A voté.

Quelques remarques en vrac sur ce premier tour :

a) Où l’on constate encore une fois que les sondages d’intentions de vote constituent un instrument d’une fiabilité moyenne. Le paysage général du premier tour a certes été assez bien prévu… sauf pour le niveau du FN sous-estimé et le vote du Front de gauche surestimé. Il n’y a pas de quoi être très étonné vu les caractéristiques sociopolitiques de ces deux électorats. Nous ne disposons pas des résultats bruts des enquêtes avant redressements, mais je parierais que, si nous les avions, nous verrions l’ampleur des corrections effectuées par les instituts de sondages (qui sont couvertes jusqu’à présent par le secret professionnel de chaque institut et juste connues de la Commission des sondages). Il est cependant probable que l’électeur frontiste se trouve en grand nombre dans la masse croissante des enquêtés qui refusent tout de go de répondre à une enquête par sondage; inversement, l’électeur du Front de gauche constitue sans doute un meilleur répondant.

b) Où l’on constate que le leadership du Front de Gauche s’est laissé prendre au jeu des sondages. Il est piquant en effet de constater que le jugement sur le résultat du Front de gauche au premier tour est désormais entièrement déterminé par le niveau des intentions de vote attribués à ce dernier par les sondages. Il fait un peu plus de 10%, les sondages le voyaient autour de 15%, c’est donc un échec. Il aurait été prévu à 8%, et il faisait un peu plus de 10%, c’était une réussite. Le piquant dans cette situation, c’est que cette mésaventure qui change presque entièrement le sens final de la campagne du Front de gauche arrive à un secteur politique dont la plupart des intellectuels organiques ne sont pourtant pas privés dans la tradition de Pierre Bourdieu de critiquer les sondages comme instrument de trahison de la volonté populaire, de constitution d’une fausse opinion publique au service des dominants. Il aurait donc été plus prudent pour les « mélenchonistes » de ne pas se donner comme objectif un défi impossible à tenir face au FN à la lumière trop lénifiante de ces mêmes sondages. Il aurait été plus prudent de se contenter de rassembler sur un seul nom la plus grande partie de l’électorat de l’extrême gauche – ce qui, au regard des épisodes immédiatement précédents, constitue déjà un résultat hors norme. Par ailleurs, il est amusant de constater que ce camp semble avoir oublié l’adage, remontant dans le fond au début du suffrage universel en France (1848), qui le met en garde contre la concomitance de meetings pleins et d’urnes vides. La « Fête de l’Humanité » continua d’avoir du succès alors même que le PCF était à 2% des voix… Si j’ose dire, l’électeur d’extrême gauche sait ce que manifester, militer ou aller à un meeting veut dire, un peu moins l’électeur ordinaire de ce pays… qui, décidément, est beaucoup plus chafoin.

c) Pour ce qui est du second tour, je serais beaucoup moins catégorique qu’Eric Dupin qui prédit une victoire obligée de François Hollande. Certes, N. Sarkozy n’a pas fait un très bon score pour un Président sortant sous la Cinquième République – euphémisme-, mais le total des voix de la droite et du centre au premier tour est bel et bien majoritaire (UMP et alliés, FN, Modem, DLR). Donc, sur cette base, comme il l’a montré hier dans sa déclaration au soir du premier tour, N. Sarkozy peut encore essayer d’organiser un référendum anti-immigrés, anti-étrangers, voire anti-Europe, ou anti-Monde,  à l’occasion du second tour. « La France forte » contre le monde entier et la cinquième colonne. Against all enemies.  L’image de la réunion de la mutualité hier soir avec les drapeaux français agités frénétiquement est claire. Cela a d’ailleurs déjà commencé hier soir avec l’insistance de Jean-François Copé à évoquer le droit de vote des étrangers aux élections municipales, présent dans le programme présidentiel de F. Hollande, porte grande ouverte au « communautarisme » selon ce dernier.  D’après le sondage sortie des urnes du réseau Trielec, N. Sarkozy n’a sans doute pas tort de se lancer sur cette piste : en effet, les électeurs du FN au premier tour se distinguent encore et toujours par l’importance qu’ils donnent à l’enjeu de l’immigration, de la sécurité, et aussi du pouvoir d’achat, et ils représentent de fait le plus grand bassin d’électeurs disponibles. La campagne de second tour s’annonce donc très « bruit et odeur »… ce qui peut amener d’ailleurs par contrecoup une mobilisation pour F. Hollande des électeurs se sentant particulièrement visés par ce genre de propos xénophobes.

