Parce que cela serait vraiment sa défaite (celle de EM).

L’entre deux tours de cette présidentielle 2017 voit se répéter dans une forme atténuée le scénario bien connu désormais quand un candidat du FN arrive à se qualifier pour le second tour d’une élection de quelque importance. Les grands leaders de tous les autres partis  crient en chœur haro sur le baudet. Les retraités et les bannis du suffrage universel sortent de leur placard et y vont de leur déclaration. La plupart des corps intermédiaires et constitués s’empressent de déclarer leur répulsion pour ce dernier. Les sondages enregistrent dûment cet écart abyssal de popularité dans les élites et ne laissent guère de doute sur l’issue du second tour, les marchés financiers font la fête en conséquence. Tout est donc bien parti pour qu’« on ait tout changé sans que rien ne change ». Bien sûr, il y a quelques petits détails qui inquiètent : le peuple de gauche se montre bien amorphe dans les rues, et une partie sans doute minoritaire de ce dernier a même utilisé pour le 1er mai le slogan  « Ni Le Pen ni Macron, ni facho ni banquier »; pour respecter le démocratie interne à son mouvement qui ne serait pas un parti comme les autres, le leader de la France insoumise ne s’est pas précipité pour adouber Président l’ancien inspecteur des finances et banquier de chez Rothschild, auteur spirituel de « la loi El Khomri »; l’Église catholique non plus n’a pas fait donner les grandes orgues, ce qui a été moins noté. De fait, à la base, les « stals » et les « cathos tradis » boudent un peu la grande fête social-libérale qui s’annonce, pour ne parler des « anars » et autres « vieux cocos », plus ou moins jeunes, d’autres obédiences, sans compter enfin ces âmes simples et peu « politiques » qui se rappellent avec émoi de 2002, voire de 2005. Pour donner un peu de piquant à cette ambiance où l’union sacrée des élites contre le FN n’est pas si visible que cela dans les réactions de la base hormis les sondages, un souverainiste de droite, qui, jusqu’il y a peu encore, la vouait lui aussi aux gémonies, rejoint la candidature Le Pen. Il est vrai qu’avec ses près de 5% au premier tour, il peut faire pencher la balance. De manière moins notée par les médias, il faudrait peut-être tant qu’à faire un peu plus s’inquiéter des intérêts de boutique de tous les députés sortants visant leur réélection, de ceux en tout cas qui ne sont pas à l’initiative d’En Marche! ou Modem ou déjà ralliés. Ces derniers, leurs familles et leurs clients, auraient tout intérêt en effet à la défaite d’Emmanuel Macron, parce qu’ainsi ils auraient bien plus de chances de sauver leur siège et ses bénéfices « au nom de la République », puisque, dans ce cas-là, sans l’ombre d’un doute, le mouvement « marcheur » cesserait instantanément d’exister. (Et serait probablement interprété tout d’un coup comme la dernière faute de F. Hollande.)

Quoi qu’il en soit, d’un point de vue de politiste, qui se réfère à tout ce que la discipline a pu apprendre sur la place du FN dans la vie politique française des trente dernières années,  le résultat ne fait pourtant guère de doute. Le « plafond de verre » qui limite les ambitions du FN est toujours là, comme en attestent le résultat réel du premier tour et les sondages publics disponibles à ce jour.

De fait, si Marine Le Pen devait gagner l’élection présidentielle le dimanche 7 mai 2017, il n’y aurait qu’une explication possible : la répulsion qu’aurait inspirée à des millions d’électeurs de gauche et de droite  Emmanuel Macron. Pour le coup, cet amateur en politique aurait réalisé un double exploit historique qu’aucun professionnel n’aurait pu faire : accéder en France au second tour avec un mouvement nouveau, En Marche!, et réussir à casser ensuite par le haut le plafond de verre du FN. On entrerait alors dans la manière de penser de l’historien, attentif au rôle de l’événement dans le cours des choses. Un magnifique cygne noir en somme. Le Brexit et l’élection de Donald Trump seraient en regard renvoyés à leur statut d’événements somme toute prévisibles.

