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Copenhague, morne plaine?

Depuis une semaine, je lis des articles plus ou moins engageants sur l’issue de la conférence internationale sur le climat de cette année. On hésite  en gros entre le désastre et l’espoir qu’il faut garder tout de même, en passant par le petit pas vers une solution qui finira bien par arriver in fine quand nous serons, vous et moi, tous morts – ce qui laisse tout de même de l’espoir aux jeunes enfants encore à la crèche. Avec cette conférence internationale sous l’égide des Nations-Unies, et sa déclaration de bonnes intentions au statut par ailleurs pour le moins flou, nous finissons apparemment la  première décennie  du XXIe siècle en beauté, et celle-ci sera facile à résumer pour les historiens : du « 11 septembre 2001 » à la « conférence de Copenhague », on la nommera sans doute la décennie des occasions perdues, des erreurs lourdes de conséquences, des mensonges assumés et des atermoiements funestes. Son nom définitif viendra sans doute de ce qui adviendra ensuite… Il n’y aura même pas eu un grand mouvement musical  dans la jeunesse occidentale pour que l’on puisse compenser par une nouveauté dans la sphère culturelle le joyeux désastre en cours, pour ne pas parler d’un grand mouvement dans le monde des arts et lettres qui semble ressasser indéfiniment les bases posées dans les lointaines années 1880-1960.

A propos de ce qui ressemble bel et bien à première vue à un échec à s’éloigner un peu de l’abime qui nous menace à en croire la communauté scientifique rassemblée dans le GIEC, beaucoup de gens incriminent l’Europe, l’Union européenne. Le dernier en date, le journaliste du Monde, Hervé Kempf, que j’apprécie pourtant beaucoup. Plus unie, nous dit-on, elle aurait fait la différence. Si notre Président du Conseil, von Rompuy, notre ministre des Affaires étrangères, lady Ashton, et notre Président de la Commission, J. M. Barroso, avaient représenté seuls le mandat de négociation des 27 pays de l’Union, nous aurions eu un accord contraignant lors de cette Conférence, et l’humanité pourrait espérer en un avenir meilleur. Hum, hum, hum, j’ai bien peur que nous soyons en train de constater plus simplement sur cette affaire particulière le déclin dans les affaires de la planète des puissances (ouest-)européennes. Le compromis auquel on a abouti aurait-il été fondamentalement différent si l’Union européenne avait été unie comme dans un rêve de fédéraliste (à l’image des Etats-Unis ou du Brésil) avec von Rompuy, lady Ashton ou J. M. Barroso à sa tête? J’ai bien peur que non : ce joueur unitaire sur la scène internationale, bien au delà même des qualités personnelles de ses négociateurs, se serait heurté au fait que les dirigeants des autres grandes puissances n’ont pas vraiment les mêmes objectifs que lui.

Même si elle était bien mieux unie qu’elle ne l’est, l’Union européenne et son demi-milliard d’habitants ne fait en effet plus le poids dans un monde à 7 milliards d’habitants (et bientôt 9). La Chine et l’Inde ont des centaines de millions de miséreux à faire accéder à un mode de vie « à l’occidentale », le Brésil, l’Afrique du sud et tant d’autres pays sur la voie de la croissance par l’industrie se trouvent face à une contrainte semblable, pour ne pas parler des pays dominés par les rentiers du pétrole ou du gaz qui ont eux aussi leurs petites et grandes misères. Du point de vue numérique, la majorité de l’humanité, organisée en États souverains,  a choisi fort logiquement par la voie de ses représentants  de faire peu de cas du risque représenté par l’accélération du réchauffement climatique. Faites donc l’addition de ce que représentent démographiquement la Chine, l’Inde, le Brésil, les Etats-Unis  – dont les dirigeants ont, parait-il, rédigé la déclaration de  Copenhague. Ajoutez-y les pays charbonniers, gaziers ou pétroliers pour faire bonne mesure. Imaginons même par hypothèse qu’un référendum mondial soit organisé sur cette question du réchauffement climatique où chaque homme et femme de la planète compteraient chacun pour une voix:  la croissance (insoutenable) l’emporterait sur la  (nécessaire) frugalité.

