Les décès presque concomitants de l’écrivain Jean D’Ormesson et du chanteur de variété Johnny Hallyday ont donné lieu à un double emballement médiatique bien révélateur de ce qui domine notre présent.
Les enterrements en très grand apparat républicain de ces deux personnalités, indéniablement de droite, gratifiés chacune d’un propos présidentiel de circonstance, m’ont donné d’abord l’impression d’assister à une apothéose de la droitisation de la société française – mais en y repensant surtout à une droitisation par le bas. De fait, ce semblant d’unité nationale m’apparait plutôt tragi-comique. Les deux disparus ne furent en effet que de bien habiles artisans de leur art respectif. Je doute fort qu’on puisse leur y attribuer une seule invention – qui aurait d’ailleurs l’idée saugrenue de les citer dans une histoire un peu sérieuse de la littérature ou du rock’n’roll? Par contre, il faut leur reconnaitre une capacité à se constituer un public fidèle dans l’hexagone. Ils avaient aussi réussi avec l’aide des médias dominants à y devenir des « mythologies » au sens de Roland Barthes – la longévité en plus, mythologie donc à épisodes, que le dit Barthes n’avait guère eu à envisager lors de la parution de son ouvrage.
De fait, au regard de l’histoire culturelle de la France (pour ne pas parler de celle du monde), ce sont des personnages qui ne valent donc que par le contexte de leur réception. Et, là il faut bien dire que leur enterrement fut le parachèvement de leur œuvre.
La célébration de ces deux personnages comme des héros nationaux témoigne ainsi de notre ringardise collective. Bourgeois et prolos confondus. Non seulement, ni l’un ni l’autre ne sont des innovateurs dans leur art, mais, en plus, quel peut bien être leur apport pour l’avenir de la nation? En caricaturant à peine, le culte des vieux châteaux de famille d’un côté, et des grosses motos des familles de l’autre, Carpe diem et l’amouuurrrr... Cela ne va pas nous mener bien loin comme collectivité nationale dans ce XXIème siècle qui s’annonce un peu agité tout de même. Et puis, en dehors de leur art, quelle grande cause ont-ils défendu? Je sèche. Le droit des divorcés plusieurs fois remariés d’être enterrés en grand apparat par notre Sainte Mère l’Église? Le droit des personnes âgées à se moquer des jeunes?
Certes, d’un point de vue républicain, il faut de tout pour faire une nation, il faut respecter les émotions du grand public, mais, à force de ne plus vouloir ou pouvoir distinguer en haut lieu des personnages vraiment dignes d’hommage, ne court-on pas collectivement le risque du ridicule? Moi y compris, en se sentant obligé de réagir comme d’autres, à ce grand moment de n’importe quoi national.
(Bon, les Amerloques ont élu ‘Trump le dingo’ comme Président, on peut bien enterrer not’Johnny comme un Hugo de notre temps et notre Jean d’O comme un nouveau Malraux! Fuck les pisse-froids! Vive la France!)
Papier talentueux et plus que salutaire reblogué ici : https://brunoadrie.wordpress.com/2017/12/10/on-a-vraiment-les-heros-quon-merite-par-christophe-bouillaud/
@ Bruno Adrie : Merci!
Honnêtement, il y a plus de chance que Johnny Hallyday se retrouve dans un livre d’histoire du rock que Jean d’Ormesson n’en a de se trouver dans un livre d’histoire de la littérature. Pas pour des raisons artistiques (les premiers tubes de Hallyday étaient en majorité des adaptations de chansons américaines), mais sociologiques. La base de fans (non négligeable) de Johnny Hallyday, c’était les baby-boomers. Ce n’est pas un hasard si la majorité de la foule qui a suivi les funérailles avait plus de 60 ans.
Mais ce n’est pas ça le gênant. Le plus choquant, c’est la grossière opération de communication du pouvoir macroniste sur le thème « en rendant hommage à Johnny, on rend hommage à la France d’en bas ». Une vaste escroquerie, ne serait-ce que parce la fanbase de Johnny Hallyday ne représentait pas toute la France prolétaire…
@ setnibaro : vous avez raison que cet enterrement de Johnny revient aussi à définir « le populaire » dans un certain sens. Comme si « le populaire » ne pouvait pas aimer plutôt l’accordéon musette, la musique classique, le rap, le raï, le reggae, les chants de l’Armée rouge, ou je ne sais quoi d’autre… Effectivement, cela revient à enfermer la France prolétaire dans un style paradoxalement totalement hors sol – le vrai faux rock à l’américaine, le kitsch en somme.