Une dernière petite remarque : le toujours très inspiré Thomas Piketty prétend que, si E. Macron est élu à la manière de J. Chirac en 2002 avec un score très élevé (s’approchant des 80%), alors il ira de soi qu’il ne s’agit pas de sa victoire, mais de celle de la République contre les factieux. Certes, c’est une interprétation tout à fait possible. Une interprétation d’ailleurs que semble désormais accepter par avance E. Macron dans ses déclarations les plus récentes.

On pourrait aussi dire à l’inverse que, si E. Macron frôle la défaite le 7 mai, il sera bien averti du niveau de répulsion que sa personne et son projet provoquent dans l’électorat, de gauche comme de droite d’ailleurs. Cela ne sera donc pas une percée du FN, mais avant tout le signe de son absence d’ancrage dans le pays.  La sociologie respective du vote en sa faveur et de celle en faveur de son adversaire sera aussi une forte indication des soutiens dont il bénéficiera ou pas dans la société française.  S’ouvrirait peut-être alors une phase où, comme au lendemain de la crise boulangiste au XIXème siècle ou au lendemain du 6 février 1934, tout ou partie des élites républicaines rechercheraient enfin à résorber les mécontentements populaires. Ce n’est qu’en sentant les choses leur échapper que les leaders des dominants de l’heure deviennent un peu raisonnables. Je n’y crois guère au vu des soutiens intellectuels d’E. Macron dont la liste ne peut manquer d’effrayer (Attali & Co), mais qui sait?

 

 

 

9 réponses à “Parce que cela serait vraiment sa défaite (celle de EM).

  1. Content de voir que la formule de Piketty, parfait raisonnement par l’absurde, n’est pas passée inaperçue … Quant au parallèle avec 1934 et Boulanger, je suis plus circonspect. La révolte qui gronde reste pour l’instant très électorale il me semble, avec quelques petites jacqueries ici ou là sur les réseaux sociaux, voire quelques occupations d’usine, mais on est là dans l’activisme dernier siècle le plus ringard … Bref, tant que tout cela ne se traduira pas par un mouvement un peu plus concret je pense que les élites continueront à dormir tranquilles. Après tout, c’est connu le Français est grognon, mais il finit par se calmer à la longue.

    • @ Nicolas : sans aller jusqu’au caractère supposé grognon du Français, il faut effectivement admettre que les moyens populaires de perturber la vie de la nation se sont affaiblis depuis lors : pas d’anciens combattants frustrés, pas de groupes paramilitaires, pas d’armée peu sûre, moindre disponibilité des armes à feu dans les campagnes faute de chasseurs, fin de la conscription, etc. De fait, le seul grand mouvement populaire récent, ou « émotion » comme on disait avant 1789, susceptible de tour perturber, a eu lieu lors des émeutes de banlieue en 2005, mais ces dernières ont été un mouvement acéphale, sans revendications claires, et sans suite nationale jusqu’à présent.
      Le fait que Marine Le Pen ait fait un score très décevant au second tour encouragera sans doute les élites à ne pas se sentir très inquiètes et à ne guère faire de concessions. En même temps, les législatives peuvent leur réserver encore des surprises. En Marche! peut rater la marche.

  2. En gros, si Macron gagne, ce n’est pas sa victoire ; s’il perd, c’est sa défaite. Un peu surprenant quand même, comme s’il n’était pas arrivé en tête au premier tour, comme si son électorat n’était pas parmi les mieux répartis sociologiquement et géographiquement en comparaison des autres candidats.
    Mais bon la question du soutien populaire envers Macron se posera dès demain, c’est certain, ce qui va redonner un peu d’intérêt aux élections législatives qui étaient devenues un scrutin d’enregistrement depuis 20 ans. On n’a pas fini de s’engueuler dans les chaumières…

    • @ champagne : indéniablement, il est arrivé en tête au premier tour et il aurait gagné la Présidence dans le cadre d’un scrutin FPTP à l’anglaise, mais il était vraiment difficile de perdre face à la Marine Le Pen de ce printemps 2017. Du coup, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». C’est ce que je voulais dire.

      Là où vous avez raison, c’est que si En Marche! gagne les législatives (malgré un côté work in progress), là vraiment E. Macron sera légitime (dans le cadre du mode de scrutin en vigueur depuis 1958).à aller où il veut emmener les Français. A voir, les paris sont ouverts.

