Dans le brouillard italien (2) : les rapports de force selon les sondages

Dans mon précédent post sur les élections italiennes de février 2013, j’ai essayé de présenter succinctement les forces en présence. Maintenant, qu’en est-il de leurs rapports de force à quinze jours du scrutin?  Comme il existe en Italie un black-out légal sur les sondages à compter du vendredi 8 février 2013 minuit, j’ai essayé de synthétiser l’état de l’opinion à travers les derniers sondages rendus publics du 4 au 8 février. Cela s’avère d’autant plus facile qu’ils sont tous mis obligatoirement à la disposition du public sur un site officiel, http://www.sondaggipoliticoelettorali.it  depuis une loi du début de la décennie 2000. Ce site, géré directement par la Présidence du Conseil italienne,  est actuellement fermé en vertu de la loi en vigueur.

Pour établir le tableau qui suit,  je me suis intéressé aux bornes les plus basses et les plus élevées attribuées à chaque parti ou coalition, pour le vote à la Chambre des députés uniquement, sans essayer de déterminer quels étaient les sondages présentant la plus grande fiabilité.  Parfois, une borne maximum n’apparait que dans un sondage, idem pour une borne maximale, mais je les ai prises en compte quand même. Ce qui m’intéresse ici surtout, c’est l’incertitude sur le résultat final qui ressort à 15 jours du scrutin de toutes ces données, et de voir quels sont les surprises électorales possibles.

Partis Leader Min Max Coalition
Rivoluzione Civile (RC) – Ingroia

2,9

6,1

Sinistra Ecologia Libertà (SEL) – Vendola Bersani

2,9

4,5

31,0 37,2
Partito democratico (PD)

26,7

32,2

Autres coalisés (SVP, CD, etc.)

0,2

1,6

Movimento 5 Stelle (M5S) – Grillo

13,0

18,8

Fare per fermare il declino (FPFD) – Giannino

0,6

4,2

Scelta civica (SC)- Mario Monti Monti

6,8

11,5

10,8 15,0
Unione di centro (UDC)

2,0

4,3

Futuro e Libertà per l’Italia (FLI) – Fini

0,3

1,7

Popolo della Libertà (PDL) – Berlusconi Berlusconi

17,4

24,0

28,0 34,8
La Destra (D) – Storace

0,7

2,5

Fratelli d’Italia – Centrodestranazionale (Fd’I-CDN)

1,0

4,2

Lega Nord (LN)

2,1

6,2

Autres coalisés (Grande Sud, etc.)

0,3

2,2

Autres partis non coalisés.

0,3

2,2

Quels sont alors les enjeux et surprises possibles de l’élection de la fin du mois au vu de cet ensemble de sondages?

D’abord, le « sorpasso » (dépassement) de dernière minute de la coalition de centre-gauche par celle de centre-droit n’est pas totalement exclu, même si ce serait là la surprise électorale du siècle.  Je suppose d’ailleurs que les leaders du centre-droit vont laisser entendre dans les prochains jours que le miracle se trouve en bonne voie. Quoi qu’il en soit, c’est surtout la tenue de la droite qui devrait intriguer. En effet, au vu des événements qui ont précédé cette élection en 2011-2012 (scandales innombrables désormais, valse hésitation autour du leadership, bilan économique désastreux, etc.), on aurait raisonnablement pu supposer que la droite s’écroule lors de ces élections – et cela d’autant plus que les élections locales précédentes n’ont pas été brillantes pour ce camp et que deux grandes régions (la Lombardie et le Latium) sont conviées ces mêmes 24 et 25 février à des élections régionales anticipées en raison même de scandales liées à des gestions de droite de ces dernières. Il est de fait extrêmement probable que la coalition de S. Berlusconi perde, mais il faudra sans doute bien constater au lendemain de l’élection que « les peuples de droite » à l’italienne sont toujours là. En dehors des aspects identitaires (divers post-fascistes par exemple), je soupçonne fort que la politique fiscale de Mario Monti, dont sa lutte affichée contre l’évasion fiscale de masse (à l’usage de l’argent liquide par exemple), ait agi comme un massage cardiaque sur le grand corps déchiré des droites italiennes.  En tout cas, aussi bien la tonalité du débat en cours que les sondages sur les préoccupations des électeurs italiens montrent que la « question fiscale » se trouve être absolument centrale cette année. Plus profondément, il existe une Italie de l’arrangement avec la loi, du passe-droit comme droit fondamental de l’Homme, et de la fraude fiscale de masse, qui veut se faire représenter au Parlement. On n’y coupera pas…

Ensuite, l’opération « montée en politique » de Mario Monti oscille selon les chiffres publics entre le flop complet et la réussite moyenne. En tout cas, il semble certain  que le camp post – démocrate chrétien, dont M. Monti incarne de fait la résurgence y compris dans le style vestimentaire, n’arrivera pas à inverser le rapport de force établi lors des élections de 1994, lorsque les droites unies par S. Berlusconi dépassent en suffrages exprimés la coalition réunie autour des restes de la majorité de l’ancienne DC (« PPI-Patto per l’Italia »). La représentation majoritaire des électeurs « modérés » semble devoir rester à la droite, et échapper au centre. Surtout, au vu des sondages, les deux listes alliés de M. Monti à la Chambre des députés paraissent particulièrement faibles. Les deux politiciens professionnels de longue haleine, P. Casini et G. Fini, ne sont pas loin de boire le calice jusqu’à la lie.

