Vous vous rappelez de ce chercheur quelque peu exalté qui nous prédisait avant l’élection présidentielle la venue d’un « hollandisme révolutionnaire » sous le coup des événements? Il est peut-être trop tôt pour juger de la pertinence de cette prédiction aventurée d’Emmanuel Todd, mais j’ai vaguement l’impression que l’on n’en prend pas vraiment le chemin. Les décisions annoncées par le gouvernement Ayrault et la récente conférence de presse de François Hollande n’indiquent en effet nullement qu’on serait en train d’aller vers quelque chose qui puisse être nommé de quelque façon que ce soit « révolution » au sens où E. Todd l’entendait sans doute, ou, alors, il s’agit de l’approfondissement de la « contre-révolution libérale » en cours dans nos pays depuis les années 1980. Business as usual. François Hollande lui a d’ailleurs donné un nom dans sa conférence de presse: le « socialisme de l’offre ». Rien de très original en fait dans cette conception pour la social-démocratie européenne depuis les années 1980 : comme le disait dans ces années-là le mantra du Chancelier allemand Helmut Schmidt, « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain qui sont les emplois d’après-demain ». Qu’est-ce que le rapport Gallois, sinon qu’une nouvelle version de cette bonne vieille idée des familles? Il faut rétablir la profitabilité des entreprises françaises pour qu’elles puissent investir et innover, et relancer la croissance et l’emploi à terme. Par contre, c’est peut-être la première fois qu’un dirigeant socialiste français au pouvoir se revendique aussi clairement et aussi tôt dans son mandat de cette approche.
En dehors de toute pression externe (lobbying du patronat, demandes plus ou moins officielles de l’Allemagne, de la Commission européenne, ou des institutions économiques internationales en ce sens, conseils avisés d’économistes bien en cour, etc.), ce choix de F. Hollande ne devrait nullement étonner venant de l’ancien leader d’un parti d’élus locaux comme le Parti socialiste. Pour les plus importants d’entre eux (cf. Paris, Lyon, Rennes, Lille, présidents de Région, etc.), ils ne cessent de promouvoir l’attractivité économique de leurs territoires (villes, départements, régions), mais ils sont aussi en permanence confrontés à la « misère du monde » à travers les fonctions d’accompagnement public de la précarité/pauvreté/vieillesse/handicap qu’ils ont aussi à gérer comme élus locaux (comités communaux d’action sociale, fonction sociale des départements, etc.). Il ne faut donc pas s’étonner que ce « socialisme municipal » du début du XXIème siècle n’ait, une fois arrivé au pouvoir national, aucune propension révolutionnaire. Où rencontrerait-il d’ailleurs la base révolutionnaire d’un éventuel aventurisme en ce sens de sa part? Comment pourrait-il même le concevoir concrètement?
Certes, F. Hollande laisse aussi entendre qu’il ne faut pas se fier à la seule austérité pour relancer la machine économique française et européenne, il se laisse ainsi une porte de sortie au cas où la situation française et européenne tournerait vraiment mal – pour l’instant, tout va bien, n’est-ce pas? On annonce ce jour même, 15 novembre 2012, que la zone Euro se trouve de nouveau officiellement en (légère) récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). Mais, même dans des circonstances vraiment extrêmes, je doute fort que F. Hollande soit prêt à suivre de quelque façon que ce soit les conseils de Mélenchon et Cie. Il se déclare déjà prêt à assumer une hausse continue du chômage en France jusqu’à fin 2013, alors what else?
Bref, il ne nous reste plus qu’à prier pour que la « Fed » sauve la France, l’Europe et le monde. God bless America!
Ps. Une partie de ma « copie » a été corrigée par mes collègues, Rémi Lefebvre et Gérard Grunberg, spécialistes de l’histoire et de la sociologie du PS. Ces derniers interviewés par le Monde en ligne d’hier remarquent eux aussi qu’un gouvernant socialiste n’a jamais annoncé la couleur aussi clairement. C’est bien ce qu’il me semblait aussi… En même temps, comme la popularité du Président Hollande selon les sondages, c’est déjà écroulée depuis mai parmi les catégories populaires (ouvriers) qui avaient eu la faiblesse de voter pour lui au printemps dernier, il aurait mauvaise grâce à se gêner d’être enfin clair sur sa ligne.
Oui, j’ai été moi aussi surpris par les paris de Hollande. Ce n’est pas très sérieux de croire que comme par miracle le cycle va se retourner et que le redémarrage de l’économie pourra ensuite être attribué à sa politique. L’idée d’un socialisme de l’offre est une imbécillité de plus. On n’a jamais vu une crise de surproduction (donc de la demande) se résoudre du côté de l’offre. Je pensais que Sarkozy avait été le pire président de la Vème, mais je crois, hélas, que je me suis trompé. Hollande n’est même pas foutu de faire une réforme fiscale digne de ce nom.
