La démission du gouvernement Valls I et sa reconstitution immédiate sous forme d’un Valls II épuré de ces (rares) éléments (supposés) gauchistes constituent d’évidence l’aboutissement d’un parcours commencé dès l’été 2012. Contrairement à ce qui a été beaucoup écrit et contrairement à ce que prétend le Président de la République lui-même en mettant en avant son Pacte de responsabilité de janvier 2014, la ligne économique et sociale est toujours restée la même. Je l’ai moi-même constaté en la suivant au jour pour les besoins d’un article de politique comparée en anglais, devenu ensuite un working paper en français (disponible sur le site de l’IEP de Grenoble). Pourtant présente dès l’été 2012, elle était relativement indicible au début du quinquennat, parce qu’elle reste bien trop choquante par rapport aux attentes (classiques) du « peuple de gauche ». Maintenant, elle peut apparaître en pleine lumière. Le dit « peuple de gauche » a fait défaut aux municipales et aux européennes, il ne reviendra sans doute pas voter pour le PS aux régionales de l’an prochain. Les dégâts en matière de postes électifs et de prébendes associées sont en fait désormais largement acquis, et il n’est pas utile de pleurer sur les pots de lait renversés. Le Président Hollande peut donc faire ce qu’il croit être bon pour le pays sans plus s’occuper de ces aspects électoraux propres au PS. Il est donc possible de ne plus cacher un Emmanuel Macron dans les couloirs de l’Élysée, il est même devenu jouable de l’exposer en pleine lumière au Ministère de l’Économie. Ce n’est là finalement que justice, puisque cet inspecteur des finances, passé par la Banque Rothschild, était le principal conseiller économique du Président Hollande depuis son entrée en fonction en 2012. Comme il se trouve sans doute largement être l’un des responsables des choix économiques faits depuis lors, il est logique, et honnête vis-à-vis des électeurs, qu‘il assume son bilan présent et à venir. Les électeurs sauront en effet au moins qui vouer aux gémonies si toute celle telle mécanique de « redressement » ne fonctionne pas. Même remarque pour Pierre Gattaz, l’actuel dirigeant du MEDEF, qui semble désormais approuver pleinement la ligne suivie par le gouvernement Valls I et annoncée pour le gouvernement Valls II. Les médias parlent à très juste titre de « clarification ». La « désinflation compétitive » des années 1980 connaitra donc son digne héritier dans la « dévaluation interne » des années 2010. De ce point de vue, l’augmentation du chômage, inexorable selon ce que les économistes prévoient, n’est nullement une mauvaise nouvelle pour le gouvernement Valls II, puisqu’elle signifie une plus grande modération salariale encore, ce qui est bien l’effet recherché. En effet, si la France veut tenir le rythme de la baisse des coûts du travail face à l’Espagne et au Portugal (et à l’Allemagne dans une moindre mesure), il faudra encore faire quelques gros efforts, et quelques points de chômage supplémentaire auront un effet disciplinaire bienvenu sur les aspirants et actuels salariés. (Si la France entrait vraiment en déflation, il faudra aussi penser à baisser les traitements des fonctions publiques, le SMIC et les minima sociaux…, à la manière grecque, mais là j’ai peur que cela coince un peu tout de même.)