  3. La question de la « légitimité » de l’ampleur de la victoire de Mr Macron est déjà au centre des débats en tout cas. Je relève un édito du Monde, quotidien sérieux s’il en est, qui s’étonne avec une touchante naïveté que l’on remette (timidement) en question le blitzkrieg de notre jeune et beau président. A leurs yeux éclairés ses 65% seraient en effet la condition nécessaire et suffisante qui démontre son écrasante victoire idéologique sur un système politique sclérosé. Argument étrange il me semble : si l’on suit ce raisonnement limpide, Jacques Chirac en 2002, avec son score à peu près comparable au 1er tour, et son score encore plus écrasant au second (17 point de mieux quand même) aurait alors été le président le plus incontestable et incontesté de la 5ème ? Je m’interroge, et là aussi les législatives seront au final le seul juge de paix, ce qui, par ailleurs, prouve bien que la 5ème n’est pas forcément le monstre présidentiel que l’on nous présente tous les 4 matins, même avec l’inversion du calendrier.

  4. J’ai lu votre interview sur Mediapart. C’est l’une des explications les plus pertinentes du succès de Macron et de l’échec de Le Pen et Fillon. Les explications conjoncturelles pour l’échec de ces derniers (les affaires et la campagne en roue libre) ne suffisent pas. Pour Le Pen, il est évident que la majorité des élites françaises, qu’elles soient administratives, économiques et culturelles ne trouve pas son intérêt dans une victoire du FN. Malgré Sapir, Zemmour, Finkielkraut, Millet, Causeur ou encore Houellebecq. Cela dit, la progression du FN dans toutes les catégories de la fonction publique, et pas seulement les forces de sécurité, m’interpelle un peu…
    Dans le cas de LR, je ne suis pas sûr qu’un autre candidat que Fillon aurait gagné l’élection présidentielle face à un candidat non FN, surtout avec le même programme. Il n’est pas du tout évident que ce programme aurait eu une majorité face à d’autres candidats que Marine Le Pen. Et il y a la question de l’évolution idéologique vers les questions identitaires de l’UMP/LR. Mon avis de militant hamoniste n’est pas objectif, mais j’ai l’impression que le travail idéologique de Sarkozy, malgré le côté opportuniste et brouillon du bonhomme, a transformé le principal parti de droite modérée en version senior (au sens générationnel) et bourgeoise (au sens sociologique) du FN. Du coup, l’émergence de La Manif Pour Tous, et la prise en main de la campagne de Fillon par Sens Commun, n’apparaissent plus comme un simple hasard. Les élites qui soutiennent Macron ne pouvaient pas soutenir un parti qui, tout en défendant le libéralisme économique et la construction européenne, tenait le même discours que le FN sur les questions identitaires, et le conservatisme sociétal et culturel.
    Quant à En Marche, le choix du Premier ministre ne sera pas sans importance. Une personnalité de centre droit permettra aux macronistes de prendre à LR les élus et électeurs attachés à la construction européenne et aux libéralisme. Ceux qui sont intéressés par le souverainisme et les questions identitaires auront le choix entre rester dans le parti résiduel, et rejoindre le FN…

    • @ setnibaro : Merci pour votre appréciation et votre critique. Par comparaison avec la situation en Allemagne, je tendrais en prenant l’exemple de la CSU bavaroise, voire de la CDU par moments, à dire qu’on peut être pro-européen, libéral et sérieusement identitaire! Et c’est le cas de beaucoup de partis du PPE ailleurs en Europe : après tout, le cher V. Orban a été acclamé par un congrès PPE. Je crois vraiment qu’un candidat républicain « normal » l’aurait emporté, y compris contre Macron qui aurait rejeté à gauche dans un tel duel de second tour. il me semble même que si on avait pu comparer les projets économiques; Macron aurait été mis en difficulté, en particulier à cause de la hausse de la CSG pour les retraités. Ce qui est arrivé à Filon alimentera à mon avis bien des visions complotistes de l’histoire par la suite.

      Et vous avez raison avec le choix de son Premier Ministre, E. Macron tente de faire des Républicains un parti résiduel. On va voir comment les élites locales de ce parti vont résister.

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