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Ces compromis qui tuent l’Europe (2)

(Version légèrement révisé le 14 juillet en milieu de journée.)

L’accord auxquels sont arrivés les dirigeants européens dans la nuit de dimanche à lundi constitue vraiment un pur chef d’œuvre. Il restera indéniablement dans les annales de l’histoire européenne. François Hollande a eu raison de le qualifier d’historique, il l’est d’évidence, une vraie pierre de Rosette de l’Euro. Tout est clair désormais. Pour sauver l’intégrité de la zone Euro, les dirigeants européens ont en effet choisi de piétiner toute raison économique et politique. Il suffit de lire l’accord dans sa version anglaise (qui, je suppose, est la version sur laquelle nos dirigeants ont négocié et qui m’a paru différer de la version française en quelques points qui peuvent être des erreurs de traduction) pour se rendre compte à quel point il constitue une négation de la démocratie souveraine de la Grèce, à quel point il n’est que diktat, à quel point il n’est que méfiance vis-à-vis des autorités grecques (cf. la première phrase : « The Euro Summit stresses the crucial need to rebuild trust with the Greek authorities as a pre-requisite for a possible future agreement on a new ESM programme. ») La mise sous tutelle de ce pays, tout au moins dans tout ce qui concerne sa vie économique et sociale, est évidente. Il y est écrit explicitement que, s’il n’y a pas de déblocage de fonds à la fin du processus engagé, cela sera entièrement la faute de la partie grecque (cf. le passage suivant : « The above-listed commitments are minimum requirements to start the negotiations with the Greek authorities. However, the Euro Summit made it clear that the start of negotiations does not preclude any final possible agreement on a new ESM programme, which will have to be based on a decision on the whole package (including financing needs, debt sustainability and possible bridge financing). », ce qui veut dire en clair que ce n’est pas parce que vous aurez fait tout cela au préalable que l’on vous donnera nécessairement de l’argent). Il ne manque à ce document que la nomination à Athènes d’un « Haut commissaire plénipotentiaire extraordinaire »  à la place de toutes les autorités légales du pays pour compléter le tableau. Cela reste juste un peu plus discret, « post-moderne » en somme, avec le retour prévu (la « normalisation » de leur situation selon le texte) des hauts fonctionnaires de la « Troïka » (les « Institutions ») dans les ministères grecs pour surveiller ce qui s’y passe (cf. la formule, [la Grèce s’engagera] « to fully normalize working methods with the Institutions, including the necessary work on the ground in Athens, to improve programme implementation and monitoring ») , et avec l’engagement de revoir toute la législation prise depuis le 20 février 2015 quand elle ne correspond pas à ce que les MoU (Memorandum of Understanding) précédents avaient prévu (cf. « With the exception of the humanitarian crisis bill, the Greek government will reexamine with a view to amending legislations that were introduced counter to the February 20 agreement by backtracking on previous programme commitments or identify clear compensatory equivalents for the vested rights that were subsequently created. »)  – clause  vexatoire pour Syriza et son Premier Ministre. En tout cas, il est désormais évident que, dans la zone Euro, certains sont vraiment plus égaux que d’autres. Ce texte ressemble à s’y méprendre à un document de capitulation, avec toute l’acrimonie que peut comporter un tel texte de la part des vainqueurs.

Sur le plan strictement économique, c’est à tout prendre du pur délire. Je n’ai pas lu pour le moment un commentaire à contenu économique qui ne souligne pas ce fait. Les dirigeants européens reprennent dans ce plan du 12 juillet 2015, qui constitue en fait les lignes directrices du troisième Memorandum et qui vise à ouvrir la voie à un prêt du MES (Mécanisme européen de stabilité), tout ce qui n’a pas marché jusque là et qui a mené la Grèce vers l’abîme, et, pour bien faire, ils en rajoutent une bonne pelletée. Tsipras lui-même l’a dit en sortant de la réunion lundi matin 13 juillet : « Cet accord est récessif ». Il espère certes que les fonds européens apportés pour investir en Grèce vont compenser cet effet. C’est illusoire bien sûr, parce que la détérioration de l’économie ira bien plus vite que le déblocage de ces fonds européens. La hausse immédiate de la TVA par exemple va plonger encore plus l’économie dans la récession. (Et va sans doute encourager la fraude fiscale!) Les choix de politique économique imposés à la Grèce restent donc inchangés, comme l’a dit clairement le spécialiste de l’Euro, Paul De Grauwe (dans un entretien donné à la Libre.be) : austérité, privatisations et réformes structurelles, le tout accompagné de prêts conditionnés surtout destinés à rembourser les prêts déjà consentis, et à sauver les banques privées grecques de la faillite (due entre autre au ralentissement économique qui a rendu beaucoup de leurs emprunteurs insolvables). Quant à la cagnotte des privatisations, évaluée à 50 milliards d’euros, c’est là encore une redite des plans précédents, un chiffre fétiche (pourquoi 50 et pas 25,  75 ou 100?). Le  montant a sans doute été choisi pour faire croire que les créanciers n’auraient rien de plus à prêter à la Grèce que ce qu’ils n’ont déjà prêté. Bien sûr, tous ces choix, à tout prendre délirants, dépendent de deux constantes inchangées : le maintien de la Grèce dans la zone Euro et le montant nominal de la dette grecque face à une économie diminuée d’un quart par rapport à 2010. Comme les dirigeants européens se sont mis d’accord pour ne rien changer sur ces deux points (cf. « The Euro Summit stresses that nominal haircuts on the debt cannot be undertaken. » suivi de « The Greek authorities reiterate their unequivocal commitment to honour their financial obligations to all their creditors fully and in a timely manner. ») , il ne reste plus qu’à continuer sur la lancée des plans précédents, qui ont si bien fonctionné. Et bien sûr c’est sûr, cette fois-ci, cela va bien marcher. (En dehors des aspects macroéconomiques, un tel accord va pousser encore plus de jeunes grecs à quitter le pays, ce qui aggravera à terme encore la situation économique et sociale de la Grèce.) Les difficultés  à rester dans les clous du Memorandum précédent sont d’ailleurs attribués explicitement et exclusivement dans le texte au relâchement de l’effort depuis un an, autrement dit au cycle électoral grec, et souligne même que les autres Européens ne sont pour rien dans la situation, bien au contraire, ils ont fait leur devoir et plus encore (cf. « There are serious concerns regarding the sustainability of Greek debt. This is due to the easing of policies during the last twelve months [sic, je souligne], which resulted in the recent deterioration in the domestic macroeconomic and financial environment. The Euro Summit recalls that the euro area Member States have, throughout the last few years, adopted a remarkable set of measures supporting Greece’s debt sustainability, which have smoothed Greece’s debt servicing path and reduced costs significantly. ») Là encore, je me demande encore comment Tsipras a pu donner son accord à un tel document, qui exonère les autres Européens de toute responsabilité dans la situation de la Grèce.

