Je reviens brièvement dans ce post sur les aventures médiatiques de notre brave ci-devant financier et « maître du monde » Jean-Marie Messier.
J’ai eu la bonne (et mauvaise) surprise de lire dans Libération du vendredi 16 janvier 2009, une pleine page sur cet évènement; sous la plume de Nicolas Cori, on trouve en effet un article dans la rubrique « l’Homme du jour », sous le titre « Jean-Marie Messier. Toute honte bue », avec comme sous titre « L’ancien patron de Vivendi, symbole déchu d’une finance arrogante, se fait désormais le Chantre d’un ‘capitalisme éthique' ». L’article est accompagné d’une photo du personnage, qui semble vous regarder d’un air narquois, photo donc moins avantageuse que dans l’Express des « YesMen ». J’attendais donc un article satirique et informé qui marquerait la fameuse différence de Libération, et bien non, tout cela m’a paru affreusement gentillet. Le journaliste indique bien que le livre dont notre « homme du jour » fait la promotion n’est pas d’une originalité extrême, et qu’il est en fait le résultat d’entretiens enregistrés entre Messier et un autre futur ci-devant, Denis Jeambar, son éditeur au Seuil, mais il semble s’extasier qu’à force de parler ainsi, notre héros ait dépassé les 300.000 signes prévus pour atteindre les 600.000 signes (et n’a donc pas fait appel à un « négre », comme pourraient le penser des mauvais esprits dans mon genre, seulement à des gens qui lui ont rassemblé de la documentation… des coupures de presse des Echos et de la Tribune je suppose). L’article signale une nouvelle compagne, une certaine Christel, sans aller jusqu’à prétendre comme l’Express qu’elle serait la même femme que celle qui accompagna un temps Didier Schuller, détail qui, s’il se confirmait, donnerait un tour balzacien bienvenu au récit. Il conclut même : « Quoi qu’il fasse Jean-Marie Messier risque d’incarner à tout jamais les dérives du capitalisme (le pauvre!). ‘Il a fait des conneries (tout le monde en fait, n’est-ce pas? ), mais il a toujours fait les choses avec sincérité (c’est l’essentiel), en y mettant ses tripes’, résume une proche (non identifiée par l’article sinon par l’usage du féminin, ce qui prend un aspect « lacanien » amusant au demeurant)« . En lisant cette dernière phrase, j’ai pourtant failli déchirer de rage le journal (le torchon? le vil canard?) que j’avais entre les mains . Il a été sincère quand il faisait le cador, il est sincère quand il donne ses petits camarades de la finance, que demander en effet de plus à un homme aujourd’hui? (Exercice : transposez cette méthode à des cas plus graves objectivement, guerres et génocides divers, criminalité organisée, mensonges de grandes entreprises ayant entraîné des morts par millions…) Cette morale de la sincérité, de l’authenticité, entendue ainsi, n’est décidément pas la mienne, mais cette conclusion de l’article m’interroge sur la vision morale de ce journaliste (pour ne pas parler de sa vision politique, apparemment plus proche de celle de Voici ou Point de vue Images du monde d’aujourd’hui que du Libération d’il y a ne serait-ce que dix ans, pour ne pas parler des débuts de ce titre). Que transmet-il là au lecteur par cette citation d’un propos d’une proche non nommée (la dite Christel?), sinon que, dans le fond, « faute avouée est à moitié pardonnée »? Que l’on ne doit pas avoir de rancœur contre ceux qui ont « pêché » en toute bonne foi, mais qui ont sincèrement abjuré leurs fautes? Les salariés et actionnaires de Vivendi victimes des errements du personnage apprécieront la sincérité à sa juste valeur.
Je prêterais plus d’attention à ce genre d’auto-absolution par la sincérité, si le dit personnage n’avait pas encore affaire pendante avec la justice de notre pays (ce qui aurait dû constituer l’essentiel de l’article s’il avait voulu informer le lecteur), et si il exerçait une activité professionnelle sans aucun rapport avec ses errements passés, ce qui ferait au moins de lui un vrai repenti. S’il était devenu éboueur à Maubeuge (sans vouloir offenser cette profession utile et cette ville) aprés avoir pleinement collaboré avec la justice, plutôt que dirigeant d’une entreprise donnant des conseils financiers ayant pignon sur rue à Paris et New York, j’aurais peut-être plus d’indulgence.
La publication de ce portrait lénifiant du personnage, en dépit du titre qui sauve un peu l’honneur, m’a d’autant plus énervé que Libération a pris le soin de publier la même semaine un encart consacré à l’Université de Vincennes, essayant ainsi de se rattacher à une tradition d’esprit critique qui a presque entièrement disparu depuis de ses pages. Avec ce genre d’articles, il ne faut pas s’étonner alors qu’une partie du lectorat ait envie de fuir ce genre de propos, qui ne valent pas les 1,30 Euros qu’on y consacre (désolé, je suis un adepte du papier journal). En même temps, il y aura sans doute des gens pour acheter le livre et avoir apprécié cet article, il est sincère, vous dis-je? Sincère!
Ps. Après avoir rédigé ce post, j’ai vu en première page du Monde de ce jour (20 janvier 2008) la publicité par les éditions du Seuil pour le livre du génie de notre temps, avec cette phrase citée pour inciter à l’achat de la dite chose : « Jean-Marie Messier a pris le temps de rendre limpide un monde complexe, et ne se contente pas de décrire, ni de dénoncer, il dessine un (Autre????) monde possible », Olivier Jay, Le Journal du dimanche (date non précisée). J’aurais envie de dire que le monde possible ici dessiné est celui où plus personne n’est minimalement responsable de son parcours de vie et des conséquences de celui-ci pour autrui pourvu que cela se chiffre en milliards d’euros, de dollards, de roubles ou de yens. Evidemment, si la phrase n’est pas apocryphe ou au sens détourné par citation à fin publicitaire, le journaliste de Libération reste par comparaison un esprit critique, un esprit fort même! Ou alors, O. Jay est-il un autre de ces « YesMen » infiltrés dans les meilleurs journaux de ce pays?