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« Solidarité européenne » pour Chypre.

L’Eurogroupe, la BCE et la Commission européennes sont donc parvenus cette nuit de dimanche à lundi  à un accord avec les autorités chypriotes pour que Chypre bénéficie de la « solidarité européenne » (via le « Mécanisme européen de solidarité »).

Les leçons à chaud de cette crise chypriote sont nombreuses et confirment ce que l’on avait déjà vu dans les étapes précédentes de la crise des dettes publiques européennes engagées depuis 2010.

Tout d’abord, quelque soit le niveau de vexation infligé à un État membre par ses partenaires et les institutions chargées de la gouvernance économique internationale et européenne (FMI, BCE, Commission), les autorités nationales du pays concerné finissent toujours par plier – et ne font jamais jouer la clause « révolutionnaire » de sortie de l’Euro. De ce point de vue, il se confirme que l’Euro s’avère bien irréversible, dans la mesure où aucun parti politique en mesure de s’assurer une majorité dans un pays de la zone Euro n’est prêt au grand saut dans l’inconnu que serait la sortie du pays de la zone Euro. Le Président chypriote a menacé de démissionner, mais il ne l’a pas fait, il est allé jusqu’au bout de la négociation. De fait, n’importe quelles mesures peuvent être imposées au pays membre défaillant au nom de la bonne tenue de l’ensemble. Dans le cas présent, les autorités chypriotes ont dû  avaler la couleuvre de la fin pure et simple du modèle économique chypriote fondé sur une intermédiation financière internationale laissant un trop grande place à de la fraude fiscale et au blanchiment d’argent mal acquis.  Le communiqué de presse de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 au matin me semble très clair sur ce point. En dehors d’allusions directes à la lutte contre le « blanchiment d’argent », il y est en particulier explicitement dit que la taille du secteur bancaire chypriote doit rejoindre en proportion du PIB du pays la moyenne européenne d’ici 2018 (« an appropriate downsizing of the financial sector, with the domestic banking sector reaching the EU average by 2018 »). Le choix de réduire en pratique à zéro pour un temps largement indéterminé la valeur des dépôts de plus de 100.000 euros dans les deux grandes banques, la Cyprus Bank et la Laiki, et d’autoriser Chypre à user de toutes les mesures possibles pour retenir les dépôts dans les autres banques sous sa juridiction revient à envoyer le message suivant : le paradis fiscal chypriote, c’est fini. Le Président chypriote, qui voulait la semaine dernière défendre ce statut, sauve à grand peine les meubles. J’attends avec amusement la réaction de l’État russe, des intérêts moins avouables concernés, ou d’autres groupes lésés dans l’affaire.

Deuxièmement, il est probable qu’avec ce genre de décisions immédiates sur le secteur bancaire, plus les décisions en matière de privatisations, austérité budgétaire, et réformes structurelles trop habituelles depuis 2008 en pareil cas, l’économie chypriote s’effondre purement et simplement – au moins dans un premier temps. Certes, comme pour les autres pays d’Europe touchés par une telle crise depuis 2008, la méthode habituelle de la dévaluation interne va être appliquée, et, ici, d’autant plus facilement que le chômage va sans doute exploser rapidement, avec la faillite/restructuration des banques, et plus généralement de tout le secteur lié à la présence des investisseurs étrangers sur l’île, des entreprises privés de leur comptes bancaires, etc.  Pour aller plus vite en besogne, peut-être faudrait-il que le plan d’ajustement structurel, visé par le MES, ait la bonne idée de prévoir tout de suite une baisse de 50% de tous le salaires, privés et publics, ou même plus si nécessaire. Pourquoi ne pas licencier aussi d’un coup l’ensemble des salariés chypriotes et redéfinir tout de suite leurs justes conditions de rémunération pour ceux qui voudraient continuer à travailler? Il est en effet grand temps que les Chypriotes ré-apprennent à vivre selon leurs maigres moyens: quelque olives, deux ou trois plages, deux ou trois ruines antiques, beaucoup de soleil, etc.  Autant le faire vite et bien, à la Lettone si j’ose dire, pas de longues tergiversations.  La Commission européenne est sans doute prête à les aider dans ce dur chemin. Baisse immédiate des salaires et des prix à un niveau soudanais! Pardon pour mon humour saumâtre… Plus sérieusement, la conséquence de la baisse logique du PIB va bien sûr être que le rapport dette publique/PIB ne va pas se maintenir aux alentours de 100% comme le prévoit le plan agréé le 25 mars 2013. Les choses ne vont pas se passer toutes choses égales par ailleurs : vu le poids du secteur financier dans l’économie chypriote, il va de soi que cette dernière va se contracter fortement. Il est donc piquant de constater que la décision de ce matin a été prise en ne tenant pas compte de cet aspect, tout en insistant sur le fait qu’un endettement supplémentaire de Chypre était impossible et que le MES ne pouvait apporter en conséquence que 10 milliards d’euros et non 17 milliards. En plus, Chypre – à ma connaissance – n’a pas d’autre ressource économique à faire valoir à court terme : l’immobilier y est déjà en crise (ce qui explique une partie des difficultés des banques), et son dynamisme était lié au statut de paradis fiscal de l’ile ; il reste le tourisme, mais là il faudra baisser radicalement les salaires pour attirer des clients en masse suffisante pour avoir un rebond économique  lié à ce seul secteur (sans compte tous les pays d’Europe du sud qui comptent déjà sur cette manne du tourisme…). Il leur reste le gaz, à terme…

