Il reste encore en France des journalistes qui travaillent à fond leur sujet et qui entendent en faire la démonstration aux yeux du monde par des livres bien conçus. Romaric Godin (actuellement à Mediapart, et auparavant à la Tribune) est de ceux-là – un anti-« éditorialiste » en quelque sorte, un journaliste à l’ancienne. Son ouvrage, La guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire (Paris : La Découverte, 2019) constitue en effet une belle présentation et analyse de ce qui a produit le « macronisme » et sa dérive de plus en plus nette vers une vision pour le moins autoritaire de la démocratie française. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur la perquisition ordonnée au siège de Mediapart le 4 février 2019 faisant suite aux révélations de ce média sur les dessous de l’affaire Benalla (p.7-8). L’auteur sait donc de quoi il parle en matière de dérive autoritaire en cours.
Pour Romaric Godin, le « macronisme » n’est au fond que la revanche ultime sur les concessions faites par le Capital au Travail en 1945, le néo-libéralisme fait homme dans la personne d’Emmanuel Macron. C’est l’État – au sens de sa force répressive, légale et physique – qui bascule de nouveau complètement dans le camp du Capital. L’équilibre ou la neutralité entre ces deux camps, Travail et Capital, que l’État avait adopté après les deux guerres mondiales et les mobilisations populaires depuis la fin du XIXème siècle, n’est donc plus d’actualité, et il est significatif que, pour l’auteur, le néo-libéralisme d’aujourd’hui revient de fait mutatis mutandis à la situation du XIXème, ce siècle de la bourgeoise triomphante, au libéralisme d’avant 1914. « Le capitalisme français du XIXème siècle n’est pas très éloigné d’un idéal néolibéral où la puissance publique vient garantir la protection des profits. »(p. 92) R. Godin rappelle en effet contre la propre auto-définition du néo-libéralisme par lui-même, reprise par la plupart des commentateurs dont moi-même quand je fais cours à mes étudiants (l’État régulateur au service de l’instauration de marchés libres et concurrentiels, vs. le pur laissez-faire déstabilisant du libéralisme classique) que l’histoire de France ne manque pas au XIXème siècle d’épisodes où l’État (impérial, royal, républicain) se met manu militari au service de la bourgeoisie pour préserver les marchés libres et permettre le profit des capitalistes. En somme, on n’a pas attendu dans la douce France Margaret Thatcher et Ronald Reagan pour briser les reins des syndicats et des mobilisations populaires, un Adolphe Thiers savait très bien le faire en son temps. Ce grand bond en arrière que diagnostique Romaric Godin justifie largement la radicalité du titre choisi pour son ouvrage, et l’allusion au Marx des Luttes de classe en France et de la Guerre civile en France est transparente. (Voir aussi les citations de K. Marx, K. Polanyi, et J. Garnault, mises en exergue de l’ouvrage, p. 5)
Romaric Godin retrace donc la genèse et le développement des idées néo-libérales dans la France contemporaine. Pour qui connait le sujet, la démonstration est plutôt classique et nourrie de bonnes sources, en montrant par exemple que ces idées ne sont pas importées, mais s’enracinent profondément dans les élites françaises. Au delà de ce récit qui informera le lecteur sur les sources du « macronisme », il insiste, à juste titre, sur trois points.
Le premier qui revient à plusieurs reprises dans l’ouvrage est que le néo-libéralisme se présente comme l’absolue vérité de l’économie, comme la science définitive de la société, la seule description possible du réel. Comme il s’agit de la vérité, comme le réel ne se discute pas, toute personne qui n’y croit pas doit être soumis à de la « pédagogie », et aucune discussion rationnelle n’est possible pour amender la doctrine. Ce côté inflexible de la doctrine – appuyé sur son scientisme – se présente lui-même de manière quelque peu trompeuse comme du « pragmatisme », parce qu’il s’agit simplement de s’adapter au réel. Selon Romaric Godin – textes et déclarations à l’appui -, Emmanuel Macron, tout comme son actuel Premier Ministre ou son Ministre de l’économie, croient donc s’inspirer d’une science – ce qui se voit aussi bien dans leurs actes et leur insistance à persévérer en toute chose. Ce n’est bien sûr par la moindre ironie de l’ouvrage qu’un journaliste ose se référer à Marx en parlant de Travail et de Capital, tout en décrivant la dérive scientiste du néo-libéralisme, aboutissant à la même rigidité doctrinale que le défunt marxisme scientifique.
