Jamais la Poste tu ne privatiseras!

Une grève a eu lieu cette semaine à la Poste pour protester contre le projet gouvernemental de changement de statut de « la Poste ». Celle-ci deviendrait une société anonyme, presque comme les autres, et ceci permettrait, selon le gouvernement, de la préparer à l’ouverture totale de son marché à la concurrence au 1er janvier 2011 (plis de moins de 50 grammes, en conformité avec les engagements européens de la France en la matière). Le changement de statut serait la condition sine qua non pour  la doter  (2,7 milliards d’euros) afin qu’elle puisse investir et résister au choc de ses concurrents. Le gouvernement jure que, non jamais, non Grand Dieu jamais, il n’entend engager de ce fait la « privatisation » de « la Poste ».  Celle-ci, à l’en croire, restera, si ce n’est pour l’éternité du moins pour l’avenir prévisible, une entreprise dominée par l’État et vouée au service de l’intérêt général. Les syndicalistes ne croient pas en ces promesses, bien que le gouvernement s’engage à rédiger la loi qui doit permettre le changement de statut de façon à bien préciser ce point. Ils appellent donc à de multiples actions, y compris une sorte de « référendum » (en fait une pétition) ouvert à toutes les personnes intéressées à préserver le statu quo actuel.

La réaction syndicale est logique vu toute l’histoire précédente des « changements de statut » dans le rétrécissement progressif depuis vingt-cinq ans de l’intervention publique directe dans l’économie. Les salariés de la Poste ne peuvent de plus que  comparer leur sort (probable) avec ceux de leurs cousins de France-Télécom, avec lesquels jadis, il y a certes très, très longtemps, ils formaient une seule et même administration.

Première remarque : si on admet que l’objectif final est effectivement la privatisation, comme le disent les syndicats, pourquoi le gouvernement ne l’affirme-t-il pas directement? Dans le fond, cela ne trompe personne, ni les partisans libéraux de la « nécessaire réforme »,  ni les opposants à cette « casse du service public ». Pourquoi ne pas être plus clair dans ce cas? L’histoire récente  tendrait de fait à prouver que, grâce à d’autres pas de deux de ce genre, les gouvernements successifs arrivent à réduire ainsi le périmètre du secteur public sans trop de heurts. Comme  la « stratégie du salamis », ou des « petits pas », semble bien fonctionner, pourquoi s’en priver? L’expérience  montre qu’une partie au moins des personnes directement concernées par les conséquences sans doute néfastes pour eux d’un tel mouvement vers une gestion privée (salariés, usagers) se considèrent comme soulagés un temps par les promesses d’avancer d’un pas, mais pas plus loin. Cependant, comme un pas de plus a toujours été fait jusqu’ici vers une adaptation libérale de ces services ou entreprises publics, cela tend aussi à affaiblir la crédibilité de la parole gouvernementale, selon la rengaine bien connue de tout Français adulte qui rappelle que « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ».  Tout le monde finit à terme par comprendre, ou qu’il s’est laissé endormir (ou plutôt a bien voulu se laisser endormir), ou qu’il avait eu tort de douter de la foi libérale des gouvernements successifs.

De plus,  cette tactique laisse dominer l’idée qu’en France,  jamais aucune réforme libérale n’a été faite, ce qui se trouve être  faux si l’on se place dans une perspective longue depuis le début des années 1980. Cela procure sans doute un autre avantage aux libéraux, à savoir qu’ils peuvent ainsi toujours prétendre que rien n’a été fait. Ils ont raison, en ce sens que presque rien n’a été fait clairement, d’un coup, à la loyale. Il n’y a jamais eu de ce côté du Rhin l’équivalent d’une « Loi Hartz IV » qui, elle,  annonça clairement la couleur.

L’exaspérant pour qui attendrait plus de vigueur démocratique est que le gouvernement se sente alors obligé de continuer dans cette tactique (gagnante certes) : pourquoi ne pas dire le changement de statut constitue la première étape vers une « Poste » dominée par des capitaux privés qui, par nature si l’on en croit la vulgate libérale, sauront faire mieux pour moins cher? Les libéraux se croient-ils si inaudibles en France qu’ils doivent toujours avancer en crabe face au grand public? Il est certain que le moment ne se prête guère à un « coming out » libéral, mais cela serait plus sain pour la démocratie.