Sur le plan politique, la démonstration est en effet ainsi faite  à travers ce texte : un pays débiteur dans le cadre de la zone Euro n’a plus besoin d’organiser des élections libres et compétitives, et encore moins des référendums. Ces institutions démocratiques à l’occidentale s’avèrent même contre-productives pour le bonheur des populations dans ces pays, qui sont entièrement à la merci du bon-vouloir des pays créditeurs et des institutions européennes (Commission et surtout BCE) que ces derniers dominent, et qui n’ont qu’à attendre que l’austérité fasse son effet positif à moyen terme sans se plaindre. Les populations des pays débiteurs n’ont  d’ailleurs pas lieu de se plaindre vraiment puisqu’on les aide – il est même question d’aide humanitaire -, et, par ailleurs, elles n’ont sans doute que ce qu’elles méritent pour avoir de tout temps bien mal utilisé leur droit de vote, d’abord en élisant des dirigeants corrompus nationalistes, dispendieux et inefficaces jusqu’en janvier 2015, pour ensuite passer le relais à des rêveurs gauchistes, et pour avoir enfin voté courageusement bêtement lorsqu’on leur a demandé leur avis par une démagogie d’un autre temps. A ce compte-là, les Grecs étant au fond de grands enfants, il serait certes plus simple qu’ils ne votent plus, cela ferait des économies, éviterait toutes ces discussions oiseuses et éviterait de faire dérailler les beaux programmes de redressement conçus pour l’économie grecque. De toute façon, les autres pays membres de la zone Euro n’ont à ce stade besoin que d’un prête-nom, d’un fantoche, qui maintient l’illusion de la souveraineté. Quand on demande un pays de voter autant de lois dans les trois jours ou les dix jours (dont un code de procédure civile pour le 22 juillet, « the adoption of the Code of Civil Procedure, which is a major overhaul of procedures and arrangements for the civil justice system and can significantly accelerate the judicial process and reduce costs »), on fait d’évidence bien peu de cas de ses soit-disant législateurs – l’insulte est d’autant plus énorme que jamais cela ne se passerait ainsi au Bundestag ou encore moins au Parlement européen. Ce genre de mise sous le joug d’un pays par un autre s’est vu bien souvent dans l’histoire, et c’est d’ailleurs justement par la dette que certaines colonies françaises ont commencé à exister (comme la Tunisie si mes souvenirs sont exacts). L’Euroland vient donc par la déclaration du Conseil européen daté du 12 juillet 2015 (rendu publique le 13 au matin) de se doter de sa première colonie intérieure. Un Premier Ministre, soit disant d’extrême-gauche (?), vient ainsi de prouver au monde que, sous la ferme pression de ses pairs européens, il peut accepter un programme de la plus stricte orthodoxie néo-libérale. C’est du pur TINA – avec des détails tragi-comiques, comme cette obligation de légiférer  sur l’ouverture des magasins le dimanche. (C’est vrai que dans un pays touristique, le client devrait être roi en toute heure et en tout lieu.) A lire l’accord, on ne peut que penser que le résultat du référendum a vraiment été tenu pour rien, voire moins que rien. (Ou pire qu’il aurait donné l’envie aux autres dirigeants européens d’obliger Tsipras à se renier entièrement, y compris sur des points de détail.) Il a simplement accéléré les choses. De fait, si le gouvernement Tsipras avait signé avant et sans référendum, il aurait de toute façon eu à négocier cet automne un autre mémorandum. Simplement, avec le référendum, les choses sont allées directement à la négociation suivante. Et comme les autres dirigeants européens ne veulent rien changer à leurs recettes de « sauvetage » économique, on aurait de toute façon abouti au même résultat. Il n’y a donc pas grand chose à regretter, et en plus, l’épisode du référendum constitue un acquis pour la connaissance de l’Union européenne en général et de la zone Euro en particulier qui ne sera pas oublié.

Les premières  leçons de tout cela sont terribles.

Du point de vue économique, les gestionnaires actuels de l’Eurozone ne connaissent d’évidence qu’une seule potion pour régler les problèmes d’un pays. Si cette potion d’aventure ne marche pas, c’est la faute des dirigeants  nationaux concernés qui ne se la sont pas assez « appropriés », qui ont relâché l’effort. Elle ne peut que marcher, puisqu’elle a marché en Lettonie, Estonie, etc.  Le principe de « subsidiarité », qui supposerait au minimum une adaptation des politiques économiques européennes aux spécificités de chaque pays membre, est totalement mort et enterré.  Il n’existe qu’une one best way européenne, point barre. Cela ne peut que marcher.

Du point de vue politique, le dénouement de la nuit du 12 au 13 juillet 2015 montre que les dirigeants européens sont prêts à tout sacrifier au maintien de la zone Euro – enfin, à vrai dire, surtout le bonheur des autres – , et qu’ils ne comptent en même temps pour rien la légitimité du projet européen comme lieu de progrès démocratique, économique et social et comme moyen de pacifier les relations entre peuples européens. L’élection comme moyen de signaler un désarroi populaire n’a pas de valeur dans la zone Euro : les rapports de force entre États l’emportent sur toute considération démocratique de légitimité. Le résultat du référendum grec (61% de non à plus d’austérité) aurait dû aboutir au minimum à un début de réflexion sur une autre approche du problème grec, il n’en fut rien. Et je crois qu’il faudra un certain temps pour bien digérer ce fait politique, presque inédit à ma connaissance dans les annales de la vie démocratique des nations, surtout dans l’immédiateté du déni du résultat populaire par les élites concernées (aussi bien d’ailleurs en Grèce qu’ailleurs en Europe). Il n’y a même pas eu de « période de réflexion » comme il y en eut après les référendums français et néerlandais de 2005.

Par ailleurs, comme je l’ai dit plusieurs fois sur le présent blog, les investissements politiques dans l’Euro sont décidément tels qu’il est totalement impossible aux dirigeants européens de s’en passer. Les économistes auront beau montrer qu’il n’est pas rationnel de s’entêter dans cette mauvaise idée, cela ne sert absolument à rien. Dans le cas présent, ce sont d’après ce qu’on a pu savoir surtout les dirigeants français qui ont fait pression pour qu’une solution soit trouvée à tout prix – probablement les États-Unis ont aussi fait leur part plus discrètement pour des raisons géopolitiques et financières. En effet, le présent accord doit aussi être vu du côté des pays « créditeurs ». Les dirigeants allemands étaient sans doute sérieux dans leur menace de provoquer le Grexit. Le témoignage de l’ancien Ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis, donné à un journal britannique, le NewStateman, va dans ce sens. De fait, il correspond bien à la tonalité du texte adopté par les dirigeants européens. Il apparait sans doute absurde  aux dirigeants allemands et à leurs proches alliés dans cette affaire de financer à fonds perdus un État comme la Grèce, d’où leur demande d’un alignement total de la Grèce sur leur idée de la bonne politique économique, d’où leur volonté de tirer le maximum de ressources de la Grèce elle-même en prévoyant le plus de privatisations possibles, d’où leur refus d’envisager la moindre annulation de dettes. En somme, il ne faut pas sous-estimer le fait que ces États créditeurs se trouvent eux aussi prisonniers de l’impasse que constitue l’Euro, et qu’ils y défendent ce qu’ils croient être leur meilleur intérêt – payer le moins possible.   Cependant, il faut souligner aussi que les derniers jours ont clairement fait apparaître la difficulté des États « créditeurs » à continuer la mascarade de l’Euro comme promesse d’une  Union politique à venir. En effet, ces États « créditeurs », dont bien sûr l’Allemagne, défendent aussi désormais publiquement leur idée d’un Euro sans aucune solidarité entre États. Il y a en somme désormais deux versions d’un « Euro intangible », celle des Français qui y voient encore le projet d’union politique de l’Europe et celle des Allemands et de leurs alliés qui n’y voient que le « super- Deutsche Mark » partagé entre les seuls États « sérieux » du continent européens, mais les deux s’accordent encore (pour l’instant) sur l’idée d’un Euro qui doit perdurer. L’illusion d’une concordance pourrait ne pas durer, sauf si la France se rallie pleinement à la version allemande- le choc risque d’être rude de ce côté-ci du Rhin: « L’Europe sociale n’aura pas lieu », et donc tout le projet socialiste français établi dans les années 1980 est caduc.

