Deux ans de macronisme, hélas sans doute encore trois ans à tirer.

L’élection d’Emmanuel Macron ne date que de deux ans. Mai 2017- mai 2019. Cela m’a pourtant paru bien long.  Le bilan de ces deux premières années  de la Présidence Macron m’apparait à la fois comme la continuation de dérives déjà anciennes de la Vème République et comme l’apparition de nouveautés pour le moins peu rassurantes. Les trois ans de Présidence Macron encore à tirer comme une condamnation sans appel possible me remplissent du coup d’allégresse. Je m’en voudrais de ne pas vous la faire partager.

Du côté des dérives anciennes, il faut bien sûr commencer par la « présidentialisation » de la Vème République sans contreparties institutionnelles, pour ne pas dire la montée en puissance de plus en plus évidente du « bon plaisir monarchique » sous couvert de démocratie. La prétention présidentielle d’une remise en état de Notre-Dame-de-Paris en cinq années seulement, au mépris de toutes les bonnes pratiques en la matière, me parait l’illustration caricaturale de cet état de fait. Le quinquennat n’avait certes déjà rien arrangé en la matière pour ses prédécesseurs immédiats à la tête du régime conçu comme un « coup d’État permanent », mais, avec la Présidence Macron, la disparition d’un vrai parti présidentiel a réduit à rien toute dialectique interne à la majorité qui permette d’aller au delà des intuitions, tocades, et autres coups de génie présidentiels (ou de son entourage?). L’incapacité du MODEM de François Bayrou à exister comme contre-pouvoir interne à la majorité présidentielle est tout aussi flagrante. En dehors du seul Jean-Louis Bourlanges (né en 1946…), encore doté  d’un minimum d’autonomie politique, les politiciens qui s’expriment au nom du MODEM ont tous atteint l’état de diffuseurs zélés d’éléments de langage de leurs alliés LREM.  Nous sommes bien loin des alliances conflictuelles à la RPR-UDF, à la PS-PCF, ou façon « Gauche plurielle », qui faisaient tout le sel des coalitions du « régime semi-présidentiel » . C’est le grand retour du monarchique « L’État, c’est moi. », avec la logorrhée présidentielle en prime.

Ensuite, mais cela date là aussi, l’approfondissement néo-libéral des politiques publiques menées se trouve largement confirmé.  Je ne me vois même pas y revenir tant cela me parait désormais d’une triste évidence (sauf à gloser sans fin sur la définition à donner du néo-libéralisme pour amuser la galerie). Surtout le « macronisme » accentue à l’envi ce tournant, pris certes il y a quelques décennies déjà, dont il n’est pas très difficile par ailleurs de constater qu’il constitue l’une des principales sources de l’exaspération des classes populaires, et maintenant des classes moyennes. Le « macronisme » m’apparait du coup comme la réactualisation continue de la phrase (attribuée) à Bossuet: « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » E. Macron et ses gens prétendent pourtant faire de la lutte contre le populisme et le nationalisme l’alpha et l’oméga de leur « progressisme ». Leur capacité à apaiser la société française à coup de « réformes », aussi anxiogènes que pleines de chausse-trappe dans les petits détails qui changent tout en pire (par exemple la réforme à venir des pensions de réversion), risque bien de les amener là où ils ne souhaitaient pas aller. On risque d’ailleurs d’en voir les premiers effets lors des élections européennes. On aura bien de la chance à LREM  si, après tout cela, le RN, pourtant plus inepte que jamais dans ses propositions, ne lui brûle pas la priorité en passant en tête des suffrages.

