Rationalité fiscalo-électorale.

Le gouvernement Fillon a dévoilé hier son dernier plan de rigueur en date. Les critiques pleuvent, y compris bien sûr de la part d’économistes de gauche comme Thomas Piketty et Camille Landais qui n’y voient pas, sans doute à juste titre,  un grand progrès dans l’équité fiscale.

Pour ma part, je suis plutôt admiratif. Le gouvernement Fillon semble bien avoir cherché les mesures qui maximiseraient (en principe) le gain fiscal sans aliéner l’électorat. C’est certes un peu disparate, comme le fait remarquer l’historien de la fiscalité, Nicolas Delalande, mais c’est tout de même d’une belle prudence préélectorale. Il est humainement impossible de demander à un Président et une majorité de se suicider électoralement s’ils considèrent pouvoir encore faire autrement. Or je ne vois rien dans ces diverses mesures qui doive choquer particulièrement les Français au point d’obérer définitivement toute chance de réélection pour N. Sarkozy.(Il n’a pas baissé les salaires des fonctionnaires, merci, ils sont seulement gelés jusqu’à nouvel ordre depuis l’année dernière; il n’a pas aligné la CSG des retraités sur celle des actifs, merci pour eux; il n’a pas augmenté la TVA sur tous les produits et services, merci pour nous).

Bon, on augmente tout de même les taxes sur le tabac et les alcools forts… Qui va défendre le tabagisme et l’alcoolisme? Le vin et le rhum semblent d’ailleurs sauvés. (Je me bois d’ailleurs un rhum en écrivant ces lignes à la santé de nos compatriotes d’outre-mer.) On crée une taxe sur les boissons sucrées. Elle est pour l’instant des plus minimale, mais, si le Parlement la vote vraiment, c’est un tout petit début prometteur. Les industriels de l’agroalimentaire concernés ne s’y sont pas trompés qui hurlent qu’on les assassine, discrimine, insulte. Si des taxes sur les consommations ayant des effets délétères sur la santé, autres que le tabac et l’alcool, en viennent à être ainsi inventés par nécessité fiscale, et bien, ce sera au moins une fort bonne chose qu’aura faite ce gouvernement. Ceux qui indiquent que ces taxes (tabac, alcool et boissons sucrées) toucheront d’abord les pauvres ont raison si l’on voit ces derniers seulement au prisme de leur pouvoir d’achat, mais ils ont tort si  on admet que les pauvres ont droit à ce que l’État défende leur espérance de vie en leur donnant un signal par le prix que cette consommation-là leur nuira.(Mon beau-père, fumeur depuis 40 ans, a arrêté de fumer, parce que les prix du tabac étaient devenus trop élevés pour son revenu, il s’en trouve fort aise et il veut convertir désormais son entourage.)

De même, la TVA ramenée à la norme pour les parcs de loisir, certes une recette de poche pour l’État, j’ai du mal à y voir autre chose que la correction d’une erreur antécédente. Pourquoi diable encourageait-on par une fiscalité réduite cette consommation-là? (Serait-ce une séquelle du fantasme du parc Euro-Disney comme avenir de l’emploi en France?)

Les diverses mesures portant sur l’immobilier, les heures supplémentaires, les impôts des entreprises, passeront inaperçues pour la plupart des gens, et la taxation exceptionnelle des plus aisés reste  encore assez douce pour qu’ils l’acceptent sans trop maugréer.

Parmi toutes les mesures, je n’en ai vraiment trouvé qu’une qui me paraisse vraiment susceptible d’une critique forte pour son caractère illogique, celle portant sur les contrats mutualistes d’assurance santé. Cette taxe-là équivaut à une hausse d’impôt pour énormément de gens, y compris ceux qui n’en ont pas les moyens, ou même revient à décourager l’achat d’un service dont a priori il serait mieux que les Français ne se passent pas. (A moins que cyniquement, on considère qu’il faut moins de gens qui s’assurent en santé complémentaire, pour qu’ils évitent de se faire soigner et de coûter à l’assurance-maladie.) Voilà encore une hausse des dépenses contraintes dans le budget des ménages, qui fera qu’on s’étonnera ensuite de l’atonie de leur consommation.

