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P. Artus/M.-P. Virard, Pourquoi il faut partager les revenus.

Ayant été enseignant de sciences économiques et sociales dans une vie passée, je ne désespère pas complètement de comprendre quelque chose à la crise économique actuelle.  Je me suis donc jeté sur le dernier ouvrage de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Pourquoi il faut partager les revenus . Le seul antidote à l’appauvrissement collectif (Paris : La découverte, 2010) qui vient à peine d’arriver dans les  librairies lyonnaises.

Ce livre  de moins de 200 pages de petite format (et vendu tout de même 13 euros)  n’est malheureusement pas d’un très grand intérêt. En effet, un lecteur informé n’y apprendra pas grand chose de nouveau, et un lecteur peu informé aura du mal à comprendre de quoi il ressort finalement – en dehors du titre  et de la couverture qui lui auront tout de même  fait plaisir s’il n’est pas assujetti à l’ISF.

En effet, pour un lecteur qui voudrait comprendre quelque chose au drame économique qui se joue en ce moment, l’ouvrage manque désespérément de pédagogie. On n’y trouve par exemple aucun glossaire, aucun tableau chiffré, aucune explication des mécanismes économiques en cause (en dehors de quelques notes de bas de page, comme celles sur l’équivalence ricardienne), aucun schéma pouvant utilement résumer la situation – complexe – qu’on entend décrire. Bien sûr, le texte est illustré d’exemples (dont on remarquera d’ailleurs  en passant qu’ils sont ceux-là même dont quelqu’un qui suit l’actualité a déjà entendu parler);  il fait parfois usage de métaphores  qui donnent une idée de la direction à privilégier (comme avec le dernier chapitre sur le « temps du tango » illustrant la nécessité d’une nouvelle solidarité entre Européens… et non pas une répétition à l’échelle continentale des difficultés de l’Argentine), mais le moins que l’on puisse dire, ce n’est pas avec un tel texte que la culture économique des Français va s’améliorer… J’ai en effet bien peur d’avoir compris grosso modo le contenu de l’ouvrage grâce à quelques réminiscences d’économie que ne possède pas nécessairement tout lecteur intéressé. J’y ai même remarqué quelques contradictions, mais sur ce point je ne me sens pas assez sûr de mon cas pour en faire part plus avant ici.

Contrairement à ce que le titre et l’image de couverture racoleur laissent entendre, il ne s’agit pas d’abord d’un plaidoyer pour la révolution sociale par la loi de finances dans le cadre d’un rétablissement du socialisme dans un seul pays pour éviter le déclin de la France (du genre solution à la Baverez version Thorez), mais de la suite des considérations de Patrick Artus et Marie-Paule Virard sur la crise économique déjà présentées dans des ouvrages précédents (par exemple Globalisation, le pire est à venir paru en 2008). Le livre a été visiblement finalisé à la fin de l’hiver 2010, et le dernier chapitre sur l’Europe a été écrit à l’arraché au moment des premières décisions européennes sur la crise grecque. Le message est au total  assez simple et déprimant : il ne faut pas compter sur les autres pour nous sortir de cette crise économique-là.