Cette « Révolution » (néo-libérale), qui avait déjà bien progressé sous F. Hollande, n’est pas sans lien avec le fait que le « macronisme » au pouvoir représente sans doute le rétrécissement le plus net de la base électorale d’un pouvoir politique en France depuis…. eh bien là j’hésite vraiment… en fait, même en remontant à 1848 (à l’établissement du suffrage universel), je ne trouve pas d’exemple si net de pouvoir politique un peu durable qui se soit appuyé (officiellement) sur si peu de Français et qui ne semble pas prêt, ni même désireux, de reconquérir à terme la confiance d’une majorité parmi la population française. Napoléon III lui-même fut populaire à en croire les historiens, le régime de Vichy ne fut sans doute vraiment impopulaire qu’au tournant de la guerre mondiale. C’est donc vraiment là une situation exceptionnelle au regard de l’histoire longue du pays, sauf si l’on admet pour se rassurer quelque peu que l’opposition des Républicains, de l’UDI, voire d’une partie du PS, est en réalité fallacieuse. La majorité de leurs bases électorales respectives sont certes, selon les sondages disponibles, dans l’opposition à Emmanuel Macron, mais les élites partisanes du « vieux monde » suivent souvent en réalité le mouvement du « macronisme » – comme l’a montré la tournée des popotes de ce dernier lors du « Grand débat ». Après tout, le Premier Ministre et quelques ministres importants sont très officiellement de droite, le PS ne s’est pas vraiment affairé à sanctionner au niveau local les renégats passés à LREM, ne faut-il pas alors compter dans la semi-opposition ou la quasi-majorité la droite, le centre et le PS (profond)?  En dehors de cette considération (que l’on pourrait contrebalancer par le réveil d’une droite sénatoriale parfois bien incisive tout de même), le « macronisme » représente une caricature de ce que peut faire en France un scrutin majoritaire à deux tours en terme de restriction de la base électorale du détenteur du pouvoir. La diversité des choix électoraux s’accentue comme partout ailleurs dans les vieilles démocraties, mais le mode de scrutin masque chez nous cette évolution et la transforme en primat de la plus grosse des petites minorités. La comparaison avec d’autres régimes démocratiques  en proie à une dérive autoritaire, « populiste », me parait d’ailleurs cruelle. En Hongrie, en Pologne, en Italie, en Turquie, aux États-Unis, la base populaire des autorités au pouvoir apparait bien plus large que les un peu plus de 20% d’électeurs encore « macronisés » en ce printemps 2019. En électeurs inscrits, les alliés LREM/Modem s’apprêtent à recueillir aux Européennes  autour de 8/9% des voix de nos concitoyens. Pas énorme tout de même. La France d’Emmanuel Macron est donc une belle exception française. Si Emmanuel Macron réussit à faire passer la réduction du nombre de parlementaires, jointe à sa pincée demowashing de scrutin proportionnel, la possibilité de créer une majorité parlementaire avec une minorité d’électeurs sera encore accentuée. A quand donc 10% des électeurs déterminant en France une majorité politique stable contre 90% d’opposants? Voilà qui serait disruptif.

Aussi nouveau et encore plus inquiétant me semble être l’éthos du nouveau personnel politique du « macronisme ». La capacité de ces gens à mentir, à biaiser avec la réalité disponible sous les yeux de tous, à distiller avec culot et détermination des « éléments de langage », est à tout prendre affolante. Nous sommes là devant des exemples parfaits de politiciens maximisateurs (à court terme) de leur carrière. Cela vaut aussi au niveau de leurs subordonnés, comme par exemple pour les recteurs en matière d’éducation. Des parfaits office-seeker qui jouissent du pouvoir et de ses avantages intrinsèques sans aucun interdit moral d’aucune sorte. Pas vu, pas pris, et encore… Emmanuel Macron leur demanderait de dire publiquement tous en chœur pour le soutenir que « la Terre est plate », nul doute qu’ils le feraient avec un bel élan de sincérité. Cela me fait tragiquement penser au rapport à la réalité des apparatchiks dans les régimes communistes finissants des années 1970-1980. J’espère en tout cas pour eux que tous ces gens savent tout de même qu’ils mentent, biaisent, manipulent, communiquent, sinon je m’inquiéterais vraiment pour leur santé mentale. Les événements du 1er mai à la Salpêtrière ont été en tout cas une démonstration de leur capacité à se tenir à une version biaisée des faits au delà de toute crédibilité auprès… eh bien des Français qui peuvent ou veulent s’informer vraiment.

De fait, le « macronisme » représente aussi fondamentalement un pari sur l’absence totale d’informations pertinentes sur ce qui se passe de la part du gros de la population – ce qui veut dire aussi que tout le travail de critique intellectuelle qu’on peut en faire reste très largement inutile. (Tout comme en son temps le « berlusconisme » des années 1990 vécut sur la bulle de réalité créée par les chaînes de télévision de S. Berlusconi pour une bonne part de ses électeurs.) Ces gens s’autorisent à mentir, à biaiser, à déformer, parce qu’ils parient, non sans raison d’ailleurs, que les médias fréquentés par la plus grosse part de la population électorale (télévision, presse régionale, grandes radios) ne font pas bien leur travail, ou plutôt qu’ils se livrent avec l’excellence souhaitée par tout pouvoir en place à l’exercice d’une information biaisée au possible. Il y a bien sûr des pôles de résistance: quelques médias indépendants; l’éthique journalistique de certains rares journalistes qui, au sein même des grands médias, ne veulent pas être déconsidérés à leurs propres yeux pour ne pas avoir bien fait leur métier; les réseaux sociaux. Mais ces pôles ne représentent pas grand chose du point de vue de leur effet électoral. En effet, en caricaturant à peine, le « macronisme » de 2019 semble compter énormément sur les électeurs âgés, ceux qui vont aller voter aux Européennes. Ces derniers s’informent par les médias traditionnels qui, globalement, leur ont par exemple présenté la plupart des « Gilets jaunes » comme des barbares prêts à prendre d’assaut des services de réanimation, pour y débrancher les malades agonisants je suppose. Ils peuvent donc continuer à leur raconter que « la Terre est plate ». Nos braves vieux électeurs n’iront pas pour leur majorité lire la presse mal pensante, ou sur les réseaux sociaux, pour constater que, Mon Dieu quelle surprise, « la Terre est ronde ». Il est vrai que certains n’ont guère envie de le savoir. Trop gênant.