Deuxième remarque : si l’on admet au contraire de l’hypothèse précédente que le gouvernement veuille effectivement et sincèrement conserver un contrôle exclusivement étatique de « la Poste », pour des raisons d’aménagement du territoire ou de respect de la « ruralité » par exemple, ce  dernier se trouve face à un redoutable problème de crédibilité de sa promesse. Tout changement de statut a mené à la privatisation, donc « la Poste » serait une surprenante exception. Le gouvernement se propose d’inscrire dans la loi ce  caractère public de la nouvelle structure. Dans les temps anciens désormais, où la loi était effectivement en lien (relativement) univoque avec les politiques publiques suivies en son nom, cela aurait pu suffire, mais aujourd’hui? Entre les lois non entrées en vigueur faute de décrets d’application, celles bien mal appliquées faut de « volonté » et réitérées sous une forme plus ou moins nouvelle tous les décennies,  celles démenties par les politiques publiques qui, soit disant, les mettent en œuvre, et celles  parfois changées ou complétées d’urgence  par la majorité même qui les a votées, la promesse d’un article de loi protégeant la nature publique de « la Poste » ne vaut plus grand chose. C’est un constat qui ne me plait guère, mais qu’il faut faire, un article de loi, cela ne vaut plus grand chose aujourd’hui. Donc le gouvernement n’a aucun moyen de prouver sa crédibilité sur ce point par la loi elle-même.

La seule manière pour lui de prouver qu’il ne cherche pas à « privatiser la Poste » serait d’afficher un projet qui montrerait qu’il a réfléchi à ce que serait véritablement un « service public postal » dans le XXIème siècle dominé par Internet. Il existe déjà certes l’idée de « service postal universel » qui consiste à obliger la Poste à assurer des fonctions postales (traditionnelles) là où ce n’est pas rentable, et la Poste devrait être compensée financièrement par l’État pour cette fonction. Mais, selon moi, cela ne suffit pas : si le marché du courrier est ouvert à la concurrence, la vraie justification d’une Poste sous contrôle public passe par d’autres objectifs que la simple distribution « universelle » du courrier. Celle-ci, de toute façon, avec l’accès à terme de toute la population à Internet, concernera de moins en moins de plis, et donnera un sens « résiduel » à cette fonction. En Suisse, parait-il, le service postal s’occupe aussi d’assurer des liaisons passager avec des villages reculés. On pourrait imaginer quelque chose du même ordre, ou tout autre chose d’ailleurs  en fonction des besoins nouveaux des populations. Comme, à ma connaissance, aucun projet d’une telle nature radicalement novatrice, n’a été affiché, ni par le gouvernement, ni par la direction actuelle de la Poste (qui ne semble rêver que d’exceller dans son « métier » en devenant « king of the world »),  il devient difficile de ne pas considérer que les apparences jouent contre les bonnes intentions du gouvernement, et que salariés et usagers ont quelques raisons de s’inquiéter.

6 réponses à “Jamais la Poste tu ne privatiseras!

  1. Cette « avancée » par petits pas est nécessaire à mon avis quand on connaît le conservatisme français à l’égard des services publics. C’est la théorie des petites perceptions de Leibniz adaptée en politique. Utiliser le mot de privatisation engendrera une opposition immédiate et très forte d’une frange importante de la population. Et ce pour le mot « privatisation », même pas pour la notion que le mot recouvre, c’est ça le pire.

    Mais il est vrai que l’on peut déplorer un manque de transparence, et par extension une manière de procéder bien peu démocratique. C’est, je pense la seule manière de pouvoir faire évoluer les choses aujourd’hui (dans le bon sens comme dans le mauvais). De ce point de vue, je suis assez pessimiste, mais les acquis sont les acquis. Il faut dire aux gens ce qu’ils ont besoin d’entendre, ni plus ni moins. Déjà parce qu’en étant plus honnête et transparent, l’opposition idéologique de gauche sera la même.

    Ensuite parce que ça laisse toujours plus de marge de manœuvre d’en dire le moins possible (je viens de travailler sur le livre vert pour la jeunesse de Hirsch qui en est une parfaite illustration par opposition à la précision et à la richesse du rapport de Ferry).