Le second est que le néo-libéralisme se vend comme une promesse d’amélioration de la justice entre individus et d’augmentation du niveau de vie de tous. Le marché, désormais libéré des rentes et autres entraves à une saine émulation par l’action résolue de l’État, permettra à chacun d’y être valorisé et reconnu à sa juste valeur. La libération des forces de la concurrence permettra par ailleurs l’innovation, et donc l’augmentation du niveau de vie. « L’individu néolibéral par essence est le consommateur, à qui on promet, par la libre concurrence et le jeu du marché, le meilleur prix. » (p. 48) La promesse de « progrès social », associé au néo-libéralisme, est donc dûment rappelée par R. Godin (p.46-54), avec l’obligation qu’y ont toutefois les travailleurs de se plier à toutes les volontés des entrepreneurs, car eux seuls créent de la valeur. Dans ce discours, il y a de fait un horizon de sens offert par le néo-libéralisme aux sociétés qu’il entend régir. C’est là l’une des clés de son succès, et de sa capacité à séduire y compris à gauche, cette gauche néo-libéralisée qui passe de Fabius et Rocard en Hollande, dont finalement Emmanuel Macron, par son parcours, n’est que le dernier avatar en date. Comme de nombreux auteurs avant lui, R. Godin souligne que cette promesse d’amélioration du sort de tous par le néo-libéralisme n’est guère tenue en pratique si l’on regarde l’augmentation des inégalités dans les sociétés occidentales contemporaines depuis les années 1970 (p.55-60). Il ajoute qu’au delà du succès économique proprement dit, les dirigeants néo-libéraux, dont Emmanuel Macron, visent aussi à convertir la grande majorité de la population à leur doctrine, et, que, malgré les déboires évidents que le néo-libéralisme connait, en particulier depuis 2007-08, ils attendent encore et toujours une conversion de la grande masse des individus à leurs idées. « Parvenu au pouvoir grâce à une alliance de circonstance, avec une partie des opposants au néo-libéralisme pour empêcher l’extrême-droite d’accéder au pouvoir, Emmanuel Macron a estimé que son élection valait adhésion à ses idées. Mais, pour transformer cette illusion légale en réalité et réalisé son rêve de ‘transformation néo-libérale’, il lui faut d’avantage que gagner des élections : il lui faut mener un combat culturel et faire accepter aux Français une marchandisation et une individualisation croissantes de la vie sociale, ainsi que l’abandon progressif des systèmes de solidarité et de protection mis en place depuis 1945. » (p. 236) « Macron tente de gagner du temps, persuadé qu’une fois les réformes établies, le combat culturel sera gagné et qu’il pourra aller encore plus loin » (p. 237). Cet aspect culturel du néo-libéralisme mérite en effet d’être souligné.
