François Hollande a donc gagné cette élection présidentielle de l’an 2012. Je m’inquiétais bien à tort. Les instruments d’analyse de la veille se sont révélés fiables.
Les premières analyses du lendemain (cf. celles fort claires d’Eric Dupin, par exemple sur le vote de droite toujours aussi interclassiste, ou celle de Bruno Cautrès dans Libération de ce jour, 9 mai 2012 [article réservé aux abonnés sur le net]), montrent que cette élection présidentielle va s’inscrire dans le droit fil de ce qu’on sait sur le fonctionnement de l’électorat français. Pour ma part, si je regarde les résultats à Lyon et dans l’agglomération lyonnaise, je ne peux que constater que chacun y retrouvera ses petits. Les arrondissements marqués à droite « depuis toujours », correspondant aux quartiers de la vieille bourgeoisie, d’Ainay et des Brotteaux (2ème et 6ème respectivement), sont fidèles à leur camp « naturel », et les autres donnent des majorités électorales à F. Hollande (à l’exception du 5ème, moins important dans la géographie symbolique lyonnaise que les deux précédents, qui, lui, reste légèrement à droite). C’est la même chose au niveau de l’agglomération, où l’ouest aisé s’oppose à l’est défavorisé (avec aussi des niveaux d’abstention typiques).
Même sentiment de déjà vu lorsque l’on regarde la carte départementale des résultats. Il y a eu effectivement une « vague » – certes pas celle qu’attendait N. Sarkozy! -, mais les grands équilibres de l’électorat se sont maintenus, ce qui donne effectivement une impression de vague au sens de variation assez régulière des équilibres. Ni l’Alsace, ni la Savoie, ni la région niçoise, ne se convertissent encore cette fois-ci aux joies du socialisme! … en 2050 peut-être… Même impression sur les sondages disponibles. Par exemple, les catholiques pratiquants continuent de voter massivement à droite… comme le précise notre collègue Pierre Bréchon. Surtout, la France électorale est, comme aux précédentes élections présidentielles, coupées en deux blocs de force comparables.
Ces résultats « normaux » font contraste avec les élections tenues le même jour dans deux autres pays européens. En Grèce, c’est comme prévu l’écroulement des deux partis de la majorité « austéritaire », PASOK et Nouvelle Démocratie. En fait, ils ratent de deux sièges seulement la majorité parlementaire. Dans le système de scrutin proportionnel grec, le premier parti bénéficie en effet d’une prime de 50 sièges. Or, même avec la dite prime, les deux partis « austéritaires » ratent (de peu) la marche. Comme il était logique vu la situation économique du pays, qui devrait être qualifiée de dépression pure et simple plutôt que de récession comme la presse s’entête à le faire, les électeurs grecs ont exprimé leur frustration, à raison de leur identité précédente d’électeurs de droite ou de gauche. Chacun des deux camps voit en effet croître ses dissidences, justement à cause de l’Europe. Les résultats tels que j’ai pu les trouver sur le site du Guardian, qui offre d’ailleurs un suivi excellent de la situation, et qui sont disponibles aussi sur le site du Ministère de l’intérieur grec, sont les suivants:
– Droite traditionnelle : « Nouvelle Démocratie », 18.9% des voix, 108 sièges (dont 50 par bonus pour le premier parti), et sa dissidence : « Grecs indépendants« , 10.6% des voix, 33 sièges, soit autour de 30% pour la droite;
– Gauche traditionnelle : PASOK, 13.2%, 41 sièges, très logiquement, le grand perdant de l’élection, une branlée de belle facture, belle leçon de choses pour les social-démocraties européennes (mais il y a eu des précédents au fil des années quand un parti social-démocrate a suivi une politique d’austérité, en y ajoutant un zeste de corruption : Pologne, Hongrie);
– Extrême-gauche : SYRIZA (elle-même une coalition de petits partis), 16.8%, 52 sièges, le grand gagnant de l’élection, « Gauche démocratique » (qui a été ralliée par des dissidents du PASOK), 6.1%, 19 sièges, et KKE (parti communiste), 8.5%, 26 sièges, soit autour de 30% pour l’extrême-gauche au sens large, mais avec une fracture très ancienne entre les « staliniens d’origine contrôlée » et les autres;
– Extrême-droite : « L’Aube dorée » , 7.0%, 21 sièges. A noter de ce côté-là, que le parti « Alarme populaire orthodoxe », qui a participé au gouvernement d’union nationale avant de le quitter en février de cette année, disparait sous la barre des 3% (avec 2,9% des voix). L’électorat d’extrême-droite se situe donc autour des 10% (sauf à considérer les « Grecs indépendants » comme eux aussi d’extrême droite, ce qui nous mènerait à 20%). Les médias européens font toute une histoire de la percée de « l’Aube dorée », certes, semble-t-il, des gens à ne pas croiser dans une rue d’Athènes la nuit si on est un immigré, mais, comparativement, cette poussée reste moindre qu’ailleurs en Europe.