En effet, la sortie de la crise mondiale dans les pays émergents serait marquée par trois phénomènes fort désagréables pour l’Occident (en particulier les pays de l’Union européenne) : en premier lieu, la demande nouvelle de ces pays serait de plus en plus satisfaite par la production locale de ces pays – donc l’effet d’entrainement de la croissance des « Bric » serait faible sur nos pays; en second lieu, les Bric, tout particulièrement la Chine, seraient  en train de faire mentir la vieille théorie de la division internationale du travail – la Chine remonterait à tout vitesse la chaine de valeurs, et devient un compétiteur sur les produits les plus innovants comprenant le plus de technologies en leur sein; en troisième lieu, les entreprises de l’Occident et  les gérants de l’épargne de l’Occident auraient bien perçu le déplacement du dynamisme économique du monde en faveur des Bric en allant investir encore plus dans ces pays pour y trouver de juteux profits. Jusque là, à dire vrai, rien de très nouveau. Les auteurs parlent de « déglobalisation » (sic) pour décrire ces phénomènes, qui correspondent tout de même à la poursuite et à l’accentuation des tendances antérieures que je croyais avoir vu nommées depuis 20 ans sous le nom de globalisation et/ou mondialisation.  La Chine est devenue grâce aux… capitaux étrangers l’atelier du monde, il ne faut pas trop s’étonner ensuite que les produits de l’atelier s’améliorent de jour en jour, et finissent par dépasser ceux du maitre occidental. L’histoire est bien connue depuis l’émergence des Etats-Unis, de l’Allemagne, du Japon, à la suite du pionnier britannique au XIXème siècle.  L’usage du terme de « déglobalisation » correspond pour les auteurs, au fait que le commerce international croit moins qu’auparavant et que les pays émergents n’ont plus besoin de nous pour utiliser leur épargne, celle-ci trouvant usage directement chez eux… Or ces deux phénomènes, pour autant qu’ils soient empiriquement fondés sur le moyen terme, ne mettent pas en cause le sens plus général du terme de globalisation. De fait, tout l’ouvrage démontre au contraire que les interactions entre les différents marchés (des biens, des capitaux, des monnaies) à l’échelle mondiale apparaissent plus forts que jamais, et, que ce à quoi il faut viser (intellectuellement), c’est justement à une modélisation de cette économie globale.

De ce point de vue, le modèle des auteurs n’est pas explicité clairement, il semble  pourtant bien être le suivant : la place des économies dans l’économie mondiale tient à leur place dans la division du travail; or, contrairement à ce qui était prévu il y a vingt ans, les économies émergentes se mettent rapidement à occuper la « frontière technologique » et à concurrencer directement les vielles nations industrielles sur le terrain qu’elles croyaient avoir en monopole pour quelques décennies encore; du coup, les entreprises occidentales n’ont eu d’autres choix que de réagir par un ajustement drastique à la baisse de leurs effectifs pour augmenter leur productivité et maintenir leurs profits et/ou de réagir par des délocalisations  à la même fin – cela d’autant plus que la norme de rentabilité exigée par les actionnaires a atteint dans le même temps des sommets, entrainé par une économie de bulles spéculatives successives depuis le début des années 1980 ; pour les auteurs, ces évolutions se sont vues dans une forme presque pure dans le cas japonais : le résultat de ces stratégies de survie des entreprises face à la concurrence des émergents, tout en préservant les actionnaires, n’est autre qu’un écroulement de la part des revenus salariaux… et donc de la demande interne. « Avec la crise,  les entreprises sont plus que jamais tentées de défendre le niveau de leurs profits en jouant sur les délocalisations et la compression de la masse salariale.  C’est bien ce que l’on a observé un peu partout dans le monde développé, de manière plus ou moins nette selon les pays [des chiffres! des chiffres!]. On sait que la baisse des salaires fut à la  source de la déflation japonaise dès la fin des années 1990. [voir le chapitre correspondant] On sait aussi qu’ Etats-Unis et  zone Euro ont fini par emprunter le même chemin. [des chiffres!] «  (p. 144-145)  Faute d’augmentation de la demande interne générée par les salaires, les pays occidentaux ont eu tendance pour préserver un niveau de croissance à se doper – via des politiques monétaires accommodantes – à l’endettement privé et/ou public . L’augmentation de la part des profits dans la richesse produite induit en effet mécaniquement une moindre demande dans la mesure où les individus qui reçoivent la plus grande part des profits comme revenus s’avèrent être ceux qui sont déjà assez riches pour ne pas avoir à tout dépenser.