Enfin, comme le terme de « néo-libéralisme autoritaire » dont l’usage se répand à juste titre le synthétise, le moins que l’on puisse dire, c’est que le « macronisme » sait réprimer le Français  « qui manifeste et qui proteste ». Notre pays vit d’évidence une crise de l’expression citoyenne par la manifestation ou par toute autre action dans l’espace public physique. Je crois même qu’on peut commencer à parler en conséquence d’un début de « prétorianisation » du régime – du mot « prétoriens »(sic), terme utilisé ici en un sens neutre, se voulant non péjoratif, et bien sûr exploratoire. Tout observateur un peu attentif aura noté en effet à quel point les revendications des syndicats de policiers ont été acceptées facilement au plus fort de la crise des « Gilets jaunes » – alors même que toutes les autres revendications venant des personnels du secteur public reçoivent une attention pour le moins distraite de la part de ce même pouvoir. On aura noté  aussi que le gouvernement ne semble pas très pressé de faire la lumière sur d’éventuels manquements aux règles professionnelles régissant, en principe, le maintien de l’ordre lors de manifestations, et qu’il semble bien instrumentaliser son pouvoir hiérarchique sur les procureurs de la République pour essayer de noyer le poisson d’éventuels manquements . De fait, le pouvoir politique commence  ainsi à s’enferrer dans une relation de clientèle avec la police. A lire la prose des tracts des syndicats de police qu’a regroupée Médiapart pour faire peur dans les chaumières (de gauche), ces derniers ont pris fait et cause contre les « Gilets jaunes », sans doute parce que la durée même de la crise et son caractère inédit les a exaspérés et épuisés. Mais il faut bien comprendre que cette loyauté a aussi été achetée. D’après les sondages disponibles et les orientations syndicales (avec la montée en puissance d’Alliance par exemple), les policiers sont plutôt des sympathisants de droite ou d’extrême-droite. Ils ne soutiennent probablement pas le « macronisme » par conviction, mais par obligation statutaire d’une part et parce que ce dernier a accédé à leurs revendications et ne cesse désormais de les flatter d’autre part. Les syndicats de policiers tiennent du coup entre leurs mains la stabilité du régime, peut-être sans l’avoir eux-mêmes compris complètement. C’est pour cela que je parle de début de « prétorianisation ». C’est plutôt nouveau en France que de voir un pouvoir politique devenu si dépendant de sa police, ou plutôt des affects et intérêts des simples policiers et CRS.  En même temps, cette importance accrue des forces de sécurité dans l’équilibre général du pouvoir d’État deviendra de plus en plus inévitable si la répression reste la seule réponse, à la fois prophylactique et curative, à toute protestation un peu hors les clous de la société civile. Il faut bien que l’autoritarisme du néo-libéralisme dispose de personnes à la base pour le mettre effectivement en œuvre. En tout cas, pour l’instant, s’il y a bien une chose que le « macronisme » n’entend pas privatiser, c’est bien la police, sa chère police. En même temps, peut-être que ces mêmes policiers, tant qu’à risquer leur peau, aimeraient autant servir un pouvoir plus proche de leurs propres idées…