Le troisième point est le long conflit qui oppose depuis les années 1970 des élites économiques et administratives converties au néo-libéralisme et la majorité de la population française qui s’y montre décidément réticente, avec les politiciens de droite ou de gauche en médiateurs entre ces deux volontés. En effet, Romaric Godin montre, après d’autres auteurs, que le modèle économique et social français bascule à petite vitesse dans le néo-libéralisme depuis les années 1970 – d’où l’idée d’un « modèle mixte ». Cette lenteur à tout privatiser, flexibiliser, à se débarrasser des compromis d’après guerre, etc. dure dans le fond jusqu’à la Présidence Hollande, où les choses commencent vraiment à s’accélérer, pour devenir ensuite frénétiques sous la Présidence Macron. Elle s’explique par le fait que chaque camp partisan qui détient le pouvoir depuis les années 1970 le perd systématiquement lorsqu’il va trop loin sur le chemin du néo-libéralisme. Nos politiques sont donc prudents, ne voulant pas perdre les élections, alors même que les élites néo-libérales, non-élues, ne cessent de les presser d’agir pour le bien suprême du pays. Il se trouve que j’ai participé au jury d’une thèse en science politique portant sur le destin du néo-libéralisme dans la France contemporaine, celle de Kevin Brookes, lui-même un militant libéral, qui ne dit pas dans le fond autre chose. Il insiste en particulier sur l’échec de Jacques Chirac en 1988 après les deux années de cohabitation où la droite RPR-UDF avait adopté publiquement le néolibéralisme comme doctrine de gouvernement. Cet échec aurait vacciné les dirigeants de la droite de rejouer pleinement cette partition, jusqu’à la campagne de N. Sarkozy de 2007 (marqué aussi comme le rappelle R. Godin par une bonne dose de law and order et de xénophobie pour retenir l’électeur de droite de voter FN) et celle de F. Fillon en 2017. De fait, selon les divers indicateurs développés par K. Brookes, le néo-libéralisme s’impose en France depuis les années 1970 dans les politiques publiques, mais plus lentement qu’ailleurs et à un coût budgétaire plus élevé. Il n’observe d’ailleurs pas de différence notable entre les gouvernements de droite (RPR-UDF) et de gauche (dominés par le PS) sur ce point (après 1988). Les « gilets jaunes » ont donc rationnellement raison de se méfier aussi bien des politiciens de gauche que de droite.
Pour ce qui est du présent, ce long conflit n’est pas résolu, la guerre sociale va faire rage: il n’existe pas en effet de majorité populaire pour adopter des politiques néo-libérales. Emmanuel Macron a réussi à être élu par la vertu d’une configuration bien particulière, sans avoir l’appui d’une majorité réelle de la population pour faire ses réformes, mais nul n’ignore qu’il les fait quand même à marche forcée, d’où l’inévitable tentation autoritaire pour les faire passer. Même si Christophe Barbier et tous les autres éditorialistes de sa classe font des efforts presque surhumains pour faire la pédagogie de la réforme, et si nos forces de l’ordre ont été mobilisés depuis 2016 au moins pour faire de la propagande par le fait auprès des manifestants récalcitrants aux promesses du néo-libéralisme, nos concitoyens ne sont en effet décidément pas convaincus. Romaric Godin se pose d’ailleurs la question de la raison de cette réticence au néo-libéralisme de la part de la masse des Français. Il les voit dans l’histoire de France, justement dans ce XIXème siècle libéral qui aurait laissé de forts mauvais souvenirs à la population française (p. 90-101). Il aurait pu aussi citer à l’appui de sa thèse les travaux de l’historien Gérard Noiriel montrant que les paysans français ont tout fait au XIXème siècle pour rester paysans et pour ne pas devenir eux-mêmes prolétaires laissant souvent cette triste condition aux premiers immigrés sur le sol de la Grande Nation. Il se trouve aussi que, lors de la soutenance de thèse de Kevin Brookes, certains membres du jury lui ont reproché de simplement constater, grâce aux sondages d’opinion, la réticence des citoyens français face aux propositions néo-libérales comme facteur de blocage ou de ralentissement des réformes néo-libérales, mais de ne pas être en mesure de l’expliquer. Dans le même ordre d’idée, il faudrait aussi se demander pourquoi, comparativement, les Français valorisent tellement le travail, et surtout le travail bien fait, ce qui constitue un point d’achoppement majeur avec la vision néo-libérale de la vie qui néglige complètement cet aspect.
