Il n’est sans doute rien de pire pour un homme ou une femme politique de laisser entrevoir ses motivations profondes aux électeurs, surtout quand celles-ci correspondent d’évidence à la simple recherche du pouvoir pour le pouvoir. Tout le monde en est du coup dessillé, et ce n’est pas beau à voir. La pornographie n’est décidément pas l’érotisme.
Avec le maintien au soir des fêtes de Noël de sa proposition de rendre possible par la voie d’une réforme constitutionnelle la déchéance de nationalité des terroristes définitivement condamnés disposant d’une autre nationalité, notre cher François Hollande s’est fait flasher par le radar à 250 à l’heure sur l’autoroute de sa bien improbable réélection. Pour A. Schumpeter et A. Downs, c’est donc « Jeu, set et match! » C’est en effet encore une fois bel et bien confirmé: l’homme politique ordinaire, normal, ne veut aucune politique publique en particulier, il n’a aucune valeur morale à défendre, les politiques publiques ne sont que des outils pour arriver au pouvoir et s’y maintenir, le politicien normal ne veut que son élection et sa réélection pour jouir du pouvoir comme pouvoir. Quod demostrandum erat.
Et le pire, c’est que tout le monde l’a vu, et que toutes les personnes (y compris à droite) qui ont un minimum d’attachement aux valeurs républicaines sur ce point et qui ont un minimum de compréhension du « symbole », comme dit quelque peu naïvement M. Valls que cela constitue, l’ont reçu comme un coup de poing à l’estomac. L’écart s’avère tellement abyssal entre les déclarations d’avant 2012 de Hollande, Valls & Cie sur cette fameuse déchéance de nationalité des binationaux et la position affirmée lors de son discours devant le Congrès en novembre 2015 et réaffirmé en décembre 2015 qu’il n’est que bien trop facile de comprendre le caractère opportuniste de la mesure. Le sel que le FN par la voix de son vice-Président se fait un plaisir de rajouter à la plaie (« c’est un bon début…« ) ne peut que rendre la chose plus haïssable encore.
Mais rester à l’Élysée pour cinq ans de plus vaut bien une messe (noire), n’est-ce pas? Et que sont les valeurs n’est-ce pas au regard des carrières à poursuivre jusqu’au bout de la longue nuit qui s’annonce, n’est-ce pas Madame Taubira, n’est-ce pas Mesdames et Messieurs les député(e)s socialistes? Pauvres croyants du socialisme humaniste, méritiez-vous cependant cette déconvenue finale? L’opinion publique a la haine (comme l’ont montré les sondages), elle veut donc du sang, et bien on va lui en donner, au moins symboliquement. Faute de pouvoir rétablir la peine de mort, le supplice de la roue, les galères, ou le bagne, on se contentera – bel adoucissement des mœurs à la N. Elias – de la déchéance de nationalité, c’est juste pour apaiser les passions du brave peuple de France, si inquiet, si meurtri, si stupide aussi! Si cela peut lui faire plaisir… certes, cela ne sert à rien dans la lutte contre le djihadisme, mais cela soulage les bas instincts de vengeance de la populace, c’est déjà ça. Et tant pis, si cela revient à donner un argument de plus à la propagande djihadiste qui n’avait sans doute pas rêvé de réussir une aussi grosse manipulation de notre société si facilement. Deux attentats, certes bien sanglants, et hop, on tombe dans le panneau comme les braves couillons de Gaulois semi-barbares que nous sommes.
Je m’épuiserai à citer tous ceux qui se sont indignés de cette mesure qui va dans le sens des aspirations du Front national, et qui justifie l’idée qu’il ne saurait y avoir dans notre beau pays de criminels et de délinquants que parmi les étrangers ou parmi ces Français de papier (et non de bonne race gauloise) qui en usurpent le titre. Une très éminente collègue, Virginie Guiraudon, a bien montré à quel point cette proposition symbolise pour le coup une France assez prompte à rejeter tous ses ennuis internes sur autrui.
Enfin, il y a cependant une espérance. Si notre cher F. Hollande persiste sur cette voie, il va peut-être enfin réussir quelque chose de grand: donner enfin du courage à ses camarades socialistes de rompre avec ce qu’il représente et d’en finir avec cette Présidence ratée. Enfin, le hollandisme révolutionnaire, mais comme révolution contre Hollande! Une fin chaotique de la Présidence Hollande permettrait peut-être à la gauche de sortir de son effondrement politique liée à son aplatissement sur les nécessités du présidentialisme de la Vème République. Si la gauche se rendait compte que de son sein même, le politicien le plus normal s’est hissé au pouvoir, peut-être entreprendrait-elle une réflexion active sur la manière de ne plus jamais en arriver là. Il est vrai que le cas Mitterrand aurait déjà dû réveiller quelques consciences. Mais qui sait?
Et, à mes lectrices et lecteurs, « Bonne année 2016 » quand même!
reblogué ici https://brunoadrie.wordpress.com/2016/01/06/decheance-du-hollandisme/
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