Troisièmement, mais est-il besoin de le souligner, cet épisode chypriote de « solidarité européenne » montre jusqu’à la caricature à quel point la zone Euro et l’Union européenne fonctionnent sur des rapports de force entre Etats, entre créanciers et débiteurs, entre centre et périphérie, entre gros et petits – et, comme ce sont des Etats démocratiques, les courants dominants dans les opinions publiques des grands Etats comptent infiniment plus que ceux des petits Etats. L’opinion publique allemande, dominée par les craintes des contribuables allemands de « payer pour ces fainéants de Chypriotes abritant l’argent des maffieux russes », est largement derrière cette décision de casser purement et simplement l’économie chypriote actuelle. On peut certes s’en féliciter, et y voir d’un point de vue européen les prolégomènes nécessaires à une fiscalité unifiée en Europe sur les bases mobiles de taxation (capital, revenus des entreprises). A quand le tour des autres paradis fiscaux? Monaco, Luxembourg, les îles anglo-normandes, etc?  A quand le blocus de la Confédération helvétique? On peut aussi constater que, décidément, le « peuple européen », y compris dans ses éventuelles articulations entre riches, classes moyennes et pauvres, n’existe pas. Les « contribuables allemands » (qu’on supposera tout de même riches ou, tout au moins, appartenant aux classes moyennes) vont en effet par cette décision qu’ils appuient, via leur soutien au gouvernement Merkel, contribuer à ruiner certains riches Chypriotes, et aussi certes à renvoyer dans la pauvreté et la misère les classes moyennes et les pauvres chypriotes. Un peu comme si, en France, les gros contribuables de Neuilly appuyaient un gouvernement français décidant d’en finir avec « Monaco ». Les décisions prises par l’Eurogroupe ne sont donc guère analysables en tant que dialectique au sein d’un « peuple européen » en devenir, mais bientôt en tant qu’articulation difficile entre Etats et peuples européens plus ou moins puissants. L’aspect géopolitique intervient aussi : Chypre paye sans doute aussi l’addition du rejet du « Plan Annan » en 2004, et son rôle ambigu  à la lisière d’un Proche-Orient. La Turquie, avec son économie florissante et son rôle indispensable pour les Occidentaux dans la crise syrienne actuelle, apparaît comme  l’autre grand  gagnant de la situation.

Quatrièmement, cette décision du 25 mars 2013 a le mérite de revenir sur l’erreur de celle du 16 mars avec sa taxation des dépôts de moins de 100.000 euros. Il reste que l’erreur a été faite. Cela ne sera pas oublié.

Cinquièmement, le choix d’aider Chypre tout en en finissant avec son modèle de paradis fiscal va permettre des comparaisons avec l’Islande. On verra dans quelques années ce qu’il en advient… Comment vit un ex-paradis fiscal aux marges de la zone Euro? Mais là de l’eau aura passé sous les ponts…

Toutes ces conclusions reposent bien sûr sur l’idée qu’il ne doive se produire aucun événement qui mette à bas le schéma dessiné par l’Eurogroupe. Mais, à part une révolution à Chypre, je vois mal ce qui pourrait faire sortir de ce scénario finalement assez ordinaire depuis 2008 de « solidarité européenne ».

