épisodes de « criminalité en col blanc » dont se serait rendu coupable S. Berlusconi à en croire ses accusateurs ne changent rien au fait proprement politique que, malgré ces accusations (ou à cause d’elles?), il vient de gagner pour la troisième fois des élections politiques « à la loyale ». J’ajoute qu’en Sicile, où le centre-gauche a largement dénoncé depuis 1989 au moins les abus du centre-droit sur un style largement identique aux accusations portées contre S. Berlusconi, les élections régionales, provinciales et communales de cette année ont vu le triomphe du centre-droit. A Catane, le candidat du centre-gauche est même arrivé troisième derrrière celui de « la Destra » (de la droite néo-fasciste)… L’électeur ne semble donc guère apprécier ces dénonciations de la moralité de l’adversaire qui manquent d’un projet clair pour la suite. Le PD semble bien comprendre le piège en évitant de trop s’investir dans l’anti-berlusconisme moralisateur, mais n’a pour l’heure aucun discours crédible à opposer à S. Berlusconi sur le reste des politiques publiques.

Je dois donc me faire une raison : le conflit entre S. Berlusconi et la magistrature demeurera un élément central de la vie politique italienne jusqu’à la disparition politique de ce dernier, ou peut-être jusqu’au moment où l’opposition découvrira un meilleur angle d’attaque plus en phase avec les préoccupations de l’électorat.

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