Dans le brouillard italien (3) : la campagne électorale, business as usual?

Certains observateurs de la présente campagne électorale ont tendance à y voir une campagne pas comme les autres, ne serait-ce que parce que le vote aura lieu un dimanche et un lundi de fin février, en plein hiver, ce qui ne s’était effectivement jamais produit dans l’histoire républicaine depuis 1946. Selon eux, à cause de cette campagne hivernale, tout se passe désormais à la télévision – et sur Internet.

Très franchement, il y a bien un siècle, ou plutôt, cela date de l’autre siècle que le gros de la campagne électorale se déroule dans la petite lucarne… L’introduction de la publicité télévisée date des années 1980 en Italie, et la grande loi actuelle qui régit la campagne à la télévision date de 2000. On aurait sans doute pas pris une telle loi (la fameuse « par condicio »), si polémique par ailleurs, si toutes les campagnes électorales ne s’étaient pas joué à la télévision depuis au moins les années 1990. Il faut aussi préciser que, contrairement à la France, il existe à la fois les chaînes de télévision nationale, hertziennes et/ou satellitaires, et de nombreuses petites chaînes régionales hertziennes. En général, quand on parle de rôle de la télévision, on oublie ces petites chaînes, où il existe aussi une place pour la campagne électorale. En tout cas, il serait plus juste d’affirmer, qu’encore une fois depuis les années 1980, la télévision aura été le lieu primordial d’information sur la vie politique – et, donc, de représentation et d’expression des candidats en lice.

Inversement, il serait faux d’affirmer qu’en raison des frimas, tout se passe uniquement à  la télévision.  Les réunions publiques n’ont pas disparu. Grâce à Internet, au service Twitter en particulier, on peut en avoir la preuve en temps réel. Alors qu’autrefois (encore en 2008), il aurait fallu se procurer toutes les pages locales de la presse régionale ou les pages locales de la presse nationale, pour avoir écho de ces myriades de réunions partisanes organisées dans tous les coins du pays, aujourd’hui, on peut se rendre compte que tous les partis organisent peu ou prou une mobilisation capillaire de leur base traditionnelle, ou de secteurs de la société civile qu’ils croient pouvoir mobiliser en leur faveur. Lorsque le chef d’une grande coalition se trouve présent (Berlusconi ou Bersani), on retrouve des formats typique des campagnes électorales précédentes. Cela peut se situer dans un lieu clos ou dans un espace urbain ouvert en fonction de l’audience attendue en taille et en qualité. Rien de très neuf là aussi.

Mais alors que faites-vous de la campagne de Beppe Grillo? De son« Tsunami tour » comme il l’appelle lui-même. En dehors du succès qu’il semble bien rencontrer en terme d’audience, je reste frappé par l’utilisation de codes bien établis de la politique italienne. Tout d’abord, faire le tour de la péninsule en camping-car comme il le fait, c’est revisiter une méthode classique de marquage du territoire lors d’une campagne électorale. Lors des élections régionales de 2000, il me semble bien que Berlusconi avait fait le tour de la Péninsule dans un ferry (sic) spécialement affrété.  Prodi avait déjà fait le coup en bus en 1996, et Rutelli avait utilisé un train spécial en 2001. Je me rappelle d’ailleurs avoir croisé en 2001 dans une gare un collègue politiste italien amenant ses étudiants en communication politique voir la chose de près. Bref, le tour de l’Italie, à la base, dans un moyen de transport un peu original si possible, ce n’est pas une invention, ni non plus les meetings à chaque étape.

Sur l’art oratoire de B. Grillo, je ne peux m’empêcher par ailleurs de l’inscrire dans la série déjà fort longue des « leaders histrioniques » de la politique italienne depuis 1970 – dont Berlusconi lui-même constitue malgré sa réputation internationale en ce sens une forme atténuée. B. Grillo est le petit-fils de Marco Panella et le fils d’Umberto Bossi. Le côté hurlé et décousu du discours, qui passe du coq à l’âne, avec une pointe d’humour vache, tout en parlant de tout ou presque, de B. Grillo, me fait indubitablement penser au Bossi de la grande époque (avant son ictus cérébral de 2004). Sur le contenu, il s’inscrit dans le vieux filon italien de la dénonciation radicale de tous les politiciens, filon ré-inauguré dès le milieu des années 1970 par le nouveau Parti radical  de Marco Panella.  Il est d’ailleurs frappant que les autres candidats utilisent le même terme, la « protesta » (la protestation), pour délégitimer les prétentions du M5S à pouvoir gouverner quoi ce soit, qu’à propos de la LN au début des années 1990 dans la même optique, ou du PR dans les années 1970. L’opposition historique « politica »/« protesta » est  redevenue structurante lors de ces élections. Par ailleurs, B. Grillo n’est, si j’ose dire, vraiment pas le seul sur le même créneau. Le leader du petit parti néo-libéral Fare per fermare il Declino, O. Giannino, s’inscrit dans la même veine… Le leader de la liste Rivoluzione civile s’essaye aussi à cette dénonciation, mais en tant que juge par sa profession, il appartient trop à la classe dirigeante italienne et à ses bisbilles internes pour qu’il soit aussi crédible que les deux précédents.

Les vraies nouveautés se trouvent plutôt dans la mise en valeur de tout ce qui existait déjà par les vertus d’Internet. Tout ou presque est disponible : les programmes, les images des meetings, les vidéos des interventions, etc. . Cela n’est pas seulement le résultat de l’activité des partis eux-mêmes, ou, bien du réseau social anonyme, mais aussi des médias traditionnels italiens (journaux et télévisions). Ainsi tous les grands journaux italiens – en dépit de la crise économique majeure qui les frappe actuellement, en particulier le Corriere della Sera – mettent à disposition des pages spéciales élections, qui essayent de mettre de l’ordre dans ce « tsunami informationnel ». A dire vrai, les journaux italiens avaient déjà une longueur d’avance sur les journaux français lors des précédentes élections, ils la gardent. Cette fois-ci, La Repubblica a ainsi développé une sorte de « twitt fight »: le Twitterometro, qui permet de suivre l’activité sur ce média participatif des principaux candidats. On peut suivre aussi en temps réel le nombre de suiveurs de chaque candidat…  D’ailleurs, si j’avais un pari à faire, c’est que le candidat qui a le plus augmenté ses chances de faire un résultat électoral surprenant grâce à ces moyens modernes, n’est autre que O. Giannino. Le simple fait d’être bien au point sur ces derniers lui a donné l’accès à l’arène des candidats à prendre en compte pour rendre compte du spectacle que représente en 2013 (comme en 2008, 2006, etc.) la campagne électorale – alors qu’il ne représente vraiment rien de rien en terme d’expérience électorale préalable (contrairement au M5S, à RC, ou même aux Radicaus). Est-ce dû au fait qu’il est soutenu par un petit groupe d’économistes italiens néo-libéraux installés aux États-Unis, qui auraient transféré ainsi des technologies de mobilisation électorale? Est-ce dû au biais libéral des grands journaux italiens, bien content de trouver un candidat qui les représente vraiment?

En résumé, malgré sa brièveté, deux mois à peine, la campagne électorale d’hiver peut être considérée comme réussie – ou, du moins, normale. Tous les instruments de mobilisation, d’information, de confrontation, anciens et nouveaux, ont été déployés sans problèmes particuliers. Si la participation électorale s’avérait faible au total, il ne faudra surtout pas accuser l’hiver, mais bien le contenu de ce qui a été proposé aux électeurs. Si elle s’avérait forte,  il faudrait y voir le résultat de tous ces efforts!

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  1. A reblogué ceci sur Rosa.

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