Pour les forces qui voudraient s’opposer aux règles et fonctionnements de l’Eurozone actuelle, la leçon grecque est difficile à accepter dans toute son horreur et dans toute son exigence. En pratique, il n’existe donc aucune sorte d’accommodements possibles, tout au moins dans le cadre d’un État « débiteur ». Pour reprendre la terminologie bien connue, « Voice » (la protestation) est inutile, il ne reste que « Loyalty » (la soumission silencieuse) ou « l’Exit » (la sortie). Les électeurs grecs ont tenté la voie de la protestation, et sont allés jusqu’à voter massivement non à un référendum. Cela n’a servi absolument à rien. Les autres électeurs ailleurs en Europe sont prévenus : il ne sert vraiment plus à rien d’aller voter sur ce genre d’enjeux, ou alors il faut voter pour des forces authentiquement décidés à en finir avec l’Euro. De fait, tout ce qui arrive aux Grecs et au parti qu’ils ont choisi pour les représenter en janvier dernier, Syriza, tient à leur illusion qu’il puisse y avoir une autre voie dans l’Euro. Le politiste Cas Mudde a raison de souligner qu’il ne peut pas y avoir d’euroscepticisme conséquent, ou de volonté de créer une « autre Europe », qui ne passe pas  d’abord par une sortie de la zone Euro. Cette dernière est en effet de par sa conception même, sans doute moins néo-libérale qu’ordo-libérale, et par la domination des États « créditeurs » qui s’y exerce incapable – y compris via la BCE – d’accepter d’autres options de politique économique que celles de l’austérité permanente. En fait, depuis l’adoption du TSCG et des autres mesures de contrainte budgétaire (« Six Pack », « Two Pack », etc.), il s’agissait déjà d’une évidence de papier, mais, désormais, la Grèce nous offre à son corps défendant un exercice en vraie grandeur de cette évidence – avec la BCE dans le rôle de l’exécuteur des basses œuvres de l’Eurogroupe, de bras séculier en quelque sorte. Le service de la dette publique et la stabilité de la monnaie comme réserve de valeur l’emportent décidément sur la volonté populaire, comme dirait le sociologue allemand Wolgang Streeck, qui décidément a bien cadré notre époque (cf. Du temps acheté. Paris : Gallimard, 2014).

Cela pose bien sûr un problème de cohérence : pour être sérieux face à l’Euro, il faudra désormais, non pas être gentiment réformiste et « européiste » comme le fut Tsipras (qui, rappelons-le, s’était présenté à la Présidence de la Commission lors des européennes de mai 2014 au nom du « Parti de la gauche européenne » [PGE] et sous le slogan éculé d’une « Autre Europe »), mais méchamment révolutionnaire et  « nationaliste ». Je doute que ce triste constat fasse les affaires de la (vraie) gauche européenne, et encore moins de la (vraie) gauche française.

Ces compromis qui tuent l’idée européenne.

Je n’ai pas écrit depuis longtemps sur ce blog, et en particulier sur la crise européenne en cours. Je continue pourtant à suivre jour par jour, parfois heures par heures, les développements de cette crise européenne. Mon pessimisme, devenu légendaire auprès des jeunes et moins jeunes collègues comme j’ai encore pu le constater lors de mon (bref) passage au Congrès de l’AFSP (Association française de science politique) à Aix-en-Provence, me voile sans doute une bonne part de la réalité.

Les derniers développements en date de la partie grecque de la crise européenne ne risquent pas de me détourner de mes sombres pensées. En effet, où en arrive-t-on au bout de près de six mois de négociations entre le nouveau gouvernement grec Syriza-ANEL – le gouvernement « rouge-brun » d’Athènes selon les très démocrates Gracques (anciens hauts fonctionnaires « socialistes ») – avec les « États » créditeurs de la Grèce  (Allemagne, France, etc.) au sein de l’Eurogroupe, et avec les « institutions » (ex-« Troïka »: la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international)?

Comme, d’habitude dans les négociations intra-européennes (ici étendues au FMI), à ce qui est nommé un compromis. Les créditeurs vont libérer les sommes promises à la Grèce et encore dues au titre du « second plan de sauvetage » de 2012, permettant ainsi à ce pays d’honorer les appels de fonds de ces mêmes créanciers dans les semaines qui viennent, et le gouvernement grec s’engage à prendre d’urgence les mesures de politique économique demandées par les créanciers pour prix de leur apport de liquidités. Et ces mesures, à adopter d’ici quelques jours pour leur partie législative, s’inscrivent à ce qu’on peut en savoir par les médias  dans la ligne de tout ce que les créanciers ont déjà demandé aux gouvernements grecs successifs depuis le printemps 2010, et qui n’a pas marché jusqu’ici! Du moins si l’objectif visé n’était pas de provoquer une dépression en Grèce de 25% du PIB…  Tout ce que les médias ont pu apprendre des négociations en cours va en effet dans ce sens de la répétition du même scénario. De fait, le gouvernement Syriza-ANEL a débloqué les négociations lors des Eurogroupe et Conseil européen extraordinaires de lundi 22 juin 2015 en promettant d’adopter des mesures « austéritaires » dont il ne voulait  absolument pas lors de son élection en janvier. D’après ce que l’on sait par la presse, le gouvernement Tsipras accepterait par exemple d’augmenter la TVA, y compris sur l’hôtellerie-restauration. Il n’y aurait pas de baisse directe de toutes les pensions de retraite, mais des hausses des cotisations des retraités, ce qui revient au même. La liste complète des mesures acceptées par le gouvernement Syriza-ANEL ne sera sans doute connue  lorsque le compromis final sera acté, mais cela apparait d’ores et déjà comme l’habituel monceau de stupidités.

En effet, si l’on veut relancer l’économie grecque, qui a souffert depuis 2010 de l’écroulement de la demande adressée aux entreprises grecques, il parait totalement stupide de continuer sur la même voie, avec en particulier une hausse de la TVA! Et, en plus, sur le secteur des services (l’hôtellerie-restauration) exposé à la concurrence internationale, puisque la Grèce compte beaucoup sur le tourisme des étrangers pour faire tourner son économie. On peut d’ailleurs imaginer encore plus rémunérateur pour les finances publiques grecques : je suggérerais bien une taxe de 1000 euros par touriste entrant en Grèce!  Je suis certain que cela rapporterait beaucoup.

Le résultat de ces mesures, si elles sont appliquées, sera donc exactement le même que celles prises dans le cadre de tout le scénario précédent : l’économie grecque continuera, au pire, à s’enfoncer dans la dépression, ou, au mieux, à avoir un rythme de croissance à peine positif qui ne réglera aucun des problèmes du pays (chômage, endettement, évasion fiscale, fuite des cerveaux, etc.).