Maintenant que les choses sont claires, il reste un tout petit détail à régler : les quelques députés socialistes qui avaient, soit mal compris en 2012 le fond de la pensée de F. Hollande par simple naïveté militante (pourtant ce n’est pas faute d’avoir été prévenu par l’histoire du PS depuis 1981), soit voulu mal comprendre par espoir fort déplacé que cela ne soit pas ainsi et que l’on puisse changer le rapport de force de l’intérieur. Le gouvernement Valls II va demander un vote de confiance à la Chambre des députés : toute la question est désormais de savoir si les « frondeurs » et autres mécontents supporteront l’humiliation que F. Hollande et M. Valls viennent de leur infliger ces trois derniers jours. Est-ce que d’ici ce vote de confiance des mesures, même parfaitement symboliques, seront prises pour leur éviter de perdre totalement la face? de ne pas finir par être les Gérard Filoche de service? soit une de ces personnes, pour moi au final un peu étranges du point de vue de la décence ordinaire qu’on attend dans l’espace public, qui perdent tous les combats internes à leur parti et qui font mine d’y croire encore? Le partisan du nucléaire civil chez les Verts, de l’augmentation des minima sociaux à l’UMP, ou de l’immigration de masse au FN…
Avec la réaffirmation d’une ligne économique « approuvée par le MEDEF » et la nomination d’un E. Macron à un poste ministériel d’une telle importance et visibilité, le duo Hollande-Valls n’est-il pas en effet allé trop loin dans l’humiliation de certains? Le duo compte visiblement sur la peur supposée de ces députés de « tuer le PS » en provoquant la dissolution de l’Assemblée nationale qui résulterait de leur refus de voter pour ce gouvernement Valls II et surtout de finir ainsi sans gloire leur carrière politique ? Certes, nos « frondeurs » peuvent avoir peur pour leur avenir personnel, mais Hollande et Valls ont-ils bien fait leurs calculs? Bien sûr, ils les connaissent bien mieux que moi, ces élus de base, et ils peuvent bien juger d’expérience pour avoir participé, directement ou indirectement, à leur sélection que ce sont tous des « petites bites » sans courage, des « employés du mois », mais qui sait? Cela pourrait mal tourner. F. Hollande n’aurait plus alors qu’ à dissoudre et attendre la victoire probablement écrasante de l’UMP-UDI-Modem. L’opposition en cas de dissolution et de victoire de son camp a en tout cas raison d’annoncer qu’elle refuserait toute cohabitation avec F. Hollande. Espérons qu’elle tienne jusqu’au bout cette (bonne) résolution, car cela permettrait au moins de montrer que le PS à la Hollande ne mène qu’à une impasse et d’espérer débarrasser durablement la gauche de ce parti. Cette démission forcée de F. Hollande rétablirait au moins l’espoir d’une gauche qui resterait loyale à l’avenir à ses électeurs.
En tout cas, vu cette orientation économique et sociale réaffirmée, il ne faudra pas venir se plaindre ensuite de tout ce qui arrivera ensuite électoralement à la « gauche de gouvernement ». Le modèle de la manœuvre en cours, le SPD lui-même, ne s’est d’ailleurs pas complètement remis des années Schröder, pour ne pas parler du PASOK ou des socialistes hongrois et polonais. Il ne faudra pas se lamenter non plus de la hausse de l’abstention, il ne faudra pas se désoler outre mesure non plus si une bonne part des électeurs pensent que « l’UMPS » en matière économique et sociale existe bel et bien, et qu’ils en tirent certaines conséquences pour le moins désagréables.
Enfin, maintenant, au moins, c’est sûr, la France va se redresser! Je m’en vais de ce pas consommer, emprunter, faire la fête.
Merci. Ce changement de gouvernement a fait des vagues: Voir aussi:
http://bit.ly/1p8iEOT
http://bit.ly/1p8iBCG
http://bit.ly/1p8iJ5g
Le vote de confiance risque de passer. Mais la moindre loi sera dangereuse pour la survie du gouvernement. 2 ans et demi, c’est long, très long…
Faute de majorité à l’assemblée, Hollande pourrait choisir le référendum sur le Pacte de responsabilité avant de démissionner…La démission étant inévitable, il pourrait se gausser d’un peuple ayant décidé de son propre malheur….
@ madeleine : je ne crois pas à l’hypothèse du référendum sur quelque sujet que ce soit : le pouvoir le perdrait, même s’il proposait de « raser gratis », dans toutes les éventualités. Cela équivaudrait à une démission de fait.
A mon avis : les frondeurs n’iront pas jusqu’à voter la défiance au gouvernement, ils se contenteront de ne pas voter certains textes. Il est probable que des députés de droite et du centre apporteront l’appoint des voix qui manqueront à Valls. Ce sera une coalition UMPS qui ne dira pas son nom et qui évitera à l’UMP d’avoir à cohabiter avec le PS, puisque visiblement la droite craint encore plus une dissolution que le PS…
@ Albert : hypothèse fort probable effectivement.
Seule satisfaction dans cette sordide histoire : peut-être les politologues et éditorialistes TV autorisés vont-ils enfin accorder au PS son fameux brevet de « Bade Godesberg / brevet de légitimité bourgeoise » ? Je remarque sinon dans nos chers et si compétents médias que les vocables « social-démocrate » et « social-libéral » sont maintenant utilisés à l’envie comme de parfaits synonymes, à quand un terme plus simple comme « social-sérieux » ou « social-moderne » ? Vive la réforme !