Ps 1. Après avoir écrit ce post, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à avoir fait le lien entre la baisse prévisible du PIB de Chypre et l’évolution du rapport dette publique/PIB. C’est tellement évident qu’on peut se demander là encore pourquoi les décideurs de l’Eurogroupe ont été « aveugles » sur ce point.

Ps 2. Le joyeux et jeune Ministre néerlandais des Finances a craché le morceau hier après-midi, avant de se démentir immédiatement après. La solution chypriote est un modèle de résolution des crises bancaires : un les actionnaires perdent tout (ce qu’il a appliqué il me semble sur une banque néerlandaise récemment en la nationalisant), deux les obligataires perdent tout si nécessaire, trois les gros déposants (au dessus de 100.000 euros) participent à la fête. C’est évidemment simple et élégant pour égaliser l’actif et le passif d’une banque en difficulté (sauf si l’actif restant est inférieur à la somme des dépôts de moins de 100.000 euros), il fallait y penser. Comme il a sans doute dit ce qu’il avait vraiment sur le cœur, son secrétariat a été amené à démentir immédiatement après : Chypre est un cas unique. Cependant, avec sa méthode, plus besoin de supervision bancaire nationale ou européenne, il suffit de supposer que les gros déposants, les obligataires et les actionnaires font leur travail de surveillance de la qualité des risques pris par chaque banque. CQFD. Pour l’Europe, plus besoin non plus d’union bancaire, le marché libre et non faussé peut surveiller tout cela. Une vraie révolution, et sans doute un beau casse-tête pour les particuliers ou les trésoriers d’entreprise ayant plus de 100.000 euros à placer. A dire vrai, ce Néerlandais est bien plus drôle que notre Pierre Moscovici qui aurait pu occuper le poste de président de l’Eurogroupe si l’on en croit la rumeur. Deux ou trois sorties dans ce genre, et quelques décisions bien vues encore (comme les deux accords successifs sur Chypre), et le navire Euro va chavirer par inadvertance « à l’insu de son plein gré ».

Chypre : petits exercices de blame avoidance.

A mesure qu’une infinité de commentateurs faisait remarquer au cours de la journée d’hier et d’avant-hier que taxer les dépôts bancaires de moins de 100.000 euros dans les banques chypriotes n’était vraiment pas une idée géniale pour établir la confiance des petits épargnants dans la zone Euro, tous les instigateurs de la mesure négociée par l’Eurogroupe dans le cadre du plan de sauvetage de l’économie chypriote, qui taxerait à 6,75% les dépôts de moins de 100.000 euros, accusaient les autres responsables de la décision d’avoir eu cette mauvaise idée.  Monsieur, monsieur, c’est pas moi, c’est pas moi, c’est lui qui a commencé!

Les responsables chypriotes accusent les Allemands, les autres pays de l’austérité et la BCE qui leur auraient forcé la main dans un diktat à la Munich façon 1938 ; les Allemands et les autres accusés rejettent la faute sur le gouvernement chypriote. Les commentateurs les plus pro-européens, comme Jean Quatremer, adoptent clairement l’option d’une responsabilité chypriote : le nouveau Président de ce pays ne voulait pas taxer excessivement les dépôts bancaires des riches déposants de grands pays corrompus à l’humeur chatouilleuse. On pourrait même en faire un polar, avec quelques sbires de princes maffieux sur le point de plonger vivant dans l’acide des membres de la famille du Président chypriote pour lui apprendre la politesse. D’autres journalistes sont aussi sur cette ligne d’une responsabilité chypriote, mais soulignent aussi que les partenaires européens ont cédé à la demande du Président de ce pays et que l’on partait d’une demande de taxation radicale des gros dépôts (jusqu’à 40%) qui aurait fini juste à moins de 10%. D’autres penchent pour le diktat allemand, destiné à en finir avec ce paradis fiscal et traduisant les nécessités internes de l’Allemagne de ne pas sauver la cagnotte des maffieux des steppes (déjà qu’à Stalingrad il y a 60 ans…). Quoi qu’il en soit, l’histoire retiendra que tout l’Eurogroupe a accepté samedi dernier à l’aube de s’assoir de belle façon sur la garantie européenne des dépôts de moins de 100.000 euros, et que le monde entier s’en est aperçu. La responsabilité est donc partagée, et il est alors admirable de voir comment chacun se défile et prétend même avoir été contre cette idée dès le départ (dont notre propre Ministre de l’Économie, P. Moscovici).

