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Wallerstein, Collins, Mann, Derlugian, Calhoun, Le capitalisme a-t-il un avenir?

wallerstein&cieEn cette fin d’année 2014, l’après-crise a vraiment commencé. La poussière commence  en effet à retomber. On peut compter les morts, les blessés, et les survivants que tout cela a rendu plus fort. De plus en plus de gens commencent à publier des synthèses, à la fois sur la crise elle-même, et surtout sur le fait qu’elle marque vraiment un changement d’époque. Bienvenu au XXIème siècle! Un quarteron de (vieux) sociologues et économistes d’inspiration post-marxiste, Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derlugian, et Craig Calhouna, a décidé dans ce cadre de proposer ses propres analyses. Il les a publiées en 2013 en anglais chez la très sérieuse Oxford University Press. Cette confrontation vient d’être traduite en français sous le titre Le capitalisme a-t-il un avenir? ( Paris : La Découverte, 2013, coll. L’Horizon des possibles, 329 p.). Le titre en dit assez bien le contenu.  Il nous rappelle a contrario que, s’il y a bien une chose qui a survécu à la crise économique commencée en 2007 aux États-Unis, c’est bien le capitalisme, qui en ressort plus dominant que jamais. (Cuba elle-même est en train de signer sa reddition).  Que les lecteurs des beaux quartiers probablement gavés de dividendes se rassurent, ce livre ne devrait pas non plus leur ôter le sommeil. Face à la désormais évidente capacité du capitalisme à surmonter la crise ouverte en 2007-08, nos auteurs se donnent un horizon long et supputent que le capitalisme devrait s’effondrer dans une trentaine ou une cinquantaine d’années (sic), voire éventuellement pas du tout. Cela laisse donc le temps de voir venir. Je sens que quelques uns de mes étudiants un peu impatients sur ce point vont encore trouver qu’il s’agit bien là du cynisme de vieux (censuré) qui n’ont plus grand chose à perdre ayant déjà beaucoup eu de la vie. Certes.

En effet, ce qui est le plus fascinant et le plus exaspérant dans cet ouvrage, c’est que les auteurs prétendent parler du temps long du capitalisme.  Ils le font à travers des modèles présentés sous des formes littéraires.  Ils résument plus ou moins habilement ce qu’on peut savoir sur les évolution contemporaines du capitalisme mondialisé (financiarisation, difficulté de l’hégémonie américaine, émergence de concurrents, crise écologique, etc.), mais le format de l’ouvrage, plutôt destiné au grand public, interdit d’entrer dans une modélisation un peu articulée. Le premier chapitre, celui écrit par Immanuel Wallerstein (« La crise structurelle du capitalisme : pourquoi les capitalistes risquent de ne plus y trouver leur compte », p. 19-60), constitue une fresque plutôt brillante des évolutions du capitalisme depuis 1945. Ce dernier serait désormais voué à l’autodestruction, non seulement en raison des problèmes qu’il provoque (endettement croissant, incertitude de l’avenir, difficulté à trouver un nouveau centre régulateur après les États-Unis), mais aussi  à cause de coûts de production croissants (fin du réservoir illimité de main d’œuvre liée au monde rural pré-capitaliste, coûts de la pollution, demande de protection sociale) qui finiront par bloquer l’accumulation faute de profits.  Les hypothèses sur la manière dont l’humanité sortira de ce bourbier restent cependant des plus vagues. Les autres chapitres ne sont guère plus convaincants à vrai dire, les fresques sont vastes et parfois inquiétantes, mais les issues sont tellement hypothétiques qu’on en rirait presque, jaune bien sûr : le livre manque en effet désespéramment de statistiques, d’illustrations empiriques, de rigueur théorique, et de perspectives politiques bien élaborées. Bref, c’est largement le café du commerce en version améliorée. On pourrait le jeter au feu sans grand remords en méditant sur la vanité de l’exercice, et en regrettant ses 20 euros du prix d’achat.

Le seul chapitre qui mériterait pourtant d’être sauvé est celui écrit par le sociologue Randall Collins (« Emploi et classes moyennes : la fin des échappatoires », p. 61-115). La thèse de R. Collins est en effet la suivante : l’automatisation et la robotisation vont prendre dans le proche avenir un tour tel que la plupart des emplois actuels occupés par les classes moyennes vont disparaitre, sans être remplacés par rien, et sans que la hausse du niveau d’éducation puisse rien y faire. De fait, le capitalisme serait menacé par son propre succès à remplacer du travail par du capital, et l’on serait confronté à une hausse non maîtrisable du « chômage technologique ». Bien sûr cette thèse est exactement l’inverse de ce que pensent 99,99% des économistes orthodoxes sur le sujet. Pour ces derniers, il est sûr qu’on trouvera bien une reconversion pour ces nouveaux chômeurs technologiques pourvu de libérer le marché du travail – ce qui n’est pas faux en un sens, si l’on accepte des salaires bien en dessous du niveau de subsistance et si l’on supprime toutes les allocations chômage, cela devrait être facile comme tout.

R. Collins pense qu’au contraire le rythme de ces transformations inédites par leur rapidité et par leur nature rendront la reconversion impossible (p. 61-64) : nous ne pouvons pas tous être à terme des programmeurs informatiques, et, si, en plus, dans l’avenir pas si éloigné, les programmes se programment eux-mêmes, la difficulté sera encore plus sans solution. On ne s’en sortira pas non plus par la découverte de nouveaux consommateurs compensant la disparition des classes moyennes occidentales, ou par la financiarisation, qui ferait de tous les anciens travailleurs occidentaux des rentiers du capital. La création d’emplois par le secteur public pour couvrir les besoins non couverts par le marché sera limitée par la révolte fiscale fort probable des derniers salariés et des capitalistes. La hausse du niveau d’éducation est elle-même à ses yeux seulement une façon légitime d’occuper les gens (éducateurs et éduqués) faute de leur trouver un emploi vraiment productif. Pour R. Collins, la fin du capitalisme risque donc d’être douloureuse :

« Ma propre estimation du seuil critique engendré par le chômage structurel de la classe moyenne dépend du taux d’augmentation du chômage structurel. (…) D’après les normes américaines, un taux de chômage de 10% est douloureux : un taux de 25% (tel qu’on le constate dans les sociétés en crise) est très alarmant, mais plusieurs sociétés y ont survécu. Mais lorsque le chômage affecte 50 ou 70% de la population en âge de travailler, la pression exercée sur le système capitaliste tant par la sous-consommation que par l’agitation politique rend sa survie impossible. Ceux qui croient que de tels taux de chômage sont inimaginables n’ont qu’à faire un effort d’imagination supplémentaire en extrapolant à toutes les catégories d’emploi les effets du chômage technologique dû à l’informatisation généralisée. » (p. 96-97)

Selon R. Collins, cette situation sera donc intenable. Que ce soit par la violence ou par les urnes, une solution devra y être trouvée, soit pour maintenir par la force un capitalisme sans travailleurs et consommateurs face à un océan de chômeurs, soit en acceptant d’aller vers un dépassement de ce dernier qui séparerait en somme le revenu du travail faute de travail à faire faire aux ex-salariés.

Les hypothèses de R. Collins feront hurler de rire les économistes standards. Il se met d’ailleurs dans une bien mauvaise position argumentative en négligeant de soutenir de manière plus empirique sa thèse principale du « chômage technologique ». Il est vrai qu’il peut arguer que les économistes raisonnent sur le passé, qu’ils ne comprennent pas le caractère inédit de ce qui est en cours, et que les rythmes ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, si l’on admet simplement l’idée d’une transformation radicale du travail dans les services via l’informatisation, l’histoire montre que les travailleurs déjà adultes dans le secteur en déclin (agriculture, artisanat, puis industrie) ont connu de très grandes difficultés morales, pratiques, cognitives d’adaptation aux nouveaux travaux qui leur sont éventuellement offerts. La temporalité de la vie humaine joue ici énormément.

Quoi qu’il en soit, ce texte de R. Collins reste de loin le plus heuristique de l’ouvrage. Sa thèse du « chômage technologique » me parait promise à un bel avenir. Elle ne fait que surenchérir sur le constat déjà fait de longue date que les personnes qui n’ont que leur force physique à vendre sur le marché du travail y valent de moins en moins en terme monétaire et sont les plus susceptibles d’ailleurs d’être chômeurs. Il risque donc, selon R. Collins, d’en être de même pour les personnes n’ayant à offrir à leur possible employeur qu’une intelligence moyenne dans tous les domaines où l’automatisation et bientôt l’intelligence artificielle font mieux et moins cher. C’est déjà le cas dans bien des domaines (réservations pour des transports par exemple), mais ce que R. Collins prévoit correspond à un bond technologique à venir. Il aurait pu ajouter que ce bond s’avère d’autant plus probable qu’à la fois le secteur privé et les gouvernements occidentaux orientent toute leur politique économique dans ce sens. Tout le monde voit la survie de son entreprise ou la compétitivité de son pays dans l’innovation technologique. Or celle-ci signifie largement développer des moyens techniques ou organisationnels d’économiser le travail humain. Malheureusement, peu d’énergie intellectuelle est employée à réfléchir de manière un tant soit peu réaliste à l’emploi futur des travailleurs libérés par la dite innovation. La doctrine la plus partagée, c’est de supposer qu’ils trouveront bien en somme quelque chose à faire. C’est là clairement une conséquence de l’idéologie néo-libérale du marché auto-régulateur. Or le philosophe utilitariste Jérémy Bentham parlait déjà dans les années 1820 de l’obligation morale de l’innovateur de créer aussi les moyens de la reconversion pour ceux qui perdent leur gagne-pain en raison d’une nouvelle technologie qu’il met à disposition. Malheureusement, il faut bien constater depuis lors que cette reconversion ne fut presque jamais pensée comme un axe majeur des stratégies économiques des gouvernements, et ce dans toutes ses conséquences. On se contente de colmater les brèches sociales les plus visibles ou bruyantes. Il me semble que des thèses comme celle de R. Collins devrait surtout inciter à réfléchir sérieusement à une planification de la transformation des structures d’emploi. Et, au delà des emplois qui ne sont au fond qu’un moyen, il faudrait aussi se demander quels sont les objectifs que nous nous fixons comme société. De ce dernier point de vue, le livre de notre quarteron de sociologues et d’économistes est étonnamment peu inventif ou utopique pour la suite après le capitalisme. Cela ne fait guère rêver.