Les auteurs proposent de rompre avec cette situation, où l’on reconnaitra l’impact de l’insuffisante propension à consommer des titulaires des revenus du capital, une idée plutôt keynésienne, par une réorientation des fiscalités des pays développés permettant de redonner du pouvoir d’achat aux salariés. Cette prescription des auteurs fait un peu vite fi des considérations de rapports de force politiques dans nos sociétés. Un basculement du poids de la fiscalité (au sens large) sur les revenus du capital en Occident, ou en France, ne me parait pas d’une entière actualité… et supposerait que l’on résolve aussi le problème de la concurrence fiscale entre pays développés.

Plus profondément, les auteurs proposent, sans s’en rendre bien compte,  de revenir  à l’aporie qu’ils dénoncent. En effet, ils appellent de leurs vœux une politique de réindustrialisation des pays développés. Il s’agit en effet de ne pas se contenter d’offrir des emplois de service mal payés aux populations laborieuses. Intention certes louable, mais quels moyens proposent-ils à cette fin? Une fiscalité adéquate et une finance publique de long terme, qui remplacerait les carences, par trop évidentes, des circuits actuels de financement de l’investissement industriel de long terme en Occident. Les auteurs reprennent en somme la « Stratégie de Lisbonne », dont ils disent de manière piquante que « Les Chinois sont les seuls à avoir adopté la Stratégie de Lisbonne » (p.123) en citant le grand bond en avant des capacités intellectuelles,  et donc productives, du peuple chinois via l’éducation depuis 30 ans. Autrement dit, les pays développés doivent retrouver une avance technologique sur les pays émergents sur quelque nouvelle camelote qui fera fureur sur les étalages du monde entier….  Dans leur monde idéal, les pays européens ( Italie, Espagne, Grèce et Portugal compris, pour ne pas parler des ex-pays du bloc soviétique) se mettent à dépenser 5% au moins de leur PIB en R&D, créent  dans la foulée les produits phare du XXIème siècle, et tout d’aller mieux pour les populations européennes concernées… Les auteurs ont eux-mêmes un (petit) doute sur cette stratégie de rattrapage des pays en rattrapage tant les investissements en éducation ont été et sont forts dans ces pays, en Chine en particulier.

Vu l’interconnexion du monde contemporain, j’ai pour ma part quelque difficulté à croire que les pays émergents laisseront échapper désormais quelque nouveau marché porteur que ce soit…  Il faut plutôt espérer que les pays émergents vont voir croitre en leur sein une nouvelle classe de consommateurs qui aura soif de diversité dans les produits offerts. On se retrouverait alors assez vite dans la situation dans laquelle les pays développés et les Bric s’échangeraient des produits similaires. Dans ce cas, les taux de change entre monnaies jouent un rôle essentiel dans les succès (temporaires) des uns et des autres. Nous n’en sommes certes pas là, mais je trouve cette issue moins illusoire que de croire regagner une avance définitivement perdue.

Pour l’instant, l’analyse de P. Artus et M. -P. Virard officialise ce que l’on savait déjà : le monde économique global se rééquilibre en faveur des pays émergents. Quelle découverte…

Copenhague, morne plaine?

Depuis une semaine, je lis des articles plus ou moins engageants sur l’issue de la conférence internationale sur le climat de cette année. On hésite  en gros entre le désastre et l’espoir qu’il faut garder tout de même, en passant par le petit pas vers une solution qui finira bien par arriver in fine quand nous serons, vous et moi, tous morts – ce qui laisse tout de même de l’espoir aux jeunes enfants encore à la crèche. Avec cette conférence internationale sous l’égide des Nations-Unies, et sa déclaration de bonnes intentions au statut par ailleurs pour le moins flou, nous finissons apparemment la  première décennie  du XXIe siècle en beauté, et celle-ci sera facile à résumer pour les historiens : du « 11 septembre 2001 » à la « conférence de Copenhague », on la nommera sans doute la décennie des occasions perdues, des erreurs lourdes de conséquences, des mensonges assumés et des atermoiements funestes. Son nom définitif viendra sans doute de ce qui adviendra ensuite… Il n’y aura même pas eu un grand mouvement musical  dans la jeunesse occidentale pour que l’on puisse compenser par une nouveauté dans la sphère culturelle le joyeux désastre en cours, pour ne pas parler d’un grand mouvement dans le monde des arts et lettres qui semble ressasser indéfiniment les bases posées dans les lointaines années 1880-1960.