Cette conférence de Copenhague ne vient pas en effet comme un effet séparé du reste du monde social : elle couronne une décennie où tous les indicateurs en matière de développement durable (prétendu) se détériorent. Depuis la Conférence de Rio en 1992 et plus encore depuis le début des années 2000, jamais l’humanité n’a vécu une période en pratique plus déraisonnable du point de vue écologique. Malgré deux grandes crises pétrolières dans les années 1970-80, le mode de production et de consommation,  fondé sur les énergies fossiles à bas prix, s’est en effet développé à grande vitesse sur des espaces bien plus vastes qu’auparavant, alors même que se multipliaient les discours écologiques ou environnementalistes au niveau institutionnel. Le développement durable devient un mantra universel au moment même où  l’exploitation insoutenable des ressources de la planète s’accentue comme jamais. Cette situation où le discours se trouve en décalage presque parfait avec les tendances  observables dans les actes me fait tragiquement penser à l’entre deux-guerre en Europe. Tout un pathos pacifiste se développait dans l’espace public et dans les institutions internationales, alors même que plusieurs grands Etats de l’époque  préparaient avec ardeur (en coulisses) le prochain conflit mondial en se réarmant à tout va.  On se gargarisait de paix, on signait même des accords, et on commandait les dernières merveilles de la technologie aux industriels de l’armement. Jusqu’au dernier moment de la dernière heure, la paix fut sur toutes les lèvres. Soyons en effet réalistes : ce ne sont pas les quelques misérables pour-cents des populations riches de la planète (les électeurs des partis écologistes ou, plus largement, les personnes vraiment sensibilisées à l’écologie dans ces pays) qui peuvent faire contrepoids aux masses démographiques de la Chine et de l’Inde dirigées vers un grand rattrapage de notre mode de vie à haute teneur garantie en CO2 et autres gaz à effet de serre émis. Ce ne sont pas non plus les quelques millions d’habitants des Etats insulaires voués à la disparition pure et simple qui vont faire la différence. Je ne nie pas bien sûr l’existence de mouvements sociaux ou politiques à orientation écologique dans les pays pauvres de la planète, mais ils y restent de fait très minoritaires, sauf à se mélanger avec d’autres approches (l’indigénisme par exemple en Amérique du sud). J’ai étudié personnellement un pays riche de l’Europe, l’Italie, où la préoccupation écologique, si elle existe encore en paroles et au niveau associatif, ne vaut plus rien du tout en politique, le parti écologiste s’y est évaporé depuis 15 ans à mesure que les bases sociales d’une telle mobilisation disparaissaient au fil de l’appauvrissement des jeunes générations de cette société. Plus encore, il suffit de regarder la carte des résultats des partis écologistes dans l’Union européenne pour mesurer l’étroitesse de la base sociale de la préoccupation écologique (en gros, le  quart nord-ouest du continent). Aux récentes élections présidentielles roumaines, le candidat écologiste, celui lié au Parti vert européen, a fait autour de 0,1% des voix, soit nettement moins que  René Dumont en France à la présidentielle de 1974… Je mesure donc toute la fragilité de la préoccupation écologique dans le monde développé, et,  de ce point de vue, le bien maigre résultat de Copenhague s’avère logique. Tous les manifestants de Copenhague et d’ailleurs ne sont rien rapportés aux milliards d’habitants de la planète Terre assoiffés de bien-être matériel « à l’occidentale ». Vu du point de vue strictement individuel (en dépit de toutes les enquêtes par sondages qui montreraient plutôt le contraire avec une certaine sensibilité universelle au problème du réchauffement climatique), l’humanité telle qu’elle s’exprime en actes et non en paroles depuis 40 ans veut la consommation, veut accéder à notre niveau de vie insoutenable pour la planète. Une voiture pour chaque mâle et femelle humains de la planète, voilà le cri réel de la masse. Et si possible avec la climatisation et les vitres électriques!  Et un bon steak  au diner! La Chine n’est-elle pas en train de devenir le premier producteur mondial d’automobiles, alors même que le taux d’équipement dans ce pays reste très loin de ce que l’on connait dans un pays développé? J’ai lu quelque part que le plan de relance de l’économie chinoise comportait des sommes énormes pour la construction d’infrastructures routières et autoroutières. Et qui a le droit de priver la Chine d’un maillage autoroutier à l’allemande, à l’américaine ou à la japonaise?