En tout cas, l’achat et surtout la lecture  de ce livre sont fortement déconseillés aux jeunes gens en recherche d’espoir pour un avenir proche.  ‘No future!’, yeah!

Ps 1. Pour un commentaire plus positif de l’ouvrage, cf. le compte-rendu par Christel Lane sur le site LSE-EUROPP. Il est même considéré comme l’un des quatre livres possibles à offrir pour Noël à un économiste selon la « Review of books » de la LSE. Je reste perplexe sur ce choix.

Ps 2. Un autre compte-rendu plus favorable que le mien vient de paraitre sur Mediapart sous la plume de Joseph Confavreux (accès pour les abonnés seulement). Le contenu de chaque contribution est bien rendue, en particulier le fait que certains parlent pour ne rien dire (celui qui rappelle que l’avenir n’est pas prévisible parce que résultant de causalités fort complexes devrait être mis au pilori de suite, pour crime de banalité extrémisée), mais il me semble que J. Confavreux a perdu de vue la perspective temporelle des auteurs qui fait tout le sel de leurs augustes propos: dans 20, 30, 40, 50, 100 ans, something new might happen, merci les gars, on s’en doutait un peu, mais encore? Je me rends compte par ailleurs que l’un des auteurs du livre est le directeur de la LSE, ce qui peut effectivement aider à avoir une bonne réception sur le site de la LSE… (voir Ps. 1).

Ps 3. Un autre compte-rendu, bien plus favorable  que le mien de l’ouvrage, sous la plume de Guillaume Arnould, pour la revue en ligne Lectures.  Je suis tout  à fait d’accord sur la présentation de l’ouvrage, bien résumé par G. Arnould, mais je suis entièrement opposé à sa conclusion. Ce livre ne prouve aucunement que les sciences sociales peuvent aborder le temps long. Au contraire, cela prouve que des progrès restent à faire dans ce domaine. En effet, tout cela reste à la fois trop abstrait et trop peu modélisé au total. C’est un peu l’inverse du livre de T. Piketty (Le capital au XXIème siècle), avec sa loi des temps ordinaires du capitalisme « r(taux de rendement du capital) supérieur à g (taux de croissance) de l’économie » , qui, si elle est vraie, implique à terme la dictature de la ploutocratie ou la révolution (nationale ou socialiste)!

Ps 4. J’espère que mes étudiants profiteront de cette multiplication de compte-rendu pour bien percevoir la diversité des pratiques qui se dissimulent sous ce terme neutre.

Hollande (un peu) impopulaire, non pas possible?

Apparemment, selon un sondage d’opinion de la société BVA, François Hollande serait en train de crever le plancher d’impopularité : moins de 30% de popularité, ce qui dans cette mesure-là ne serait jamais arrivé à un Président depuis les 32 ans qu’elle existe. Il me semble pourtant qu’il ne s’agit guère d’un scoop dans la mesure où d’autres instituts de sondage aboutissaient depuis le printemps au même résultat d’une popularité présidentielle historiquement basse. Les données compilées par le site Délits d’opinion sur la popularité de l’exécutif actuel selon les divers instituts  confirment mon souvenir. C’est en fait depuis le printemps 2013 que la popularité de l’exécutif passe en dessous des 30% dans certains sondages. Je m’interroge du coup sur la dignité particulière que la presse (hormis celle qui a commandité le dit sondage qui est en droit de le faire pour l’avoir payé) a entendu conférer à ce sondage de la société BVA. A ma connaissance, dans l’univers du sondage politique, cette dernière entreprise n’est ni  meilleure, ni  pire d’ailleurs, qu’une autre. J’en suis réduit à supposer que c’est le moment de publication du sondage, juste après l’affaire Leonarda, qui a été saisi par BVA pour faire parler de son produit, mais il resterait à savoir pourquoi l’ensemble de la presse lui a accordé tant de crédit sans trop se poser de questions.

Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute en tout cas que la popularité présidentielle telle que mesurée par les sondages les plus courants est en berne, et chute à grande vitesse depuis mai 2012. Les paris semblent désormais ouverts : où se situe le taquet? 20%? 15%, 10%%? Selon la compilation de Délits d’opinion, certains sondages sont déjà d’ailleurs vers 20%.

Doit-on s’en étonner? Pas vraiment. C’est le contraire qui serait étonnant. En effet, quand, en mai 2012, une majorité de Français élit ce nouveau Président, ils sont déjà très préoccupés, par le chômage en particulier. Or ce dernier n’a cessé d’augmenter depuis lors – sans d’ailleurs que les médias n’en fassent grand cas à vrai dire à la mesure de ce que cela représente pour les personnes concernées et leurs proches. Ce n’est que lorsqu’une chômeuse crève l’écran en s’adressant au Président ou à un leader de parti d’opposition que les médias semblent se rendre compte de l’importance du problème. Ah le côté humain au delà des chiffres… Misère de la société émotionnelle. Donc, sur la mission principale qu’ils se sont eux-mêmes assignés ce Président et cette majorité sont donc pour l’instant en échec : toutes les mesures de politiques publiques prises depuis juin 2012 préparent peut-être à une reprise de l’emploi dans les années à venir, mais, en octobre 2013, la population ne voit rien venir, et, en plus, vu à travers les grands médias, les restructurations de l’économie français continuent de plus belle avec leur lot de licenciements collectifs et font évidemment grand bruit.

F. Hollande savait sans nul doute que sa popularité allait pâtir de son choix d’un « socialisme de l’offre ». De fait, comme le rappelle l’économiste Philippe Askenazy dans sa chronique (« François Hollande est-il de gauche? », Le Monde, 28/10/2013), ce dernier n’est pas vraiment dans ses différentes composantes une nouveauté conceptuelle, tout au moins au centre-droit. Ce « socialisme de l’offre » suppose de faire à peu près comme le camarade Schröder avec les lois Hartz, en tenant compte toutefois des contraintes politiques françaises (cf. la très prudente réforme des retraites de cet automne). Il semble constituer la seule option possible pour un gouvernement socialiste français voulant rester dans les clous européens, à la fois du point de vue financier et du point de vue de la vision de l’économie (plutôt néo-libérale) en vigueur à Bruxelles. Dès que la fenêtre d’opportunité du tout début du mandat (qui aurait consisté à contester à la base le policy mix européen en refusant de ratifier le TSCG en lui opposant « la volonté souveraine du peuple français » incarnée dans l’élection présidentielle) s’est refermée, il ne restait plus qu’à faire ce qui est en train de se faire, c’est-à-dire une bonne vieille politique « barriste » si j’ose dire. Un doctorant de vingt-cinq ans me disait qu’il avait une impression de déjà vu face à cette politique économique, et à sa performance médiocre, que devrais-je dire moi-même à près de cinquante ans? Aucun problème évoqué depuis que je suis en âge de comprendre quelque chose à la vie publique ne semble avoir été résolu à ce jour … (ce qui est d’ailleurs une remarque plus générale : de plus en plus de gens n’ont comme moi connu que « la crise », cf. V. Tiberj, « Un nouveau citoyen? », in V. Tiberj (dir.), Des votes et des voix. De Mitterrand à Hollande, Nîmes, Champ social, 2013, p. 58-65, en particulier p. 64).