Pour finir ce bilan de deux ans de « macronisme », vu de gauche,  la dernière chose qui me  reste vraiment sur l’estomac n’est autre que l’origine de gauche du « macronisme ». Même si bien sûr les ralliés de la droite et du centre ne sont pas en reste dans le tableau, il faut admettre que le « macronisme » a incubé au sein du Parti socialiste, et il ne faut cesser de rappeler toujours qu’Emmanuel Macron a été conseiller, puis Ministre, de ce cher François Hollande. Le carriérisme et la conversion à un néo-libéralisme de convenance qui se sont développés au sein du PS français ne laissent pas de m’étonner au fond. Cela va bien plus loin à mon sens que la simple conversion stratégique à une « Troisième voie » à la Tony Blair ou à un « Nouveau Centre » à la Schröder. C’est la distinction certes subtile mais bien réelle entre un Collomb ou un Delors et un Castaner ou un Griveaux. Pour le présent, cette filiation me parait contribuer à expliquer la rupture durable (définitive?) entre les classes populaires et la gauche. Que toutes les aspirations en terme de justice sociale exprimées par une bonne part des participants au mouvement des « Gilets jaunes » ne portent, selon les sondages disponibles, à aucun rétablissement électoral perceptible des partis de gauche en général constitue en effet l’un des faits marquants de ces derniers mois. Le « macronisme » vire à droite toute, réprime comme jamais la droite Sarkozy n’aurait osé le faire, mais les gauches n’en profitent pas.  Il  manque sans doute une chose essentielle encore dans le paysage de ces deux premières années de « macronisme » pour rétablir la situation : un leadership voulant vraiment sauver le socialisme, et la gauche en général, qui prenne de front la question la plus cruelle. « Comment et pourquoi avons-nous engendré ce monstre? »   Les critiques de ce qui reste du PS sur la ligne politique d’Emmanuel Macron ne suffisent pas, tout comme son essai de bilan de la Présidence Hollande (sous influence de fait d’un certain Emmanuel Macron). Les PG/Insoumis, Génération(s) et autres ex-PS sont hors jeu pour être tous partis du PS en restant sur la seule critique de la ligne politique proprement dite. Il faudrait aussi une critique sur le type d’hommes et de femmes que le socialisme a promu ou a laissé promouvoir depuis les années 1980. Pourquoi ce parti-là a-t-il attiré ces gens-là? Comment la base militante s’est-elle accommodé de ces gens-là? Ce qui revient aussi à poser la question de l’existence d’un DSK, d’un F. Hollande ou d’une S. Royal, et de tant d’autres. Cette réflexion devrait d’ailleurs s’imposer aussi aux écologistes: comment finit-on avec un Daniel Cohn-Bendit et avec tous ces transfuges de l’écologie politique qui vont à la soupe aux pesticides proposée par LREM? Il n’y a bien que les communistes à gauche qui semblent (relativement) épargnés.

En fait, même si je sais bien que la science politique contemporaine est très mal à l’aise avec ce questionnement « vieillot », « moralisateur », « philosophique », « hors de propos », qu’est-ce qui explique cette poussée à gauche  de carriérisme, cet écroulement des valeurs (réellement) libérales (au sens de B. Constant ou de J. S. Mill) et ce peu de souci d’autrui que le « macronisme » résume si bien au final? Pourquoi le prétendu disciple de P. Ricoeur parait n’y avoir vraiment rien compris?

Enfin, courage, trois ans, ce n’est pas si long…

 

 

16 réponses à “Deux ans de macronisme, hélas sans doute encore trois ans à tirer.

  1. Trois ans, ce n’est pas si long mais les dégâts occasionnés, eux, seront là et bien là hôpital, école, industrie …. etc
    Et ce n’est pas le premier président à avoir ce comportement. Depuis 30 ans personne ne gouverne plus ce pays et nos « présidents » ne sont là que pour avaliser les décisions de la finance internationale.
    Les réformes sont indispensables (ex: EDF est toujours géré par les lois de 1945) mais elle ne se feront que par la négociation et le dialogue et non par le mépris hautain et le comportement à la hussarde.

  2. Très bon texte. Il me semble qu’une explication possible de la disparition (électorale) des partis classés à gauche réside dans l’adhésion de cette « gauche » à la construction européenne (UE + euro) réellement existante, c’est-à-dire néo-libérale.

    NB : une coquille dans « de noyer le poisson éventuels manquements ».

    • @ Jeanne à vélo: Oui, cette adhésion à la construction européenne « réellement existante », mais il me semble qu’il existe en plus cette touche d’arrivisme pour rester poli qui reste à expliquer. On peut être europhile sans perdre tout sens de la morale. Enfin, je m’illusionne peut-être…

  3. C’est très bien que vous parliez du rôle de la police dans le contexte actuel. Je me souviens qu’en Equateur, en 2010, quand des policiers se sont mis en grève pour protester contre une loi, le président Correa (et il n’était pas le seul à le penser) avait parlé de coup d’Etat. Il est vrai que les militaires étaient aussi impliqués dans le mouvement de contestation. De plus, on est dans une partie du monde où l’armée est historiquement la principale force prétorienne…
    http://www.rfi.fr/ameriques/20100930-equateur-policiers-militaires-greve-correa-denonce-une-tentative-coup-etat
    https://observers.france24.com/fr/20101001-temoignage-quito-confusion-coup-etat-rafael-correa-equateur-police-putsch-armee

