Depuis hier soir, les choses commencent de nouveau à se préciser très sérieusement en matière de rapports entre la démocratie et l’Union européenne. Ce lourd dossier risque de s’alourdir encore d’un nouvel épisode. La Banque centrale européenne a décidé de suspendre un de ses moyens de refinancement des banques grecques, puisque le nouveau gouvernement d’Alexis Tsipras n’entend pas poursuivre sur la voie des memoranda signés par ses prédécesseurs. Il y avait déjà eu il y a quelques jours la déclaration fort claire du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, selon laquelle les règles européennes l’emportaient sur les demandes formulées par un peuple européen à travers sa démocratie nationale. Depuis hier soir, il devient évident qu’au delà des seules déclarations qu’il s’agit de faire pression sur le nouveau gouvernement grec pour qu’il accepte de revenir sur ses promesses de campagne, et pour qu’il continue à appliquer une politique d’austérité, dont même le (très gauchiste) Président des Etats-Unis, Barack Obama, a souligné récemment et publiquement la bêtise du point de vue économique.
Dans le cadre français, on commence donc à bien comprendre pourquoi le FN de Marine Le Pen avait tant apprécié la victoire électorale de l’extrême-gauche grecque. En effet, si la BCE, l’Allemagne de Mme Merkel et ses alliés, et la Commission européenne de J.C. Juncker, arrivent finalement à rendre nulles et sans effets toutes les promesses faites à leurs électeurs par les deux partis composant le nouveau gouvernement grec en menaçant la Grèce d’expulsion de la zone Euro, tous les partis souverainistes, nationalistes, europhobes, du continent tiendront là leur démonstration ultime par a+b qu’il n’y a vraiment rien du tout à attendre d’une Union européenne fâchée avec toute idée de démocratie nationale, du moins de démocratie nationale chez les Etats vassaux d’un centre formé par l’Allemagne et ses alliés. L’humiliation infligée au gouvernement Tsipras (y résisterait-il d’ailleurs?) éduquera certes les électeurs des autres pays tentés de se plaindre, dont bien sûr nos concitoyens. Cela montrera par ailleurs aux militants de l’extrême droite que les gauchistes comme A. Tsipras & Cie ne sont pas comme prévu à la hauteur de la situation, et que seuls des nationalistes (de droite), des « patriotes », sont prêts à aller à l’affrontement avec l’Union européenne au nom de la souveraineté du peuple. Quel magnifique résultat cela va être, vraiment. I’m so happy.
En outre, que le bloc des austéritaires gagne ou doive tout de même admettre un compromis avec le nouveau gouvernement grec, toute cette affaire grecque continuera à constituer une démonstration sans fin que la « solidarité européenne » ne reste au mieux (ou au pire?) qu’une réalité financière: chaque dirigeant européen autour de la table du Conseil européen est d’abord et avant tout le représentant de ses électeurs, et il s’avère incapable de prendre en compte les besoins et les souffrances des populations des autres pays de l’Union européenne. La Grèce constitue pourtant un cas d’école en la matière : tous les chiffres disponibles montrent que la situation sanitaire, économique et sociale de la population grecque est alarmante, que les évolutions depuis 2010 en la matière contredisent les promesses de bien-être faite dans les Traités européens aux peuples de l’Union européenne. Cependant, cet aspect de « bonheur national » (qui est d’ailleurs censé guider depuis peu les politiques publiques des pays de l’OCDE) ne joue vraiment aucun rôle dans le grand jeu en cours. Les bases sociopolitiques, émotionnelles, affectives, du « fédéralisme de la zone Euro », que d’aucuns (comme le groupe Eiffel) réclament comme la solution institutionnelle à la crise de l’Euro, semblent se défaire sous nos yeux à mesure que celle-ci avance. Certes, il existe aussi l’affirmation de courants d’opinion transnationaux de solidarité (en l’occurrence de soutien par une partie de la gauche européenne au gouvernement Tsipras et à ce qu’il représente), mais, pour l’heure, ces courants s’avèrent très minoritaires (pour ne pas dire plus) au niveau des gouvernements qui dominent l’Union européenne.
Et, là, je ne parle même pas de la possibilité que tout cela finisse par un « Grexit », une sortie contrainte de la Grèce de la zone Euro. Cela serait la démonstration que l’Euro n’est pas irréversible, juste une question de convenance, vraiment le début de la fin pour l’Euro et l’Union européenne. Vraiment un trop beau cadeau pour le FN et quelques autres.
Si la BCE continue comme cela, elle va devenir le « fiscal Léviathan » imaginé par Varoufakis quand il n’était encore qu’économiste, et qu’il imaginait une résolution de la crise de plus en plus européanisée, mais despotique…!
@ Fab Escalona : du coup, je parierais que Varoufakis mise tout sur le fait que la BCE, fédérale par essence même, ne peut pas laisser tomber la Grèce hors de l’Euro, et qu’il essaye d’en jouer pour faire céder les austéritaires.
Oui ! paradoxalement la BCE pourrait se révéler sa meilleure alliée, surtout si on en juge d’après l’ambiance des réunions de l’Eurogroupe, telle qu’elle est rapportée dans la presse