A propos de ce qui ressemble bel et bien à première vue à un échec à s’éloigner un peu de l’abime qui nous menace à en croire la communauté scientifique rassemblée dans le GIEC, beaucoup de gens incriminent l’Europe, l’Union européenne. Le dernier en date, le journaliste du Monde, Hervé Kempf, que j’apprécie pourtant beaucoup. Plus unie, nous dit-on, elle aurait fait la différence. Si notre Président du Conseil, von Rompuy, notre ministre des Affaires étrangères, lady Ashton, et notre Président de la Commission, J. M. Barroso, avaient représenté seuls le mandat de négociation des 27 pays de l’Union, nous aurions eu un accord contraignant lors de cette Conférence, et l’humanité pourrait espérer en un avenir meilleur. Hum, hum, hum, j’ai bien peur que nous soyons en train de constater plus simplement sur cette affaire particulière le déclin dans les affaires de la planète des puissances (ouest-)européennes. Le compromis auquel on a abouti aurait-il été fondamentalement différent si l’Union européenne avait été unie comme dans un rêve de fédéraliste (à l’image des Etats-Unis ou du Brésil) avec von Rompuy, lady Ashton ou J. M. Barroso à sa tête? J’ai bien peur que non : ce joueur unitaire sur la scène internationale, bien au delà même des qualités personnelles de ses négociateurs, se serait heurté au fait que les dirigeants des autres grandes puissances n’ont pas vraiment les mêmes objectifs que lui.

Même si elle était bien mieux unie qu’elle ne l’est, l’Union européenne et son demi-milliard d’habitants ne fait en effet plus le poids dans un monde à 7 milliards d’habitants (et bientôt 9). La Chine et l’Inde ont des centaines de millions de miséreux à faire accéder à un mode de vie « à l’occidentale », le Brésil, l’Afrique du sud et tant d’autres pays sur la voie de la croissance par l’industrie se trouvent face à une contrainte semblable, pour ne pas parler des pays dominés par les rentiers du pétrole ou du gaz qui ont eux aussi leurs petites et grandes misères. Du point de vue numérique, la majorité de l’humanité, organisée en États souverains,  a choisi fort logiquement par la voie de ses représentants  de faire peu de cas du risque représenté par l’accélération du réchauffement climatique. Faites donc l’addition de ce que représentent démographiquement la Chine, l’Inde, le Brésil, les Etats-Unis  – dont les dirigeants ont, parait-il, rédigé la déclaration de  Copenhague. Ajoutez-y les pays charbonniers, gaziers ou pétroliers pour faire bonne mesure. Imaginons même par hypothèse qu’un référendum mondial soit organisé sur cette question du réchauffement climatique où chaque homme et femme de la planète compteraient chacun pour une voix:  la croissance (insoutenable) l’emporterait sur la  (nécessaire) frugalité.