4 réponses à “A voté.

  1. Bien vu.
    Il faut tout de même dire qu’il y a quelque chose de très inquiétant dans le résultat du FN. En effet, ce parti n’a pas beaucoup de militants sur le terrain. Et aujourd’hui, les 18% ne peuvent plus être considérés comme un vote « contestataire ». Cela veut dire que les idées racistes et anti-immigrés se sont ancrées. Et là, on peut dire merci à la tête de l’État UMP et aux médias, qui se sont employés à installer et légitimer dans le paysage idéologique courant la xénophobie et l’islamophobie depuis 10 ans et plus. Je recommande à ce propos le livre du collectif Cette France-là, « Xénophobie d’en haut, le choix d’une droite éhontée ».
    Le PS est irresponsable de se conduire comme il le fait : triomphalisme avant l’heure, insultes vis-à-vis des militants et électeurs FDG (vécu, qui auraient « travaillé pour le FN », on croit rêver), mépris pour les écolos, positionnement idéologique flou.
    On peut juste espérer (commentaire non neutre, on l’aura compris) que quelque chose se soit produit malgré tout du côté de la gauche de l’échiquier, et certains résultats locaux semblent l’indiquer, de même que les meetings, malgré tout, qui n’étaient pas si pleins d’habitude, me semble-t-il.

    • @ erikantoine : vous avez raison, les électeurs du FN savent ce qu’ils veulent, et ne votent pas par hasard pour ce parti-là. Les cartes électorales et les sondages « sortie des urnes » sont éloquents sur ce point. Si j’ose m’exprimer ainsi, « on n’est pas sorti de l’auberge ». Vous avez aussi raison sur la xénophobie d’État. Toute cette situation a une histoire très longue, qui remonte au moins à la fin du XIXème siècle. Hélas!

  2. Vous pensez vraiment que les électeurs du Modem se ralieraient à Sarkozy autour d’un référendum anti-immigrés, anti-étrangers, anti-Europe ou anti-Monde ?? Les centristes ont toujours été pro-européens depuis 45. Je vois mal Sarkozy réussir à réunir les bayrouistes et les lepenistes ensemble autour du slogan « l’UE, voilà l’ennemie », ou « l’immigration, voilà l’ennemie ».
    Des cadres de l’UMP ont essayé hier de défendre l’idée de responsabilité et de lutte contre les déficits, qui seraient une marque de fabrique de droite (ça peut être convainquant pour les électeurs du Modem, surtout en stigmatisant le Front de Gauche rallié à Hollande), mais ce n’est pas très convainquant après son quinquennat et ça ne fera sans doute pas rêver les frontistes.

    Bayrou a dit qu’il prendrait ses responsabilités (et donc qu’il appellerait à voter pour l’un des deux restants). Je le vois mal appeler à voter Sarkozy, vu ce qu’il dénonce depuis 5 ans et vue la tournure que prend la campagne de l’UMP. Etant donné que le Front de gauche a fait moins qu’annoncé, que Mélenchon a dit qu’il ne serait pas au gouvernement et que ses électeurs voteront sans condition pour Hollande, la route est facilitée pour que les électeurs du centre votent PS.

    • @ champagne : en théorie, vous avez entièrement raison. Par exemple du point de vue géographique, le centre Modem ressemble fort à une séquelle de la vieille tradition démocrate-chrétienne. Elle semble fort « girondine » de plus. Mais, en pratique dans cette élection, F. Bayrou a centré aussi son discours sur le « Produisons Français! ». Il est européen en théorie, mais a tenu lors de cette campagne un discours de nationalisme économique. Sur l’éthique du travail et les déficits, je ne crois pas non plus que l’électeur du Modem se situe très à gauche…

      Sur le choix de F. Bayrou, la logique de ses discours précédents voudrait qu’il appelle à « sortir le sortant », mais cela va lui poser des problèmes avec les (petits) leaders centristes qui l’ont rejoint récemment. La sécession du Modem vis-à-vis de la droite en 2007 peut-elle finir par un ralliement à la gauche de François Hollande en 2012? Ne vaut-il pas mieux essayer de sauver Sarkozy pour devenir son Premier Ministre en cas de victoire, ou bien le refondateur d’un Centre à la gauche de l’UMP lors des législatives? Il n’a pas de très bon choix en fait… Il faut dire qu’il a refusé les règles implicites de la Cinquième République, celles-ci se vengent… Jean-Louis Bourlanges avait raison à son sujet.

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