Et tout cela parce que l’Union européenne et la zone Euro fonctionnent sur des compromis liés à des rapports de force (chacun poursuit ce qu’il croit être son intérêt) et non pas sur la définition en commun de stratégies (la discussion rationnelle sur un problème qui aboutit à un choix avisé).

Dans le cas grec, cette culture du compromis est en train d’aller jusqu’à la caricature d’elle-même.

Les États créanciers  et les institutions, surtout le FMI, ne veulent pas dévier de la ligne adoptée en 2010. Il leur faut donc encore et toujours de l’« austérité » et des « réformes structurelles ». Ils ne peuvent renier l’idéologie qui les inspire, et ils ne peuvent surtout pas réagir autrement vu l’évolution des électorats dans les « États créanciers » qu’ils ont eux-mêmes favorisée par la promotion de l’explication de la crise par le caractère prodigue et corrompu des Grecs. Ils sont  donc en passe d’obtenir à peu de choses près la poursuite de ce qui a échoué, alors même qu’un rapport issu du FMI paru dès 2013 expliquait que les plans précédents avaient sous-estimé l’effet multiplicateur récessif des mesures d’austérité prises en 2010-12. Il leur faut aussi maintenir à tout prix devant leurs propres électeurs la fiction selon laquelle la Grèce remboursera à la fin tout ce qu’on lui a prêté depuis 2010, et qu’il ne s’agit donc que de prêts à ces « fainéants de Grecs » et non pas de dons. On imagine donc des scénarios où, pendant des décennies, l’État grec se désendette lentement mais sûrement. Or tous les économistes répètent sur tous les tons que c’est impossible.

Le gouvernement grec Syriza-ANEL, même s’il sait (en particulier via son Ministre Yanis Varoufakis) et dit que ce qu’on exige qu’il  fasse constitue une erreur de politique économique, se trouve cependant sur le point de le faire, parce qu’il reste lui-même pris dans cette volonté européenne de compromis à tout prix et aussi parce qu’il n’a pas le mandat de la part des électeurs grecs pour sortir de la « zone Euro ». A ce compte-là, il serait en effet à tout prendre plus raisonnable de tenter la voie de la sortie de la monnaie unique: une forte dévaluation de la nouvelle monnaie grecque permettrait de regagner la compétitivité, en particulier pour le secteur touristique. L’idée selon laquelle la Grèce ne bénéficierait pas d’une dévaluation m’a toujours paru étrange, alors même que les politiques de change agressives sont légion dans le monde contemporain (ne se félicite-t-on pas au même moment à Paris de la baisse de l’Euro qui relance nos exportations et qui fait revenir les touristes américains à Paris? ). Quoi qu’il en soit les deux partis qui constituent l’actuel gouvernement avaient promis de concilier le maintien de la Grèce dans la zone Euro et la sortie de la tutelle de la « Troïka » sur la politique économique et sociale grecque pour s’attirer les suffrages des électeurs grecs. Ces derniers ont eu la faiblesse de les croire. Aux dernières nouvelles, A. Tsipras mettrait dans la balance son propre sort en tant que chef du gouvernement pour faire passer au Parlement grec le texte signé avec les « créanciers ».

Très probablement, un compromis sera donc trouvé, mais il ne réglera rien parce qu’il ne constitue pas une stratégie de sortie de crise. Il est possible en plus que le gouvernement Syriza-ANEL y perde sa majorité, et que cela donne lieu à de nouvelles combinaisons parlementaires en Grèce. En effet, l’un des éléments du scénario  en cours est aussi constitué par la volonté de nombreux gouvernements européens de faire tomber le gouvernement Syriza-ANEL. Les Gracques (des anciens hauts fonctionnaires socialistes) explicitent dans un article récent le raisonnement : il faut que le gouvernement Syriza-ANEL échoue pour éduquer tous les autres populistes du reste du continent. TINA doit être démontré et défendu.  En effet, en prolongeant pendant près de six mois les négociations, les États créditeurs ont créé de l’incertitude politique en Grèce, et ont par conséquent affaibli l’économie grecque. Si le sort de la Grèce et de son économie avait vraiment été important pour les autres pays, il aurait fallu conclure rapidement pour permettre aux opérateurs économiques grecs de savoir à quoi s’en tenir. C’est bien là une autre preuve qu’il n’existe pas une stratégie européenne pour la Grèce, mais la défense d’intérêts de boutique par chacun.

Et puis, au delà de toute cette mécanique économique, il faut souligner le désastre que représente cette crise européenne, commencée en 2010, pour la constitution (souhaitable?) dans les esprits et les cœurs d’une communauté de destin européenne . La manière dont les médias parlent, en France et ailleurs en Europe, de ces négociations, qu’ils soient d’ailleurs défavorables à l’actuel gouvernement grec (95% des médias) ou favorables (5% des médias), revient à répéter à longueur de journée qu’il existe, d’un côté, « la Grèce », et de l’autre, « l’Europe ».  Le cadrage de la crise européenne selon laquelle « c’est avant tout un problème grec » l’a (définitivement?) emporté sur celui selon lequel « une monnaie unique sans État fédéral pour prévenir et gérer les chocs asymétriques sur une partie de la zone monétaire ainsi constituée aboutit à des résultats sous-optimaux ». J’ai formulé sciemment ce second cadrage de manière longue et compliquée pour souligner que le premier est tellement plus simple à diffuser dans l’opinion publique qu’il aurait été fort étonnant qu’il ne l’emporte pas, porté en plus qu’il était par des rapports de force entre le centre et la périphérie de l’Eurozone. Il aurait fallu là encore pour éviter cet effet de stigmatisation d’un pays membre, et par là de ces habitants, une stratégie européenne.

Combien de temps une « union toujours plus étroite » fondée sur le seul compromis peut-elle survivre à l’absence de stratégie d’ensemble? Je commence à me le demander.

L’Union européenne, cette copropriété en difficulté…

La lettre signés vendredi soir 20 février 2015 entre le gouvernement grec d’Alexis Tsipras et les autres pays de la zone Euro rend encore plus évident, s’il en était encore besoin, les apories auxquelles la « construction européenne » se heurte de plus en plus.

Le gouvernement grec a accepté de continuer à respecter le cadre général de la tutelle que le pays subit depuis 2010 en contrepartie de l’aide que les autres pays de l’Eurozone, le FMI et la BCE lui allouent. Il doit proposer lundi 22 février une liste de « réformes structurelles » que ses créanciers doivent agréer ensuite, afin que le pays et ses banques aient accès à des liquidités suffisantes pour ne pas faire faillite et pour refinancer les dettes de la Grèce.  En vertu de cet accord qui prolonge de fait le plan de sauvetage de 2012, un délais de quatre mois (et non de six) a été négocié pour que le gouvernement grec propose autre chose que la politique économique choisie jusqu’ici, mais, d’ici là, il doit respecter comme avant les consignes agréées par ses partenaires. En échange, il reçoit le droit de faire un tout petit plus de dépenses publiques en 2015 que prévu initialement (et encore à condition que les impôts et taxes rentrent comme prévu), ce qui devrait lui permettre de répondre aux urgences sociales les plus pressantes.

