Et c’est reparti pour un petit tour de manège institutionnel…

Surtout ne pas trop s’énerver, ne pas trop désespérer de tout même de l’espérance. Le Conseil européen des 28-29 octobre 2010 a effectivement entériné la proposition franco-allemande, émise sur les planches de Deauville, de réécriture « limitée » du Traité de Lisbonne. Comme je suppose que les dirigeants européens ne sont pas devenus subitement tous complétement fous,  cette révision pourrait sans doute passer par la procédure simplifiée prévue par l’article 48.6 du TUE (Traité sur l’Union européenne). Cette procédure évite d’avoir même à évoquer l’idée de convoquer une Convention (sur le modèle de celle qui a pensé le défunt Traité constitutionnel européen de 2003-05); le Parlement européen et la Commission auront le droit de dire ce qu’ils en pensent sans plus, tout comme d’ailleurs, s’agissant du domaine monétaire (du moins je le suppose), la BCE. Il n’empêche que : « Cette décision n’entre en vigueur qu’après son approbation par les Etats membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. » Comme toute modification d’un traité international engageant un État démocratique, il faudra bien passer d’une manière ou d’une autre, au moins par une approbation parlementaire.  Toute hypothèse référendaire de quelque nature qu’elle soit ne peut qu’être exclue déjà à ce stade – ce qui en dit tout de même long sur le rapport entre l’Union européenne et ses peuples en cet automne 2010. Surtout ne plus demander l’avis au(x) peuple(s) sur un sujet européen, il(s) vote(nt) contre! Comme l’a si bien dit Viviane Reding, notre mégère luxembourgeoise préférée…  Donc,  il n’y aura pas de référendum, mais, si on passe par les Parlements, les opposants à une telle mesure pourront se faire entendre, et les eurosceptiques  retrouveront de la vigueur. Merci pour eux.

Je me demande de fait si la solution qui sera finalement retenue  par les juristes mobilisés à cette fin d’ici décembre ne sera pas plus prudemment d’utiliser l’une ou l’autre des clauses-passerelles présentes ici et là  dans le Traité. L’article 125 du TFUE, qui comprend la clause dite de « no bail out », comprend d’ailleurs un alinéa 2, qui autorise le Conseil européen sur proposition de la Commission à « préciser les définitions » (sic) des articles 123 à 125.

Plus généralement, la ligne choisie par le Conseil européen semble être d’atterrer encore plus les économistes atterrés dont je parlais tantôt, de les enterrer vivants si j’ose dire, ainsi que toute autre personne croyant encore à la fable d’une Europe sociale, d’une Europe-puissance ou d’une Europe ayant un « intérêt général européen ». En effet, aussi bien la remise sur le métier du Pacte de stabilité et de croissance, que la possible révision du Traité de Lisbonne, vont encore et toujours dans le sens du respect d’une orthodoxie financière stricte. Les marchés, les marchés, rien que les marchés! Toute cette manipulation semble être pensée exclusivement pour satisfaire, rassurer, calmer, dompter les marchés.  Il y a d’ailleurs peut-être en arrière-plan de ce Conseil européen des craintes sur la Grèce, l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne.  Il va peut-être falloir faire fonctionner sous peu le fameux fonds de sauvegarde mis en place ce printemps. Mais après tout, tant qu’à repenser la gouvernance économique de l’Union et réécrire quelques paragraphes du Traité de Lisbonne, ne serait-il pas aussi du ressort de l’Union d’avertir un gouvernement national qui laisse sa population s’enfoncer dans le chômage de masse, qui laisse dériver les services publics essentiels de telle manière que les bases de toute croissance future sont mises en cause, qui n’assure pas l’effort minimum de mise à jour de ses forces armées, etc. Bref, l’intérêt général européen semble ici réduit à la clause : si un État ne peut plus payer sa dette publique, ouh là là, quel grand malheur, que nos banques souffrent, qu’est-ce que cela peut effrayer les marchés, il faut trouver une solution pérenne, mais, pour le reste, it is not my problem, Dear!

Les gouvernements me semblent aussi accepter avec une douce inscouciance des règles de surveillance de leurs budgets, déficits et dettes. Or ces règles,  que la plupart ont dû transgresser depuis longtemps parfois (cf. les cas belge et italien sur la dette publique),  risquent bien de les mettre en grande difficulté quand l’heure des remontrances et des sanctions va sonner.  Et que se passera-t-il si un gouvernement refuse de s’y plier? Il casse la vaisselle et sort de l’Union?  Je vois mal un gouvernement français  par exemple accepter de verser une sorte de caution à l’Union européenne…  caution qui ne ferait d’ailleurs que précipiter les difficultés du pays pour se financer sur les marchés. Certes, on pourrait dire avec l’économiste Jacques Delpla que cela obligera les gouvernements dépensiers à choisir entre diminuer les dépenses et /ou d’augmenter la pression fiscale, mais, vue la concurrence fiscale en Europe, il n’y aura sans doute pour tout le monde que le choix de réduire les dépenses et/ou d’augmenter les impôts sur les bases immobiles (consommateurs, travailleurs normaux, petites entreprises, richesse immobilière, etc.) avec les effets délétères en terme d’optimum social que cela suppose.

