Europe in our times? (II)

Les résultats du sommet européen des 28/29 juin ont été présenté par une partie de la presse française comme une victoire du « club Med » contre l’Allemagne, de F. Hollande et ses alliés italien et espagnol contre A. Merkel.

Cette vision me semble un peu courte tout de même, surtout si l’on va voir les textes officiels qui rendent compte du sommet, disponible comme il se doit sur le site du Conseil européen.

Premièrement, qu’est-ce que contient ce fameux « Pacte pour la croissance et l’emploi » adopté lors du sommet, mis en annexe de la déclaration finale?

En dehors du fait que ce texte représente en soi plus des bonnes intentions à mettre en œuvre par les pays membres et les institutions européennes qu’un texte à valeur juridique contraignante, tout lecteur devrait être frappé du fait qu’on y retrouve toute la rhétorique habituelle depuis quelques années de la part de l’Union européenne. Rien de neuf en réalité. Pour le dire simplement, c’est 75% de « politique de l’offre » traditionnelle et 25% de « croissance endogène » fondée sur l’innovation. La faible croissance n’est selon ce schéma due  qu’à des marchés pas assez européens et concurrentiels, trop régulés, qu’à de la main d’œuvre pas assez formée et mobile, qu’à des infrastructures déficientes, qu’à des PME qui n’ont pas accès facilement au crédit et souffrent de l’impôt-paperasse, et surtout qu’à des innovations techno-scientifiques pas assez nombreuses.

Le gros des mesures préconisées se trouvaient déjà dans l’arsenal des recommandations européennes depuis au moins l’Agenda de Lisbonne (1999-2000) et dans sa version révisée pour 2020 : concurrence et innovation nous mèneront au Paradis sur terre, saints Adam Smith et J.A. Schumpeter, priez pour nous, pauvres humains! Surtout, ce Pacte correspond à la demande émise il y a quelques mois par les douze gouvernement les plus néo-libéraux d’orientation de relancer l’économie de l’Union européenne par un approfondissement du grand marché européen et par des « réformes structurelles ». Nous y sommes. CQFD.

La seule contre-tendance (keynésienne d’apparence), qui se soucierait de quelque façon de la demande effective adressée à toutes ces belles capacités productives qu’on se propose ainsi de développer, se trouve dans l’alinéa h). Ce dernier détaille les divers sources de financement européen pour aider à la mise en place d’« infrastructures essentielles dans les domaines des transports, de l’énergie, et du haut débit », ou d’aides et prêts aux PME. Or ces 130 milliards d’euros (dont le texte officiel du Pacte indique qu’ils [ne] représentent [que] 1% du RNB de l’UE) apparaissent par le contenu même que leur donne le texte officiel bien peu keynésiens en réalité. Ne serait-ce en effet que parce qu’il s’agit ici simplement d’aider au financement des infrastructures et au développement des PME. Or, en particulier, ces infrastructures seront mises en place avec des moyens techniques modernes, par définition très capitalistiques: ces financements ne créeront donc sans doute, au moins par leur effet direct, que très peu d’emplois. Il faudra bien admettre que construire une autoroute, même de l’information, crée bien moins d’emplois que dans les années 1930… De fait, de manière réaliste, le texte souligne qu’on attend  de ces financements, surtout une amélioration de l’offre compétitive dans l’Union européenne.

Il faut bien dire que la simultanéité entre l’adoption de ce « Pacte pour la croissance et l’emploi » et l’annonce que jamais le chômage n’a été aussi élevé dans la zone Euro est un fait d’époque. Au mieux, si l’on croit que ce qui est contenu dans ce Pacte sera effectivement mis intégralement en place et aura un effet positif sur le niveau de l’emploi en Europe, cela ne se verra que dans quelques (très) longues années. Cette Europe-là ne semble donc rien à faire du sort des actuels chômeurs, précaires et autres inutiles au monde.

Pour le dire dans les termes mêmes du paragraphe introductif des Conclusions du Conseil européen des 28/29 juin 2012 :

« Une croissance forte, intelligente, durable et inclusive, reposant sur des finances publiques saines, des réformes structurelles et des investissements destinés à stimuler la compétitivité, demeure notre principale priorité. »

Bref, à en juger du texte même, cela serait quelque peu abusif de voir dans ce Pacte un tournant vers une politique économique européenne qui prendrait en compte de quelque façon que ce soit le problème de la demande et de l’activité économique à court terme. Cela correspond aussi plus généralement à la réaffirmation de la nécessité de l’assainissement budgétaire.

Si l’on regarde l’autre texte adopté lors de ce sommet, la « Déclaration du sommet de la zone Euro », du 29 juin 2012 (dont le lecteur remarquera qu’il est très court), on constatera aisément qu’il ne concerne en fait que le secteur financier de l’économie. Il est bien précisé que les mesures qui permettraient une aide directe du FESF/MES aux banques en difficulté d’un pays donné et/ou l’intervention de ce dernier sur le marché de la dette publique d’un État ne vaudront que si cet État respecte les engagements de son programme d’ajustement. Pour le dire simplement, ne seront aidés que ceux qui s’appliqueront la rigueur financière  et les réformes structurelles.