L’interprétation de ce résultat diffère selon les commentateurs. Certains libéraux, comme Eric Le Boucher, y voient, avec un plaisir non dissimulé, la défaite sans appel du populisme de Syriza. L‘économiste Jacques Sapir – pour une fois optimiste! – y voit plutôt un bon début de partie pour le Ministre grec de l’économie, Yanis Varoufakis, sans que rien ne soit acquis. Le journaliste de la Tribune, Romaric Godin, pense qu’il s’agit d’un match nul, ou d’une courte défaite pour le côté grec, ce qui vu les circonstances (les humiliations subies depuis 2010) constitue une victoire morale pour la partie grecque. La détermination du vainqueur de la confrontation fait pleinement partie du jeu : vendredi soir, lors de sa conférence de presse, pour signifier sa victoire, le Ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a déclaré que l’accord serait « difficile à vendre à l’électorat grec » – autant dire que le Ministre allemand aimerait bien que l’accord échoue et qu’il provoque la chute du gouvernement Syriza-ANEL. La réaction de ce jour du vieux résistant grec, Manolis Glezos, devenu eurodéputé Syriza, parlant de trahison par les négociateurs grecs des demandes populaires exprimées par l’élection du 25 janvier 2015, va largement dans le sens de ce qu’anticipait avec délectation le très conservateur W. Schäuble. Il est possible cependant que le fait même que le dit Ministre allemand souhaite un tel développement contribue à l’arrêter, et atteste de la victoire grecque. Plus généralement, dans toute l’Union européenne, il y a ceux qui espèrent dans le succès du gouvernement Tsipras et ceux qui en font des cauchemars. Dans une perspective plus pessimiste (ou simplement plus financière), on peut aussi interpréter ce qui est en train de se passer comme un vaste jeu de « blame avoidance » : la sortie de la Grèce de la zone Euro se trouve en fait inévitable (ce que pense un J. Sapir par ailleurs), mais ni le gouvernement grec ni ses partenaires ne veulent endosser la responsabilité ultime de cet événement (« Grexit »), l’accord servirait du coup simplement à en repousser le moment, et surtout à essayer des deux côtés à rejeter le moment venu la faute sur l’autre.

Au delà de ces considérations immédiates, l’accord du vendredi 20 février, à la fois dans sa négociation et son résultat, illustre à mon sens encore une fois cette double aporie de la zone Euro : la sortie pour un pays est impossible; la solidarité entre habitants des différents pays y est inexistante.

Premier point. Comme l’ont fait remarquer rapidement les commentateurs, la faiblesse de la partie grecque dans les négociations tient au fait que le gouvernement Tsipras n’a pas été élu pour faire sortir le pays de la zone Euro. De ce fait, il ne peut menacer ses partenaires de faire faillite sur l’ensemble de sa dette, et il ne peut utiliser la Banque centrale de Grèce pour se financer (au moins temporairement). Cette absence de volonté de quitter la zone Euro correspond avant tout à une crainte dûment exprimée comme telle par une majorité d’électeurs grecs. Les votants du 25 janvier auraient pu s’exprimer en faveur des partis qui proposaient ce choix de l’exit, ils ne l’ont pas fait. Du coup, le gouvernement grec est mandaté pour rester dans la zone Euro, et c’est d’ailleurs ce qu’a annoncé avant la négociation le nouveau Ministre grec de l’économie. Il a même tissé des louanges au projet européen, et il a dit lui-même qu’il ne savait pas ce qui se passerait en cas de « Grexit » – manière élégante de dire qu’il voyait se profiler l’apocalypse à cette occasion.

Faute de cette solution du « Grexit », refusée par la population grecque (pour des raisons à expliquer par ailleurs), les nouveaux gouvernants grecs comme les anciens et sans doute les suivants sont contraints de passer par les fourches caudines de leurs partenaires pour boucler leurs fins de mois. L’accord signé vendredi soir réitère ainsi que la Grèce doit payer tout ce qu’elle doit à ses partenaires européens, à la BCE et au FMI. C’est selon l’avis de la plupart des économistes impossible – sauf miracle économique jamais vu pour un tel pays -, mais il faut faire continuer à faire semblant que cela l’est, pour avoir droit à une aide supplémentaire. Il faut du coup continuer à dégager un excédent primaire du budget pour pouvoir rembourser. Cette condition s’avère d’ailleurs d’une logique imparable : vous ne pouvez prêter une somme à quelqu’un, si vous admettez par ailleurs dans le même temps qu’elle ne vous remboursera jamais ce qu’elle vous doit déjà. Ce financement à la Grèce indispensable à son maintien dans l’Euro se trouve de plus d’autant plus difficile à accorder que certains pays de l’Eurozone sont officiellement moins riches que la Grèce, qu’ils ont eu eux-mêmes à faire face à un plan similaire d’ajustement structurel, ou que leurs contribuables ne veulent pas payer pour les Grecs.

La seconde leçon de toute cette triste histoire de l’Euro, c’est en effet qu’il n’existe en réalité aucune « solidarité » entre européens. D’abord, d’un point de vue technique, tout ce dont on discute à longueur d’années désormais lors des Eurogroupes (qui me font penser aux « marathons agricoles » des années 1970 en pire), ce sont des prêts sous conditions. (Ils ne sont sans doute pas remboursables d’un strict point de vue économique, mais, légalement, ce sont vraiment des prêts, et pas des dons.) Et il suffit de regarder les pages de Bild, le grand journal populaire allemand, ces derniers temps pour comprendre que ces prêts ne sont vraiment pas accordés de gaité de cœur par une bonne partie de la population du pays qui se trouve être le principal créditeur. Du côté grec, ils n’ont pas été reçus non plus avec gratitude (et, pour cause, vu ce que cela a signifié en pratique pour la plupart des gens). Chaque gouvernant européen n’est donc comptable des deniers publics que devant ses électeurs, et, globalement, des nettes majorités d’électeurs quelque que soit le pays européen concerné ne veulent payer d’impôts que pour eux-mêmes et pour leurs semblables – et un Grec n’est en général pas un semblable pour un électeur européen d’un autre pays. C’est du coup la folie institutionnalisée par ces « mécanismes de solidarité », constituant un contournement de la clause de no bail-out du Traité de Maastricht, qui devrait frapper : l’accord de vendredi, s’il est finalisé, devra ensuite être avalisé par les parlements des pays européens qui fournissent un financement à la Grèce pour bien montrer encore une fois qui paye. L’inexistence d’un budget européen suffisant pour aider une partie en difficulté financière aboutit en effet à cette situation qui revient à souligner à chaque fois à quel point chacun n’a nullement envie de payer pour le voisin (comme dûment prévu dans le Traité de Maastricht) – même si, certes, il finit par payer tout en disant d’ailleurs prêter, mais de très mauvaise grâce et sous conditions. Appeler cela de la « solidarité » revient à tordre le sens du mot.