    En France, quand des policiers ont manifesté nuitamment et armés en 2017, on a entendu très peu de gens dire que c’était un problème au regard de la légalité républicaine. Quand un gouvernement cède à des manifestants armés issus des forces de sécurité, la prétorianisation est là. Je pense que beaucoup de policiers, dirigeants syndicaux ou pas, en sont conscients, et ils en profitent tant qu’ils y trouvent leur intérêt. Leur intérêt, au-delà des questions d’argent, est de ne pas voir remises en question leurs méthodes de travail (cf. leur mobilisation contre le récépissé de contrôle) et leurs relations avec les citoyens, que ce soit dans les banlieues ou ailleurs. La répression du mouvement des Gilets Jaunes valide jusqu’à la caricature les analyses les plus critiques de l’institution policière, à savoir que la police n’est pas là pour protéger les citoyens, mais sert à défendre le pouvoir politique et les riches contre les contestataires et les pauvres.

    En tant qu’ancien membre du PS, et actuel membre de Génération.s, je suis interpellé, et pas qu’un peu, par les questions que vous posez tout au long du billet.

    1) Comment et pourquoi la gauche a engendré un monstre tel que le macronisme ?
    2) Pourquoi la gauche ne remonte pas la pente alors que la dérive droitière et autoritaire du macronisme est évidente ?
    3) Comment le PS a-t-il pu attirer autant de carriéristes et d’opportunistes ?

    La première et la dernière question sont liées selon moi. Le tournant de la rigueur, en entraînant la renonciation du PS à la remise en question du capitalisme, a facilité l’ascension des carriéristes et des opportunistes dans l’appareil. Faute d’idéologie claire, c’est la distribution d’investitures aux élections qui attire opportunistes et carriéristes vers le parti dominant à gauche, tant au niveau national qu’au niveau local. Le passage à l’ENA, Sciences Po, et/ou les cabinets d’élus et de ministres était un bonus. Ces gens se sont parfaitement accommodés de l’air du temps néolibéral, tellement que certains d’entre eux ont même tenus des discours plus ou moins conservateurs. Vous avez parlé de Royal, on peut aussi citer Valls.

    Malgré le fait qu’il a un temps fréquenté les chevènementistes (opposés au tournant de 1983-1984), Macron a un profil semblable aux DSK, Hollande, Royal, et d’autres. Celui du technocrate/économiste/conseiller favorable au big business. Il a suffit à Macron, tout au long de sa carrière, de rencontrer les bonnes personnes au bon moment pour se constituer un réseau. Avec ce réseau, il a pu financer sa campagne présidentielle en profitant de l’effondrement du PS, de l’incapacité de Hollande à se représenter, et de la peur d’un second tour entre la droite classique et l’extrême-droite. Et quand on regarde les députés LREM issus du PS, on voit que beaucoup ont un profil semblable à Macron (technocrate passé par les grandes écoles et/ou les cabinets d’élus ou de ministres). En clair, ce sont les quasi clones du président.

    En ce qui concerne la difficulté de la gauche à remonter la pente malgré le basculement à droite de Macron, il y a plusieurs raisons. D’abord, le fait que le quinquennat de Hollande, pour reprendre Laurent De Sutter, a discrédité durablement l’idée de gauche dans la tête de beaucoup de citoyens. Je joins le lien vers l’interview de Laurent De Sutter dans les Inrocks :
    https://www.lesinrocks.com/2016/09/08/idees/idees/laurent-de-sutter-francois-hollande-a-trahi-lidee-meme-de-gauche/

    Ce discrédit de l’idée de gauche a eu des effets sur les organisations politiques. Des dirigeants d’EELV ont déclaré que la reconstruction de la gauche n’était pas leur priorité, et la campagne de Yannick Jadot a une tonalité très centriste, qui vise à récupérer les déçus du macronisme sans revendiquer l’étiquette de la gauche. Quant à La France Insoumise, sa stratégie populiste (au sens de Laclau et Mouffe) est basée sur le constat que le discrédit de l’idée de gauche oblige les partis de gauche à s’adresser à des électeurs pour qui le concept de gauche n’est pas une référence habituelle, voire est un repoussoir. Et donc, s’adresser aux électeurs du FN, non sans risques. Aujourd’hui, à part le PCF et Génération.s, il n’y a pas beaucoup d’organisations significatives (en termes d’élus, de militants et d’électeurs) qui assument clairement l’étiquette de gauche.