@ Nicolas : oui, vous avez raison, mais voilà qui est dangereux à terme pour le PS. Tout le génie de ce parti (sans base ouvrière depuis belle lurette) a toujours été de faire croire qu’il était justement dans ses dirigeants encore un peu marxiste, un peu radical, un peu de gauche égalitariste à l’ancienne, ce n’est plus du tout le cas depuis au moins le début des années 1980 (et en remontant à la SFIO… ). Admettre publiquement que le PS a été en réalité « blairiste » avant Blair, « shröderien » avec Schröder, etc. reviendrait à dessiller les yeux de trop de militants, de sympathisants, d’électeurs, un peu couillons tout de même de s’être fait prendre à ce jeu.
Entièrement d’accord avec tout ce qui a été dit. Et j’aimerai aussi insister un peu plus sur ce passé/présent de banquier d’affaires, et des contorsions mentales inimaginables de certains représentants gouvernementaux clamant que rien n’a changé depuis le Bourget la volonté d’Hollande de remettre l’industrie au cœur de la politique économique, limiter le poids de la finance, bla bla bla. Au niveau du symbole (ce qui représente quand même 90% du travail effectif d’un ministre), on n’est certes pas à la hauteur de la beauté du cas Cahuzac mais pas loin. Et d’ailleurs, pas UN article de journal n’a relevé la potentialité d’un conflit d’intérêt. Comme si Rothschild n’avait absolument rien à faire de la politique économique française… conflit d’intérêt qui existait d’ailleurs au préalable, vu que Macron était déjà un des négociateurs français principaux lors de la crise de la zone euro.
@tdlyon2 : « conflit d’intérêt », mon Dieu, quel concept barbare! En tout cas, au moins, comme je l’ai dit, les électeurs sont désormais au parfum avec Macron ministre (qui en plus a eu la bonne idée d’ouvrir son cœur au magazine le Point quelques jours avant : un vrai et authentique libéral pur jus qui s’ignore en plus!)
Excellent billet. Enfin quelqu’un pour pointer du doigt ces « petites bites », les vrais coupables du délitement de la gauche en maintenant la confusion.
Mais en ce qui me concerne, je ne pense pas du tout que ce soient là des « petites bites » et Hollande fait sans doute le même pari. Il s’agit simplement de faux-culs (l’appellation polie et traditionnelle: pharisiens) qui veulent avoir le beurre (le poste) et l’argent du beurre (la bonne conscience de gauche). Nous en connaissons tous, au boulot ou ailleurs. Ils ont beaucoup de grands mots à la bouche mais au moment décisif ils agissent suivant leurs intérêts personnels.
Et je pense que leurs électeurs sont du même tonneau, ce que Hollande doit se dire aussi (derniers résultats de la « vraie gauche » à l’appui). Je le vois essayer de gagner les prochaines élections présidentielles en misant sur la désintégration de l’UMP (qui se reporteront sur « le PS de droite ») et une victoire facile face au candidat FN au second tour.
@ MonPseudo : c’est vrai que le terme de « pharisiens » est bien plus élégant et classique, j’aurais pu y penser. Pour 2017, si le calendrier est respecté, je doute beaucoup que la droite n’arrive pas à se regrouper d’ici là, et, dans ce cas-là, un certain F. Hollande s’il a l’outrecuidance de se représenter aux suffrages populaires peut être certain de ne pas être au second tour si Marine Le Pen est encore de ce bas monde à ce moment-là.
Je m’avance certainement, mais en quoi un « vote de défiance » aurait il pour conséquence (nécessairement) la dissolution ? Si les élus « légitimistes » (PS) n’y ont pas forcément intérêt – les frondeurs pourraient néanmoins en tirer profit à titre personnel, pour leur « respect des valeurs de gauche » – M. Hollande n’a pas non plus de raison de céder à pareil « choix ». Il peut se contenter de suspendre l’actuel PM de ses fonctions pour le remplacer par un « profil » plus convenable pour la « majorité ». Ce faisant, il gardera la main, alors qu’en procédant à une dissolution, le nouveau PM peut l’exclure complètement du « jeu ». (Même si M. Hollande peut limiter la casse, en nommant un PM plus « coulant » que celui espéré par le FN ou à l’UMP.)