L’histrion Beppe Grillo devrait réussir son pari de faire entrer le M5S au Parlement. Il oscille selon les sondages entre la bonne performance (plus de 10%) et le triomphe (près de 20%). Cependant, l’horizon médiatique d’attente  à son égard est devenu tellement élevé dans son cas que même une bonne performance (plus de 10%) sera vue comme un demi-échec.

Deux listes non coalisées pourraient dépasser à la Chambre des députés la barre éliminatoire des 4% : Rivoluzione civile et Fare per fermare il Declino. Pour RC, dépasser les 4% ne serait pas vraiment un exploit, dans la mesure où il s’agit tout de même de la réunion de quatre partis parlementaires historiques (deux partis néo-communistes, les écologistes historiques, et « Italie des valeurs »). Ne pas dépasser les 4% signifierait un échec terrible – ou simplement, que les électeurs n’auront pas vraiment apprécié le faux nez que représente cette liste. Inversement, si Fare per fermare il Declino ne dépasse pas les 4%, cela ne serait pas une grande surprise. Frôler ce chiffre serait déjà un bel exploit pour ce groupe ultra-libéral entré en politique à l’occasion de ces seules élections. Faire un score de 1% ou 2% serait honorable. En tout cas, comme je l’indique par ma classification, cette force vient s’inscrire dans le courant anti-partis que représente aussi le M5S. C’est la version « libérale » de ce dernier.  Il faudra additionner les scores du M5S et de FpFiD pour bien saisir l’ampleur de la défiance anti-partisane dans les urnes.

Toutes les autres listes non coalisées devraient disparaître dans le néant d’un score minimaliste. Une seule liste, celle des « radicaux » historiques, Marco Panella et Emma Bonnino, apparait dans certains sondages autour des 1%. Si elle faisait effectivement un tel score, elle aussi s’inscrirait dans le courant plus général de la défiance anti-partisane dans les urnes. Les radicaux sont en effet les premiers à avoir porté ce discours publiquement… dès 1978! (ce qui n’empêche pas le duo Panella-Bonnino d’être parmi les plus vieux politiciens du pays… les chevaux de retour les plus insupportables…)

Parmi les listes coalisées de l’un des deux camps principaux (gauche, centre et droite), l’incertitude me parait particulièrement forte. On pourra avoir là quelques belles surprises : la LN, allié de S. Berlusconi, oscille entre le plouf historique (2%), le maintien à un étiage médiocre (4%), voire l’exploit inattendu (6%). Idem pour les deux listes post-fascistes.

Au total, si l’électorat ne bouge pas trop d’ici les 24/25 février, le plus probable reste donc une victoire plutôt médiocre du centre-gauche et une défaite plutôt honorable des droites, mais surtout une représentation parlementaire divisée au moins à la Chambre des députés entre cinq blocs (RC, centre-gauche, M5S, centre, droites). On se retrouverait en plus avec une myriade de petites et moyennes entreprises partisanes qui entreraient ou rentreraient de nouveau au Parlement, grâce au fait d’être lié à l’un des trois grandes coalitions. Cet éparpillement partisan serait tout le contraire des élections de 2008, qui avaient vu une rationalisation de la représentation parlementaire italienne. Cela annonce un retour aux belles tractations parlementaires d’antan…

Je ne dirais rien ici du rapport de force au Sénat, qui préoccupe tant les analystes italiens (et pour cause). Il me semble qu’à ce stade, l’équation est  impossible à résoudre. Et cela d’autant plus que les électeurs italiens en ont tellement entendu parler que cela peut impliquer des comportements stratégiques de masse aux effets inattendus. C’est en effet un argument possible de vote pour la gauche, éviter l’ingouvernabilité du pays.

3 réponses à “Dans le brouillard italien (2) : les rapports de force selon les sondages

  1. « Dans le brouillard italien » est très bien choisi, même si le brouillard a presque disparu de sa capitale, Milan (il y fait trop chaud; à Milan une fois les match de foot étaient souvent à risque brouillard, maintenant non; ah, quand on dit le progrès).
    L’analyse est minutieuse, et si on la lit avec attention (et mon état d’âme d’italien triste), on arrive à dire que il y a déjà tout: dans le brouillard, on ne voit rien « au delà ». Donc voilà, on avance, prêt au « toc », ou à l’ennième absence de « toc ».

  2. Il y a un papier complet (avec données et code, pour réplication) sur les données du site que vous citez. Le centre-gauche gagne la Chambre et perd le Sénat.

    • @ Fr : effectivement, ce papier très complet (puisqu’il part de l’automne 2012) devrait permettre de confronter le résultat électoral effectif avec les tendances repérées dans les sondages. La question est alors : par rapport à cette prédiction d’une majorité nécessairement composite gauche et centre, y aura-t-il une surprise électorale au final? Le score du M5S est par exemple très incertain. Le succès des meetings de B. Grillo (le « Tsunami Tour ») semble impressionner certains observateurs, cela se traduira-t-il dans les urnes?

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