Probablement, F. Hollande n’avait pas bien compris que son propre slogan de campagne, « Le changement c’est maintenant », cernait très bien l’impatiente d’une bonne part de la société française face au problème du chômage, du pouvoir d’achat, de la justice fiscale, etc.. Selon Adrien Degeorges (« Les Français et le rôle de l’État dans la mondialisation », in V. Tiberj (dir), idem, p. 32-40),  les sondages de l’équipe Triélec tendaient à indiquer, comme rarement depuis un quart de siècle qu’une majorité d’électeurs était plutôt favorable à l’intervention de l’État (cf. p.33).  Dans son récent entretien pour Médiapart, Vincent Tiberj le dit aussi très explicitement (dans ses premières phrases) : début 2012, les Français n’avaient jamais eu des idées sur l’économie aussi à gauche depuis 1981 (sic). Si F. Hollande fait un tabac lors du meeting du Bourget en janvier 2012, en proclamant que « son ennemi, c’est la finance« , ce n’est pas totalement un hasard; s’il propose de taxer les « riches » à 75% sur leurs revenus au delà de 1 million d’euros – sans bien préciser vraiment la mesure -, cela fait donc fortement sens remis dans son contexte.  Il est alors peu étonnant qu’au bout d’un an et demi de pouvoir socialiste, les Français, qui avaient il y a près de deux ans de telles opinions, n’ayant pas vu venir grand chose de positif de ce point de vue dans leur vie quotidienne, expriment comme une légère déception (euphémisme). Pour une bonne part d’entre eux, ils attendaient un Mitterrand version mai 1981 (en dépit d’ailleurs que, dans le programme présidentiel, rien de bien révolutionnaire ne leur avait été  promis), ils se sont trouvés encore une fois devant un Delors. Comme le remarquait avec raison le journaliste du Monde, Thomas Wieder, dans son article du mardi 23 octobre 2013 (« François Hollande, chantre d’un idéal qu’il savait illusoire », p. 11), il suffisait de lire les ouvrages de M. Valls, P. Moscovici et F. Hollande pour savoir à quoi s’en tenir sur les options fondamentales de la future Présidence socialiste: « Là encore seuls ceux qui avaient la mémoire courte [n.b. utilisation plutôt malheureuse par  T. W. d’un syntagme miné] avaient des raisons de tiquer. Dans son livre Le Rêve français (Privat, 2011), celui qui n’était alors que candidat à la primaire socialiste [Hollande] se posait déjà en promoteur de l »esprit d’entreprise’, expliquant que celle-ci devait être ‘respectée, comprise et encouragée’ « . T. Wieder en concluait d’ailleurs : « Que ceux-ci [les électeurs de F. Hollande] se sentent trompés est naturel. Mais qu’ils aient été naïfs est indéniable. » Il resterait bien sûr à expliquer les mécanismes de cette « naïveté » : il avait fallu près d’une décennie de travail politique pour transformer le très modéré F. Mitterrand des années 1960 en héraut du « changement » en 1981. (Et, encore, à l’extrême-droite, on savait  à l’époque qu’il avait eu en son temps « la Francisque » le bougre…) Dans le cas de F. Hollande & Cie, personne qui avait suivi la politique française depuis 20 ans ne pouvait ignorer leurs biographies. Si une bonne partie des électeurs, et d’abord ceux des primaires socialistes, s’y sont laissés prendre, n’est-ce pas que les médias et les autres politiciens n’ont pas bien fait leur travail d’information à ce sujet? Est-ce F. Hollande aurait pu se faire élire si les médias et ses adversaires politiques avaient rappelé en détail son passé de la même manière que pour tout candidat à la Présidence aux États-Unis?  En tout cas, à en croire les sondages, ce sont désormais les Français qui ont cru F. Hollande de gauche au sens interventionniste du terme (de la bonne vieille « politique de classe ») qui désertent désormais le camp majoritaire. Comme dès le départ l’électeur de N. Sarkozy de mai 2012 n’était guère disposé à faire crédit au « socialiste » F. Hollande et que cela ne s’est vraiment pas arrangé depuis lors (les électeurs proches de l’UMP seraient en octobre 2013 97%[!?!] à avoir une mauvaise opinion de F. Hollande selon BVA), il ne devrait bientôt plus rester comme soutien à la majorité présidentielle que le noyau dur de gens qui se reconnaissent dans ce « socialisme de l’offre ». Au final ça va sans doute pas faire bézef.

De fait, je soupçonne fort que n’importe quel Président de gauche élu en 2012 – un DSK ou une Martine Aubry pour citer deux possibilités -, qui aurait mené une telle politique de reconstitution de l’offre, aurait subi une telle érosion de sa popularité. Par définition, cette politique de l’offre, sans cesse remise sur le métier depuis les années 1970, en usant de slogans différents selon les époques, constitue une politique de moyen/long terme. Elle tend à court terme à déprimer l’activité et à accepter, comme disait notre bon docteur R. Barre, la disparition des canards boiteux.  Cette politique de l’offre repose par exemple sur l’élévation du niveau général de formation de la population, une politique qui, par définition, n’aura des effets que dans un futur plus ou moins lointain. Certes, le gouvernement actuel pourrait être accusé en prenant le point de vue de ce « socialisme de l’offre » de ne pas en faire assez et surtout pas assez vite : la réforme de la formation professionnelle par exemple traine en longueur, alors même qu’en bonne logique d' »offre », elle aurait dû faire partie des priorités absolues de l’été 2012. Il y a donc sans doute une très mauvaise gestion du temps par cette majorité, mais il reste que le « socialisme de l’offre » ne pouvait que déprimer la popularité présidentielle. Il n’est pas d’évidence ce qu’attendait une bonne part du « peuple de gauche » en 2012.

Y avait-il alors dans le cadre européen un autre choix que cet éternel retour du chabanisme (cf. la citation, un brin perfide, du discours d’investiture de Chaban, Premier Ministre, par P. Askenazy dans l’article cité)/barrisme/delorisme? On aurait pu imaginer théoriquement deux options.

Première option : le  big bang néo-libéral (si on croit que cela peut fonctionner pour en finir avec la chômage …), en faisant ce que la droite s’est (prudemment) refusé à faire depuis 2002: augmentation de la durée du travail au maximum possible européen (c’est-à-dire bien au delà des 35 heures légales actuelles), suppression de deux ou trois semaines de congés payés (pour en venir à la norme américaine en la matière) et de la plupart des jours fériés, baisse drastique du « coin socio-fiscal » à tous les niveaux de salaire avec en contrepartie fin de tout paritarisme dans la gestion de la « Sécu » afin de faire de « vraies » économies, etc. (Je connais mes gammes néo-libérales.)  Difficile évidemment… à envisager pour une majorité et un gouvernement de gauche, sauf à innover complètement en créant un revenu minimum significatif pour tout le monde. Cette option aurait supposée de faire la campagne présidentielle dessus, et sans doute de la faire approuver par référendum ensuite. Je doute qu’elle ait eu beaucoup d’écho auprès de l’électorat…  Cette option d’une thérapie de choc aurait eu l’avantage de faire baisser drastiquement le coût du travail en France, et, si j’ose dire, de rendre à l’Allemagne la monnaie de sa pièce…  Vous voulez jouer aux cons, chers camarades allemands, jouons aux cons… et maintenant discutons franchement de l’avenir de l’Europe.

Deuxième option: le  retour à une vision de plus long terme du temps de travail et de la croissance potentielle attendue par un pays comme la France, c’est-à-dire tenir compte par exemple des propositions du « collectif Roosevelt », en particulier de leur point 13 sur le temps de travail. On remarquera toutefois que pas une fois au cours de la campagne des « primaires » du PS, puis du candidat Hollande, il n’a été question de réduction générale du temps de travail. D’évidence, les dirigeants actuels du PS considèrent avoir fait une erreur avec les 35 heures en 1997-2002, et ils n’entendent pas, eux vivants, la répéter.

Comme ces options qui supposeraient une autre histoire lors de l’élection de 2012 sont exclues, que va-t-il se passer désormais?

Une remarque inspirée par l’histoire : toutes les expériences de la gauche française au pouvoir (Cartel des gauches, Front populaire, « 1944-1947 », « 1956 », « 1981 », « 1997 ») ont commencé par annoncer beaucoup de changements dans l’ordre capitaliste en vigueur, à les faire parfois, pour ensuite se dé-radicaliser au fil du temps et finir parfois dans la capitulation totale au regard des glorieux objectifs affichés au départ. Dans le cas présent, on observe le même phénomène en partant d’options au départ bien moins radicales que pour les expériences précédentes. L’éco-taxe, qui vient, semble-t-il, de tomber au champ d’honneur hier (qu’elle repose en paix!), n’est pas vraiment une mesure de socialisation de l’économie telle qu’on pouvait l’envisager en 1980, cela correspond plutôt à du libéralisme écologiquement correct – et, bien même cela, le gouvernement Ayrault n’a pas été capable de le vendre! Il me parait donc vraiment très peu probable qu’au cours du quinquennat, le Président Hollande mette tout d’un coup la barre à gauche toute, cela serait d’ailleurs d’autant plus difficile désormais que l’électorat de droite et d’extrême droite se sent déjà fort maltraité par ces « socialistes » et qu’il réagirait sans doute très vivement. Plus généralement, l’opinion publique n’est d’ailleurs plus autant prête à entendre parler d’intervention de l’État qu’au début de l’année 2012. Elle se déclare, surtout à droite certes, affolée par les impôts et taxes. Le balancier est reparti dans l’autre sens. En somme, c’est trop tard pour une option de gauche.

Par ailleurs, pour aller plus à droite (comme les expériences précédentes de la gauche au pouvoir le laisseraient deviner), un nouveau gouvernement après celui de J. M. Ayrault aurait peut-être du mal à trouver une majorité, sauf à supposer que les centristes UDI veuillent bien réitérer l’opération Rocard 1988 – mais je ne vois pas ce qui les pousserait à venir au secours d’une Présidence Hollande en perdition qui aurait perdu sa majorité parlementaire.

Bref, je sens qu’on va se trainer quelque temps encore dans cet état… et que d’autres records seront battus.

Jusqu’ici tout va bien… pour le PS.

L’élection législative partielle dans l’ancienne circonscription de Jérôme Cahuzac  s’est donc très bien déroulée au total pour le candidat du PS.  Il arrive tout de même troisième! Il a conquis pas les suffrages de pas moins de 10,35% des inscrits de la circonscription de Villeneuve-sur-Lot, soit 23,76% des suffrages exprimés. Pas si mal. Le candidat de l’UMP fait 12,54% des inscrits et 28,80% des exprimés, et le candidat FN fait 11,37% des inscrits et 26,11% des exprimés. Bien sûr, le PS subit une hémorragie en voix par rapport à 2012, et  le candidat du PS est sèchement éliminé du deuxième tour, comme il se doit avec un tel niveau d’abstention établi à 54,28% (sans compter un niveau de blancs et nuls de près de 5% parmi les votants).

