Cette fois-ci, cela se précise, les derniers jours de la vie politique de l’homme qui a changé le sort de la politique italienne sur les 20 dernières années semblent approcher à grands pas. Je n’épiloguerai pas sur les frasques de S. Berlusconi . La récurrence des révélations sur sa vie privée depuis plus d’un an tiennent peut-être, comme il le dit lui-même, d’un complot de la mafia, mais, surtout, elles attirent l’attention sur le vieillissement du personnage. S. Berlusconi n’entend pas changer son « mode de vie » pour reprendre sa propre expression, mais il est fort possible que ce dernier renvoie à un état précédent de la société italienne. Profitant du scandale, Gianfranco Fini, pourtant son allié le plus constant depuis 1993, a enfin décidé d’appeler à la démission le « plus grand chef de gouvernement qu’ai connue l’Italie depuis son Unité » selon les dires mêmes du dit chef – moins de deux mois après lui avoir renouvelé officiellement sa confiance par un vote solennel au Parlement. Il est vrai qu’organiser un nouveau parti n’est pas de tout repos, et qu’il fallait absolument gagner du temps. Gianfranco Fini a donc franchi le Rubicon devant la convention de fondation de son nouveau parti, « Futur et Liberté » (sic), tenu dans la capitale de l’Ombrie, à Pérouges. Les « futuristes » (comme les nomment déjà la presse italienne) – sans doute pour troubler les lexicographes de l’avenir qui se demanderont pourquoi ce même terme apparait à un siècle de distance dans l’histoire italienne – menacent de quitter le gouvernement si S. Berlusconi ne démissionne pas de lui-même et ne propose pas un élargissement au centre de la majorité.
Gianfranco Fini, actuel Président de la Chambre des députés italienne, est l’ancien leader du Mouvement social italien (MSI) néofasciste des années 1980-90, parti devenu en 1994-1995, l’Alliance nationale (AN) post-fasciste. Sur la demande de S. Berlusconi, qui l’avait largement pris de court à l’automne 2007, G. Fini avait finalement accepté, non sans réticences évidentes, la fusion d’AN avec le parti de ce dernier et quelques autres petits partis dans le « Peuple de la Liberté » (PdL) en 2008-09. Or cet ancien néofasciste finit par sortir de ce dernier clairement par la porte de gauche! En effet, en dehors de l’hostilité personnelle entre S. Berlusconi et G. Fini (déjà bien visible dans les médias italiens à l’automne 2007), G. Fini se propose de construire à cette occasion un parti ayant un programme « républicain », au sens où il s’agit de refuser l’ingérence excessive de l’Église catholique dans la vie politique italienne, d’empêcher la différenciation Nord/Sud que promeuvent la Ligue du Nord ou les forces politiques s’organisant uniquement sur une base électorale méridionale, d’affirmer le rôle de la légalité dans la vie politique, économique et sociale contre le style berlusconien de rapport au droit (euphémisme…), de travailler pour une intégration forte des immigrés dans la vie sociale, économique, politique de l’Italie, de soutenir enfin qu’il faut que l’État choisisse des politiques publiques et ne laisse pas dériver le pays au gré des lobbys intérieurs et des marchés internationaux . Cela ressemble beaucoup à un gaullisme idéalisé, qui représenta d’ailleurs une source d’inspiration du MSI dans les années 1970-90. G. Fini, cohérent d’ailleurs avec des déclarations précédentes, récuse même l’anticommunisme comme argument politique contemporain.
Avec de tels arguments, je doute que l’entente avec S. Berlusconi soit encore possible, puisque ce dernier est désormais présenté comme le parangon des vices italiens les plus classiques. A court terme, le nouveau parti des « futuristes » va chercher surtout à changer la loi électorale. Celle adoptée en 2006 (grâce à l’assentiment de G. Fini) possède en effet le défaut de faire du choix des députés et sénateurs une prérogative de facto des seuls chefs de parti. De fait, les électeurs peuvent choisir leur majorité, mais pas leurs élus de cette majorité ni ceux des oppositions. Bien malin sera cependant celui qui pourra prédire avec exactitude la loi électorale qui serait choisie par un bloc anti-berlusconien au Parlement dans les prochains mois. Toute la rhétorique des réformes institutionnelles depuis le début des années 1980, soutenue par une large part des politistes italiens, tend à attribuer l’inefficacité de la politique italienne en terme de politiques publiques au scrutin proportionnel. Gianfranco Fini et AN s’étaient d’ailleurs beaucoup investis dans l’adoption d’un mode de scrutin strictement majoritaire (sur le modèle britannique en particulier). Or le mode de scrutin depuis 1994 est devenu mixte, et, par la magie d’une tricherie partagée entre centre-droit et centre-gauche, a produit des effets de plus en plus majoritaires au fil des scrutins (1996, 2001). En 2006, malgré l’apparence de retour à des bases proportionnelles, le scrutin adopté revient à créer une circonscription unique pour désigner la Chambre des députés et autant de circonscriptions qu’il existe de régions pour désigner le Sénat, avec dans les deux cas l’application d’une majorité simple d’électeurs pour emporter une majorité (primée en plus) d’élus.
Probablement, le plus facile serait de revenir au scrutin mixte d’avant 2006, mais faut-il revenir à sa version de 1994 ou à celle de 2001? (qui comportent des effets très différents pour les troisièmes forces). Cependant, avec le retour à un tel mode de scrutin, tout comme avec celui adopté en 2006, S. Berlusconi peut encore gagner les élections anticipées, organisées éventuellement au printemps 2011. Je suppose que les frondeurs anti-Berlusconi feront tout pour éviter cette éventualité. Le plus simple serait alors de revenir à un scrutin proportionnel; dans ce cas, le PdL et ses alliés n’arriveront jamais à gagner à court terme une majorité au Parlement. De fait, on devrait assister dans ce choix d’un nouveau mode de scrutin à l’hésitation entre les croyances en matière de bonnes institutions qui poussent dans la direction majoritaire et l’intérêt partagé du large rassemblement anti-berlusconien à le priver de toute chance raisonnable de retour au pouvoir. Ce dernier aspect est bien sûr essentiel pour faire se dissoudre le PdL.
Vedremo… En tout cas, nous voilà reparti pour une belle crise politique.