On ne s’attarde pas non plus assez sur l’absurdité de cette situation dans le cas grec du point de vue du réalisme géopolitique. Si l’on regarde une carte du monde, la Grèce constitue l’une des pointes avancées (avec Chypre) de l’Union européenne vers une région du monde dont l’instabilité politique se trouve actuellement à son comble. On pourrait imaginer que la Grèce du coup soit soutenue par le centre européen comme on traitait jadis les postes avancés d’un Empire, par des aides fiscales ou autres sans contrepartie compensant le danger même de sa situation. En pratique, aujourd’hui, il existe une armée grecque, un pays (relativement) calme qui peut servir de base arrière aux Occidentaux à des opérations au Moyen-Orient ou en Afrique. Cette stabilité coûte au contribuable grec. Après tout, les Grecs pourraient aussi bien supprimer leur armée pour faire des économies, et décider même de vivre sans État. Les autres États occidentaux seraient bien marris d’une telle situation d’anarchie, et iraient occuper, sans doute à grands frais, cette zone dégarnie de leur défense. On pourrait donc imaginer aussi que la Grèce soit payée pour assurer la garde sur le flanc sud-est de l’Union européenne. Il n’en est rien. Au contraire, certains européens ne se privent pas de les accuser de dépenser trop pour leurs forces armées, et ne voient dans leur effort militaire disproportionné à la taille du pays que le seul effet de leur rivalité avec la Turquie (cela compte certes). Dans le fond, la Grèce comme périphérie sous-développée de l’Union européenne se trouve dans une situation de dépendance économique similaire à celle de l’île de la Réunion dans la République française, mais, en plus, elle ne peut même pas compter sur l’existence d’une armée européenne pour la décharger des coûts de sa défense. Dans un ensemble étatique, qu’il soit centralisé ou fédéral, une entité locale pauvre qui fait du déficit se trouve certes le plus souvent obligée de remettre ses comptes en ordre, mais, au moins, elle dispose d’un État central qui assure quelques (gros) frais pour elle. C’est dire en d’autres termes que la zone Euro n’est vraiment pas à ce stade une fédération en devenir, ni même un Empire un peu soucieux de ses « marches », mais qu’elle ressemble plutôt à une copropriété litigieuse où les charges communes seraient réparties sans même tenir compte des sujétions particulières de certains.

Cela pourra sembler fort terre à terre, mais ces négociations au sein de la zone Euro me font en effet de plus en plus penser par analogie à une réunion de copropriétaires. On est forcé de s’entendre par le fait même d’être propriétaire dans le même immeuble, mais on ne s’aime pas du tout, et sans doute de moins en moins à mesure que les litiges s’accumulent au fil des années. L’aporie de la zone Euro est alors qu’elle ne cesse de miner la possibilité même de ce qu’elle était censée construire à terme, une fédération européenne. Une copropriété aussi litigieuse ne prend guère le chemin d’une communauté de destin, et l’on voir rarement des copropriétaires faire de grandes choses ensemble.

Europe in our times (III)?

Nous voilà à un peu moins d’un mois du sommet européen décisif de la fin du mois de juin 2012, et, comme il était largement prévisible, rien ne semble réglé, bien au contraire. La Cour constitutionnelle allemande a en plus rajouté son grain de sel en ajournant sa décision sur le MES au 12 septembre 2012… Un communiqué conjoint franco-hispano-italien, appelant à une action immédiate sur les marchés, a été annoncé avant-hier par un ministre espagnol, pour être ensuite démenti et même dénoncé par les ministres italien et français concernés, tout en étant suivi de déclarations française, allemande, et italienne allant en fait dans le même sens d’une réaffirmation de la nécessité d’aller vite dans la mise en œuvre des décisions du sommet européen de juin 2012.

Du point de la conjoncture économique, l’Espagne semble en effet prendre la voie de la Grèce; l’Italie suit de près l’Espagne dans le marasme, avec une pointe de crise politique à l’horizon; quant à la Grèce, son propre Premier Ministre a – enfin!- qualifié sa situation comparable à « Grande Dépression » des années 1930 aux États-Unis. Toutes ces politiques d’ajustements prônés par le trio BCE-FMI-Commission et les pays créditeurs au sein de l’Union (« dévaluation interne » d’une part, et retour à l’équilibre budgétaire, voire maintien d’un surplus budgétaire primaire comme en Italie, d’autre part) semblent bien mener à la dépression d’une partie de l’économie européenne, et à la récession de l’ensemble. Comme prévu par beaucoup. Pas de surprise en fait.

En tout cas, il est encore une fois fascinant de voir à quel point la presse française ne s’affole guère de la situation. La lecture de la presse italienne, allemande, et britannique, à laquelle je m’adonne, me renvoie de fait une toute autre image de la situation que celle que je trouve dans la presse d’ici. Encore qu’il serait facile de faire le lien entre la déroute des constructeurs automobiles français et la conjoncture économique en Europe… Il est vrai qu’en France, nous n’avons pas (encore?) eu de coupes budgétaires drastiques qui perturbent radicalement la vie des collectivités locales, des hôpitaux, des administrations, des familles. Comme fonctionnaire, mon salaire net baisse lentement, mais pas avec un choc baissier de 5%, 10%, 20% d’un coup. Les pharmaciens acceptent la Carte Vitale, les ordures sont encore ramassées, et l’éclairage public fonctionne… Tout va donc très bien, Madame la Marquise!

Bref, le tracassin continue. Et tout le monde semble se raccrocher à la phrase de Mario Draghi (dans son entretien avec le Monde d’il y a quelques jours) affirmant que « la BCE n’a pas de tabou », et à ses gloses sur l’obligation qu’a la BCE de lutter contre l’inflation et la déflation. Cela sent à plein nez le conflit à venir entre la majorité de la BCE et une partie au moins de l’establishment allemand. Je vois mal en effet comment cette justification par la déflation à éviter d’une intervention sur les marchés de la part de la BCE peut avoir quelque crédibilité que ce soit en Allemagne, où, justement, les salaires viennent d’augmenter dans certaines branches…   Acheter ou ne pas acheter de la dette publique des Etats en difficulté, telle est la question existentielle désormais posée à la BCE…

Plagier peut nuire (longtemps) à votre carrière.

La bonne nouvelle de la journée : le Ministre allemand de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, a été contraint ce mardi 1er mars 2011 de présenter sa démission, et cela suite aux diverses révélations dans les médias allemands sur la forte dose de plagiat (euphémisme) contenue dans sa thèse de droit. Se rendant compte de la gravité de sa malversation, il avait d’abord tenté de renoncer de lui-même à son titre honorifique, si prisé chez nos voisins, de « Doktor »;  il avait même  reçu le soutien politique de la Chancelière, mais cela n’a pas suffi. Il a démissionné. Bon débarras!

Je dis « Bon débarras! », parce que je vois surtout, du point de vue professoral qui se trouve être le mien, l’aspect éducatif de cette situation. En pratique, cela veut dire qu’un plagiat peut vous nuire, ô sombres plagiaires, quelque temps après avoir été commis, au moment où cela vous importe peu désormais d’avoir un peu forcé le destin académique en votre faveur.  Avec la mise en ligne de tous les travaux universitaires, effectués dans tous les pays, les plagiats (y compris ceux du passé), s’avèrent sans doute de plus en plus faciles, mais ils  peuvent aussi être de plus en plus facilement détectés (avec des logiciels et des sites ad hoc). On peut même imaginer que, dans un futur pas si lointain, on puisse comparer le contenu de textes écrits dans des langues différentes.