Bref, au moins pour les aspects à mettre en œuvre immédiatement, ce sommet européen est resté dans la ligne de l’austérité et des réformes structurelles comme remède. De fait, le Parlement allemand a avalisé dans la foulée immédiate du sommet les traités instituant le M.E.S. et le Pacte budgétaire (« Traité Merkozy »).

Pour François Hollande, il me semble donc qu’il est bien excessif de parler de « victoire ». Certes, le Rapport sur l’UEM (« Vers une véritable Union économique et monétaire ») a été adopté comme base de discussion, mais c’est tout. Le modèle de politique économique, prôné par l’Union européenne, reste celui d’une austérité accrue (hausse des recettes publiques et baisse des dépenses pour ajuster le solde public) dans un contexte économique de croissance très faible, si ce n’est de récession, et de chômage élevé. Bref, la politique budgétaire va continuer à être fortement procyclique. L’économiste Jacques Sapir pense de même et ajoute qu’en plus, du point de vue strictement financier,  l’impasse se profile dès l’automne.

Pour ma part, je ne voudrais pas avec bien d’autres et sans grande originalité être prophète de malheur, mais à voir les premières annonces du gouvernement Ayrault sur l’ajustement budgétaire qu’il souhaite réaliser – alors même qu’il révise lui-même les prévisions de croissance à la baisse pour 2012 et 2013 , il y a désormais fort à parier que la France s’engage elle aussi dans un cycle à l’italienne.

Dans le fond, la vraie question à se poser désormais ne serait-elle pas de se demander pourquoi les dirigeants européens s’enferrent ainsi?

Première hypothèse : ce sont les institutions européennes qui produisent constamment du compromis et du plus petit dénominateur commun. Les mouvements ne peuvent être que millimétriques, par accrétion lente d’idées nouvelles qui ne suppose pas  d’abandonner les anciennes. En plus, l’usage d’un anglais simplifié dans les discussions n’arrange sans doute rien (voir pour un simple exemple, le petit bout de texte que je cite, pas très français, n’est-il pas?). Ce serait ici appliquer comme outil d’analyse la très vieille idée des anciens Romains : pour décider vite et bien, il faut un « dictateur » et non un Sénat, des Consuls, des Tribuns, de la « gouvernance ». Seule une personne peut avoir et mettre en place des idées nouvelles pour surmonter une situation inédite, pas un collectif d’institutions qui discutent sans fin et défendent leurs intérêts particuliers ou leur vision de l’intérêt général. L’Union européenne représente sans doute l’un des ensembles institutionnels créés par l’homme au cours de l’histoire le plus compliqué qui soit, il n’est guère alors étonnant que cela se passe ainsi.

Deuxième hypothèse : ces choix faits collectivement au niveau européen correspondent à une négligence de fait totale envers les intérêts de ceux qui peuvent être négligés parce qu’ils ont peu de poids politique. Par exemple, d’évidence, les jeunes, et surtout les jeunes  sans qualification, sont sacrifiés. Les 15-24 ans, qui sont actifs au sens des nomenclatures économiques, sont, comme chacun sait, parmi les catégories les plus touchées par le chômage en Italie, en Espagne, ou en France, mais, dans le fond, quel est leur poids politique, quel est le poids politique des parents de ces jeunes-là même pas capables d’étudier jusqu’à 25 ans, de devenir du capital humain? De ce second point de vue, loin d’être l’effet d’une aboulie de la décision, c’est bien une nouvelle économie politique européenne que ces accords européens mettent en place, où une grande partie de la population européenne  compte pour rien. On peut négliger certains – les aspirants travailleurs non-qualifiés par exemple -, pas d’autres – les épargnants -, et s’occuper (vaguement) de la masse des salariés.

7 réponses à “Europe in our times? (II)

  1. Vous avez tout dit, et c’est désespérant. Il faut presque souhaiter , dans une logique léniniste, une crise telle, que ce qui n’était pas possible hier le devienne. On a l’impression que comme dans les années 1930 face au péril de guerre (comparaison osée, c’est vrai ,mais la crise risque d’entrainer une destruction des acquis sociaux de la république), les « diplomates de l’économie financière » s’en tiennent à des techniques seules à même de tout conserver coûte que coûte. Cet état d’esprit des europhiles, pour aller vite un néolibéralisme mâtiné d’une croyance illusoire dans les vertus de l’expertise, mêlé au national-libéralisme (tous les conservateurs au pouvoir en Europe) et au social-libéralisme (de Hollande à Prodi), ne pourra mener qu’à une longue récession à la japonaise et à des effets dévastateurs, comme le montre la montée des courants d’extrême droite en Europe.

  2. En effet, il était très abusif pour Libération de titrer sur « Hollande 1 – Merkel 0 », bien que celle-ci ait pu lâcher du lest sur la supervision bancaire.