Cette conférence de Copenhague ne vient pas en effet comme un effet séparé du reste du monde social : elle couronne une décennie où tous les indicateurs en matière de développement durable (prétendu) se détériorent. Depuis la Conférence de Rio en 1992 et plus encore depuis le début des années 2000, jamais l’humanité n’a vécu une période en pratique plus déraisonnable du point de vue écologique. Malgré deux grandes crises pétrolières dans les années 1970-80, le mode de production et de consommation,  fondé sur les énergies fossiles à bas prix, s’est en effet développé à grande vitesse sur des espaces bien plus vastes qu’auparavant, alors même que se multipliaient les discours écologiques ou environnementalistes au niveau institutionnel. Le développement durable devient un mantra universel au moment même où  l’exploitation insoutenable des ressources de la planète s’accentue comme jamais. Cette situation où le discours se trouve en décalage presque parfait avec les tendances  observables dans les actes me fait tragiquement penser à l’entre deux-guerre en Europe. Tout un pathos pacifiste se développait dans l’espace public et dans les institutions internationales, alors même que plusieurs grands Etats de l’époque  préparaient avec ardeur (en coulisses) le prochain conflit mondial en se réarmant à tout va.  On se gargarisait de paix, on signait même des accords, et on commandait les dernières merveilles de la technologie aux industriels de l’armement. Jusqu’au dernier moment de la dernière heure, la paix fut sur toutes les lèvres. Soyons en effet réalistes : ce ne sont pas les quelques misérables pour-cents des populations riches de la planète (les électeurs des partis écologistes ou, plus largement, les personnes vraiment sensibilisées à l’écologie dans ces pays) qui peuvent faire contrepoids aux masses démographiques de la Chine et de l’Inde dirigées vers un grand rattrapage de notre mode de vie à haute teneur garantie en CO2 et autres gaz à effet de serre émis. Ce ne sont pas non plus les quelques millions d’habitants des Etats insulaires voués à la disparition pure et simple qui vont faire la différence. Je ne nie pas bien sûr l’existence de mouvements sociaux ou politiques à orientation écologique dans les pays pauvres de la planète, mais ils y restent de fait très minoritaires, sauf à se mélanger avec d’autres approches (l’indigénisme par exemple en Amérique du sud). J’ai étudié personnellement un pays riche de l’Europe, l’Italie, où la préoccupation écologique, si elle existe encore en paroles et au niveau associatif, ne vaut plus rien du tout en politique, le parti écologiste s’y est évaporé depuis 15 ans à mesure que les bases sociales d’une telle mobilisation disparaissaient au fil de l’appauvrissement des jeunes générations de cette société. Plus encore, il suffit de regarder la carte des résultats des partis écologistes dans l’Union européenne pour mesurer l’étroitesse de la base sociale de la préoccupation écologique (en gros, le  quart nord-ouest du continent). Aux récentes élections présidentielles roumaines, le candidat écologiste, celui lié au Parti vert européen, a fait autour de 0,1% des voix, soit nettement moins que  René Dumont en France à la présidentielle de 1974… Je mesure donc toute la fragilité de la préoccupation écologique dans le monde développé, et,  de ce point de vue, le bien maigre résultat de Copenhague s’avère logique. Tous les manifestants de Copenhague et d’ailleurs ne sont rien rapportés aux milliards d’habitants de la planète Terre assoiffés de bien-être matériel « à l’occidentale ». Vu du point de vue strictement individuel (en dépit de toutes les enquêtes par sondages qui montreraient plutôt le contraire avec une certaine sensibilité universelle au problème du réchauffement climatique), l’humanité telle qu’elle s’exprime en actes et non en paroles depuis 40 ans veut la consommation, veut accéder à notre niveau de vie insoutenable pour la planète. Une voiture pour chaque mâle et femelle humains de la planète, voilà le cri réel de la masse. Et si possible avec la climatisation et les vitres électriques!  Et un bon steak  au diner! La Chine n’est-elle pas en train de devenir le premier producteur mondial d’automobiles, alors même que le taux d’équipement dans ce pays reste très loin de ce que l’on connait dans un pays développé? J’ai lu quelque part que le plan de relance de l’économie chinoise comportait des sommes énormes pour la construction d’infrastructures routières et autoroutières. Et qui a le droit de priver la Chine d’un maillage autoroutier à l’allemande, à l’américaine ou à la japonaise?