Pourtant, tout va très bien, dans cette circonscription le PS reste malgré tout le grand parti indépassable de la gauche. Ni le « Front de gauche » (5,10% des exprimés) ni bien sûr les « Verts » (2,79% des exprimés) ne sont sur le point de le remplacer là-bas dans le cœur de l’électorat de gauche. Surtout, le PS ne tombe pas comme une pierre. Il n’est pas (encore?) à 5% ou moins des exprimés.

Ma réaction vous étonne? Simplement, je me permets de comparer implicitement la situation du PS avec celle du PSI (Parti socialiste italien) dans les années 1990. J’ai vu la mort électorale de ce parti, où il est passé en quelques mois au début des années 1990 de 15/13% des voix à 2/1%, pour ne plus jamais dépasser ensuite cet étiage lors de ses diverses tentatives de réincarnation. (Et il y en a eu, un vrai roman.) Je pense aussi à la mort électorale des socialistes polonais et hongrois, tout aussi brutale.

Pourquoi une comparaison avec le PSI?

Parce qu’en l’occurrence, s’il y a dû y avoir une législative partielle, c’est suite à l’affaire Cahuzac, magnifique exemple de corruption et d’arrivisme des élites socialistes de ces dernières années.  Pour voter le candidat du PS à Villeuneve-sur-Lot, il fallait bien différentier l’homme Cahuzac et le PS – pour ne pas voter aussi d’ailleurs, puisqu’il y a eu, semble-t-il, une candidate fantaisiste pro-Cahuzac. En pratique, cela veut dire que la marque PS est encore dissociée par une partie des électeurs de cette circonscription de la corruption avouée d’un de ses membres éminents. En Italie, à un certain moment (entre le printemps et l’automne 1992), le mot même de « socialiste » est devenu pour l’immense majorité de l’électorat un synonyme de « corrompu », et le beau mot de « socialisme » ne s’en est jamais remis (encore en 2013). Il est d’ailleurs intéressant de ce point de vue que le PS ait choisi de présenter son candidat et n’ait pas essayé de se cacher derrière une candidature unitaire d’un Monsieur Propre venu d’un autre parti de gauche.

Parce que la situation économique de la France (comme de l’Italie au début des années 1990) est pour le moins mauvaise (euphémisme) : chômage record, croissance nulle, et pouvoir d’achat stagnant ou en régression. Un candidat pro-gouvernemental n’a donc pas grand chose à faire valoir auprès de l’électeur comme bilan après un an de gouvernement de la gauche.

Donc, pour le moins, les vents étaient contraires au candidat du PS, et pourtant il fait tout de même un petit quart des suffrages exprimés, et le reste de la gauche n’est visiblement pas en état de modifier le rapport de force interne dans ce camp.

Donc j’en conclus que tout va bien pour le PS : il va continuer à perdre toutes les élections à venir, mais il restera la force à laquelle la majorité de l’électorat de gauche (en tout la partie qui va voter) s’identifie. En conséquence de quoi, une fois renvoyé dans l’opposition, ce qui ne manquera pas de se produire au train où vont les choses,  il pourra repartir à la conquête du pouvoir.

Pacta sunt servanda? Du « Pacte budgétaire ».

Sauf événement totalement imprévu, la France va ratifier en l’état, sans y changer une virgule, le traité signé au printemps 2012 entre 25 Etats de l’Union européenne, le « Pacte budgétaire », alias le « Traité Merkozy » pour ses opposants, alias le TSCG (Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance) pour lui donner son nom officiel, et, dans la foulée, se doter de sa propre « règle d’or » budgétaire à travers le vote d’une loi organique. Sauf surprise de toute dernière minute, cette fois-ci à l’échelle européenne, ce traité entrera en vigueur dans de brefs délais, car il n’est prévu qu’un nombre réduit d’États (12 au minimum) l’ayant ratifié parmi les signataires pour lui permettre de s’appliquer.

Les « économistes atterrés » ont exprimé leur opposition au traité, dans les termes les plus vifs, ce qui ne saurait étonner personne vu leurs interventions publiques précédentes. Une tribune a été publiée dans le Monde par un groupe d’économistes critiques recoupant largement les précédents. Même un Jean Pisany-Ferry semble exprimer quelques doutes sur la manœuvre économique en cours au niveau de l’Union européenne.

Je ne veux pas entrer ici dans la logique économique de ce Traité, mais dans les conséquences que ce dernier aurait pour le fonctionnement politique des Etats européens l’ayant ratifié. Ce Traité, qui n’a l’air de rien selon le Conseil constitutionnel, si on le prend au sérieux si j’ose dire, change tout de même radicalement la donne en matière de finances publiques agrégées. En effet, il affirme que, si on imagine un univers économique sans aucune perturbation conjoncturelle, l’État au sens large ne devrait faire presque aucun déficit : 0,5% de « déficit structurel » au maximum avec une dette publique de plus de 60% du PIB et 1% au maximum avec une dette publique de moins de 60% du PIB. On ne se trouve certes pas au déficit zéro, mais on s’en rapproche. Surtout, point qui a été beaucoup moins souligné par les médias et par les hommes politiques défendant le Traité, les Etats signataires se font obligation de réduire leur dette publique, si elle est supérieure à 60% du PIB, à marche forcée d’un vingtième  par an de la valeur de l’écart entre 60% et son niveau présent.

Imaginons que ce Traité s’applique vraiment. Comme ses partisans le disent justement, la France connaît de forts déficits publics depuis le début des années 1970 – fin de la période dite des « Trente Glorieuses ». On peut certes se prendre à rêver qu’à coup de réformes de la gouvernance européenne, un « miracle européen » se produise à compter de 2013, et que les pays de l’Union européenne, et tout particulièrement ceux de la zone Euro, connaissent de forts taux de croissance (au delà de 3% par an) à compter de 2014. L’application des termes du Traité sera indolore dans ce cas, il suffira de donner la priorité au désendettement des administrations publiques et de ne pas céder quand apparaîtra une « cagnotte » fiscale vu le boom économique.

On peut aussi se mettre à cauchemarder avec de très nombreux économistes en se disant qu’avec toute cette austérité mise en place en Europe, nous allons droit vers une dépression style années 1930 – si nous n’y sommes pas déjà en fait. Quand je lis par exemple que la Grèce pourrait  encore faire -5% (sic) sur son PIB en 2013 ou que la France entre doucement dans la récession comme en 2009, ce scénario du pire me parait probable. Or, dans ce cas, tout l’appareil de régulation des comptes publics bâtis depuis deux ans à l’échelle européenne (le TSCG, mais aussi le « Six Pack » et bientôt le « Two Pack »), va sans doute se trouver, au moins temporairement, caduc. En effet, il peut arriver un moment où, même les partis actuellement au pouvoir dans les Etats européens finissent par déclarer d’eux-mêmes la situation « exceptionnelle », et donc s’affranchissent de toutes ces règles de contrôle des dépenses publiques qu’ils ont approuvées depuis deux ans au nom de la conjoncture d’exception qu’ils auraient eux-mêmes contribué à créer par leurs choix malavisés. L’appel au secours du Premier Ministre grec actuel, Antonio Samaras, représente peut-être le début d’un retournement dans la perception de la situation. Le recul du gouvernement portugais devant la rue sur une mesure particulièrement impopulaire est peut-être un autre signe en ce sens.

Cependant, ces deux scénarios, le rose (bien improbable) et le noir (moins improbable) peuvent fort bien être remplacés par une sortie de crise toute en mollesse, avec une croissance très basse (entre 0 et 1% par an), mais ni nulle, ni négative – probablement tirée par une reprise économique ailleurs dans le monde. Je suppose que, dans ce cas de la médiocrité durable, le « Pacte budgétaire » s’applique à plein. Et, là, arrivent les difficultés politiques! Si année après année, il faut rembourser la dette publique accumulée depuis le début des années 1970, cela signifie avec une croissance très faible qu’il faudra couper vraiment dans les dépenses publiques et/ou augmenter les impôts, taxes, cotisations. Il y aura bien en effet un moment où les ajustements incrémentaux ne suffiront plus. On en arrivera alors à devoir faire des choix de société et/ou de grande politique. Depuis la période de la reconstruction après la Seconde Guerre Mondiale, les sociétés à l’ouest de l’Europe ont toujours fonctionné pacifiquement et démocratiquement, soit grâce à un partage des « fruits de la croissance », soit grâce à la souplesse que donnait l’augmentation de la dette publique ou de l’inflation quand il n’y avait plus de « fruits » à partager. Que se passe-t-il si le jeu démocratique devient visiblement, sans échappatoire par la dette ou l’inflation, « à somme nulle », voire « à somme négative »? Il n’est pas très difficile de parier que le jeu va se durcir. Il n’est pas très difficile non plus de prévoir que les groupes d’intérêts les plus entreprenants seront mieux servis dans la débandade générale que les citoyens non organisés ou les groupes d’intérêts un peu moins entreprenants. (Petite illustration sur le budget 2013 de la France : on augmente les impôts/cotisations/taxes des retraités, fumeurs, buveurs de bière inorganisés, et on maintient la TVA réduite dans la restauration… et ce n’est que le début…)

Or, en France, tout semble se passer comme si les hommes et femmes politiques qui vont voter le « Pacte budgétaire » n’avaient pas envisagé vraiment cette éventualité moyenne, médiocre, d’une longue stagnation, d’un régime économique quasi-stationnaire avec remboursement de la dette et sous-emploi de masse durablement élevé, pourtant le scénario gris le plus probable vu l’histoire économique récente du pays. Toute une partie du Parti socialiste semble en effet approuver ce texte uniquement pour des raisons de haute politique européenne, tout en pariant que le jeu européen aura changé avant d’avoir à faire les choix drastiques que ce Traité implique (par exemple, la diminution radicale du nombre de communes, de plus 36000 à 5000 tout au plus, la suppression plus généralement d’une bonne part des administrations locales et de leur personnel doublonnant). Idem à droite (par exemple, avec l’abandon de la dissuasion nucléaire, d’évidence trop chère pour un « pays en faillite », ou de la politique familiale universelle, reliquat d’un nationalisme démographique d’un autre âge).

