Au secours (la Commission) Attali revient!

Et les réducteurs de droits économiques et sociaux avec!

On aurait pu croire (naïvement) après l’embardée économique que nous vivons que les tenants d’une approche néo-libérale de l’économie et de la société n’aient plus guère voix au chapitre.  N’y a-t-il pas eu un « discours de Toulon » qui aurait marqué leur désaveu? Est-ce qu’on a demandé aux généraux Nivelle et Gamelin de faire des cours à l’École de guerre après leurs contre-performance respectives? Eh bien non, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à rappeler les grognards de l’An I de son règne, de ce beau temps de la « rupture » (à la Nivelle?), les membres de l’excellente Commission Attali sur la libéra(lisa)tion de la croissance française. Il leur demande de persister et signer en faisant un bilan de l’acquis en matière de réformes préconisées et en proposant de nouvelles et belles réformes bien précises pour le début de l’été. Il est vrai qu’on s’ennuyait un peu. Le recul de l’âge de la retraite aurait pourtant suffi à nourrir notre année.

Grâce à France-Inter, on aura eu droit à un avant-goût de la potion magique préparée. Rien de bien nouveau à vrai dire… Jacques Attali s’est caricaturé lui-même dans le rôle d’expert au dessus des vicissitudes de la vie partisane et politique, en affirmant que ce que sa commission proposerait le serait « au nom des générations futures » (sic) et que, face à la vérité des experts ainsi affirmée,  le rôle des politiques de droite ou de gauche serait simplement  pour les années à venir de faire les quelques petits ajustements à la marge nécessaires. Lesquels, il ne l’a pas précisé, mais ce qui est important, c’est la réaffirmation sans faux semblants d’un ligne TINA (There is No Alternative) appuyé par un « savoir » d’experts. En tant que politiste attaché par devoir professionnel à la liberté de choix des masses citoyennes sur leur propre destin (fiction nécessaire pour regarder la démocratie comme un régime légitime sauf à être résolument anti-démocrate à la manière d’un Platon ou d’un Maurras), je n’ai pu qu’apprécier ce bel exemple de dépolitisation des choix essentiels remis aux experts, l’accessoire étant laissé aux professionnels de l’élection (cherchez l’allusion! nb. l’expression n’a pas été utilisée par J. Attali), et ce « au nom des générations futures »… ce qui fait plus moderne tout de même qu’au nom des « intérêts supérieurs de la Nation », de la « France éternelle », de la « défense de l’Empire français », de la « raison d’État ».

Lorsque les journalistes de France-Inter ont cherché à entrer dans le détail des réformes proposées par la Commission Attali 2, les deux économistes venus accompagner le grand Attali,  Pierre Cahuc et Jacques Delpla, n’ont pu s’empêcher de vendre la mèche. Comme d’habitude depuis au moins le milieu des années 1980, il s’agira de « flexibiliser » le marché du travail. Bien sûr, une allusion fut faite au modèle de la « flexisécurité » à la Danoise. A suivre les propos de ce cher Jacques Delpla (que j’ai connu dans une autre vie par un ami commun), il faut d’une part libéraliser le marché du travail (comme s’il ne l’était pas déjà! cf. les excellents travaux de l’équipe dirigée par Jérôme Gautié et Ève Caroli, chroniqués sur ce même blog), d’autre part, créer un mécanisme de suivi très renforcé des chômeurs (effectivement, du travail reste à faire sur ce point au moins si par suivi on entend autre chose que « flicage »…) , et, enfin, assurer un revenu de remplacement élevé aux personnes privés d’emploi (comment va-t-on dans ce cas pouvoir maintenir un écart avec le salaire minimum? mystère…). Jacques Delpla a parlé – généreusement! – d’assurer un vrai revenu aux quatre millions (sic!) de chômeurs. On remarquera qu’un économiste néo-libéral se rallie à la vision syndicale du nombre de sans emplois en France. Bravo! S’appuyant sur son expérience des précédentes récessions en France, Pierre Cahuc a lui affirmé sa certitude que le nombre de chômeurs allait continuer à augmenter pendant encore au moins une année… Bravo là encore! Il m’avait bien semblé que notre cher Président galéjait tantôt.  Nos deux économistes libéraux préfèrent user de la « stratégie du choc » pour faire passer leurs idées. En revanche, comment nos deux hérauts de la « flexisécurité » peuvent-ils croire un seul petit instant que des revenus de remplacement décents seront assurés à tous les chômeurs, à tous les privés d’emplois? Ont-il suivi les débats politiques depuis 30 ans dans ce pays? Ils se gargarisent de l’idée d’un « nouveau contrat social ». Je n’en vois pas pas poindre le début de l’aurore. Pour prendre l’exemple le plus récent, ont-il suivi le cours du débat sur l’attribution du R.S.A. (qui ne permet certes pas une vie décente vu son montant…) aux jeunes de moins de 25 ans? Certes, Martin Hirsh a obtenu son extension aux moins de 25 ans, mais sous des conditions tellement restrictives qu’au total, cette mesure ne devrait concerner presque personne parmi les dits jeunes et,  du coup, ne rien coûter ou presque aux  finances publiques. Les deux économistes se sont-ils plus généralement rendus compte que les éventuels droits nouveaux ouverts aux sans emplois l’étaient souvent dans des formes si restrictives (derrière l’annonce du droit dans les médias) qu’au total les finances publiques ne s’en aperçoivent même pas?