De ce point de vue réaliste, le maigre résultat obtenu à Copenhague  montrerait même  a contrario le poids relatif énorme de la mobilisation  écologiste dans quelques pays riches dans la définition des normes internationales de bienséance en la matière. Il y a quand même bien eu à Copenhague un début de quelque chose plutôt que rien. Aucun État ou groupe d’États ne se trouvent, fort heureusement, sur la ligne du négationnisme en matière de réchauffement climatique, négationnisme si cher pourtant à notre bon Claude Allègre. Après tout, la Chine  ou l’Inde ne manquent pas eux aussi de savants; par commodité, les  dirigeants chinois ou indiens auraient pu se tenir fermement sur la ligne du « climato-scepticisme » en donnant du poids institutionnel à un héraut « climato-sceptique » local ; or, contrairement à la période stalinienne de l’U.R.S.S., quand un Lyssenko inventait une science socialiste de la biologie avec le soutien du cher « petit père des peuples » pour faire pièce aux avancées de la « science bourgeoise », aucun des grands États à forte tradition scientifique n’a cru bon de se lancer dans l’aventure qui aurait consisté à mettre sur pieds une contre-académie « climato-sceptique », pour faire contrepoids au discours institutionnel du GIEC. Pas de réchauffement climatique anthropique, pas de problème. G. W. Bush a bien essayé presque jusqu’à la fin de son mandat cette stratégie aux Etats-Unis, mais il n’avait pas les marges de manœuvre d’un Staline.  Les pays pétroliers du Golfe auraient peut-être les moyens financiers de le faire en regroupant tous les  opposants aux thèses du  GIEC, mais ils manquent sans doute du minimum de crédibilité héritée d’une tradition scientifique pour se lancer dans une telle aventure négationniste, cousue par ailleurs de fil blanc vu la nature de leur économie. La Russie serait sans doute un très  bon candidat à une telle aventure négationniste, mais cela ne ferait illusion sur personne  vu les brillants antécédents soviétiques en la matière. On peut donc se féliciter chaudement de cette belle unanimité maintenue! Le désastre climatique est reconnu par tous comme certain si l’on continue ainsi, et, tout de même, la paix, c’est mieux que la guerre. Ouf…

Ainsi, sur cette « morne plaine » de Copenhague, ce n’est pas tant la cohésion de l’Union européenne ou la nature de son leadership qui me  semble en cause, que son absence d’allié sur cette question climatique parmi les grandes puissances. Il faudrait ainsi s’interroger sur le poids apparemment bien faible dans les négociations du Japon, encore  à ce jour une grande puissance économique (certes en déclin rapide du point de vue de son poids futur vu sa démographie et en pleine interrogation sur son modèle de développement). Il faudrait aussi méditer sur les conséquences pour le poids de l’Union européenne dans les affaires du monde de la « perte de la Russie ». Grâce aux innombrables erreurs faites pendant les années d’Elstine, cette dernière, pourtant encore officiellement à ce jour un pays du Conseil de l’Europe, a basculé dans une (craintive) autocratie post-moderne, appuyée sur la rente pétrolière et gazière, pour le moins assez peu sensible à la question climatique. La division de l’Afrique  et de l’Océanie en une myriade d’États aussi faibles que possible lors de la décolonisation nous le payons aussi aujourd’hui : des  solides fédérations africaines  ou océaniennes auraient sans doute eu plus de poids dans les négociations. Surtout, en dépit de la vigueur du mouvement écologique et environnementaliste nord-américain, et du poids des scientifiques travaillant pour le GIEC dans ce pays, les Etats-Unis restent la polyarchie à tendance ploutocratique, dominée par les lobbys du pire monde possible à venir, qu’ils ont été sous les années Bush. Le peuple américain semble d’ailleurs en comparaison avec cette rive de l’Atlantique fort dubitatif sur le réchauffement climatique, « c’est encore l’un de ces complots des communistes pour affaiblir l’Amérique », semble être une croyance fort partagée dans l’Amérique de l’année 2009. Qui les a amené à croire cette fable, sinon une activité fort avisée de persuasion (pas cachée du tout) des « climato-sceptiques », plus ou moins stipendiés par les groupes d’intérêt qui tiennent de fait le pays?

Bref, n’imputons pas à l’Union européenne les résultats d’un jeu où elle n’est pas seule à jouer.

Certes, cette façon de voir, vu du point du citoyen (ouest-)européen à conscience écologique, signifie la certitude du désastre à venir. Je suis pessimiste, c’est bien connu. En attendant :  » Joyeuses fêtes! »