Je soupçonne fort nos politiques de croire s’engager, comme d’habitude, sur un traité dont la France – cette grande Nation – respectera ce qu’elle voudra bien respecter. Ils sous-estiment peut-être que, cette fois-ci, ce sont les conditions générales de la concurrence politique nationale qui sont en train de changer.

Vallée sociale du 18 janvier

Je ne sais pas qui conseille actuellement le chef de l’État, mais ces deux dernières semaines n’ont pas été un modèle en matière de communication politique. Je dois dire que je suis même étonné à quel point tout cela tient du cafouillage permanent, qui se passe presque de commentaires.

Passons sur la perte du « Triple AAA », amplement analysée de Brest à Vladivostok comme un désastre politique pour l’exécutif français, ou sur l’affaire Seafrance, un modèle de communication de crise ratée, mais revenons sur le « Sommet social du 18 janvier ». Soit disant selon la communication de l’exécutif avant Noël, ce moment devait marquer une modification radicale de la politique de l’emploi en France, un « grand soir », une « aube nouvelle », un « nouveau départ ». Certains (à gauche) craignaient le pire. Finalement, l’exécutif a annoncé un plan, chiffré à un demi-milliard d’euros, qui ne comporte que la resucée de mesures déjà expérimentées depuis 25 ans au moins dans ce pays avec le succès que l’on sait, et, pour certaines, à peine abandonnées il y a un an. Il est vrai que N. Sarkozy se réserve des annonces plus corsées pour fin janvier (TVA sociale par exemple), mais il reste que le sommet social du 18 janvier en est devenu du coup une bien morne vallée.

Quand j’ai lu le détail de ces mesures, je suis en effet un peu tombé de ma chaise. Étant donné les délais légaux, administratifs, de mise en œuvre, de tout ce fatras, l’exécutif pourra s’estimer heureux s’il trouve quelques rares chômeurs ayant retrouvé du travail, ou entrepris une formation, grâce à ces dispositifs, qu’il pourra exhiber dans les médias avant le premier tour de la Présidentielle. Pour ce qui est des chiffres globaux et surtout du vécu de nos concitoyens face au chômage, ces mesures n’auront aucun effet. Elles auront peut-être même un effet contre-productif, dans la mesure où elles montrent à toute personne qui y réfléchit cinq minutes qu’on recourt toujours aux mêmes vieilles recettes (exonérations de charges) et que cela ne marche(ra) pas. (Je croyais d’ailleurs qu’il fallait réduire les niches fiscales…) Le chômage restera la préoccupation n°1. Je suis particulièrement sensible (par ma profession) au thème de la formation des chômeurs. Toute personne ayant été au chômage ou ayant eu un proche au chômage sait très bien que saisir l’occasion de cette oisiveté forcée pour se former ne va pas du tout de soi dans notre pays. Seul un chômeur avec une motivation en béton et des nerfs d’acier réussira à se former. Est-il besoin que l’exécutif fasse mine de découvrir  cette lacune béante à trois mois des élections et après cinq dix ans de pouvoir? Proposer 16000 places de formation supplémentaires, quelle personne censée pourrait critiquer cette mesure? Mais est-ce qu’au point où nous en sommes, il ne faudrait pas multiplier par un facteur 10 l’augmentation de l’effort qu’on se propose?

Dans le même ordre d’idée, l’exécutif annonce des mesures fortes sur le logement. A moins de donner les pleins pouvoirs de la République à quelque association genre DAL (Droit au Logement), là encore, les mesures, fussent-elles des plus raisonnables, qu’annoncera l’exécutif ne serviront qu’à souligner avec force l’échec du gouvernement dans ce domaine.

Je comprends fort bien que l’exécutif veuille faire mine de résoudre in extremis les problèmes qu’il n’a pas réussi à affronter avec succès pendant les années précédentes, mais se rend-il compte du point auquel cela souligne qu’un temps précieux a ainsi été perdu? Cela me fait irrésistiblement penser à l’étudiant qui n’a rien fait du semestre et qui révise le cours en catastrophe sur les notes prises par d’autres entre minuit et six heures du matin avant l’examen.

Si la campagne de N. Sarkozy continue dans ce style (« Je vais faire d’ici avril 2012, tout ce que j’aurais dû faire depuis mai 2007. »), on devrait bientôt voir des députés UMP et Nouveau Centre découvrir des vertus à ce cher François Bayrou.

Rationalité fiscalo-électorale.

Le gouvernement Fillon a dévoilé hier son dernier plan de rigueur en date. Les critiques pleuvent, y compris bien sûr de la part d’économistes de gauche comme Thomas Piketty et Camille Landais qui n’y voient pas, sans doute à juste titre,  un grand progrès dans l’équité fiscale.

Pour ma part, je suis plutôt admiratif. Le gouvernement Fillon semble bien avoir cherché les mesures qui maximiseraient (en principe) le gain fiscal sans aliéner l’électorat. C’est certes un peu disparate, comme le fait remarquer l’historien de la fiscalité, Nicolas Delalande, mais c’est tout de même d’une belle prudence préélectorale. Il est humainement impossible de demander à un Président et une majorité de se suicider électoralement s’ils considèrent pouvoir encore faire autrement. Or je ne vois rien dans ces diverses mesures qui doive choquer particulièrement les Français au point d’obérer définitivement toute chance de réélection pour N. Sarkozy.(Il n’a pas baissé les salaires des fonctionnaires, merci, ils sont seulement gelés jusqu’à nouvel ordre depuis l’année dernière; il n’a pas aligné la CSG des retraités sur celle des actifs, merci pour eux; il n’a pas augmenté la TVA sur tous les produits et services, merci pour nous).

Bon, on augmente tout de même les taxes sur le tabac et les alcools forts… Qui va défendre le tabagisme et l’alcoolisme? Le vin et le rhum semblent d’ailleurs sauvés. (Je me bois d’ailleurs un rhum en écrivant ces lignes à la santé de nos compatriotes d’outre-mer.) On crée une taxe sur les boissons sucrées. Elle est pour l’instant des plus minimale, mais, si le Parlement la vote vraiment, c’est un tout petit début prometteur. Les industriels de l’agroalimentaire concernés ne s’y sont pas trompés qui hurlent qu’on les assassine, discrimine, insulte. Si des taxes sur les consommations ayant des effets délétères sur la santé, autres que le tabac et l’alcool, en viennent à être ainsi inventés par nécessité fiscale, et bien, ce sera au moins une fort bonne chose qu’aura faite ce gouvernement. Ceux qui indiquent que ces taxes (tabac, alcool et boissons sucrées) toucheront d’abord les pauvres ont raison si l’on voit ces derniers seulement au prisme de leur pouvoir d’achat, mais ils ont tort si  on admet que les pauvres ont droit à ce que l’État défende leur espérance de vie en leur donnant un signal par le prix que cette consommation-là leur nuira.(Mon beau-père, fumeur depuis 40 ans, a arrêté de fumer, parce que les prix du tabac étaient devenus trop élevés pour son revenu, il s’en trouve fort aise et il veut convertir désormais son entourage.)

De même, la TVA ramenée à la norme pour les parcs de loisir, certes une recette de poche pour l’État, j’ai du mal à y voir autre chose que la correction d’une erreur antécédente. Pourquoi diable encourageait-on par une fiscalité réduite cette consommation-là? (Serait-ce une séquelle du fantasme du parc Euro-Disney comme avenir de l’emploi en France?)

Les diverses mesures portant sur l’immobilier, les heures supplémentaires, les impôts des entreprises, passeront inaperçues pour la plupart des gens, et la taxation exceptionnelle des plus aisés reste  encore assez douce pour qu’ils l’acceptent sans trop maugréer.

Parmi toutes les mesures, je n’en ai vraiment trouvé qu’une qui me paraisse vraiment susceptible d’une critique forte pour son caractère illogique, celle portant sur les contrats mutualistes d’assurance santé. Cette taxe-là équivaut à une hausse d’impôt pour énormément de gens, y compris ceux qui n’en ont pas les moyens, ou même revient à décourager l’achat d’un service dont a priori il serait mieux que les Français ne se passent pas. (A moins que cyniquement, on considère qu’il faut moins de gens qui s’assurent en santé complémentaire, pour qu’ils évitent de se faire soigner et de coûter à l’assurance-maladie.) Voilà encore une hausse des dépenses contraintes dans le budget des ménages, qui fera qu’on s’étonnera ensuite de l’atonie de leur consommation.

En dehors de ce bémol, je trouve le coup fort bien joué par le gouvernement Fillon.

La gauche par ailleurs n’a pas non plus de quoi se lamenter.

D’une part, bien que la taxe sur les titulaires de plus hauts revenus soit peu importante, cela veut dire que l’argument selon lequel ces mêmes riches arrêtent de travailler, d’innover, de produire, si on les taxe ne serait-ce qu’un tout petit peu plus, est reconnu en pratique comme faux par la droite elle-même. Il n’est donc pas impensable de taxer les (très) riches! Ils ne vont pas se mettre en grève illico.