Il faut ajouter à ce portrait une abstention importante : seulement 65% des électeurs ont voté, et la dispersion vers d’autres petites forces politiques, dont les Verts grecs qui font un score à la Eva Joly (2,9%), revient à faire qu’autour de 10/15% des votants n’ont pas de représentants parlementaires, mais, en dehors des Verts, toutes les tendances idéologiques semblent présentes au Parlement. En nombre absolu de votants, parmi les partis qui entrent au Parlement grec en 2012, qui étaient déjà présents aux élections de 2009, seuls Syriza qui triple son électorat, le KKE qui le fait progresser légèrement, et « l’Aube dorée » qui le multiplie par… 22 (d’un peu moins de 20.000 voix à plus de 420.000), gagnent des suffrages. « Nouvelle Démocratie » est certes en tête, mais avec moitié moins d’électeurs qu’en 2009.
Quoiqu’il en soit, il est évident qu’une nette majorité d’électeurs grecs a voté contre la majorité « austéritaire », qui ne regroupe au sens strict que 32% des voix, soit en contradiction totale avec les obligations de la Grèce selon les mémorandums signés par les gouvernements grecs depuis 2010. Faute de pouvoir trouver une majorité parlementaire, il serait même question d’appeler à un second scrutin dès le mois de juin. Il est certes alors possible que, dans ce cas, les partis « austéritaires », ayant peut-être réabsorbé leurs dissidences respectives ou ayant gagné des voix de la part des abstentionnistes ou des électeurs des autres partis n’ayant pas dépassé les 3% des voix, gagnent une majorité parlementaire grâce à la prime de 50 sièges, mais ils resteront sans doute en dessous des 50% des suffrages exprimés à eux deux. Cependant, les déclarations des politiciens allemands appelant au strict respect des engagements de la Grèce risquent, si elle se réitèrent, de ne rien arranger. De plus, Jean Quatremer indique que le leader de la droite a connu un échec personnel à ses élections, ce qui laisserait supposer que ND serait affaibli lors du second round éventuel et devrait pour les gagner changer de leader. De fait, au vu de ces résultats, avec un PASOK, réduit sans doute au noyau dur de ses clientèles, et une « Nouvelle Démocratie » en panne, le rebond du camp « austéritaire » va être difficile sans concessions européennes, et encore…
Autre pays qui voté le même jour que la France et la Grèce, l’Italie. Il ne s’agissait là que d’une tournée d’élections municipales (en Italie, elles ne sont pas toutes organisées la même année). Chez notre voisin, ce sont plutôt les deux composantes de la coalition de droite qui a régi le pays pendant presque toutes les années 2000, qui commencent leur descente aux enfers: le « Peuple de la Liberté » (PDL, le parti de S. Berlusconi), et surtout la Ligue Nord, perdent leurs électeurs dans un style qui n’est pas sans me rappeler les années 1992-1993. La Ligue Nord surtout finit par payer l’écart entre son image – désormais historique – de parti opposé à la corruption, au népotisme, au clientélisme, etc., des « méridionaux », et sa réalité, bien « méridionale » pour le coup, de parti des copains, des coquins et de la petite famille! Népotisme bien ordonné commence par soi-même! L’Unité italienne est enfin faite!
Et puis, comme aux élections locales précédentes, l’étrange (non-)parti de Beppe Grillo, les « Listes Cinq Étoiles », fait des scores étonnants. Ne se contentant plus de vilipender les politiciens italiens de tous bords, B. Grillo commence en plus à s’en prendre désormais à l’Union européenne – occupant une place laissée vacante par toutes les autres forces. En même temps, même si son candidat arrive au ballotage à Parme (en raison de l’écroulement de la droite ultra-corrompue du cru), les résultats électoraux de son organisation « anti-partis » restent limités si l’on pense qu’il n’y aurait plus que 4% des Italiens à faire confiance aux partis politiques (selon les sondages de Renato Mannheimer, publiés dans le Corriere della Sera) – d’autres chiffres indiquent 2%… Le score de confiance dans les partis italiens n’a jamais été très élevé depuis plus d’un quart de siècle, mais la marge de la progression dans la défiance devient désormais très faible. Heureusement, ces 96% de défiants ne votent pas tous pour les listes B. Grillo! L’échec de la refondation du système politique italien sur des bases plus saines (en principe) dans les années 1990 est désormais évident, mais comment refonder avec un tel passif?
Bref, comparée aux situations grecque et italienne, la France est un havre de régularité électorale, et possède un système politique pleinement fonctionnel. Ouf! Le nouveau Président et le nouveau gouvernement vont pouvoir affronter la tempête européenne en préparation sur des fondements institutionnels solides.
