Et voilà, Hollande a parlé sous la forme d’une allocution télévisée.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’aurais du mal à ajouter quoi que ce soit de nouveau dans le tombereau de critiques qui lui ont été adressées de toute part à cette occasion.
Il y a d’abord la forme et l’opportunité. Comment un Président de la République peut-il considérer qu’il se trouve de son registre de parler ainsi d’un cas particulier? En parlant, il valide le fait que « le cas Leonarda » devient une cause célèbre; il a même parlé de « légitime émotion ». F. Hollande parait avoir décidé que le Président normal ne peut pas ne pas intervenir à chaud sur tout ce qui fait débat dans la société française. Il n’a pas alors fini d’intervenir: s’il l’a fait sur ce sujet, pourquoi pas sur tous les autres sujets qui se présenteront? Le reproche qu’on peut lui faire de continuer ainsi la détestable pratique de N. Sarkozy en la matière va redoubler.
Il y a ensuite le fond de ce qui a été annoncé. François Hollande fait comme s’il disposait en cette affaire d’une sorte de droit de grâce, ou de droit d’exception au droit commun, du seul fait qu’il se trouve être le Président de la République. Je sais bien que la fonction présidentielle en France consiste entre autres choses à faire croire à la populace un peu niaise au demeurant qu’un chef omnipotent peut tout (ou presque), tel un Pharaon de l’ancienne Égypte régulant le flux du Nil par ses bonnes relations avec ses pairs, les Dieux. On ne se fait certes élire Président que comme cela: « Ensemble, tout devient possible », ou « Le changement, c’est maintenant », n’est-ce pas? Mais tout de même dans le cas d’espèce, la solution proposée (pas de retour de la famille concernée, mais seulement de la seule Leonarda) s’assoit allègrement sur la chose jugée et le droit en vigueur. Il suffit de lire le rapport des Inspecteurs généraux sur les conditions de l’expulsion pour se rendre compte que la séparation des membres d’une famille ne va pas du tout de soi aujourd’hui. On aurait pu n’expulser que le père de famille, on prend pourtant soin d’expulser dans le même temps tout le monde justement pour ne pas transiger avec ce principe. Et, là, le Président, désavouant son administration, propose le contraire, provoquant d’ailleurs une réaction ulcérée et logique de refus de la part de la dite Leonarda. Le moins que l’on puisse dire, c’est que parler de « jugement de Salomon » à propos de la décision de F. Hollande en l’espèce ne fait justice du sens habituel de cette expression.
Il y a enfin l’aspect directement politique. Tout le monde est d’accord pour dire que cette décision ne satisfait personne. La « générosité » du Président, pour reprendre les termes du Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, ne semble pas assez grande à Harlem Désir, premier secrétaire du premier parti de la majorité présidentielle, le PS, et donne l’occasion à quelques noms d’oiseaux adressés au Président de la part des représentants du « Front de gauche » et de certains intellectuels ou personnalités classées à gauche (par exemple le sociologue Eric Fassin ou le cinéaste Arnaud Despleschins). Une partie de ces gens de gauche soupçonnent le Président de machiavélisme et l’accusent de cruauté à l’égard de Leonarda et de sa famille, c’est-à-dire de bien savoir en fait que ce qu’il a proposé à Leonarda et à sa famille se trouve en pratique impossible. Inversement, cette « générosité » est soupçonnée à droite de préparer le retour en France de toute la famille de la dite Leonarda, et il faut bien dire qu’après toutes les informations qui ont été distillés sur cette famille depuis une semaine par les médias et à en juger par le suivi médiatique de l’affaire, cet éventuel retour consisterait le plus long spot télévisé jamais diffusé en faveur de l’extrême-droite.
De fait, le choix présidentiel souligne s’il en était besoin à quel point la gauche de la gauche se fait actuellement « couillonner » par F. Hollande : en effet, dans son allocution, il a annoncé une nouvelle circulaire sur le fait que les procédures d’expulsion ne sauraient en aucune manière interférer avec la vie scolaire – ce qui a été fait dans la foulée par le bienveillant Manuel Valls -, mais il se garde bien d’annoncer qu’une révision générale de la politique en matière d’accueil et de séjour des étrangers va être engagée. Il souligne ainsi le fait qu’il croit les gens de la gauche de gauche assez proches des pieds-nickelés pour se satisfaire simplement de ce symbole d’une école inviolable. F. Hollande a certes bien compris qu’il faut traiter le fantasme de Vél d’Hiv qui circule dans la gauche de la gauche. En effet, si toute cette affaire a tourné en scandale et que le rapport de l’Inspection générale peut parler du coup de « manque de discernement » des forces de l’ordre, c’est uniquement parce qu’aux yeux de certains, cette situation a été vécue sur le mode du retour à 1942. Prendre une enfant rom aujourd’hui lors d’une sortie scolaire, c’est pour eux comme revivre une rafle vichyste, rien de moins, rien de plus. Cela leur permet certes de s’enorgueillir à bon compte de leur moralité de résistants. F. Hollande en tient compte dans son allocution, il ne faut plus que cela se reproduise, dont acte, mais, en même temps, il n’est pas question de remettre en cause la politique de l’immigration en général, qui, en l’état, correspond sans doute, à la volonté majoritaire du peuple français. Depuis le printemps 2012, s’il l’avait voulu, le Président aurait pu faire voter par sa majorité une loi sur les conditions de séjour des étrangers en France… il ne l’a pas fait, tiens, tiens, pourquoi donc?
A mon avis, cette intervention s’inscrit donc dans un contexte politique plus large, où la gauche de gauche (y compris une partie du PS) est en train de découvrir avec consternation la réalité des politiques publiques suivies par F. Hollande, et où ce dernier essaye de leur donner l’occasion de ne pas comprendre en leur offrant des satisfactions morales et symboliques.