D’autre part, le gouvernement Fillon n’a pas même commencé à supprimer massivement des niches fiscales, il les a simplement encore un peu « rabotées » selon le terme consacré. Par exemple, le célèbre « Scellier » bouge toujours.  Cette situation de préservation des privilèges fiscaux de certains  signifie que la gauche, si elle remporte les élections du printemps prochain, va pouvoir jouer sur cette réserve d’exonérations fiscales, peu efficaces économiquement et injustes, pour financer un collectif budgétaire si nécessaire, sans devoir recourir nécessairement à des hausses généralisées d’impôts (TVA, CSG, IRPP). Pour ne prendre qu’un seul exemple, la TVA réduite sur la restauration pourra être augmentée, ou même ramenée au taux normal, de même les exonérations de charges sur les heures supplémentaires pourront être supprimées. Il reste donc du grain à moudre, avant même la mise en place, nécessairement compliquée, d’une éventuelle fusion IRPP/CSG. Il suffira de faire preuve de courage pour affronter « les chiens qui dorment dans les niches ». (Comme dit le dicton fiscal, « dans chaque niche, il y a un chien qui dort. »)

Du point de vue de la stratégie électorale, c’est donc une bonne nouvelle pour la gauche que la droite n’ait pas été dans l’absolue obligation de faire rendre gorge elle-même à ses clientèles. Toutefois, il est possible que l’aggravation de la situation économique, et donc budgétaire, oblige dans quelques mois le gouvernement Fillon à aller plus loin dans la rigueur, peut-être sous l’impulsion de quelque panique européenne à venir. Je ne parierais pas que ce plan de rigueur-là soit le dernier avant l’élection présidentielle de mai 2012.

Plus généralement, le gouvernement Fillon, s’il vise la réélection de N. Sarkozy et la reconduction de la majorité actuelle, aurait bien tort de festoyer ces jours-ci. Les chiffres du chômage repartent décidément à la hausse, et la prévision, révisée par le gouvernement lui-même à l’occasion de la présentation de son plan d’austérité, 1,75% de croissance en 2011 et 2012, implique que, mécaniquement ou presque, le chômage va continuer à augmenter en France. La campagne électorale du printemps prochain risque donc de se faire encore une fois sous le signe de l’échec du pouvoir en place à endiguer vraiment la détérioration désormais durable du marché de l’emploi.

Ps. Comme pour confirmer le poids de la politique électoral(ist)e dans ce plan d’austérité, une première mesure a sauté sous la douce pression de Jean-Pierre Raffarin, défenseur d’office du Futuroscope, la TVA ramenée à la normale pour l’entrée dans les parcs de loisirs. Une seconde mesure semble avoir quelques difficultés à passer la taxation des plus-value sur l’immobilier (qui n’est pas une résidence principale pour le vendeur) – comme quoi, le vieil électeur riche reste important dans notre pays. Enfin, j’avais manqué l’augmentation subtile de la CSG, via la part du revenu pris en compte pour son calcul, qui frappe elle (presque) tout le monde.

Philippe Askenazy, Les décennies aveugles. Emploi et croissance 1970-2010.

Le débat de l’élection présidentielle 2012 se profile décidément à l’horizon. Le livre de l’économiste Philippe Askenazy, Les décennies aveugles. Emploi et croissance 1970-2010 (Paris : Le Seuil, 2011), contribue avec quelques autres à ouvrir le bal  des contributions à un « nécessaire renouveau ». L’auteur a décidé d’y aller fort et, comme on dirait au tennis, avec un puissant jeu de fond de cour qui laisse peu de chances à l’adversaire. A l’en croire, pratiquement toutes les politiques économiques menées en France depuis 1970, par la droite ou par la gauche indifféremment, ont complétement échoué, manqué le coche de l’histoire, et, surtout, elles ont empiré les problèmes rencontrés plutôt qu’autre chose faute d’avoir bien compris ce qui se passait, ou pire encore, faute de tenir compte des évaluations disponibles des politiques déjà menées.

Pour établir ce point, P. Askenazy se livre à une relecture – qui constitue une utile présentation, ou révision, selon les lecteurs – des politiques de l’emploi depuis la fin des années 1960. Si je schématise sa pensée, les dirigeants, mal conseillés par des experts aussi peu finauds que pérennes dans leurs belles carrières, ont commis une double erreur :

– d’une part, une trop grande fixation sur les aspects macroéconomiques, autrement dit sur les « grands équilibres » – même si, au fil du temps, l’auteur montre aussi qu’entre le « barrisme », réellement rigoureux de la seconde moitié des années 1970, et les déficits qui se creusent des années 2000, alors que « la France est en faillite », si le discours reste le même, les réalités différent du tout au tout;

– d’autre part, et c’est là sa véritable obsession tout au long de l’ouvrage, une fixation, délétère au final, sur le fonctionnement microéconomique du marché du travail. A travers les gouvernements de couleur variée depuis 1970, on retrouverait au fond toujours les même diagnostics : 1) les jeunes sont massivement au chômage parce que, par nature (indolence et rêverie), peu productifs – donc il faut trouver un « truc » (alias un « plan », un « dispositif », un « contrat », etc.) pour que leur embauche coûte le moins possible aux entreprises qui se donnent le tracas de les embaucher, « trucs » successifs qui commencent avec le « barrisme » dans les années 1970 et qui ne cessent de revenir sous des formulations diverses – la prophétie d’une nature improductive de la jeunesse finissant par segmenter définitivement le marché du travail à son détriment; 2) idem mutatis mutandis pour  les plus de 50 ans avec des résultats similaires ;  3) le coût pour les entreprises du travail non qualifié est trop élevé au regard de la productivité d’une bonne part de la main d’œuvre – il faut donc alléger les « charges » de ces dernières pour l’emploi des moins qualifiés – et sur ce point, droite et gauche se situent sur la même ligne, comme l’auteur le montre en détail pour  l’adoption des « 35 heures » (p. 169-173); 4) le marché du travail souffre de rigidités et de difficultés d’« appariements » entre offre et demande de travail – sorte de mythe d’un trésor caché d’emplois qu’il suffirait de découvrir au coin de le rue.  Pour l’auteur, en 40 ans de politique économique, la France est désormais allée au bout de ces logiques de flexibilité/segmentation du marché du travail, mais, au total, tout cela n’a réussi qu’à développer effet pervers sur effet pervers (particulièrement en matière de statut de la jeunesse, de rapport hommes/femmes sur le marché du travail, ou de difficultés des seniors à rester dans l’emploi), tout en détériorant de plus en plus au fil des décennies les finances publiques.

Que fallait-il faire alors? L’auteur admet, et souligne même, qu’il n’était pas facile de comprendre en 1970 ce qui allait se passer, à savoir une nouvelle « Révolution industrielle » (cf. chap. 1, « Une nouvelle révolution industrielle américaine », p. 17-54). En fait, bien qu’il n’utilise pas le terme, les pays occidentaux, et en premier les Etats-Unis, sont entrés dès le milieu des années 1960 dans une phase de « destruction créatrice » liée à l’invention des technologies de l’information, puis, à leur diffusion à l’ensemble des activités économiques.  Les Etats-Unis, pays leader sur ce point, auraient imposé au reste du monde, dans la mesure même où ce sont eux qui ont défini les paramètres de l’usage de ces technologies nouvelles,  un certain style d’organisation du travail, le « productivisme réactif », selon le vocabulaire de l’auteur. Ce dernier impose une  réinvention permanente des postes de travail et repose sur une forte qualification initiale de la main d’œuvre disponible qui permet ces mutations incessantes.

Du coup, les dirigeants français ont fait une double erreur : ne pas comprendre dans un premier temps jusqu’au milieu des années 1980 qu’une Révolution industrielle était en cours (malgré des signaux faibles dès la fin des années 1960 de la part de certains experts), et quand ils l’ont compris (pour une partie d’entre eux), ne pas voir appuyé à fond et avec constance sur les deux grands leviers disponibles : l’éducation et la R&D, ou de l’avoir fait de bien mauvaise manière. De ce point de vue, l’auteur distingue bien une opposition droite/gauche : le PS et ses alliés quand ils ont été au pouvoir ont eu tendance à  en faire plus pour l’éducation que la droite – ainsi, vu les alternances depuis 1986, cela signifie que la politique éducative n’a pas été poursuivie avec la constance nécessaire, puisqu’elle n’a jamais bénéficié d’un consensus droite/gauche – contrairement à la réduction des charges sur les bas salaires… De ce dernier point de vue, on imagine aisément (p. 226-227) ce que pense P. Askenazy de la politique, menée depuis 2007, de suppressions de postes dans la fonction publique, qui revient entre autres à diminuer le nombre d’enseignants. (J’entendais ce matin que même la très gentillette PEEP avait fini par se réveiller… le mouvement populaire s’élargit chaque jour… après les magistrats, les mères de famille… ) Sur la R&D, l’opposition semble moins tranchée : ici, ce que P. Askenazy constate, c’est la passion pour les réformes institutionnelles de la recherche publique qui semble habiter les responsables successifs : Claude Allègre, Valérie Pécresse, même combat! Plus inquiétant encore me semble être sa description/dénonciation (p. 240-244) de l’actuel « Crédit impôt recherche ». A le suivre, loin d’aider à augmenter vraiment l’effort de R&D du secteur privé français, le gouvernement aurait construit (par mégarde? par refus d’écouter les économistes?) une magnifique « béquille du capital » (comme on disait dans les années 1970). Celle-ci aurait permis aux plus grands groupes français de maintenir en 2009 leur profitabilité au plus fort de la crise mondiale…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que P. Askenazy dresse un sombre tableau, et il me semble  que l’UMP devrait lancer une fatwa à son encontre à la lecture des deux derniers chapitres (chap. 6 « 2002-2007 : la décomposition », p. 189-212, et chap. 7, « 2007-2010 : l’avalanche », p. 213-244), tant la politique économique suivie depuis 2007 apparait dans ces pages comme une suite désespérante d’échecs (défiscalisation des heures supplémentaires ou TVA réduite dans la restauration par exemple), ou, au mieux, de demi-mesures (fusion mal financée et organisée ANPE/ASSEDIC, ou réforme de la représentativité syndicale).