Ceux qui ont voté Macron ont vraiment, en son idole Johnny, les zhéros qu’ils méritent.
Plagiaire d’outre atlantique notre président, jusque en son épouse, déguisée
en poupée Barbie !
@ Mireille : allons positivons tout de même, notre épouse de Président semble mieux dans son rôle que la femme de Trump. Après, la nature du rôle à tenir, cela se discute.
Remarque assez pertinente de Hubert Huertas dans Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/111217/johnny-hallyday-un-deni-tellement-francais) :
« Depuis quatre ou cinq ans, les grands rassemblements sont d’abord virtuels. Ils ont lieu dans les réseaux sociaux, sur l’écran de nos ordinateurs. On nous parle de millions de clics, de centaines de milliers de visiteurs sur tel ou tel site, de like, de twittos, mais cette fois les « abonnés » à Johnny Hallyday étaient de chair et de sang, rassemblés dans le froid du mois de décembre, comme ça, pour rien, non pas sur Internet mais sur les places et les trottoirs. »
@ Jeanne à vélo : pas faux, cela suppose un degré d’engagement dans l’événement fort important qu’il faut noter, mais Huertas oublie les manifestations de la ‘Manif pour tous’ ou les mobilisations contre la loi Travail. Il y a d’autres manifestations de rue que l’enterrement de Johnny.
Pingback: On a vraiment les héros qu'on mérite? – Les punaises de l'info
Tout a fait d’accord avec vous. Ce qui m’a frappé, c’est cette injonction des médias à rendre hommage à Johnny Hallyday, et ceux qui ne s’y sont pas soumis comme il faut étaient considérés comme des mauvais Français incapables de communier avec la nation dans sa douleur. Johnny était pourtant déjà ringard dans les années 60 lorsque le chanteur Antoine voulait le mettre en cage à Medrano.
@ Moi : en tout cas, pour un jeune adolescent du milieu des années 1970, comme je le fus, c’était le comble de la ringardise. Cela explique sans doute mon exaspération de le voir être porté au pinacle ainsi.
Il faut vraiment n’avoir pas vécu en France depuis 50 ans pour voir en Johnny Hallyday une mythologie créée par les médias dominants. Il n’a cessé d’être caricaturé en compagnie des « Deschiens » censés entre ses fans, n’a jamais cessé d’être moqué en sous-Elvis français (ou plutôt franchouillard bien sûr). Il était d’ailleurs bien plus proche de Bruce Springsteen par l’étendue de son registre et la fidélité de son public.
Ce n’est que très récemment, devant l’évidence d’un talent dont le succès ne baissait pas, qu’ils ont consenti à s’y intéresser, voire parfois à l’apprécier. Quant à y voir une expression de la France de droite, quel est le rapport ? Il devrait quand même être possible de parler de quelqu’un sans se préoccuper de sa couleur politique, à supposer que ce soit d’une quelconque importance s’agissant de Johnny.
Il n’était pas un héros, ne se prenait pas pour tel. Les milliers de gens qui l’aimaient, qui ont assisté à ses spectacles, ont voulu le saluer une dernière fois. Et si les hautes autorités de l’État, s’y sont joints, ce sera le signe qu’elles n’y sont pas insensibles.
P.S L’Église enterre tous les baptisés, remariés ou non, et quelle que soit la vie qu’ils ont menée.
@ René : En fait, j’ai pas mal vécu en France depuis 50 ans… Je me rappelle assez bien l’aura de ce personnage, et les unes innombrables de magazines divers et variés à lui consacrées que j’ai vu passer en allant au kiosque à journaux depuis 1975 à peu près pour y acheter mon Monde quotidien. Il y a sans doute de quoi faire une thèse sur ces unes!
Plus sérieusement, votre plaidoyer tend plutôt à renforcer mon propos. D’évidence, Johnny était un chanteur populaire à tous les sens du terme qui avait certes ses fans, mais est-ce une raison pour lui rendre ainsi hommage au plus haut niveau de l’État? Avait-on besoin d’ajouter une touche d’étatique à quelque chose qui aurait pu rester un événement purement « people » (c’est-à-dire insignifiant au plus haut point)? A mon sens, si on va dans cette direction, on n’en finira pas de larmoyer sur les « idoles des jeunes » des années 1960, et aussi sur les stars de la télévision des années 1970-80.