Par contre, Romaric Godin, s’il se pose la question de la source des réticences populaires envers le néo-libéralisme, n’ouvre pas complètement le dossier des raisons profondes qui poussent nos élites à s’en tenir à ce néo-libéralisme. Il reconstruit cependant très bien le cheminement de ces idées (du Rapport Armand-Rueff du début des années 1960 au Rapport Attali de 2007), il rappelle quelques grand noms de cette saga (M. Pébereau, A. Minc, etc.), il explique aussi très bien les intérêts économiques derrière cette re-marchandisation de divers champs d’activité. L’intérêt de classe de la bourgeoisie pourrait certes suffire à expliquer cette belle ténacité de la part de ses représentants éclairés à imposer au fil des décennies des politiques publiques dont le grand public ne veut pas. Cependant, je crois qu’il manque quelques pièces du puzzle. Tout d’abord, pourquoi les politiciens, constatant que le néo-libéralisme est bien peu populaire et mène à coup sûr en France à la défaite électorale, n’ont-il pas été chercher d’autres idées? Quand J. Chirac utilise l’idée de « fracture sociale » en 1995 pour s’imposer face à Balladur, pourquoi se retrouve-t-on ensuite avec un Juppé à Matignon? Est-ce parce que, de toute façon, les élites politiques et administratives ne savent plus mettre en œuvre que du néo-libéralisme horizon indépassable de leur temps? Ou est-ce parce que, derrière le mot de « fracture sociale », il n’existe pas alors de doctrine économique et sociale permettant vraiment de faire autre chose? C’est sans doute ce que dirait R. Godin puisqu’il souligne qu’il n’existe pas, même aujourd’hui, de paradigme économique et social alternatif au néo-libéralisme (p. 240). Ensuite, s’il est vrai que les plus dominants parmi les membres de l’élite économique et administrative du pays sont des néo-libéraux convaincus, pourquoi n’a-t-on jamais vu jusqu’ici une élite alternative de challengers frustrés mettre en danger cette prééminence? Est-ce lié au fait que, dans nos grandes écoles (dont bien sûr l’ENA), le recrutement est de plus en plus bourgeois de fait, et qu’il n’y existe plus que des futurs clients des dominants déjà en place? Ou que, globalement, l’enseignement qui y est professé y a été tellement néo-libéral dans son esprit depuis des décennies – merci Raymond!- que personne ne pense autrement? Et puis est-ce que le néo-libéralisme ne se maintient pas dans nos élites parce qu’il constitue un credo simple, voire simpliste, pas bien coûteux à retenir et à resservir ensuite en toute circonstance?
Pour ce qui est de l’avenir, Romaric Godin est plutôt d’un optimisme mesuré, et c’est là un euphémisme. Il constate que, si le néo-libéralisme d’Emmanuel Macron ne dispose d’aucune majorité dans le pays, il est soutenu par une solide minorité d’électeurs et par la plupart des élites étatiques et économiques. Ses opposants sont eux aussi en mauvaise posture: le Rassemblement National (RN) reste honni par une majorité d’électeurs pour sa xénophobie, la droite n’a plus de doctrine distincte du néo-libéralisme, et les gauches sont plus désunies que jamais. En outre, R. Godin souligne que le RN et les gauches ne peuvent se coaliser contre E. Macron. Comme les mécanismes institutionnels de la Vème République semblent incapables de médiatiser cette tension à l’œuvre entre le projet des élites néo-libérales incarné par E. Macron et les refus populaires de ce dernier, il ne reste du coup que l’inédit, comme le mouvement des Gilets jaunes, ou la tentation autoritaire d’un pouvoir « au service d’une seule classe » bien servi par l’armature d’une République présidentielle sans contrepouvoirs institutionnels forts. Pour ne pas désespérer son lecteur, R. Godin finit par le souhait qu’une alternative crédible à la fois sociale et écologique se construise (p. 240-243) pour éviter le néo-libéralisme au forceps, le lepénisme par désespoir ou la glissade dans la violence entre classes sociales . Ces trois dernières pages ne sont pas les plus convaincantes de cet ouvrage, par ailleurs si bien vu, mais avait-il le droit de laisser son lecteur sans espérance aucune? Sans doute non.