Comme P. Askenazy ne parait pas viser pas le suicide en masse de ses lecteurs, ou leur émigration pour d’autres cieux, que propose-t-il?

Premier point, peu original mais crucial : un grand bond en avant de l’éducation à tous les niveaux de la maternelle à l’enseignement supérieur, afin d’adapter la population active aux nécessités de la révolution industrielle en cours. Il insiste d’ailleurs sur la nécessité de viser le plus haut possible, et, par exemple, d’abandonner la priorité (relative) aux formations qualifiantes courtes  (bac+2) dans le supérieur, au profit du master et du doctorat. A court terme, ce grand bond en avant profiterait aux jeunes enseignants à embaucher de la maternelle au supérieur, aux mères/pères de famille trouvant plus facilement un mode de garde, et permettrait d’attirer en France des dizaines de milliers d’étudiants étrangers grâce à un rapport qualité/prix favorable de nos formations.

Deuxième point, toujours peu original à mon sens : de la R&D, de la R&D, toujours et encore de la R&D. Et surtout de la recherche fondamentale guidée par le flair des chercheurs et pas seulement de la recherche appliquée guidée par les nécessités supposées des groupes industriels déjà présents sur le territoire. Évidemment, ce genre de propositions va exactement à l’encontre des esprits animaux des administrateurs de la recherche, qui veulent savoir exactement, bientôt à la minute près, ce que font ces satanés de (fainéants de) chercheurs et aussi quand cela va enfin rapporter! (On voit le brillant résultat d’une telle recherche guidée par les impératifs financiers dans l’univers de la pharmacie, où l’on n’a pas fait de percée majeure en matière de médicaments depuis des décennies. Et je ne parle pas du Mediator! )

Troisième point, qui, à mon avis, ne va pas que lui attirer des amitiés dans l’univers des experts économistes : arrêter de bricoler le marché du travail, et abandonner la théologie de l’incitation fiscale (alias « dépenses fiscales » qui, après évaluations, s’écroulent en général dans l’insignifiance ou dans l’effet d’aubaine) pour revenir à des interventions directes de l’État dans les domaines clés pour le bonheur public par des créationsHorresco referens! Ouvrez-vous bien grandes, ô portes de l’Enfer,  pour ce suppôt attardé du « socialisme qui ne marche pas », de la « gréviculture », de la « planification » et du « fonctionnariat »de postes de fonctionnaires.  P. Askenazy fait en effet remarquer que, vu le coût pour les finances publiques de certaines mesures destinées à créer de l’emploi (comme la TVA réduite dans la restauration), il serait peut-être à tout prendre moins cher et plus avisé de créer des emplois publics.  Ceux-ci, en plus, répondraient à des besoins sociaux (éducation, sécurité, santé, dépendance, etc.) – et auraient de surcroît l’avantage de permettre à une partie des jeunes de trouver des emplois stables. Par contrecoup, ces recrutements publics  remettraient un peu de rapport de force du côté de l’ensemble des jeunes  sur le marché du travail.

(Incidemment sur ce point, j’ai cru comprendre en écoutant France-Inter que l’économiste Thomas Piketty, qui lui propose une grande réforme fiscale, écartait totalement l’idée que l’on puisse rayer d’un trait de plume les allégements pour les entreprises sur les bas salaires… sans citer P. Askenazy d’ailleurs, mais la flèche du Parthe semble avoir été lancée. A suivre.)

Quatrième point, où là P. Askenazy fait preuve d’imagination et d’audace. Les autorités françaises doivent comprendre que, pour profiter de la révolution industrielle en cours, il faut choisir des créneaux porteurs. Pour sa part, il propose l’éducation supérieure et surtout la santé (p. 292-303). Il propose de fait un renversement complet de logique de la discussion publique  : tout le débat visible sur la santé porte en effet en France sur son coût exorbitant (le « trou de la Sécurité sociale », le « déficit de l’hôpital public », etc.) ; même les 35 heures ont été introduites à l’hôpital dans ce registre, en refusant par principe toute création correspondante d’emplois statutaires générant un chaos du plus bel effet (qui n’a pas été sans effets sur l’échec de Lionel Jospin en 2002). P. Askenazy propose d’aller en sens inverse : la performance en matière de santé , déjà comparativement bonne en France selon les comparaisons internationales, deviendrait d’une part une source de longévité en bonne santé. Celle-ci procurerait à l’avenir des masses de travailleurs productifs, d’autant plus longtemps que leur formation initiale a été longue. La santé  (publique) offrirait d’autre part un service à vendre à nos voisins européens qui suivraient la pente inverse. La France deviendrait « l’hôpital du continent » (p. 303) – formule malheureuse dont un militant UMP devrait immédiatement s’emparer pour se gausser à bon compte.

Quels sont les perspectives politiques du « programme Askenazy »? Plutôt faibles, en raison même de ce qu’il explique dans son ouvrage. Il y dénonce un certain court-termisme des décisions prises par les différents gouvernements. Ceux-ci  cherchent par toutes les ficelles accumulées depuis 1970 à juguler la montée du chômage. Chaque gouvernement réinvente la roue, et plus amusant à suivre tout au long du texte,  voit les mêmes hommes / femmes depuis 1970 poursuivre le (lourd) héritage de Raymond Barre. Or, de ce point de vue, les deux grands présidentiables socialistes (selon les sondages), Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, apparaissent comme des habitués des mêmes recettes médiocres aussi pratiquées par le camp d’en face. Si l’un ou l’autre accède à la Présidence en 2012, sauront-ils se renier? penser vraiment différemment les choix  économiques à faire? Manuel Valls semble encore pire de ce point de vue, lui qui pense que les 35 heures constituent encore un problème. Que reste-t-il? Ségolène Royal, François Hollande et Arnaud Montebourg…  Mouais…  Au delà des personnes,  est-ce qu’un président socialiste osera une fois élu en 2012 dire qu’il faut créer massivement de l’emploi public pour préparer l’avenir, et ne va pas s’arrêter de le faire au premier coup de sifflet bruxellois?  Comment face au chômage de masse ne pas essayer encore une fois les vieilles recettes? En effet, si je comprends bien les idées de P. Askenazy, une vraie reprise de la croissance dans les pays développés – la France ne fait pas exception –  ne peut être durable que si elle repose sur une percée technologique majeure dans un domaine qui correspond à un besoin mondial (l’auteur semble beaucoup admirer  la capacité de Londres à avoir réussi à monopoliser à son profit les nouveautés de la finance permises par la révolution de l’informatique). Or une telle perspective prend du temps, beaucoup de temps, dix ans, voire plus, une bonne vieille mesure pour l’emploi des jeunes, des vieux, des femmes, des handicapés, peut avoir un effet rapide, que l’électeur peut percevoir.

Au total, un livre excellent, critiquable sans doute parce qu’il veut trop étreindre, comme avec son traitement un peu léger de la financiarisation du capitalisme (p. 214-219), mais qui devrait nourrir – comme on dit! – le débat public.

Ps. L’ironie veut que le soir même où j’avais écrit ce post et m’était imprégné  de ce fait des propos de P. Askznazy, le Président de la République se livrait à un exercice de propagande communication sur TF1. Et ce dernier a abordé – tout de même il n’y a pas comme problème dans ce « vieux pays » que des saintes que des monstres égorgent aux coins des bois! – la question du chômage… Or les annonces faites ont été exactement dans le droit fil de ce que P. Askenazy décrit et décrie dans son livre. Le demi-milliard d’euros supplémentaires annoncé va servir à faire de l’emploi aidé pour les jeunes et les chômeurs de longue durée, de la formation plus ou moins raté hors entreprise dont on sait qu’en France (et ailleurs) elle n’a aucun effet sur l’emploi (d’après P. Askenazy).  Seul l’accent mis sur l’apprentissage (donc sur une formation en entreprise) est sympathique et raisonnable (encore qu’on vient de le supprimer de fait pour les enseignants débutants…), mais va encore une fois reposer sur les seules finances publiques (puisqu’il y aura un « bonus/malus » pour les entreprises en fonction de leur taux d’apprentis, « bonus/malus » dont on devine aisément qu’il va finir en pratique exclusivement en « bonus »… j’entends en effet déjà Madame Parisot gémir à propos du « malus »… « Ma cassette, ma cassette, on a volé ma cassette »…). P. Askenazy n’aura donc pas de mal à mettre à jour son ouvrage pour la (souhaitable et nécessaire) édition de poche de son ouvrage. C’est reparti comme en 1974-1980 en somme, et cela traduit un vrai manque d’imagination. (En même temps, du point de vue électoral, on sait désormais comment finit le show si on part sur ce genre de « traitement social du chômage » version 2010.)

 

Jérôme Gautié, Le chômage.

gautiéPeut-être est-ce parce que ma femme est au chômage depuis peu, peut-être est-ce parce que je ne veux pas oublier que j’ai été dans une vie antérieure agrégé de sciences économiques et sociales en lycée, peut-être aussi parce que l’auteur est un ami de longue date, en tout cas ai-je voulu rendre compte ici du « Repère 531 » (La Découverte, Paris, 2009) sur le Chômage de Jérôme Gautié, professeur d’économie à l’Université Paris I.