Du côté chypriote, on peut comprendre la difficulté à faire passer la mesure. Le nouveau Président a menti pendant sa campagne électorale sur l’intouchabilité des dépôts bancaires. Il a, si l’on en croit la version pro-européenne, menti lors de l’annonce de la décision à son peuple, puisqu’il aurait pu choisir de taxer uniquement les gros requins poissons. Je ne sais pas comment ce double mensonge peut passer auprès des Chypriotes ordinaires, mais cela me parait beaucoup tout de même. On serait tenté de lui dire : « Dégage! »

Du côté européen, j’ai tout de même du mal à croire que Chypre ait pu imposer seul à la collectivité une décision aussi irresponsable; au minimum, il faudrait expliquer pourquoi les autres européens ont oublié de samedi à l’aube (annonce de la décision dans une conférence de presse) à lundi soir (communiqué de l’Eurogroupe) que la garantie européenne des dépôts de moins de 100.000 euros faisait partie  depuis l’automne 2008de la stratégie globale de l’Europe contre la crise financière. Est-ce à dire qu’en réalité Chypre avait plus de poids dans la négociation qu’on ne le dit, en menaçant par exemple de quitter la zone Euro? Ou est-ce à dire que cette solution, finalement, plaisait à tous les européens, bien contents au final de taxer tous les habitants de cette île trop ensolleilé de fainéants, trafiquants et banquiers véreux? Ou encore, que les autres européens ont laissé faire sciemment cette bêtise, sachant bien qu’il s’agissait d’une bêtise, pour prouver au Président chypriote qu’il fallait absolument qu’il accepte de taxer à plus de 10% les déposants des banques chypriotes un peu trop grassouillets pour être honnêtes?

On attend la suite avec impatience.

Chypre ou retour à la case départ…

[Post enrichi le lundi matin, 17 mars 2013]

Chypre, comme prévu depuis des mois et des mois, va donc être « aidé » par ses partenaires européens de la zone Euro par une de ces opérations géniales qui sont censées sauver la zone Euro (cf. le résumé par les Échos) . Je ne doute pas un seul instant de la volonté des Ministres de l’Eurogroupe de vouloir la sauver, mais je commence à trouver qu’ils ont vraiment l’art de prendre les mauvaises décisions. En effet, une des conditions de cette aide à ce petit pays, par ailleurs honorablement connu de la planète entière comme un paradis fiscal ensoleillé à la douceur de vivre enchanteresse, m’a fait blêmir quand j’en ai pris connaissance : en effet, les dépôts dans les banques chypriotes devraient subir si l’accord va à bon port une taxe de pas moins de 6,75% sur les comptes de moins de 100.000 euros, et une taxe de 9,9% sur les montants dépassant ce seuil. Paul Krugman a l’air de ne pas en croire ses yeux. Il y voit une invitation au bank run général en Europe du sud. On peut certes comprendre la logique comptable de cette décision de l’Eurogroupe qui évite de trop devoir prêter d’argent à Chypre et qui rend en principe la dette chypriote lourde mais soutenable, mais, pour ce qui est de l’image de l’Union européenne dans cette crise, c’est encore un désastre de plus… Non ho parole.

Il m’avait en effet semblé que toute une partie de l’action des autorités européennes depuis 2008 avait justement consisté à rassurer les déposants dans les banques européennes, à les assurer  qu’en tout état de cause, leur argent ne serait pas perdu en cas de difficulté économique de leur banque. L’Union européenne s’était même fendue d’une règle nouvelle tendant à homogénéiser le montant garanti par chaque État membre à un niveau de 100.000 euros, justement afin de rassurer les déposants (ordinaires) partout en Europe, afin d’éviter que ces derniers fuient leurs banques nationales considérées comme potentiellement insolvables et profitent de la liberté que leur offre par ailleurs l’Europe d’aller placer leurs dépôts dans les pays les plus sûrs. Comme tout étudiant en économie bancaire l’apprend (en principe), la nécessité d’une garantie étatique des dépôts (ou d’un équivalent privé appuyé sur garantie étatique) est l’une des leçons majeures de ce qui s’était (très mal) passé dans les années 1930, aux États-Unis en particulier. Si cette garantie n’existe pas ou si les déposants ordinaires doutent de cette garantie, c’est en cas de crainte (fondée ou infondée) du public d’un défaut bancaire, le bank run, la faillite par illiquidité assurée pour la plupart des banques, puisque tout le monde va vouloir retirer en même temps ses dépôts à vue.

