Bruno Le Maire sur France-Inter appelait ce matin 4 septembre F. Hollande à mener une action diplomatique conjointe avec l’Allemagne d’A. Merkel lors du prochain sommet du G 20 à Saint-Pétersbourg en allant directement faire pression en duo, le bon vieux scénario bad cop, good cop en somme, sur V. Poutine pour changer l’attitude de la Russie dans la crise syrienne. L’idée n’est pas mauvaise, mais elle souligne a contrario à quel point cette crise syrienne, en particulier dans ses derniers développements, illustre l’incapacité des pays de l’Union européenne à tenir une ligne commune dans les grandes affaires internationales. Comme je le dis parfois à mes étudiants de 1er cycle, pour résumer, les Européens sont toujours unis sur les petites choses, mais toujours désunis sur les grandes choses. A chaque crise internationale, où il y va de la paix et de la guerre, on observe désormais rituellement le même phénomène, et ce malgré toute la quincaillerie institutionnelle qui s’accumule depuis les années 1970 autour de l’idée d’une politique étrangère commune de l’Union européenne. (A lire les Traités en vigueur, une telle chose ne devrait pourtant plus arriver.)
Dans le cas présent, les autorités allemandes ont déclaré à maintes reprises qu’il était hors de question de faire quoi que ce soit de militaire contre le régime de Damas. On comprendra d’ailleurs aisément qu’à quelques jours d’élections générales, le 22 septembre, avec une opinion publique par ailleurs très peu portée à l’interventionnisme (euphémisme), A. Merkel ne soit pas complètement tentée par le suicide politique au nom de la Syrie. Les autorités polonaises ont embrayé dans le même sens, en faisant en plus allusion au prurit néo-colonial de certains (ce qui n’est pas gentil tout de même). Et, pour amener un peu de nouveauté dans le tableau des divisions européennes, le Parlement britannique a cru bon de voter contre une action militaire en l’état actuel des choses – ce qui dissout pour l’instant l’axe franco-anglais observé lors de la crise libyenne en 2011. L’Italie et l’Espagne ont bien sûr d’autres préoccupations. Parmi les grands pays européens, la France de F. Hollande se trouve donc totalement isolée sur sa position va-t-en guerre. Or F. Hollande déclare vouloir se rattacher à une position européenne au cas où les Chambres américaines ne donneraient pas leur feu vert à une opération militaire contre le régime de Damas, mais, dans ce cas, je vois mal comment les pays européens pourraient aboutir à autre chose qu’à un consensus sur le fait de ne pas faire grand chose! Et cela d’autant plus que, si par extraordinaire, le Congrès américain disait non à cette nouvelle « promenade de santé » , cela voudrait dire que, décidément, les États-Unis, qui garantissent la sécurité de l’Europe (de l’ouest, puis de l’est) depuis 1945, commencent à se lasser, à virer, certes lentement, vers une forme renouvelée d’isolationnisme. Je suppose que, du coup, pour tous les Européens, il serait urgent de réfléchir et de tenir compte de ce fait radicalement nouveau, de comprendre d’abord ce que cela signifie pour eux. Le chercheur Zaki Laïdi souligne dans le Monde (« La désinvolture prévisible de Barack Obama. Dotons l’Europe d’une armée substantielle », 4/09/12, p.20) que la crise syrienne souligne le besoin d’une armée européenne pour que l’Europe pèse dans les affaires du monde. Il a raison, notre bon collègue … sauf que cette dernière n’existe pas, et que les Européens ont tous coupé dans leurs dépenses militaires depuis la fin de la Guerre Froide, et encore plus depuis quelques années avec la « crise des dettes publiques », et surtout que tout montre qu’il n’existe pas en l’état de volonté politique commune pour mouvoir cette éventuelle armée.
Autrement dit, si le Congrès américain vote pour une intervention et si la diplomatie s’avère ensuite impuissante à empêcher qu’elle ait finalement lieu, la France va très probablement être le seul grand allié européen à suivre les États-Unis dans cette nouvelle aventure moyen-orientale – donc, rebelote pour les divisions européennes, comme en 2003 et 2011. Soit le Congrès vote non (ce que je pense vraiment improbable tout de même), et, là, la France aura bien du mal à imposer sa voix de va-t-en guerre dans le sauve-qui-peut européen général.
(Après bien sûr, la France peut y aller seule contre la Syrie, cette dernière nous fait ensuite subir quelques derniers outrages, et nos gentils partenaires européens viennent en principe tous à notre secours, et l’Europe se fait enfin puissance.)
PS. Lors de la réunion informelle des Ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne tenue à Vilnius, un accord a été trouvé finalement pour une déclaration européenne commune appelant à une « réponse forte et claire » contre l’usage par le régime d’Assad d’armes chimiques, et à passer avant toute chose par la procédure onusienne et à chercher une « solution politique » à la crise. Ouf, un compromis à l’européenne a été trouvé. Il devrait tenir jusqu’au moment où il s’avèrera que la voie préférée par le consensus européen de ce jour-là est intenable.