Bien sûr, comme le diront certains (Jean Quatremer par exemple), le verre n’est pas si vide que cela. En effet, si l’on pérennise un mécanisme de sauvetage financier entre Etats européens (par quelque chose comme un fonds monétaire européen), et si l’on lie aussi fortement les budgets nationaux à une approbation européenne préalable à tout examen parlementaire national, on s’approche d’une politique budgétaire européenne (prévue d’ailleurs dès le Traité de Maastricht), et surtout on augmente subrepticement le poids du budget fédéral réel de l’Union. Il est vrai que les sommes en jeu ont de quoi faire réfléchir : le budget de l’Union européenne est scotché à 1% du PIB de l’Union, et ce ne sont pas les récentes récriminations britanniques suivies par quelques autres qui vont le faire décoller; en même temps, le fameux fonds prévu au printemps représente dans son montant maximum presque quatre fois en cas de besoin ce budget de l’UE. C’est en fait un énorme stabilisateur  semi-automatique (fonction classique de l’État fédéral dans une fédération) qu’on pérenniserait. Mais en réfléchissant ainsi, on retombe du mauvais côté de la barrière du point de vue de l’éventuelle révision du Traité de Lisbonne : les opposants pourront argumenter qu’il s’agit en fait sous des dehors techniques d’un bouleversement de l’économie politique de l’Union, et qu’il faut en passer par une procédure de révision ordinaire. (Ils pourraient aussi argumenter avec l’idée selon lequelle il s’agit en fait de l’attribution d’une nouvelle compétence à l’Union européenne et non d’une simple modification dans la compétence couvrant  l’Union économique et monétaire, ce qui interdirait de passer par le voie simplifiée.) Cette ligne d’argumentation qui distille l’idée qu’il s’agit d’une modification subreptice,  mais bienvenue car elle va dans le sens de l’histoire, de la nature de  l’Union européenne possède l’énorme défaut de confirmer que l’Union européenne souffre non pas d’un déficit démocratique, mais à ce compte-là d’un abime démocratique.

Allez, j’arrête là mon côté bilious.

Ps. Pour une réaction à chaud d’un collègue  juriste, bien plus prudent et moins alarmiste que moi, Jean-Luc Sauron, voir ici. Il parie sur la révision simplifiée du Traité sans trop de heurts.

7 réponses à “Et c’est reparti pour un petit tour de manège institutionnel…

  1. L’orthodoxie économique est le seul point commun, même artificiel, que des Etats aux intérêts nationaux différents peuvent justifier vis-à-vis de leurs opinions publiques.

    Toucher au traité de Lisbonne en est le symptôme, comme si on avait besoin de cela pour prendre ce genre de décision. Jean-Luc Sauron que vous citez démontre bien à quel point cette « avancée » est liée à une discussion de la cour de Karlsruhe… si nous sommes dépendants des intérêts juridiques nationaux en plus des intérêts politiques nationaux, on ne va pas aller bien loin.

    Il est vraiment nécessaire qu’un contre-poids politique se crée par rapport aux Etats nationaux. Comme cela ne viendra pas de la Commission, il est grand temps que les Parlementaires européens se prennent en main.

    Comme je l’ai écrit sur mon blog, il se passe quelque chose mais tout ça est encore flou :
    http://fabiencazenave.eu/2010/10/24/il-se-passe-quelque-chose-chez-les-pro-europeens/

  2. @ Fabien : vous citez les « intérêts juridiques nationaux » comme plutôt un obstacle nouveau, et beaucoup présentent effectivement la Cour de Karlsruhe dans sa dernière décision majeure (celle de juin 2009 sur le Traité de Lisbonne) comme carrément « eurosceptique ». En fait, c’est là une simplification, je suis allé lire le dit jugement, simplement la Cour fait remarquer au législateur allemand que, pour aller plus encore plus loin dans la direction fédéraliste, il est nécessaire de demander l’avis du peuple allemand dans une forme solennelle; de fait, cela me semble cohérent avec la relance bienvenue d’un impulsion fédéraliste, établie au grand jour, au sein du Parlement européen, dont vous saluez l’avènement. Avant d’aller réviser presque en catimini le Traité de Lisbonne pour contourner l’obstacle de la clause de no bail out et pour sauver ainsi par un système bien compliqué l’existence même de l’Euro, il vaut mieux provoquer un franc débat sur ce que les peuples européens veulent comme avenir. Solidarité ou pas solidarité? Intérêt général européen ou somme d’intérêts nationaux? S’ils veulent la Fédération européenne, qui suppose quand même une autre organisation des compétences et des finances que l’Union européenne actuelle, il faut se mettre d’accord; s’ils ne le veulent pas, ou si certains peuples ne le veulent pas, il faut agir en conséquence.

  3. Pour ceux qui souhaitent un referendum sur la révision du traité de Lisbonne, signez la pétition :

    http://goo.gl/whh3

  4. @ Sylvain : merci de votre réactivité… pour démontrer que toute réouverture des Traités va multiplier les mobilisations de part et d’autre. Je ne m’attendais pas que cela aille si vite en France…

  5. @bouillaud : je suis d’accord avec votre lecture de l’arrêt de la Cour. Mais comme tout arrêt, on peut le lire de différente manière (sinon, la Semaine juridique, les Petites affiches and Co feraient faillite).

    Le franc débat que vous appelez de vos vœux va peut-être sortir car de plus en plus de voix « pro-européennes » (en tous les cas marquées comme telles) sont en train de se faire entendre pour demander une autre voix pour l’Europe que celle très intergouvernementale que le Merkozysme lui fait prendre.

  6. @ Fabien : le « Merkozysme »!?! Je ne connaissais pas cette expression, mais c’est bien trouvé.

  7. Merci, je l’ai « créé » à l’occasion d’un billet sur mon blog:
    http://fabiencazenave.eu/2010/07/14/le-merkozysme-tient-il-le-systeme-europeen/

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