    Dans le détail, ce pacte de croissance est un assemblage de propositions déjà existantes ou en préparation qui ne bénéficient que d’un nouvel emballage cadeau. 55 Mds de fonds structurels déjà programmés et fléchés qui ne seront déboursés que dans deux ans pour les 27 pays de l’UE, une augmentation de 10 Mds du capital de la Banque Européenne d’Investissement qui lui permettrait de mobiliser « jusqu’à 60 Mds » de prêts à long terme – certes à bas coûts -, mais qu’il faudra bien rendre un jour ou l’autre, et enfin une phase test pour les fameux « project bonds » à hauteur 230 Million qui pourraient générer 4.5 Mds de financement de la part du secteur privé selon les estimations (très optimistes) de la CE.

    Les Allemands pouvaient bien se permettre d’adopter une telle proposition… On aurait même pu dire que l’UE allait dépenser 1 000 Mds d’euros entre 2014-2020 pour relancer la croissance sans nécessairement mentir…

    Toujours ce vieux préjugés que les débats européens sont inintelligibles au tout venant. Les Français à Bruxelles – d’ailleurs bien conscients du jeu de dupe que l’on a présenté comme une victoire – se félicitent du fait que Hollande a su replacer « la croissance au cœur des débats ». Certes….

    • @MEurope : vous avez raison de souligner que les Mds d’euros évoqués ne vont pas en plus être déboursés dans l’instant. Une grande partie dépend aussi du co-financement national. Et, en plus, certains grands projets d’infrastructures se heurtent -ou se heurteront – à de fortes contestations sociales (cf. conflit autour de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, ou autour de la nouvelle gare de Stuttgart).

      La victoire sémantique de F. Hollande qui réintroduit le mot « croissance » dans le débat européen pourra en effet peut-être s’avérer payante dans la mesure où la récession européenne générale qui menace de devenir réalité, suite aux plans d’austérité des uns et des autres (dont la France de F. Hollande…) devrait (normalement) ramener cet aspect au centre des préoccupations. Il pourra jouer l’air du « je vous l’avais bien dit ».

  3. En attendant, ceux qui peuvent jouer l’air du « je vous l’avais bien dit », c’est les militants, les analystes et les candidats du Front de gauche… ce n’est pas une consolation, mais bon.
    Par ailleurs, pourquoi attendre la « récession » future pour dire « je vous l’avais bien dit »? Tellement de gens l’ont déjà dit. Stiglitz, Krugman, Die Linke, les Grecs etc. etc. Merkel et la CDU allemande (la CSU, ce n’est même pas la peine d’en parler, ce n’est plus un parti politique, mais un asile depuis longtemps) sont manifestement de grands malades, et les « socialistes » français ne sont absolument pas à la hauteur en se contentant de batailles sémantiques au lieu d’engager un rapport de force. Hollande n’est pas sur une ligne stratégique d’attendre que ça soit encore pire pour faire mieux en disant « je vous l’avais bien dit ». Lui et son gouvernement sont sur une ligne libérale orthodoxe, et leur boulot est de faire passer la pilule, au mépris du peuple dont ils n’ont que faire depuis longtemps, fascinés qu’ils sont par leur propre position sociale et le pouvoir.

    • @erikantoine : c’est bien possible que vous ayez raison… en tout cas, c’est sûr que le militant du Front de gauche doit se sentir justifié d’avoir milité comme il l’a fait. Tout se passe comme prévu par le leadership du Front de gauche…

      Pour la coalition CDU-CSU-FDP, il faut bien admettre aussi que la majorité de l’opinion publique allemande reste sur leur ligne. L’Allemand ne veut pas payer! La popularité de Merkel est actuellement à un maximum dans son pays, parce qu’elle semble imposer l’austérité à ces fainéants d’Européens du sud (dont les Français…). Il est vrai que les Allemands savent ce que c’est que l’austérité… Ce n’est pas la raison qui l’emporte ici, mais des images irrationnelles des uns et des autres, que les politiciens les plus importants se gardent bien de contredire.

  4. « La victoire sémantique de F. Hollande qui réintroduit le mot “croissance” dans le débat européen », bof, faut arrêter de croire aux victoires sémantiques, la BCE avait aussi en amont du sommet réintroduit le concept de croissance (Draghi, le 25 avril devant le Parlement) sauf que c’est bien gentil d’écrire « growth compact » à la place de « fiscal compact », mais dans les faits ce sont les mêmes mesures. Je parlerai plutôt d’illusion sémantique donnée à manger à certains acteurs (naïfs) plutôt que de victoires sémantiques.

    • @ MrMiette : c’est vrai que, pour l’instant, les dominants du jeu européen se payent le luxe d’adopter le vocabulaire des dominés sans rien changer en pratique, mais il n’est pas sûr que la détérioration bien réelle de l’économie des pays du sud (Espagne, mais aussi Italie) ne finisse pas par faire sauter la table. A quel pourcentage de chômeurs les dirigeants espagnols ne suivent-ils plus la ligne prescrite? 30%? 40% 50%? Idem en Italie pour la pression fiscale et les restrictions budgétaires. Il se peut qu’à ce moment-là, le mot « growth » prenne un autre sens.

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