Et, là, que fait l’Eurogroupe? Il négocie un plan avec les autorités chypriotes, où une taxe de 6,75% (certes remboursée en actions des banques chypriotes, mais accompagnée en plus d’un blocage des intérêts de ces mêmes dépôts) vient amputer les dépôts à vue de moins de 100.000 euros (c’est-à-dire d’un montant situé entre 1 centimes d’euros et 100.000 euros). Certes, on peut dire par légalisme que la garantie  des dépôts de moins de 100.000 euros en cas de faillite des banques n’a pas à jouer, puisque les banques chypriotes ne font pas faillite justement grâce à l’aide de l’Eurozone, et que le gouvernement chypriote « souverain » peut taxer tout ce qu’il veut pourvu que le parlement chypriote l’approuve, mais, du point de vue de n’importe quel déposant ordinaire dans un pays de la zone Euro, cela veut dire que l’Eurogroupe est prêt à accepter cela : une confiscation pure et simple de tout ou partie des avoirs les plus liquides de tout un chacun, y compris des plus pauvres, pourvu qu’il ait un compte dans une banque en difficulté. L’Italie avait recouru à une telle manœuvre en 1992 de taxation des dépôts bancaires, me semble-t-il, et à un niveau très faible (moins de 1%?) – et, seulement, pour des motifs strictement fiscaux. Je me souviens encore du sentiment d’injustice extrême des personnes qui avaient subi ce prélèvement, petit par comparaison à celui qui est proposé aujourd’hui. Une telle confiscation étatique sur la monnaie scripturaire met en doute toutes les certitudes sur la stabilité des règles élémentaires de la vie sociale que l’on peut avoir.  Je peux imaginer ce que cela peut donner à Chypre à un tel taux (6,75%) – surtout qu’en plus, le nouveau gouvernement chypriote leur avait, semble-t-il, promis que cela n’arriverait jamais.

Il parait en plus selon la presse internationale que cette mesure résulterait de la volonté des négociateurs chypriotes d’alléger ainsi la ponction sur les gros comptes (à l’origine plutôt douteuse) afin de préserver l’avenir de Chypre comme place de la finance internationale. Si cette explication se révèle exacte, honte sur les autres Ministres de l’Économie qui ont  accepté un tel calcul des actuelles autorités chypriotes.

D’une part, en avalisant une telle proposition, ils ont mis en danger l’ensemble de la crédibilité de la garantie à 100.000 euros dans l’Eurozone. Comme l’écrit la très conservatrice FAZ ce matin, « Die Garantie der EU für Bankeinlagen bis 100000 Euro ist das Papier nicht wert, auf dem sie steht. » [La garantie européenne des dépôts bancaires jusqu’à 100.000 euros ne vaut même pas le papier sur laquelle est écrite.] (FAZ, Holger Stelzner, analyse du 17/03/13). Les autorités européennes auront beau dire ensuite que Chypre est un « cas particulier » – c’est-à-dire implicitement un immonde repaire de voyous, gangsters et autres délinquants, il restera que des déposants qui ne sont pour rien dans cette situation parce qu’ils ne sont pas des financiers véreux, des voyous internationaux, ou des petits génies de l’évasion fiscale, seront taxés à 6,75%. Et cela va se savoir : Chypre est une ancienne colonie britannique,  la nouvelle va faire donc le tour du monde sans problèmes. Le plus drôle, c’est que les mêmes Ministres de l’économie discutent parallèlement d’Union bancaire après 2014, avec justement l’idée de rassurer tout le monde sur les dépôts. Eh bien, nous voilà rassurés… Il n’y aura donc que les imbéciles pour ne pas placer leur argent en Suisse, en Norvège, au Canada … En plus, pour ce qui est des gros dépôts, logiquement, ce qui restera après la ponction prévue (90%) va sans doute fuir à  grande vitesse électronique ailleurs – ce qui va sans doute contraindre  Chypre à établir une forme de contrôle des changes. L’île va se retrouver en dehors du « marché unique » européen, tout au moins du point de ses relations financières avec le reste de la zone Euro. La Présidente (britannique et libérale) de la Commission économique et monétaire  du Parlement européen, Sharon Bowles, n’y va pas par quatre chemins dans sa déclaration à la presse (extraits):

« This grabbing of ordinary depositors’ money is billed as a tax, so as to try and circumvent the EU’s deposit guarantee laws. It robs smaller investors of the protection they were promised. If this were a bank, they would be in court for mis-selling.