    Le quinquennat de Hollande a aussi divisé les gauches, entre ceux qui ont toujours été méfiants vis-à-vis du PS en toutes circonstances, ceux qui étaient alliés nationalement et/ou localement au PS, ceux qui au PS étaient critiques à l’égard de la politique de Hollande et ceux qui au PS soutenaient sans conditions Hollande… Ces fractures entre les partis n’encouragent pas les électeurs à se mobiliser en masse, car ils n’ont pas envie devoir faire un choix cornélien entre les organisations à maintenir au-dessus des 5% aux européennes. Ils préfèreraient, et c’est compréhensible, que les partis s’entendent entre eux. Mais il y trop d’aigreur et de suspicion en ce moment pour que ça arrive.

    J’ai dit plus haut que la stratégie de La France Insoumise n’était pas sans risques. Le risque de cette stratégie, c’est qu’au lieu d’attirer des électeurs vers la gauche, elle aboutisse à valider les idées conservatrices et réactionnaires, et par conséquent, de faciliter le passage de militants et d’électeurs vers l’extrême-droite. Et donc, à réduire la base de la gauche. Je pense entre autres au cas de Djordje Kuzmanovic, ou à celui, plus récent, d’Andrea Kotarac, qui est passé sans transition de LFI au RN…

    • @senitbaro: Je suis largement d’accord avec votre commentaire bien informé. En vous lisant et me relisant, je me rends compte que tout cela n’est pas bien encourageant. Il n’y a dans le fond que le temps qui pourra ramener la gauche d’aplomb – déjà par apurement de tous ces arrivistes sans autre morale que leur propre promotion. Par ailleurs, force est de souvenir qu’il a bien fallu de 1958 à 1981 pour passer de la SFIO « mollettiste » de la « Guerre d’Algérie » au PS du « Changer la vie » (ou, plus anciennement, de la défaite de 1848 à la IIIème République). Et bien des actions militantes dans un contexte économique et social plus favorable qu’aujourd’hui par bien des côtés. On est pas rendu.

  4. Pour donner du corps à la critique éthique de la dérive carriériste des politiciens du PS, a t-on des éléments de comparaison avec d’autres pays ? S’agit-il seulement de l’organisation institutionnelle de la cinquième république, d’une transformation de la haute fonction publique et de la professionnalisation de la politique qui en sont responsables ? Comment discerner des spécificités causales dans le grand mouvement de conversion au néolibéralisme de la social-démocratie européenne à partir des années 80 ?

    • @ Madeleine: c’est évident qu’il existe à l’échelle mondiale un mouvement d’ensemble des gauches socialistes et sociales-démocrates vers un centrisme néo-libéral, ou « social-libéral » si on veut rester poli. La tendance à la corruption est sans doute plus prononcée en France en raison du très faible poids des militants de base, « sincères », dans la réalité de l’organisation du PS. Il faut dire que le premier parti socialiste à disparaître pour fait de corruption trop aggravée est le PSI (Parti socialiste italien) dès les années 1992-94, au point que le mot de « socialiste » est devenu invendable aux électeurs italiens depuis lors (sauf une minorité de 1/2% de fidèles). Or les politistes italiens avaient repérés dès le milieu des années 1960 l’étiolement de la base militante non-clientélaire. J’aurais donc tendance à imputer le déclin à une base étiolée et manipulable.(Un PS français un peu sain de corps aurait déjà exclu François Hollande pour trahison de tous les idéaux de la tradition socialiste.)
      Après, en dehors du sort du PS, il me semble que c’est toute une part de la « bourgeoisie d’État » qui se trouve en phase de corruptibilité avancée. Pourquoi? Il faudrait ici faire œuvre fine de prosopographie… et de psychologie historique. En tant que contemporain des faits, cela n’est pas si facile à comprendre en fait.

  5. Je vous lis :

     » Les PG/Insoumis, Génération(s) et autres ex-PS sont hors jeu pour être tous partis du PS en restant sur la seule critique de la ligne politique proprement dite.  »

    Visiblement, vous ne connaissez pas le travail accompli au sein du PG/ Ensemble / F.I depuis maintenant dix ans pour écrire une telle ineptie. Vous ne semblez pas avoir lu les ouvrages de Jean-Luc Mélenchon écrits sur la question ni même ceux de l’économiste Jacques Généreux qui a parfaitement bien ausculté la « naissance des monstres  » au sein de la social-démocratie devenue au fil du temps  » social-libéralisme » jusqu’à ce que le triumvirat Hollande – Vals – Macron éradique le terme « social » pour ne conserver que celui de libéral dans sa version « Néo ». Il faut lire la masse critique écrite sur le sujet avant d’expédier un peu trop rapidement dix années de réflexion politique en France !