De ce point de vue réaliste, le maigre résultat obtenu à Copenhague  montrerait même  a contrario le poids relatif énorme de la mobilisation  écologiste dans quelques pays riches dans la définition des normes internationales de bienséance en la matière. Il y a quand même bien eu à Copenhague un début de quelque chose plutôt que rien. Aucun État ou groupe d’États ne se trouvent, fort heureusement, sur la ligne du négationnisme en matière de réchauffement climatique, négationnisme si cher pourtant à notre bon Claude Allègre. Après tout, la Chine  ou l’Inde ne manquent pas eux aussi de savants; par commodité, les  dirigeants chinois ou indiens auraient pu se tenir fermement sur la ligne du « climato-scepticisme » en donnant du poids institutionnel à un héraut « climato-sceptique » local ; or, contrairement à la période stalinienne de l’U.R.S.S., quand un Lyssenko inventait une science socialiste de la biologie avec le soutien du cher « petit père des peuples » pour faire pièce aux avancées de la « science bourgeoise », aucun des grands États à forte tradition scientifique n’a cru bon de se lancer dans l’aventure qui aurait consisté à mettre sur pieds une contre-académie « climato-sceptique », pour faire contrepoids au discours institutionnel du GIEC. Pas de réchauffement climatique anthropique, pas de problème. G. W. Bush a bien essayé presque jusqu’à la fin de son mandat cette stratégie aux Etats-Unis, mais il n’avait pas les marges de manœuvre d’un Staline.  Les pays pétroliers du Golfe auraient peut-être les moyens financiers de le faire en regroupant tous les  opposants aux thèses du  GIEC, mais ils manquent sans doute du minimum de crédibilité héritée d’une tradition scientifique pour se lancer dans une telle aventure négationniste, cousue par ailleurs de fil blanc vu la nature de leur économie. La Russie serait sans doute un très  bon candidat à une telle aventure négationniste, mais cela ne ferait illusion sur personne  vu les brillants antécédents soviétiques en la matière. On peut donc se féliciter chaudement de cette belle unanimité maintenue! Le désastre climatique est reconnu par tous comme certain si l’on continue ainsi, et, tout de même, la paix, c’est mieux que la guerre. Ouf…

Ainsi, sur cette « morne plaine » de Copenhague, ce n’est pas tant la cohésion de l’Union européenne ou la nature de son leadership qui me  semble en cause, que son absence d’allié sur cette question climatique parmi les grandes puissances. Il faudrait ainsi s’interroger sur le poids apparemment bien faible dans les négociations du Japon, encore  à ce jour une grande puissance économique (certes en déclin rapide du point de vue de son poids futur vu sa démographie et en pleine interrogation sur son modèle de développement). Il faudrait aussi méditer sur les conséquences pour le poids de l’Union européenne dans les affaires du monde de la « perte de la Russie ». Grâce aux innombrables erreurs faites pendant les années d’Elstine, cette dernière, pourtant encore officiellement à ce jour un pays du Conseil de l’Europe, a basculé dans une (craintive) autocratie post-moderne, appuyée sur la rente pétrolière et gazière, pour le moins assez peu sensible à la question climatique. La division de l’Afrique  et de l’Océanie en une myriade d’États aussi faibles que possible lors de la décolonisation nous le payons aussi aujourd’hui : des  solides fédérations africaines  ou océaniennes auraient sans doute eu plus de poids dans les négociations. Surtout, en dépit de la vigueur du mouvement écologique et environnementaliste nord-américain, et du poids des scientifiques travaillant pour le GIEC dans ce pays, les Etats-Unis restent la polyarchie à tendance ploutocratique, dominée par les lobbys du pire monde possible à venir, qu’ils ont été sous les années Bush. Le peuple américain semble d’ailleurs en comparaison avec cette rive de l’Atlantique fort dubitatif sur le réchauffement climatique, « c’est encore l’un de ces complots des communistes pour affaiblir l’Amérique », semble être une croyance fort partagée dans l’Amérique de l’année 2009. Qui les a amené à croire cette fable, sinon une activité fort avisée de persuasion (pas cachée du tout) des « climato-sceptiques », plus ou moins stipendiés par les groupes d’intérêt qui tiennent de fait le pays?

Bref, n’imputons pas à l’Union européenne les résultats d’un jeu où elle n’est pas seule à jouer.

Certes, cette façon de voir, vu du point du citoyen (ouest-)européen à conscience écologique, signifie la certitude du désastre à venir. Je suis pessimiste, c’est bien connu. En attendant :  » Joyeuses fêtes! »