Philippe Riès, L’Europe malade de la démocratie.

riesVous avez un ami militant de l’UMP et vous voulez lui donner de quoi se chauffer le sang une bonne fois avant les Européennes? Vous avez un ami sympathisant du PS  et vous voulez le remotiver dans son militantisme à l’occasion des Européennes de juin?  Un ami rallié au NPA ou au « Front de gauche », un peu trop calme ces temps-ci à votre goût? Une lointaine connaissance souverainiste ou chasseur, un peu en manque d’un complot bruxellois contre quelque coutume immémoriale?  A tous ces gens différents par ailleurs, offrez ou faites offrir le petit opuscule de Philippe Riès, L’Europe malade de la démocratie (Paris, Grasset, 2008); s’ils le lisent jusqu’au bout sans défaillir, vous verrez, cela leur fera un petit effet sympathique, leur militantisme en sera relancé jusqu’au 7 juin au moins.

Que dit en effet ce tout petit ouvrage de 134 pages (en petit format)? En gros, Philippe Riès explique à son lecteur que, pour la construction européenne, tout irait  bien mieux si les politiques nationaux ne s’en mêlaient plus, et notre auteur de se lancer dans un plaidoyer pour une Europe où la Commission, incarnant l’intérêt général européen, deviendrait dominante de nouveau dans l’initiative politique réelle et où les politiques, qui suivent bien trop les récriminations populaires, seraient remis à leur juste place. Pour tout dire, P. Riès  offre ici un vif plaidoyer pour une Europe (néo-)libérale, où la Commission prendrait soin du long terme et où le marché unique ainsi valorisé deviendrait la solution à (presque) tous nos maux. Pour notre auteur, J. M. Barroso, l’actuel Président de la Commission, n’est  d’ailleurs qu’un odieux tiède, « vendu » aux tendances protectionnistes et souverainistes des gouvernements nationaux, un renégat du maoïsme et du libéralisme à la fois incapable d’imposer à tout ce beau monde les vertus régulatrices du marché. On comprend facilement le titre de l’ouvrage : trop de démocratie (c’est-à-dire d’écoute de la part des politiques des demandes protectrices / protectionnistes des électeurs et des lobbys nationaux – soit « démocratie = populisme+ corporatisme ») nuit à l’intégration européenne entendue comme recherche d’un optimum productif (et donc eudémonique) par le marché. Selon l’auteur, le consommateur européen s’est trouvé maltraité par exemple avec l’abandon de la première version de la Directive Bolkenstein, sous le coup des populismes et des corporatismes. Pour Riès, « seul le Marché sauve! » Et prenons garde surtout à ne pas demander leur avis aux électeurs! Ils sont bien mauvais juges de leurs intérêts (comme semblent s’en être convaincu une partie des économistes les plus libéraux et quelques géostratéges aux vues amples, héritiers sans doute de Guillaume II).

Le plaidoyer a été écrit avant la crise financière de la seconde moitié de l’année 2008,  ce qui lui donne évidemment une tonalité déjà un peu passée, mais cet opuscule reste(ra) une synthèse de ce qu’on peut dire de plus farouchement élitiste à notre époque.  De fait, il est rare que quelqu’un s’exprime publiquement de cette manière;  il est vrai que l’auteur ne nous propose tout de même pas une solution à la Chilienne façon Pinochet pour résoudre les problèmes posés par la démocratie et ses politiciens qui écoutent l’opinion publique et les lobbys, le texte en perd du coup un peu de sa cohérence par moment où l’on revient à des récriminations plus ordinaires, mais bon, dans l’ensemble, cela reste fort. Il cite en conclusion Anselm Kiefer, le plasticien, qui aurait écrit en 2007: « La démocratie est quelque chose de plus intéressant que le populisme. Nous devons la réinventer. C’est une erreur de demander au peuple si nous avons besoin de l’Europe (!!!!???). Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin des nations. Ce qu’il nous faut, c’est l’Europe. » Je ne sais si la citation est exacte; en tout cas, cette réinvention de la démocratie à teneur nulle en populisme (et corporatisme), j’ai bien peur qu’elle ressemble fort à la réinvention de l’anti-parlementarisme des années 1900-1945, du moins dans ses aspects technocratiques. En effet, j’ai toujours du mal à imaginer ce que pourrait vouloir dire d’autre sortir de la « démocratie d’opinion » au nom de l’intérêt général en donnant le pouvoir de décision à une élite restreinte de « meilleurs d’entre nous ».