    Quand au PCF que vous épargnez en fin d’article, dois-je vous rappeler que la tête de liste de ce parti qui se présente aux élections européennes – M.Brossat – travaille main dans la main avec Madame Anne Hidalgo, la maire de Paris (PS) ! Une personnalité construite dans le sillage de M.Delanoë, transfuge PS-LREM et dorénavant tout transit du jeune président éborgneur et coupeur de mains en polo Lacoste (été) et col roulé (hiver).

    Madame Hidalgo dès lors suffisamment « macron-compatible » à plus ou moins brève échéance comme l’est désormais Ségolène Royal (PS) qui vient de réclamer par voie de presse une place de choix sur les listes LREM à venir…

    En vérité mais je ne le lis nulle part dans votre article, le PS a déjà fusionné avec L.R via E.Macron et E.Philippe depuis l’élection présidentielle de 2017. Il faut être distrait pour ne pas s’en rendre compte. Ce qu’il reste des étiquettes politiques encore visibles par ailleurs (PS+ LR) ne sont que les décalcomanies usagers d’appareils politiques morts ayant encore besoin des subsides publics et de la largesse du peuple français pour garantir un certain train de vie à des personnalités filandreuses, opportunistes, médiocres ou cyniques. Rien de plus. Gloser ad nauseam sur des corps morts n’aide pas à rester vivant.

    Votre article est intéressant en ce sens qu’on aurait aimé le lire voici dix ans. Mais lire une telle critique en 2019, c’est un peu anachronique, c’est daté sur bien des points. Vous parlez du vieil hier mais pas tout à fait de l’aujourd’hui. Parler de veilles lunes et cartographier tout un monde englouti à jamais disparu ne nous aide pas à affronter ce qu’il se passe vraiment, là ici, devant nous. Oui, seule votre analyse de la convergence autoritaire à l’échelle continentale qui voit se rejoindre l’extrémisme Macroniste et l’extrémisme Le-Peniste communiant ensemble dans la police post-républicaine – ( et les médias racistes de l’alt-right à la française ) – trouve grâce à mes yeux. C’est déjà beaucoup. Merci.

    PS : M.Sarkozy que l’on a vu apparaitre ces derniers jours à la droite de Jupiter lors de la cérémonie du 8 mai 1945 (!) tandis que M.Hollande se tenait à sa gôche, est allé il y a quelques semaines en Hongrie, sa terre anciennement natale prêter main forte à son grand ami Viktor Orbán en défense de  » l’Occident  » – N’est-il pas intéressant de savoir par ailleurs que le susnommé Nicolas est parait-il devenu l’une des éminences grises les plus écoutées du président E.Macron ?

    Convergences des buts ?

    • @ Arthur: Bonjour,
      j’avoue ne pas avoir étudié en détail toutes les publications de J. L. Mélenchon depuis 2008, mais je crois connaître bien celles de J. Généreux. Ce dernier insiste plus sur les idées que sur autre chose. Et il me semble tout de même que la lignée PG/Ensemble/FI n’a pas réussi en tout cas à faire passer une telle critique « morale » dans l’espace public.

      Pour ce qui est du cas Brossat, on peut effectivement souligner les aspects de connivence que vous citez (et pourquoi pas les goûts des voyages lointains bien « instagramés ») et y voir un « contre-feu » destiné à gêner FI ou Génération(s) dans leur affirmation, ou alors constater qu’il est plutôt un des meilleurs critiques du « macronisme » actuellement lors de ses passages dans les médias. Le jugement reste donc suspendu. Il reste que, parmi les anciens dirigeants/cadres du PCF, en dehors de Robert Hue, je ne connais pas de ralliement spectaculaire au « macronisme ». Pour EELV, le PS, les divers centristes et les Républicains, la liste est bien plus longue. Il est vrai que, comme le PCF décline depuis les années 1970, il n’y a statistiquement pas grand monde à rallier…

      Enfin, sauf à croire un parti unique caché (dont Macron serait le chef ou l’instrument?), il faut admettre que les organisations nommés « Les Républicains » et le PS sont encore investis de sens, d’ambitions, et d’intérêts par certains acteurs: est-ce que vous croyez par exemple que Laurent Wauquiez est prêt à ne jamais être Président de la République? Il donnera tout et plus que tout pour l’être. Cela complique tout de même un peu le jeu. Il peut très bien y avoir un accord idéologique de fond, une convergence vers le libéralisme autoritaire (et xénophobe, comme le montre la présente campagne électorale), mais il reste qu’il existe aussi de la concurrence entre des organisations et des hommes, des milieux sociaux qui sont proches mais pas identiques, des sponsors étrangers peut-être différents, etc. Pour ce qui est du rapprochement de Sarkozy de la Présidence Macron, cela sera effectivement bien utile en 2022… pour rallier l’électorat de droite contre la menace Le Pen.