Il me semble que cette analyse sous-estime un point : le fait que le néolibéralisme prend appui sur une transformations des valeurs, en l’occurrence la montée des valeurs post-matérialistes, lesquelles valorisent la responsabilité de l’individu et l’équité (cf. le rapport Minc). De ce point de vue, il existe clairement une base électorale conséquente, notamment dans les classes urbaines et diplômées. Par ailleurs, un autre scénario se dessine : celui d’une alliance entre le néo-libéralisme et les écologistes, ce qui a déjà été esquissé avec Nicolas Hulot. Cette alliance a certes capoté, mais elle est promise à un bel avenir car elle peut s’appuyer sur des valeurs communes (la légalisation du cannabis ou l’ouverture des frontières, par exemple). Certes, l’alliance libérale et écolo peut paraître baroque, mais elle n’est pas absurde : l’un des partis qui vient de connaître une relative poussée en Suisse s’appelle Verts’Libéraux, et il correspond exactement au programme de Macron : l’Europe + la transition écolo.
@ Vince38 : cet aspect est effectivement peu pris en compte par R. Godin, et je crois qu’au point de l’histoire où nous en sommes, il a raison. Bien sûr, la montée de l’individualisme joue un rôle dans le succès des promesses du néo-libéralisme dans l’opinion. Il y a bien sûr toute une base du macronisme constitué par ceux aux valeurs individualistes affirmés qui se voient comme des gagnants de la mondialisation, ces fameuses classes urbaines diplômées (une minorité tout de même dans le corps social français). Mais, en pratique,le macronisme aurait sombré aux européennes s’il n’avait pas reçu le « secours bourgeois » des possédants, de cet électorat de droite pas toujours fanatique des valeurs post-matérialistes. Il me semble que ce sont moins les valeurs (au sens des sondages) qui comptent que le rapport aux valeurs boursières qui jouent désormais (ou l’effet patrimoine pour être plus modéré). Etre ou non partisan ou non du Capital, that is the question. Tu remarqueras d’ailleurs que le côté « sociétal » (libertaire en matière de mœurs) du macronisme fait beaucoup moins l’objet de conflits que son cœur réel le néo-libéralisme (économique). En pratique, bizarrement, les forces de l’ordre paraissent bien calmes quand ce sont les opposants à la PMA, ou à l’islamophobie (y compris en conspuant un ministre : Blanquer) qui manifestent, alors qu’elles sortent tout l’arsenal de dissuasion lorsque des gilets jaunes, des banlieusards ou des syndicalistes réclament d’être pris en compte.
L’alliance avec les écologistes me parait effectivement baroque en France, parce que le capitalisme français est dominé (pour l’instant?) par des groupes dont l’activité est incompatible avec l’écologie même libérale si j’ose dire (par exemple Peugeot ou Michelin). La sombre affaire de l’amendement autour de l’huile de palme utilisable dans une usine Total est caractéristique de cette connivence. Par contre, il est vrai qu’une évolution serait possible si des libéraux se mettaient à se diriger dans la direction que tu indiques, d’une écologie de droite à la suisse. La libéralisation du cannabis ne me parait pas être cependant à l’horizon du « macronisme ». Au contraire, on reste là dans le droit fil de la prohibition ratée à la française. Il est vrai que, comme le macronisme a un besoin électoral vital des « vieux » pour survivre électoralement, il ne peut pas se lancer dans ce genre d’aventures. idem sur l’immigration. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron va donner un entretien à Valeurs actuelles, plutôt qu’à Silence…
N’y a t-il pas une surestimation de la résistance française au néolibéralisme ou pour le dire autrement du coût « spécifique » exigé par le démantèlement du modèle social français ? Je pense à Wolfgang Streeck qui a montré que l’endettement des États a été le remède universel pour imposer dans un premier temps l’agenda néolibéral. Comme ailleurs, on a « acheté » chez nous aussi les reformes structurelles.