Jacques Delpla a semblé conscient de cette impasse quand il a affirmé qu’il préconiserait dans le rapport Attali 2 des options de droite et de gauche sur certains points. Il a ainsi suggéré que l’option de gauche prévoie « plus d’impôts pour plus de services publics » et l’option de droite « moins d’impôts pour moins de services publics ». J’ai ri sous cape de tant de bonhomie… Un candidat de gauche qui promettrait en 2012 de sérieuses hausses d’impôts est cependant sûr de perdre les élections, et un candidat de droite qui promettrait en 2012 de supprimer certains services publics (universités, hôpitaux, armée, etc.), idem… Passons. La politique a elle aussi ses lois.

Plus intéressant (et inquiétante) est l’idée de J. Delpla que les principales réformes du marché du travail « flexisécuritaires » ont été faites  en Europe par la gauche. Il citait le Danemark sous la direction de l’actuel patron du Parti socialiste européen (information à vérifier cependant), j’aurais envie de lui répondre l’Allemagne des réformes Hartz . La Cour constitutionnelle allemande vient de mettre en lumière la contradiction entre la dernière d’entre elle,  la « Hartz IV », et les droits fondamentaux des hommes, femmes et surtout enfants résidents en Allemagne à une vie décente. Il est ainsi sûr qu’en France, avant 2012, toute nouvelle réforme du marché du travail ira dans le sens de beaucoup plus encore de flexibilité et pas plus de sécurité (où trouverait-on l’argent pour cela?). J. Delpla semble penser que la gauche française, si elle revient au pouvoir en 2012, devrait assumer ce discours. Vu les conséquences sur le parti social-démocrate allemand (et bientôt sur les travaillistes britanniques) d’une telle ligne de « Neue Mitte », vu les lamentables performances en termes d’emplois décents créés et vu la polarisation de la société allemande qui en résulte, j’ose espérer que le principal parti de la gauche française saura tirer les leçons de l’impasse dans lequel les économistes néo-libéraux bien intentionnés veulent la mettre. La gauche française aura tout intérêt à proposer  en 2012 une toute autre stratégie pour créer de l’emploi. Et il ne lui faudra pas dire : « Contre le chômage on a tout essayé ».

En tout cas, le retour de l’Attali et de ses compagnons de fortune indique l’immense chemin à parcourir encore par toute alternative au néo-libéralisme, ne serait-ce que par une vision un peu moins punitive de la vie économique et sociale. Espérons au moins que, tactiquement, les partis de gauche sauront profiter de cette aubaine du retour de l’Attali avant les élections régionales…

2 réponses à “Au secours (la Commission) Attali revient!

  1. Si je suis d’accord avec une bonne partie de votre analyse, je trouve quand même agaçante cette façon de réduire la gauche à un parti qui a été hégémonique pour imposer un social-libéralisme qui se distingue du néolibéralisme comme le radis du navet…

    Il y a une gauche qui énonce qu’il faut tourner le dos à cette position lamentable de soumission au néolibéralisme en augmentant les impôts… pour les plus riches (c’est-à-dire à le rendre à nouveau progressif et en supprimant les niches fiscales) et en développant des services publics accessibles à tous. Elle dit aussi qu’il n’est pas possible de sortir de la crise si on ne relève pas les bas salaires pour maintenir une consommation décente… et si vous craignez les importations, aidez-nous à produire localement ce qui est nécessaire à chacun. Elle dit enfin qu’il ne peut y avoir de justice sociale si une politique de plein-emploi réel n’est pas vigoureusement mise en place dans les délais les plus brefs.
    Vous voyez que le chantier n’est pas compliqué à définir, mais qu’il y faut une politique résolue qu’on ne trouvera pas évidemment ni chez Attali, DSK, Royal ou Bayrou… quant à Aubry, c’est la fille de son père, et elle ne reniera jamais le traité de Lisbonne qui est le projet de politique le plus néolibéral existant au monde (aucun pays n’a inscrit dans sa constitution des propositions aussi absurdes que celles gérant la BCE ou cette fumisterie de « concurrence libre et non faussée »…).

  2. @ JeanNîmes : je sais bien qu’il existe des partis et des acteurs de gauche en dehors du Parti socialiste et que ces derniers ont bien d’autres propositions à faire que la réinvention de l’eau tiède, mais, pour le coup, en tant que politiste, je suis bien obligé de faire avec la réalité de l’implantation électorale des uns et des autres. Ne serait-ce qu’à cause de son histoire électorale qui lui assure une solide assise d’élus locaux, le PS est – sauf surprise! – dominant pour encore de nombreuses années. Il ressemble de fait un peu au Parti radical et radical-socialiste des années 1920/1930, aussi indispensable à une majorité alternative à gauche que peu au clair idéologiquement avec cette dernière. Je suis donc largement d’accord avec les objectifs que vous énoncez, mais je dois bien reconnaître que pour l’heure une bonne part de l’électorat progressiste reste encalminé dans les eaux du PS…
    Il ne reste donc qu’à espérer un changement de ligne au PS, mais il est vrai que les hommes ou les femmes restant les mêmes, l’espoir est faible d’un reniement réel et profond du néo-libéralisme.

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