Le vrai danger, pour le PM actuel et M. Hollande, ne serait il pas que les « frondeurs » (peut être avec le soutien des élus EELV et Front de Gauche, via une alliance « gauche plurielle » favorisée par Martine, Arnaud et Cécile ?) s’accorde sur un nom de PM apte à remplacer M. VALLS ? Et cela, avant le fameux « vote de confiance » ?
Juste une question pour finir : j’ai lu que le Gouvernement entendait procéder, sur des domaines relevant de la loi, par ordonnance. Or, ce Gouvernement n’a reçu (pour l’heure) que la « confiance » du Président, pas celle du Parlement. L’autorisation donnée par les élus au Gouvernement précédent, vaut elle donc pour un nouveau Gouvernement qui n’a (pour l’instant) qu’une légitimité réduite ?
Autrement dit, en l’absence d’une vraie légitimité – conférée par le double seing de l’Exécutif et du Législatif – le Gouvernement peut il agir comme s’il l’était déjà ?
@ seb : la confiance est passée, mais il est certain que si elle ne l’était pas, il aurait fallu dissoudre, car un F. Hollande ne peut accepter une ligne plus à gauche que celle qu’il suit. Il peut subir une cohabitation avec la droite, mais pas une cohabitation avec la « gauche de gauche » qui l’obligerait à révéler clairement qu’il se situe lui-même dans une autre gauche que celle-là. C’est une question d’affichage des positionnements.
Pour les ordonnances, il faut qu’un loi soit votée par le Parlement habilitant le gouvernement à opérer de cette manière. Le gouvernement Valls II, même s’il s’était passé d’une question de confiance, aurait dû y faire recours. Probablement dans les semaines qui viennent, on aura peut-être le vote d’une loi d’habilitation, et là encore les « frondeurs » fronderont si ce qui est proposé leur est inacceptable.
Merci pour votre réponse. Je comprends votre raisonnement, même si j’ai du mal avec cette histoire d’affichage. L’actuel PM suscitant l’irritation de beaucoup, il me semble qu’un remplacement par quelqu’un qui a une image plus à « gauche » sans être un « révolutionnaire » (personne n’exige de M. Hollande qu’il prenne pour PM M. Besancenot ou le clone d’Arlette Laguiller !), au lieu de procéder à une dissolution, eu été possible. Martine (Aubry), Christiane (Taubira) auraient été de bonnes candidates à mes yeux !
Merci pour la précision concernant les ordonnances. J’avais des doutes sur la question !
Pour en revenir à cette question de « confiance » pensez-vous que les « frondeurs » ont atteint leur objectif en s’abstenant ? Le PM semble, en effet, disposer de 253 voix « socialistes » dont une bonne quarantaine qui n’ont pas signé le fameux « appel des 100 » et 8 qui ont signé « l’appel des 100 ».
Pensez-vous que cette nouvelle configuration – même si le PM peut souffler ce soir grâce à M. Sarkozy qui « revient » (forçant mécaniquement les « frondeurs » à taire leurs dissensions ?) – puisse contraindre le PM à négocier plus les textes soumis aux élus ?
@ seb : le refus de la part de F. Hollande de même prendre en compte un recentrage à gauche tient sans doute à ses proches choix idéologiques, à sa perception de l’état de l’opinion publique, et à son refus de tout conflit ouvert avec l’Allemagne d’A. Merkel. De fait, F. Hollande a refusé d’assumer en Europe le leadership « anti-austéritaire » qui aurait pu être le sien en 2012, et le choix de Valls, surtout après l’éviction de Montebourg, confirme cette ligne.
Pour les « frondeurs », à mon avis, ils obtiendront au mieux de petits symboles, comme la petite prime de 40 euros pour les petites retraites. Sur les grandes lignes de la politique économique et sociale, cela ne risque pas de changer officiellement, même si F. Hollande a annoncé qu’il n’augmenterait plus les impôts et ne diminuerait pas plus les dépenses – donc implicitement qu’il laissera aller le déficit, et que, logiquement, il va finir par se heurter au mur berlino-bruxellois.