Bref, le cas Karl-Theodor zu Guttenberg devrait devenir une  petite leçon de vie pour tous ceux qui seraient tentés par le plagiat. (Bien sûr, cela constitue aussi une petite satisfaction pour les enseignants, qui, comme moi, malgré quelques précautions élémentaires, ne sont pas certains de ne pas s’être fait avoir de temps à autre par quelque étudiant indélicat, et qui en gardent au fond quelque amertume.)

Par ailleurs, un grand merci à nos voisins allemands de nous rappeler encore une fois que les circonstances qui peuvent amener outre-Rhin à la démission d’un responsable politique, y compris lorsqu’il semble efficace dans sa tâche et lorsqu’il bénéficie d’une couverture favorable des médias,  restent décidément plus inclusives que de ce côté-ci du Rhin. Le contraste s’avère de fait saisissant entre les causes qui ont fini par amener à la démission de notre Ministère des affaires étrangères et le motif de celle du Ministre allemand de la Défense. Dans le cadre du partenariat franco-allemand, la convergence des mœurs politiques reste encore à faire, même si la Chancelière allemande a tenté de copier en la matière le Président français.

Unis dans la diversité, ou unis dans la médiocrité… that is the question (plagiat).

Ps 1. Pour la petite histoire, l’après-midi même après avoir écrit ce texte, je découvrais un plagiat dans un des travaux que j’avais à corriger. Cela m’a déprimé au plus haut point.

Ps 2. Nos collègues universitaires allemands, suite à la réaction inadéquate de la Chancelière à propos du cas zu Guttenberg, ont rédigé une lettre ouverte  adressée  à cette dernière pour réagir à ce mépris de la science dont elle faisait preuve à cette occasion. Lancé le 24 février 2011, cette lettre (ou pétition si l’on veut) a recueilli plus de 60.000 signatures à ce jour. On trouve la version allemande ici, et une version anglaise là. Mille bravos aux collègues allemands qui ont réagi ainsi. On notera, pour la petite histoire, que nos collègues écrivent à un moment (avant-dernier paragraphe) : « Nous sommes peut-être démodés et nous en tenons peut-être pour  des valeurs conservatrices datées quand nous pensons que des valeurs telles que la vérité et le sens de la responsabilité doivent valoir aussi en dehors de la communauté scientifique. Il semble que Mr. zu Guttenberg était aussi de ce même avis jusqu’à très récemment. » (ma traduction) En dehors du sarcasme à l’égard du plagiaire démasqué, je ne peux m’empêcher de noter l’usage du terme de « conservateur » . Petit indice pour moi que des liens sémantiques sont en train de changer en profondeur : toute novation n’est plus bonne, et toute conservation n’est pas mauvaise.

Et l’Allemagne en rajoute…

L’enchainement des évènements de cette crise économique ne laisse pas de  me fasciner. En l’observant, je comprends mieux comment d’autres catastrophes ont pu se produire auparavant. Les Cassandre existent toujours.

Il y a quelques semaines – une éternité! – une Ministre de l’Économie française, Christine Lagarde, faisait (enfin) remarquer lors d’un entretien donné à la gazette mondiale des marchés (le FT) que les choix de politique économique de l’Allemagne depuis 10 ans revenaient, entre autres aspects, à y asphyxier la demande intérieure au détriment de ses partenaires commerciaux européens… La reprise de cette analyse, que j’avais déjà lue à maintes reprises depuis quelques années sous la plume d’économistes français un peu hétérodoxes, était un acte bien peu conforme aux habituelles prudences diplomatiques, la Ministre dénia d’ailleurs avoir tenu de tels propos, mais cela mettait en débat une vraie question de politique macroéconomique : d’où vient la demande solvable adressé aux entreprises européennes? D’après ce que j’ai pu comprendre via la presse européenne (avec des versions assez différentes), le Secrétaire au Trésor des Etats-Unis, Timothy Geithner, est venu dire récemment  grosso modo la même chose aux pays européens, et en particulier à l’Allemagne.  Résultat de cette belle agitation (qui correspond aussi au diagnostic d’une bonne part des économistes, ceux qui raisonnent en termes plus keynésiens que néoclassiques) : après les autres pays européens (Grèce, Hongrie, Roumanie, Espagne, Irlande, etc.), l’Allemagne adopte son paquet de mesures d’austérité. Il faut donner l’exemple, n’est-ce pas? Charité bien ordonnée commence par soi-même, on ne peut dépenser plus que ce que l’on gagne, etc.

Du coup, l’unification européenne semble vraiment en train de se faire ces temps-ci  : tous les pays traduisent en effet l’austérité budgétaire par la réduction des revenus des fonctionnaires (et/ou du nombre de ces derniers) et par la diminution de ceux issus des transferts sociaux. On commence vraiment à voir se dessiner en pratique le « modèle social européen » tant attendu.  J’attendrais volontiers pour couronner ce mouvement d’ensemble un retour à la véritable orthodoxie libérale au 1er janvier 2011 avec la suppression de toute forme d’indemnisation  (patente ou déguisée) du chômage (volontaire!) dans tous les pays de l’Union… Voilà qui redonnerait vraiment confiance aux esprits animaux des marchés! On avait cru comprendre que même la Cour constitutionnelle allemande considérait qu’une partie des réformes (anti-)sociales connues sous le nom de « Hartz IV » se situaient tout de même un peu loin des prérequis de dignité humaine compris dans la Loi fondamentale de 1949, et le gouvernement allemand de continuer (à petite vitesse tout de même) ses coupes dans l’État social. Même les Danois commencent à se rapprocher (lentement) du lot commun.

Du point de vue de la demande intérieure de l’Union européenne, force est de constater que les gouvernements sont en train de réaliser un magnifique plan – coordonné pour une fois! – de ralentissement de l’économie… Avec un peu de (mal)chance, cela va marcher…

Dans ces conditions, il n’est pas si surprenant que des économistes, travaillant à la City de Londres, interrogés par un journal britannique (plutôt eurosceptique) sur l’avenir de l’Euro parient  majoritairement pour une disparition de la monnaie unique dans un délai de cinq ans.  On peut bien sûr y voir un résultat de leurs fantasmes europhobes (« Europe = régulation ») – et si, dans ce même délai, l’Union européenne se mettait à réguler la finance casino dont Londres constitue la capitale intellectuelle… Comme je l’ai déjà écrit dans ce blog, je ne crois  pourtant pas qu’il y ait le moindre politiste qui parie en ce sens.  Malgré la situation, un nouveau pays, l’Estonie, veut même rejoindre la zone Euro.

Par contre, dans de nombreux pays européens, les effets de ce lien établi de fait entre défense de l’Euro, « solidarité européenne » et disparition progressive de l’État social, ne laissent pas d’inquiéter à terme sur la légitimité du projet européen auprès des populations. La décision hier soir des Ministres des Finances européens de se soumettre mutuellement les futurs budgets nationaux ne va pas améliorer le sentiment répandu qu’il existe un « déficit démocratique » – même si ce sont en l’occurrence des Ministres de gouvernements choisis démocratiquement qui vont décider de la pertinence des budgets présentés plutôt que les Commissaires européens nommés par ces mêmes gouvernements. Le schéma choisi pour gérer ensemble les affaires économiques de la zone Euro mieux qu’auparavant ressemble de plus en plus à une « Présidence collégiale », avec une réduction  (une de plus!) du poids politique de la Commission européenne.