Plus globalement, la question chronologique me semble être un enjeu majeur de la conceptualisation du néolibéralisme. Chez Streeck comme chez Godin, ou encore Chamayou, on conceptualise un tournant autoritaire par rapport à une première phase accommodante. Et si les analyses à long cours semble factuellement attester la césure, il y a une sorte de polymorphisme des stratégies politiques selon les pays et l’époque ( entre une version soft et une thérapie du choc pour aller vite ).
Je ne sais pas si je suis très clair mais j’ai l’impression que tous ces auteurs lient tendanciellement le type de stratégie auxquels ont recours les politiques avec les phases structurelles, sur le temps long, en fonction de l’avancement de la transformation néolibéral. Ce qui n’est, à mon avis, pas faux mais ne rend pas tout à fait compte de certaines variations.
Je suis un peu dubitatif car comment expliquer alors la thérapie du choc d’entrée dans le monde anglo-saxons et à l’inverse, l’actuel que nous vivons chez nous, en France et qui semble à bien des égards, tardif, décalé, quasiment à rebours. On dira alors le modèle social français…mais comme je le disais au début, n’est-ce pas une boite noire qui fait écran à une articulation plus fine ? .
En tout cas, Romaric Godin, par l’intégrité au quotidien de son travail de journaliste, force l’admiration.
@ Madeleine: sur le coût, K. Brookes dirait sans doute que cela a comparativement coûté plus cher qu’ailleurs.
Plus généralement, sans doute faudrait-il bâtir un modèle général de progression du néo-libéralisme depuis 1970. Toutes les élites nationales économique veulent aller vers le néo-libéralisme et profitent ou non des différentes fenêtres d’opportunité, de l’état des institutions, des rapports de force partisans, etc. C’est sûr que la radicalisation française actuelle vient bien après celle qui eut lieu au Chili après le coup d’État de Pinochet. En l’occurrence, selon R. Godin (soutenu en cela par K. Brookes sans le savoir), ce n’est pas tant le modèle social français (au sens d’institutions, de rapports organisés au sein de la société civile, etc.) qui résiste que les attentes, égalitaristes pour parler comme un néo-libéral, qui présentent une résistance visiblement plus forte qu’ailleurs. La crise des Gilets jaunes est une preuve a posteriori qu’il existe quelque chose de cet ordre qui a empêché une adoption plus radicale. En pratique, cela tient au scrutin majoritaire à deux tours et au caractère composite de la droite et de la gauche sous la Vème République (en résumé, l’ouvrier catholique et le cadre supérieur athée).
En tant qu’abonné à Mediapart j’apprécie énormément le travail de Romaric Godin, une excellente recrue (si je ne me trompe, François Ruffin avait parlé en bien de lui dans Fakir lorsqu’il était à La Tribune).
Merci pour cette recension.
Quand Romaric Godin dit en substance: « le Rassemblement National (RN) reste honni par une majorité d’électeurs pour sa xénophobie… » et en conclut que c’est un atout pour Macron homme lige de l’Oligarchie,je réponds que la haine de la plus grande partie des classes populaires pour Macron + le déni du danger islamiste disqualifiant un peu plus LFI et le PCF+ le souvenir récent d’un PS pour néo-libéral et européiste pourraient aux yeux de certains électeurs de Gauche ou abstentionnistes,pourraient « blanchir » le RN
(à l’instar de la Lega de Salvini en Italie!) et l’aider, sans le vouloir vraiment, à accéder au pouvoir plus rapidement que nous le pensons.
Prudence donc,car la seule certitude en Histoire c’est que tout peut arriver y compris ce qui était considéré comme impensable,cela ne dépend en fait que des circonstances et de l’état d’esprit de la population à l’instant T.