Ce livre prend la suite d’un « Repère » à succès écrit et mis à jour par Jacques Freyssinet de 1984 à 2004.  Son objectif, lié à sa place dans une collection de vulgarisation et de synthèse destiné à un public universitaire, est de rendre compte de la manière la plus concise et la plus équilibrée possible des points de vue en présence en 2009:  le chômage de masse préoccupe bien sûr les économistes depuis les années 1930, mais les théories et les travaux empiriques se sont multipliés depuis les années 1970, et c’est à un état des lieux empirique et théorique de tout ce travail collectif que J. Gautié s’essaye, avec succès me semble-t-il.

On notera ainsi à le suivre que, sur les dernières décennies, l’intérêt des économistes s’est surtout porté  sur l’explication du « chômage structurel », c’est à dire de cette part du chômage que ne peut expliquer la conjoncture économique au sens strict. Il est vrai que de nombreux pays développés ont connu depuis 1973-74 des périodes de reprise vigoureuse de leur activité économique sans réussir pourtant à réduire à l’insignifiance leur niveau de chômage. La réponse à cette énigme (et là je simplifie le propos de l’auteur pour mieux me faire comprendre) tient essentiellement à une incapacité du marché du travail à établir un salaire d’équilibre  « walrasien » en raison de contraintes sociales et/ou institutionnelles. Ainsi qu’il est présenté dans l’ouvrage, le schéma dominant chez les économistes semble ainsi être : a) si nous vivions dans un monde de concurrence pure et parfaite, le taux de chômage serait nul (voir l’explication « standard » résumée par l’auteur, p. 36-38); b) comme le monde réel ne correspond pas vraiment à ce monde de concurrence pure et parfaite, comme il est rempli de règles, d’institutions, d’organisations, de territoires et d’espaces, de générations de travailleurs, de stratégies d’acteurs plus compliquées et conflictuelles que dans ce monde parfait, il existe bel et bien un « chômage d’équilibre » non nul. Pour l’expliquer, on fait alors appel à des modèles insistant sur les rigidités de comportement des uns et des autres ou sur les effets de non-coordination des stratégies des uns et des autres (voir p. 48-49 par exemple  l’explication du modèle WS/PS). La ligne intellectuelle de l’ouvrage apparait ainsi comme celle d’une « montée en réalité » : l’alpha et l’oméga du raisonnement reste certes un ajustement de marché offre/demande, mais la compréhension du monde réel demande de faire sa place aux très nombreux grumeaux  de ce dernier (tout particulièrement aux institutions nationales du marché du travail pour les recherches plus classiques, mais aussi à toutes les institutions encadrant tous les marchés pour les recherches les plus avancées). De ce fait, le livre montre bien que l’économie sur ce segment au moins de ses recherches est désormais bien loin de l’image caricaturale qu’on peut s’en faire parfois : le monde réel des institutions au sens large existe bel et bien pour la nouvelle génération des chercheurs en économie – ce qui souvent rapproche de considérations proches de celles des politistes « institutionnalistes », par exemple quand il s’agit d’étudier la place des syndicats dans les différents contextes nationaux et leurs effets sur l’évolution des salaires.

Pour ma part, en tant que politiste, j’ai tiré de la lecture de cet ouvrage deux conclusions qui m’ont semblé plutôt gênantes pour toute politique (future) de lutte contre le chômage, surtout si elle se veut de gauche.

L’auteur explique ainsi  qu’aucune des solutions « miracle » ne fonctionne vraiment. Il montre même que le consensus de la profession des économistes  irait plutôt dans le sens d’un effet pervers au détriment des bénéficiaires de tous les dispositifs ciblés de retour à l’emploi qui s’éloignent un tant soit peu de la norme de l’emploi ordinaire dans une entreprise privée, et ce quelque soit le pays envisagé : les employeurs privés semblent ainsi se méfier de ces « mauvais sujets » qui ont bénéficié des « Ateliers nationaux » du moment. On mesure ici l’écart avec ce que proposent la plupart des partis lors d’une campagne présidentielle dans un pays comme la France, à chacun sa solution miracle, qui passe au contraire sur une ou plusieurs mesures ciblées (« emploi-jeunes », CIE, CES, etc.). Comme dirait François Mitterand, « Contre le chômage, on a tout essayé » (et rien n’a marché). La seule mesure qui, selon l’auteur, ferait à peu prés consensus chez les économistes à la fois du point de vue théorique et du point de vue empirique, en particulier pour un pays comme la France, c’est la baisse des charges sociales et autres sur les bas salaires (p. 101-104). La réduction du temps de travail a un effet plus controversé, et plus ambigu (p. 104-107).  La baisse des charges sociales (ou du « coin social » ou « coin socio-fiscal » en jargon) ouvrirait d’une part la possibilité à des activités de perdurer ou surtout de se créer dans des secteurs à faible valeur ajoutée (par exemple les services à la personne, l’hôtellerie, la restauration, la sécurité) et d’autre part l’opportunité pour les employeurs d’arbitrer (quand c’est techniquement possible) entre différents niveaux de qualification des salariés. Des bas salaires contenus à niveau juste  inférieur à leur productivité marginale attendue permettraient le « déversement » (au sens de Fourastié) dans ces secteurs à basse valeur ajoutée de la main d’œuvre « libérée » d’autres activités. Cette modération salariale n’implique pas selon l’auteur la nécessité de l’absence d’un salaire minimum (qui, au contraire, peut éviter sans dommage visible pour la survie des entreprises et des emplois en cause une  surexploitation de certaines catégories de main d’œuvre, p.69-70), mais  il indique aussi que ce dernier doit bien se garder de dépasser les capacités productives de la main d’œuvre disponible dans les secteurs susceptibles de l’employer.  On ne s’étonnera pas que, du coup, l’auteur en soit arrivé à travailler sur l’univers des travailleurs à bas salaire (voir son livre avec E. Caroll sur Low Wage Work in France, qui fait partie d’une comparaison internationale encouragée et publiée par la Russell Sage Foundation), et à indiquer en conclusion de l’ouvrage que  la catégorie de chômage tendait à devenir finalement peu pertinente pour le débat public. En effet, s’il suffit pour résorber le chômage de masse de maintenir (… à l’américaine) le coût salarial horaire si bas qu’on trouvera toujours une activité de service rentable pour employer les surnuméraires des anciens secteurs productifs,  il va en résulter rapidement une impasse sociétale : toutes les personnes désireuses de travailler auront effectivement un travail, mais ce dernier ne leur permettra de « vivre » que si les marchés des biens et des services offrent des biens très low cost à acheter : autrement dit, il faut se « walmartiser » des deux côtés. Pour être plus clair, un Smic maintenu bas crée des emplois dans le secteur privé qui n’auraient sans doute  pas existé sans cela, mais si, par exemple, le marché du logement pour ne citer que lui lui n’est pas aussi  low cost, la catastrophe sociale menace.  Ou alors il faut faire du raccommodage d’urgence comme avec la Prime pour l’Emploi (PPE) ou maintenant avec une part du Revenu de Solidarité active (RSA), des dispositifs qui entérinent le fait que de nombreux travailleurs se voient offrir des emplois moins productifs que le niveau minimal  de revenu pour vivre dans une société moderne selon ses règles… L’auteur semble en être bien conscient qui cite en conclusion de son ouvrage la notion récente de « travail décent » du Bureau international du travail ainsi qu’un calcul associatif faisant apparaitre comme 40% de la main d’œuvre française étant au milieu des années 2000 en dehors de cette définition (rémunération trop basse, horaires trop élevés et/ou trop saccadés, inadéquation trop forte entre qualification et poste occupé, etc.).

Le second point qui semble à peu prés faire consensus entre économistes, c’est l’importance des institutions du marché du travail qui incitent à rechercher à la fois vite mais aussi bien un nouveau travail quand on en a perdu un : le Danemark parait un bon exemple de cet équilibre fin entre indemnisation correcte des chômeurs et mécanismes concrets d’incitation à la recherche d’un emploi appariant durablement le salarié et son futur employeur. Là encore, le message de l’ouvrage ne satisfera guère les politiques en quête de solution miracle : l’auteur insiste bien sur la prise de conscience de plus en plus nette des économistes attentifs aux institutions que celles-ci « font système » dans chaque pays . Normalement, ce devrait être l’une des fonctions des partis politiques d’être capable d’agréger les différentes contraintes sociétales et d’en faire un système institutionnel viable, mais là force est de constater que les partis d’aujourd’hui (de gauche ou de droite d’ailleurs) ne sont pas très habiles dans cette fonction.

Au total, les deux aspects du consensus des économistes ici retenu (salaires bas et contenus permettant le déversement dans les « nouveaux » services des individus les moins productifs, et amélioration des conditions institutionnelles de la rencontre de l’offre et de la demande de travail pour tout le monde) ressemble fort à l’Agenda 2010 de la social-démocratie allemande… Or on ne peut que constater que cet Agenda 2010 ne lui a pas beaucoup profité sur le plan électoral jusqu’ici… La baisse du « coin fiscal » était aussi le point majeur du programme économique de Romano Prodi, sa martingale économique, lors de sa campagne électorale de 2006 : le moins que l’on puisse dire, c’est que cette mesure n’a pas eu les effets escomptés en terme de popularité par les partis qui le soutenait…  Les partis sociaux-démocrates sont donc condamnés à réfléchir à autre chose (par exemple à se donner des objectifs en terme de diminution du coût du logement), ou à laisser faire les partis libéraux et conservateurs qui n’ont idéologiquement pas grand chose à redire à ce programme.