The lesson here is that the EU’s Single Market rules will be flouted when the Eurozone, ECB and IMF says so. At a time when many are greatly concerned that the creation of the ‘Banking Union’, giving the ECB unprecedented power, will demote the priorities of the Single Market, we see it here in action.

Deposit guarantees were brought in at a maximum harmonising level so that citizens across the EU would not have incentive to move funds from country to country. That has been blown apart. »

D’autre part, il m’échappe tout de même un peu que pas un de ces Ministres n’ait soulevé la question de justice évidente que cela pose, à savoir taxer y compris les tous petits dépôts – serait-ce alors que les 16 autres Ministres pensaient vraiment par devers eux que tous les détenteurs de compte courant à Chypre n’ont là que ce qu’ils méritent? Ou encore, « salauds de Chypriotes, vous allez tous en baver? » Et, puis, pas un de ces Ministres ne s’est demandé ce qu’il adviendrait des entreprises chypriotes non-financières (agricoles, artisanes, commerciales, industrielles, etc.) qui perdraient autant d’argent d’un coup? Cela reste mystérieux, pour moi en tout cas.

En outre, si vraiment le but du gouvernement chypriote actuel est de continuer à jouer le rôle de paradis fiscal au sein de la zone Euro, comment se fait-il qu’aucun Ministre de l’économie n’ait osé lui expliquer par a+b que le développement de son pays ne passerait désormais plus par là? Finita la commedia. La taxe sur les bénéfices des entreprises passe certes de 10% à 12,5%… mais, après tout, n’y avait-il pas là l’occasion de tuer un paradis fiscal? Je croyais que l’Union européenne était contre les paradis fiscaux… Un pays peut-il vivre principalement de l’évasion/optimisation fiscale  dans une communauté d’États qui se veulent solidaires?  N’aurait-il pas été alors plus légitime de faire faillite à toutes les banques chypriotes – dont le business model est visiblement dépassé! -, et de ne rembourser les dépôts jusqu’à 100.000 euros que des seuls résidents et sans doute un peu plus pour les entreprises locales non financières? Et exit le paradis fiscal! Cela aurait-il vraiment coûté plus cher aux autres Etats?

Quoiqu’il en soit, on peut encore espérer à cette heure, pour le respect des petits déposants qui n’y sont pour rien, à Chypre et ailleurs ensuite, que le Parlement chypriote rétablisse la protection des dépôts jusqu’à 100.000 euros en augmentant la taxation au dessus de 100.000 euros, mais il restera que l’Eurogroupe aura avalisé une telle décision funeste. C’est, en un sens, incompréhensible – du moins, si l’on suppose que les Européens ont un avenir commun à bâtir… , et pas seulement des comptes à régler.

Sans compter une panique générale possible des déposants dans toute l’Europe du sud…

Ps 1. Éditorial infâme de Bernard Guetta ce matin,  lundi 17 avril 2013, sur France-Inter qui n’insiste que sur le seul aspect des épargnants « russes » qui perdent des plumes dans l’accord… , et oublie totalement et volontairement l’aspect de mise en danger générale de la garantie des dépôts bancaires européens de moins de 100.000 euros.

Ps 2. Voir la synthèse de Jacques Sapir sur le sujet.

Ps 3. A mesure que les commentaires se font plus élaborés au fil des heures, tous les économistes, d’horizons très différents, semblent affligés par une telle décision, surtout sur les petits dépôts bancaires. Cf. Charles Wyplosz dans le genre sérieux et argumenté, et Georges Ugeux dans le genre plus à la Molière, « on nous vole, on nous spolie ». On risque la panique générale, il va suffire d’un rien pour qu’elle se déclenche ou pas. Il n’est pas clair non plus de savoir qui a voulu taxer les petits déposants… voir l’article du WSJ.  Il va y avoir du travail pour les historiens… personne ne voudra reconnaître son rôle dans cette décision grandiose, morale, et bienvenue.