En dehors de ce bémol, je trouve le coup fort bien joué par le gouvernement Fillon.

La gauche par ailleurs n’a pas non plus de quoi se lamenter.

D’une part, bien que la taxe sur les titulaires de plus hauts revenus soit peu importante, cela veut dire que l’argument selon lequel ces mêmes riches arrêtent de travailler, d’innover, de produire, si on les taxe ne serait-ce qu’un tout petit peu plus, est reconnu en pratique comme faux par la droite elle-même. Il n’est donc pas impensable de taxer les (très) riches! Ils ne vont pas se mettre en grève illico.

D’autre part, le gouvernement Fillon n’a pas même commencé à supprimer massivement des niches fiscales, il les a simplement encore un peu « rabotées » selon le terme consacré. Par exemple, le célèbre « Scellier » bouge toujours.  Cette situation de préservation des privilèges fiscaux de certains  signifie que la gauche, si elle remporte les élections du printemps prochain, va pouvoir jouer sur cette réserve d’exonérations fiscales, peu efficaces économiquement et injustes, pour financer un collectif budgétaire si nécessaire, sans devoir recourir nécessairement à des hausses généralisées d’impôts (TVA, CSG, IRPP). Pour ne prendre qu’un seul exemple, la TVA réduite sur la restauration pourra être augmentée, ou même ramenée au taux normal, de même les exonérations de charges sur les heures supplémentaires pourront être supprimées. Il reste donc du grain à moudre, avant même la mise en place, nécessairement compliquée, d’une éventuelle fusion IRPP/CSG. Il suffira de faire preuve de courage pour affronter « les chiens qui dorment dans les niches ». (Comme dit le dicton fiscal, « dans chaque niche, il y a un chien qui dort. »)

Du point de vue de la stratégie électorale, c’est donc une bonne nouvelle pour la gauche que la droite n’ait pas été dans l’absolue obligation de faire rendre gorge elle-même à ses clientèles. Toutefois, il est possible que l’aggravation de la situation économique, et donc budgétaire, oblige dans quelques mois le gouvernement Fillon à aller plus loin dans la rigueur, peut-être sous l’impulsion de quelque panique européenne à venir. Je ne parierais pas que ce plan de rigueur-là soit le dernier avant l’élection présidentielle de mai 2012.

Plus généralement, le gouvernement Fillon, s’il vise la réélection de N. Sarkozy et la reconduction de la majorité actuelle, aurait bien tort de festoyer ces jours-ci. Les chiffres du chômage repartent décidément à la hausse, et la prévision, révisée par le gouvernement lui-même à l’occasion de la présentation de son plan d’austérité, 1,75% de croissance en 2011 et 2012, implique que, mécaniquement ou presque, le chômage va continuer à augmenter en France. La campagne électorale du printemps prochain risque donc de se faire encore une fois sous le signe de l’échec du pouvoir en place à endiguer vraiment la détérioration désormais durable du marché de l’emploi.

Ps. Comme pour confirmer le poids de la politique électoral(ist)e dans ce plan d’austérité, une première mesure a sauté sous la douce pression de Jean-Pierre Raffarin, défenseur d’office du Futuroscope, la TVA ramenée à la normale pour l’entrée dans les parcs de loisirs. Une seconde mesure semble avoir quelques difficultés à passer la taxation des plus-value sur l’immobilier (qui n’est pas une résidence principale pour le vendeur) – comme quoi, le vieil électeur riche reste important dans notre pays. Enfin, j’avais manqué l’augmentation subtile de la CSG, via la part du revenu pris en compte pour son calcul, qui frappe elle (presque) tout le monde.

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