Les électeurs français peuvent encore se distinguer eux aussi à l’attention générale des Européens en imposant dès juin une majorité de droite aux législatives… ce qui constituerait une rupture inopinée avec la Cinquième République, mais là je vais essayer de ne pas trop y penser.
[Texte au français un peu corrigé par mes soins…]
Oui, en France il y a eu une victoire de la voiture, pas du chauffeur. Ou mieux, une victoire de la confiance, ou l’espoir, dans la performance de la voiture.
En faisant le voyage en voiture Gênes-Marseille j’ai pensé, l’autre semaine: c’est quoi la machine-Italie, l’institution-Italie pour moi? C’est un grand père qui peut faire n’importe quoi (il a tous les vices du monde d’ailleurs), mais qui est aussi et au même temps très sage (c’est pour cela que je trouve le limite « 40 » quand il y a des travaux; c’est absurde, tout le monde le sait, mais, sagesse du grand père fou, le limite est adapté aux fous qui le lisent – conclusion, pour comprendre il faut faire les fous; même si on l’est pas, c’est la malaeducazione italienne). Et l’institution-France, c’est quoi? C’est qui? Je dirais un père qui travaille à la Poste. Il casse les pieds, il fait ce qu’il faut faire, il dit ce qu’il faut dire (limite: « 80 », c’est « 80 », en plus « rappel 80 », mon fils, doucement…), après il s’endort sans dire bonne nuit. L’institution-France est en même temps grise et digne. Oui, d’accord, la rhétorique, les valeurs, la grandeur, etc., mais, à la fin, la France, c’est savoir, ou être raisonnablement sûr, que le bureau demain sera ouvert. C’est déjà beaucoup, peut-être c’est tout, maintenant que tout devrait être bouleversé.
Donc: si nous continuons à être et à voter comme avant, même la machine continuera à marcher comme avant.
Comme dirait Proust, c’est pas con.
Ou, comme dirait Dante, c’est con de donner les clés de la voiture au premier qui passe (Grillo, etc.).
Me voilà franchement effarée. J’ai retenu François Hollande comme président, parce que je voulais croire au changement qui était proposé et à la création d’une majorité irréprochable. Quelle trahison de découvrir que François Hollande nomme comme 1er ministre Jean Marc Ayrault, qui n’est pas irréprochable. Il a vraiment été condamné à de la prison pour acte de favoritisme. Vraiment déçue.
@ Arlette Bastillette : je n’ai aucune information sur cette condamnation que vous indiquez autre que les explications du direct intéressé, J.M. Ayrault lui-même, pour lequel on exagère de beaucoup l’importance de cette dernière. Il n’est pas encore nommé Premier Ministre de toute façon, et cela peut correspondre simplement à une information erronée destinée à lui nuire… ce qui est de bonne guerre dans la vie politique. De toute façon, tant que nous aurons des hommes politiques qui font des carrières très longues, nous serons face à ce genre de situation. Personne n’est parfait sur la durée d’une carrière. Personnellement, son acharnement sur l’aéroport de Notre-Dame des Landes – choix daté – me parait bien plus inquiétant que toute (vieille) condamnation que ce soit.
« Je voulais croire au changement », c’est exactement ça: il y a une dose d’auto-illusion nécessaire quand on va voter, toujours, mais le fait que cette auto-illusion, d’un coté ou de l’autre, soit très largement partagée, cela est à mon avis la vraie continuité française. Les gens y croient encore, au moins un peu. En Italie, royaume de la désillusion et du cynisme, presque tous sont déjà au-delà. Bon courage, Arlette!
Votre classement des « Grecs indépendants » au sein de la droite traditionnelle est un peu troublant. Sans forcément aller jusqu’à les considérer comme étant d’extrême-droite, on doit dire qu’il s’agit avant tout d’un parti qui refuse les politiques d’austérités (et a donc plus de chances de s’allier avec SYRIZA qu’avec la ND) et qui a de forts penchants populistes, par exemple en posant comme condition sine qua non de leur participation à toute coalition le remboursement des réparation de guerre par l’Allemagne…
@ Kikoo : je les ai classés seulement à droite, parce que, si j’ai bien compris, il s’agit de scissionnistes de « Nouvelle démocratie ». Ils ont refusé les derniers plans de rigueur au mois de février de cette année, et ont été expulsé de ND pour cela. Mais, comme ND est un parti du PPE, il m’est difficile de dire que les politiciens qui en sortent deviennent d’un coup d’extrême droite (au sens local, clairement fascisant pour le coup). J’ai même lu quelque part que ces scissionnistes correspondent en fait à des politiciens proches de Samaras (le leader actuel de ND), qui avaient cru à sa ligne anti-austérité, tenue jusqu’à l’automne 2011. Je suppose que ce détail expliquerait aussi pourquoi ils ne sont pas pressés de sauver la mise à ce dernier en lui permettant de s’abriter derrière un gouvernement d’union nationale.