Ce genre d’arrangements, n’en déplaise aux économistes de la City, tiendra tant qu’un gouvernement de la zone Euro ne basculera pas dans l’euroscepticisme actif – sortir de l’Euro (que ce soit le fait de la Grèce, de l’Irlande, de l’Allemagne, etc.) constituerait un geste d’une telle défiance contre l’Union européenne qu’aucun gouvernement dominé par les partis de gouvernement, habituels de ces pays, ne l’assumera jamais. Autant demander à l’actuel Parti républicain du Texas d’assumer la sécession de cet État des Etats-Unis… De fait, si l’on regarde les forces politiques susceptibles d’exercer des responsabilités gouvernementales, en France, en Italie, en Allemagne, et en Espagne, les perspectives d’un tel développement restent à ce stade infimes. Dans tous ces pays, l’électorat est  plutôt « visqueux », au sens où il ne change pas ses allégeances politiques facilement, au point où le régime en serait bouleversé d’un coup. Sur les quatre grands de la zone Euro, les opposants de gauche de la gauche, ceux qui refusent « l’Europe du capital », restent pour le moins marginal par leur poids électoral. Par ailleurs, du point de vue doctrinal, ils restent internationalistes (n’en déplaise à Dominique Reynié) et ne sont pas prêts à agir  pour la désunion européenne. Pour ce qui concerne le front droit de l’euroscepticisme, en Italie, avec la Ligue du Nord et une partie du Peuple de la Liberté, il se trouve de fait au pouvoir et assume de fait la ligne actuelle de « gouvernance économique ». En Espagne, le PP n’est pas réputé pour être eurosceptique et critique simplement le PSOE pour sa gestion hasardeuse du pays pendant le crise. Dans ces trois pays, les scories néofascistes, néonazies ou franquistes, restent divisées en groupuscules concurrents et pour le moins peu significatives sur le plan électoral. De ce point de vue, il ne reste que la France à comporter une marge d’incertitude : le Front national, quoiqu’il se soit mieux porté jadis, pourrait profiter de l’aubaine d’une Europe qui donnerait aux électeurs français le sentiment qu’elle les appauvrit. Je citerais aussi par politesse le mouvement vétéro-gaulliste de Nicolas Dupont-Aignant, « Debout la République », mais, à moins d’imaginer un ralliement soudain de la droite parlementaire à son panache blanc…

Conclusion provisoire : malgré la surenchère en cours dans l’austérité, la majorité des économistes de la City  consultés par le journal britannique en question vont se tromper, et cela que la politique économique menée en commun aboutisse à une « récession à la japonaise » ou pas, que la Grèce ou d’autres pays de la zone Euro fassent défaut sur leur dette publique ou pas, etc. Le n’importe quoi économique et social peut donc fort bien arriver dans les temps à venir,  mais tant qu’il n’existe personne pour assumer politiquement le changement de cap… le navire continuera à creuser l’iceberg.

Deutschland 09- 13 kurzen film zur lage der Nation.

D09_PlakatLe film « Deutschland 09 – 13 kurzen film zur lage der Nation » (Allemagne 09 – 13 courts-métrages sur l’état de la nation) a été projeté hier soir à l’Institut Lumière de Lyon dans le cadre du « Week-end du cinéma allemand ». Les germanistes (et les autres) trouveront le site officiel du film ici pour se faire une idée de son contenu. Ce film ambitionne de présenter par une vision artistique de 13 réalisateurs différents sur l’état actuel de l’Allemagne. C’est un mélange plutôt réussi de styles visuels très différents, qui vont d’un réalisme proche d’une série policière (à l’allemande) ou de l’extrait de documentaire à des approches expérimentales, en passant par des morceaux de bravoure totalement foutraques qui rappellent le cinéma de Jean-Pierre Jeunet. Dans tout ce kaléidoscope, on retrouvera toutefois, quoiqu’en disent les réalisateurs, une « ligne générale », et je dois dire que celle-ci m’a  frappé par son extraordinaire pessimisme, son absence de toute perspective un peu positive. C’est un film à déconseiller aux suicidaires et aux déprimés. Même le court-métrage consacré à l’apprentissage de la décision démocratique par les élèves d’une école primaire laisse de fait une grande amertume.  Le spectateur a l’impression d’être convoqué à un constat : la vision de l’avenir filmée par Terry Gillian dans Brazil serait en train de se faire réalité dans l’Allemagne de 2009.  Au sortir de ce film, on n’a pas vraiment l’impression que ce pays doive demeurer encore longtemps un État de droit : entre l’indifférence, pour ne pas dire plus, des autorités allemandes face au sort d’un détenu turco-allemand de Guantanamo, et la dénonciation d’une manipulation policière visant à « inventer » un chef terroriste dans la personne d’un banal universitaire, on se sent plutôt très mal à l’aise – ce qui correspond d’évidence à l’intention politique de certains réalisateurs.  Le dernier court-métrage raconte une fable sur un exode lunaire d’un peuple allemand qui ne saurait plus qu’il est venu d’Allemagne sur fond d’images d’appartements abandonnés, et, de fait, on dirait bien que les réalisateurs, dans leur diversité, sont d’accord pour exprimer leur incommensurable insatisfaction vis-à-vis du présent. Les seuls aspects un peu positifs résident dans les paysages, dans la nature, dans les choses, dans les anciens bâtiments: un court-métrage  particulier redonne à ces derniers d’ailleurs toute leur dignité, rappelant au spectateur français tout l’effort de réfection / reconstruction dont notre voisin se trouve être le lieu depuis 1989 et qui ne va pas elle aussi sans désorientation.  Dans ces courts-métrages, presque personne ne parait un tant soit peu heureux. On se trouve dans la post-modernité, l’égarement,  la perte de tout sens, ou, dans certains courts-métrages « foutraques », dans le  franc n’importe quoi qui ne saurait durer et qui m’a fait penser à l’art expressionniste d’un Grosz. On se trouve  à cent lieux de « Berlin, symphonie de la grande ville »(1927), la boucle est bouclée : la modernité a pris son essor, mais qu’est-elle devenue?

Comme français et européen, j’ai aussi été frappé de l’enfermement dans l’Allemagne elle-même de ces courts-métrages. La logique du thème choisi veut  sans doute cela, mais il est étonnant de ne pas voir apparaitre vraiment que bien rarement les voisins européens. Le monde extérieur apparait seulement dans le périple autour de la planète, proprement effrayant dans sa banalité, d’un manager allemand, bien propre sur lui,  entre Hôtels Marriott et Cafés Starbucks…, ou dans la folie d’un homme d’affaires autrichien bien décidé à ce que rien ne change dans le conservatisme du F.A.Z., ou encore dans le récit « mythique » d’un tenancier iranien de bordel sur les mœurs de ses clients. Les mânes de l’américaine Susan Sontag sont elles aussi invoquées. En dehors de ces quelques exemple, on dirait un peu que, selon tous ces réalisateurs, les Allemands se retrouvent désormais  seuls au monde face à un univers qui n’a plus de sens.

Je doute que ce film puisse passer longuement dans les circuits normaux de distribution du cinéma en France tant il fait appel à des idiotismes germaniques, mais,  en même temps, comme cela serait nécessaire! Ne serait-ce que pour pouvoir s’apercevoir que bien des choses se rejoignent…