En lisant ce pamphlet, je n’ai pu m’empêcher de penser aux « vertus » de ces politiques  aussi nationaux que démocrates  si décriés ici, je n’ose en effet imaginer ce que deviendrait l’Union européenne sous l’emprise du mépris  absolu de son « déficit démocratique » auquel nous invite l’auteur.

2 réponses à “Philippe Riès, L’Europe malade de la démocratie.

  1. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt cet ouvrage. Et je trouve que par les temps qui courent….il fait du bien ! Une bouffée d’air ! Alors que l’abstention menace les grands partis aux prochaines élections, le peuple est pour le coup, à côté de la plaque. Ce n’est pas toujours aux dirigeants de faire de la didactique pour expliquer l’Alpha et l’Oméga de la politique européenne. Le Vulgus Pecus peut aussi faire l’effort de comprendre, de s’élever intellectuellement. S’il faut, pour que l’Europe soit « sexy », préparer du « prêt-à-penser » aux électeurs, je trouve que c’est ce qu’il y a de plus méprisant. Je préfère que les gens se motivent pour la chose publique, s’y intéressent. Il y a ceux qui s’impliquent, et qui veulent comprendre ( je vois beaucoup cela au Parlement Européen), et puis il y a les autres, qui regardent les trains passer….Pour eux, tout n’est pas perdu, mais ce n’est pas OBLIGATOIREMENT aux gouvernants de faire de la pédagogie. Les électeurs savent que le 7 Juin il y a une élection, alors qu’ils s’y intéressent par tous les moyens. Et pour finir, si l’Europe avait attendu les volontés populaires, nous en serions encore aux prémisses de la CECA. J’aime la vision de Monnet, l’Europe ne peut se faire sans le peuple, mais cela ne doit pas être l’épicentre de toute action. L’Europe est par essence élitiste, elle est née de l’intellectualisme le plus féru et le plus grand. On ne peut pas l’abaisser aux viles volontés populaires.

  2. @ Jean-Baptiste : comme vous y allez! les « viles volontés populaires »…. Je vous croyais proche d’un parti ayant ce même mot de « populaire » dans son nom et visant à incarner la volonté majoritaire du peuple français. Passons cependant sur cette taquinerie de ma part.

    Vous avez raison sur la passivité du citoyen qui comporte sa part de responsabilité dans la situation de l’Union européenne, et il est vrai qu’il est frappant de voir tout au long de ses semaines de campagne revenir dans les médias des questions de la part des « gens » qui semblent indiquer un niveau de méconnaissance des affaires européennes quelque peu caricatural. On croirait que la France n’a jamais à ce jour organisé d’élection européenne…

    En même temps, en démocratie (du moins si on croit à ce modèle de gouvernement des hommes et des femmes), les décisions politiques importantes doivent dépendre d’une impulsion « populaire »; en réalité, elles dépendent au mieux des rapports de force au sein de la petite frange des citoyens intéressés par la politique, les militants des divers partis, associations, religions, etc. , or ce que dit Riès, c’est que tout doit dépendre d’une élite trés restreinte, qui ne tiendrait pas compte des rapports de forces partisans et sociaux dans chaque pays membre; il propose de relancer une technocratie européenne qui dicterait sa volonté à tous au nom de l’intérêt général européen pour le plus grand bonheur du plus grand nombre. J’ai mes doutes sur la proposition, et je doute qu’elle soit politiquement réaliste.

    De plus, la « méthode Monnet » ne s’identifie pas à cette « dictature éclairée » au nom du « Bien commun » de l’Europe que propose Riès, car, pour revenir à l’histoire de la construction européenne, la Haute Autorité de la CECA (dirigée au début par J. Monnet lui-même) s’est imposée entre autres motifs pour avoir réussi à mobiliser de nombreux milieux (syndicats, associations patronales, partis politiques, administrations) et ce en discutant largement et en tenant compte des intérêts de chacun. Par ailleurs, des partis politiques (chrétiens-démocrates, radicaux, socialistes et socio-démocrates) ont fourni la légitimité nécessaire à l’entreprise d’intégration entreprise; s’il n’y avait pas eu cette « couverture démocratique » des partis à la fois anti-communistes et anti-nationalistes, rien n’aurait fonctionné.

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