  6. Caille Pierre-Olivier

    Je partage votre analyse (et sans doute votre consternation si j’ai bien compris) mais pourquoi « seulement » trois ans ? Macron poursuit assez clairement une stratégie cynique consistant à désigner le RN comme son principal opposant tout en lui déniant toute légitimité pour accéder au pouvoir. On va ainsi se retrouver, en 2022, avec un candidat menant une politique « de classe », clairement défavorable aux classes populaires, mais celles-ci seront sommées de voter Macron au second tour pour défendre la République : une obligation morale contre leurs intérêts économiques (étant précisé que si je suis convaincu que Macron ne vaut rien pour la prise en compte de leur situation, je ne suis pas convaincu pour autant qu’un gouvernement RN améliorerait leur situation). Macron ayant aujourd’hui siphonné la droite et la gauche libérales, il me semble assuré de se qualifier pour le 2nd tour. Bref, plutôt que trois ans, je crains qu’il n’y en ait encore pour huit ans.
    Et à long terme, je pense que la question est de savoir pendant combien de temps le vote de conservation (des libertés ou des intérêts économiques, bref, tout le monde fait barrage mais pas au nom des mêmes idées) l’emportera sur le vote de protestation..

    • @ Caille Pierre-Olivier: Tout à fait d’accord, à cette nuance près: ce sont les classes moyennes (de gauche) qui seront appelées à « faire barrage » en 2022, pas sûr que cela fonctionne si bien que cela vu les couleuvres qu’elles auront avalées d’ici là. Il y aura aussi les classes populaires d’origine immigrée que Macron pourra effrayer avec le spectre du RN raciste. Vu de 2019, si rien de fondamental ne change à gauche ou à droite, les classes populaires « de souche » s’abstiendront en majorité ou voteront RN – comme elles l’ont fait aux européennes.

  7. Macron est en train d’absorber la partie de l’électorat CSP+ et bien nanti de la Droite néo-libérale et européïste (pléonasme?) comme le démontre le résultats de LR aux dernières européennes.
    La lutte des classes n’est pas morte et les « riches » ont bien compris que Macron est aujourd’hui le mieux à même de défendre leurs intérêts contre ceux l’immense majorité de la population.
    Les classes populaires dégoûtées s’abstiennent,se révoltent (Gilets Jaunes) ou pour ses membres qui votent encore,choisissent majoritairement par désespoir ceux qu’ils croient à tort être de leur côté,je veux parler du RN.
    L’avenir est sombre car le face à face organisé avec le « fascisme » (?) par l’Oligarchie néo-libérale pourra, pense-t-elle, lui assurer à tout coup l’élection au second tour de son candidat.
    Attention car en Histoire nous savons une chose: les « plafonds de verre » sont destinés à voler violemment en éclats.
    Par contre ce que nous ignorons c’est quand et comment cela arrivera!

    • @ Jean-Paul B. : exact. Il semble par contre que certains dans la majorité (Darmanin, un ex-LR ancien maire d’une ville pauvre) commencent à thématiser cette perspective. Il parait difficile de gagner une élection présidentielle comme sortant avec l’immense majorité des classes populaires contre soi. Les diverses droites depuis l’instauration du suffrage universel en France on toujours eu avec elles tout ou partie des mondes populaires (petits paysans propriétaires, catholiques, petits commerçants, etc.). Les élites économiques ne peuvent gagner seules. Logiquement, tout le reste du quinquennat sera consacré à l’élargissement de cette base populaire, actuellement réduite à presque rien.

      • Après la « capture » aux européennes des électeurs de la Droite en manque de « chef » crédible et qui pensent que désormais Macron est le seul capable de maîtriser les mouvements sociaux (leur hantise) comme celui des Gilets Jaunes qui pourraient reprendre force au moment du vote de la « réforme » des retraites ou des privatisations en attente, la nouvelle cible de Macron est celle constituée par les électeurs de EELV (et pourquoi pas de Yannick Jadot lui-même, pour affaiblir un peu plus ce que d’aucuns s’obstinent à appeler la « Gauche »?), afin de préparer dans les meilleurs conditions, sa reconduction en 2022.
        La théorie, jadis développée par Terra Nova (grosso-modo:les classes populaires les plus pauvres s’abstiennent majoritairement donc inutile de nous préoccuper d’elles),est toujours d’actualité pour le camp « progressisto-européiste » actuellement incarné par Macron.

  8. Vous avez raison, cet article est encore d’actualité et il le sera encore pour les prochaines années

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