Quand au pari de Todd, cela en devient grotesque…
Bref le confusionnisme règne de partout.
Je suis plus sceptique lorsque vous faites la relation entre le socialisme municipal et la politique de Hollande. Je crois que c’est une erreur. Ce qui explique la politique de Hollande, c’est surtout sa formation HEC et son entourage de patrons et de technocrates gavés par les théories économiques néo-classiques depuis trente ans.
@ alexandre clement : certes, la formation économique et l’entourage du Président Hollande comptent, et on pourrait remonter aux années 1980 pour montrer qu’il avait été déjà associé au « tournant libéral » du PS à ce moment-là, mais je soupçonne aussi que cette ligne « néo-libérale » tient au sein du PS parce qu’elle correspond dans le fond au vécu des grands élus locaux. C’est en fait la vieille idée que le socialisme français (SFIO) a toujours eu des liens particulièrement faibles avec la classe ouvrière, sauf exceptions localisées (nord de la France), et qu’avec les décennies récentes, cela ne s’est pas arrangé du tout.
Hollande mène une politique qui convient bien aux classes moyennes girondines : protéger le pouvoir d’achat des fonctionnaires qui votent socialistes en laissant libre court aux délocalisations, détruire l’état-nation au profit de Bruxelles et privilégier le régionalisme.
@Trubli : on peut dire les choses comme cela… sauf qu’il faut tenir compte aussi de la région parisienne…. les girondins sont dans les murs de la Cité (la ville de Paris)…
Désormais adhérent au Front de Gauche (lorsque la fin de mon doctorat me laisse quelque latitude…), je me souviens des comparaisons alarmées avec mes petits camarades, dès le soir du 7 mai, entre Hollande et Schröder. Sans vouloir apporter, trop facilement, de l’eau au moulin gauchiste du « tout ou rien », il me semble tout de même qu’on ne soulignera jamais assez le formidable effet de verrouillage institutionnel du néolibéralisme. Qu’on y songe quand même, se redonner de véritables marges de choix politique impliquerait aujourd’hui rien moins que : 1) modifier les statuts de la BCE, et pourquoi pas renationaliser les politiques monétaires 2) réinstaurer une saine dose de protectionnisme, y compris en matière de contrôle de capitaux (full disclosure : j’habite au Brésil, grand spécialiste en la matière), 3) réduire drastiquement la ponction des actionnaires sur les profits des entreprises (passée de 4% au début des années 1970 à pas loin de 10% aujourd’hui), 4) réorienter fondamentalement l’épargne vers un pôle financier public qui ait une tout autre allure que la BPI. Tout cela pour rendre seulement possible la formulation d’un nouveau compromis de type social-démocrate…
La question centrale me semble être dès lors : est-il possible amorcer ces réorientations fondamentales sans rupture, par ajout graduel et « superposition » institutionnelle ? Il me semble honnêtement que non, les complémentarités institutionnelles d’une économie politique libérale étant trop fortes (un point ici pour la VOC, dont je ne suis pourtant guère un adepte forcené par ailleurs). Et qu’un gouvernement réticent à tenter l’aventure (ce qui est tout à fait compréhensible, au vu de l’étroitesse de la base politique existante pour un tel projet, comme vous le soulignez à juste titre) se trouvera éternellement voué à s’ « adapter » en poursuivant sa marche sur le sentier néolibéral, avec un visage plus ou moins « humain » évidemment. Qu’Hollande assume ce fait me semble à la limite positif pour la lisibilité et l’imputabilité démocratique, trop souvent malmenées en France par des réformes néolibérale « discrètes » et délibérément obscurcies. Je préfère sincèrement la clarté à l’enfumage et aux tournants libéraux qui se prennent pour de simples « parenthèses ».
Tiens… le « hollandisme révolutionnaire » ! Certains avaient déjà mis en garde au moment de la sortie de Todd ;-)
http://www.marianne.net/L-Bouvet-le-hollandisme-revolutionnaire-On-veut-y-croire-mais_a216459.html
@ Laurent Bouvet : je ne connaissais pas cette interview, mais je dois dire que la lire avec un décalage temporel confirme effectivement tes analyses. Je noterais seulement que F. Hollande au pouvoir, décidément pas révolutionnaire pour un sou du point de vue économique et social, se montre en plus extrêmement timoré sur les « réformes sociétales » que tu anticipais comme une sorte de cache-misère de la gauche. Est-ce là un effet de tes propres analyses? Tu serais en quelque sorte partiellement démenti par le fait même que tu as persuadé certains en haut lieu.
Todd n’y croit plus lui même :
« – Vous avez parlé du concept d’Hollandisme révolutionnaire…
– J’avais bu. »
;-)