    Et, enfin, parce que si les gens sont intimement persuadés que cette réforme du statut de la Poste débouchera sur une privatisation pure et simple, je ne suis pas sûr qu’ils aient envie d’entendre clairement la volonté de privatisation, si telle volonté il y a. C’est toujours l’opposition entre « je veux savoir », et « en fait je ne préfère pas savoir ».

  2. Il est vrai que vu sous cet angle c’est très bien joué politiquement parlant. A vrai dire, je ne connais pas grand chose sur le contenu effectif de cette taxe carbone. Je sais juste que c’est, pour citer un ami en stage au Conseil d’état, un « mic mac législatif ». On ne sais pas trop où N. Sarkozy veut en venir.

    Je pense pourtant qu’il devrait faire attention dans le cadre de sa préparation pour 2012. Une partie de la droite ne comprend pas trop le sens de cette politique vue comme un cadeau pour la gauche. Certains opposent à cette politique le « sens des priorités », voyant l’environnement comme un sujet important, mais secondaire en temps de crise.

    On ne sait pas trop où l’UMP veut en venir ces derniers temps. Entre la taxe carbone qui ne semble faire vibrer que Nicolas Hulot, la liste des 3000 (quittez donc la Suisse pour Andorre, ou le Lichtenstein), le discours de Nicolas Sarkozy assez offensif à l’egard des traders (symbolique également), certains ont l’impression que l’UMP tire à gauche. L’ouverture a ses limites.

    Idem pour l’arrivée du Vicomte. Le risque de cette ouverture est de déstabiliser (de nouveau) l’électorat de droite traditionnel juste avant les régionales, ce qui est dommage lorsque l’on regarde où une telle stratégie nous a mené lors des municipales.

    L’ouverture c’est bien, l’environnement, c’est effectivement UN des enjeux du XXI eme siècle, pour reprendre le discours de J. F. Copé lors de l’ouverture de la campagne régionale de Valérie Pécresse, mais l’action du gouvernement ne doit pas se limiter à cela. Et, pourtant, c’est l’image qui est donnée.

  3. Oups. Ce dernier commentaire est en fait en réponse à l’article sur la taxe carbone.

  4. @ Nicolas B. : vos réactions sur mes deux posts me confirmeraient plutôt que N. Sarkozy joue finement à terme, au sens où il brouille les cartes, jusqu’à désorienter une partie des militants de droite, mais, là vous êtes prisonnier comme tout le monde de la vision médiatique des choses : le gouvernement de N. Sarkozy décide aussi de choses importantes par ailleurs vues d’un point de vue libéral (par exemple la suppression, certes partielle en un sens, de la taxe professionnelle), mais, en mettant l’accent sur sa « gauchisation » (toute relative), il « asphyxie » encore plus la gauche modérée – au moins au niveau du discours.

  5. Je ne sais pas si tout ceci est finement joué ou pas, mais ce qui est sûr, c’est que ce débat est bien utile aux politistes qui veulent montrer du bon vieux clivage gauche/droite à leurs étudiant(e)s.

    Il y a le clivage public/privé, d’abord, avec les tentatives de blame avoidance face aux critiques de démantèlement du service public, mais aussi le clivage idéologique encore plus profond sur le mode de gouvernement d’une société : cela ne m’étonne pas que des partis initialement construits comme des partis de masse se revendiquent d’une « votation citoyenne » face à un parti majoritaire, idéologiquement conservateur, qui défend la gestion des affaires publiques par des élites dirigeantes plus éclairées que la moyenne (on se rappelle Raffarin : “la rue ne gouverne pas”).

    On peut introduire tout plein de nuances (le Parti socialiste s’est certes converti, dans les faits, à une direction de type aristocratique construite sur la méritocratie républicaine), mais ce dernier clivage est tout de même visible dans les opinions (exemple). À partir de là, la stratégie gagnante est celle qui consiste à faire coïncider discursivement une conduite aristocratique des affaires avec une vision démocratique des problèmes publics. F. Lefebvre n’a pas l’air si bien parti

  6. @ Fr : oui, il s’agit d’un bel exemple de « bon vieux » clivage gauche/droite, et, en même temps, comparativement aux pays voisins, il faut bien constater son euphémisation actuelle, voire sa négation, de la part de la droite. C’est une (très) vieille habitude sans doute, qui remonte au moins au gaullisme, mais j’ai connu des époques plus claires de ce point de vue (milieu des années 1980).

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