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Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe.

vauchezL’approche des élections européennes incite les auteurs à écrire et les éditeurs à publier des ouvrages d’intervention sur l’Europe. Notre excellent collègue Antoine Vauchez propose ainsi un petit livre incisif, intitulé Démocratiser l’Europe (Paris : Seuil, « La République des idées », février 2014, 98 p.). Ce dernier vise à rendre accessible à un large public ses travaux précédents et à en tirer les conclusions pratiques en terme de démocratisation de l’Union européenne.

A un lecteur pressé, le livre risque toutefois de n’apparaître  que comme une amplification du thème déjà bien connu, et un peu recuit il faut bien le dire, de l’ Union européenne comme « technocratie » – au sens plutôt classique du terme, à savoir comme prise du pouvoir à l’époque contemporaine par les techniciens de la vie collective contre les professionnels de l’élection que sont les hommes et femmes politiques. L’ouvrage souligne en effet que la crise économique en cours est venue couronner une tendance de longue période de la construction européenne : la centralité des trois institutions non élues qui agissent au nom de l’« intérêt général européen », à savoir la Commission européenne, la Banque centrale européenne, et la Cour de justice. En effet, tout le déroulement de la crise, qui a renforcé, d’abord en pratique puis en droit, leurs prérogatives, a illustré que ces dernières sont porteuses d’un projet politique commun de gouvernement par la raison (des élites) au delà des passions (des masses). L’indépendance qui est garantie par les Traités à ceux qui sont nommés pour les diriger et l’impossibilité pour les Etats (sauf impossible ou presque unanimité entre eux) de leur reprendre des prérogatives une fois celles-ci déléguées ou de contester leurs décisions sont les deux clés qui assurent la viabilité du projet. « Supra-électoral et supra-étatique, le mandat qu’évoquent la Cour, la Commission et la BCE s’appuie sur une technologie politique singulière : l’indépendance statutaire, véritable clé de voûte de la forme européenne de la légitimité politique. » (souligné par l’auteur, p.45) Ce mandat dispose par ailleurs de son idéologie propre, qu’il faut prendre au sérieux: « Inscrit dans un temps long qui échappe aux conjonctures électorales, le mandat qu’invoquent les ‘indépendantes’ se fonde sur la réalisation d’un ‘bien commun’ (prospérité, État de droit, etc.) à l’échelle du continent. (…) De même qu’au Moyen Age, juristes et glossateurs avaient progressivement détaché la figure de la ‘Couronne’ pour en faire un bien inaliénable et indisponible, de même l »Europe’ s’est construite hors d’atteinte de la volonté générale des peuples et des Etats, fussent-ils 6, 9, 12, 15 ou 28. »(p. 42) De plus, A. Vauchez fait très justement remarquer  que les institutions qui étaient censées « démocratiser l’Union », à savoir le Parlement européen élu à cette fin au suffrage universel après 1979 et le Conseil européen, créé dès 1974 et finalement inscrit dans le Traité de Lisbonne de 2007, se sont eux-mêmes adaptés à ce projet à la fois dans la forme juridique de leur expression et dans l’appel massif  à l’expertise pour compter dans ce jeu européen dominé par les acteurs présentés comme apolitiques des trois « indépendantes ». Par exemple, le Conseil européen a lui-même développé sa propre administration « indépendante » et « apolitique », le Secrétariat général du Conseil.

Par ailleurs, selon A. Vauchez, les « ‘indépendantes », qui prétendent simplement appliquer des décisions techniques au nom de l’intérêt général de l’Union et de ses populations, prennent des décisions éminemment politiques, puisqu’elles engagent en réalité les sociétés européennes dans des directions qui mériteraient plus ample discussion. Elles sont mues par des hommes, ou plus rarement des femmes, qui ont presque toujours une expérience politique, judiciaire ou administrative, acquise dans leurs nations respectives avant d’être nommé à ces postes prestigieux. On pourrait même dire en forçant le propos de l’auteur que, pour devenir Commissaire européen par exemple, il faut d’abord avoir su louvoyer avec l’irrationalité foncière des masses telle qu’elle s’exprime dans l’élection, et avoir ainsi gagné le droit auprès de ses pairs politiciens, qui vous cooptent, de finalement faire œuvre de raison à l’échelle continentale, tout en gardant un peu à l’esprit par ailleurs les contraintes de la déraison des peuples. Dans son chapitre 3, A. Vauchez explique bien que, pendant longtemps, les « indépendantes », en particulier la Cour de justice, ont pu agir sans que grand monde ne s’en aperçoive, elles opéraient sous une « cape d’invisibilité » (p. 62-63), or, aujourd’hui, avec la crise économique, c’est autre chose : quand la BCE dicte la politique économique souhaitable d’un État comme l’Italie (cf. la célèbre lettre d’août 2011 de la BCE au gouvernement Berlusconi)(p. 72), participe à la « troïka » au côté du FMI et de la Commission pour sauver les âmes perdues et prodigues (p. 74), ou encore quand la Commission possède désormais le droit de censurer toute la politique macroéconomique des Etats membres (avec le « Semestre européen »), il devient difficile d’ignorer le poids de ces décideurs sans mandats électifs (présents). « Au total, l’accroissement continu des compétences de la Banque centrale, tout comme des agences de régulation et de la Cour de justice, a produit un allongement sans précédent de la chaîne de délégation démocratique. En l’absence de toute possibilité de contrecarrer les décisions de ces institutions, la fiction d’une simple ‘délégation’ à des organes techniques, censée maintenir un lien hiérarchique entre le peuple européen souverain et les institutions européennes, n’apparaît plus que dans sa dimension négative de simulacre et de faux-semblant » (p. 74).

On l’aura compris pour A. Vauchez le pouvoir européen existe donc, il est désormais impossible de nier son existence, et il réside  essentiellement dans ce qu’il appelle les « indépendantes ». Bien des lecteurs n’y verront sans doute qu’une amélioration, à la fois sur le plan empirique et  sur la plan conceptuel, du discours anti-technocratique tenu à l’encontre de l’Union européenne depuis bien longtemps.  D’autres, comme moi-même, seront quelque peu étonnés de reconnaître dans les formulations de notre collègue  des thématiques bien connues des eurosceptiques,  britanniques en particulier – le complot des « illuminati » (ou des « jacobins ») contre les peuples libres n’existe certes pas pour A. Vauchez, mais, en tout cas, des gens bien placés semblent par la vertu des institutions présentes de l’Union en mesure d’agir en ce sens! La publication de ce texte dans la collection de la « République des idées », toujours dirigée par Pierre Rosanvallon, souligne en elle-même l’évolution de ce qui devient désormais dicible en France sur l’Union européenne – entre autres, parce que tout un courant de recherche vient à l’appui de ce qu’affirme ici très clairement et très efficacement A. Vauchez (cf. les notes de bas de page de l’ouvrage).

Contrairement à ce qu’on pourrait attendre à partir d’une telle analyse, A. Vauchez n’est toutefois pas un boutefeux proposant aux Français de sortir au plus vite de cet enfer de la (dé-)Raison technocratique. Il n’est pas non plus partisan de la sagesse historique qui tiendrait que,  s’il faut suspendre la vie démocratique des peuples pendant quelques décennies voire siècles pour faire l’Europe, cela en vaut la peine : après tout, si les rois de France avaient demandé avant de les rattacher à la Couronne leur avis à ceux qui devenaient leurs sujets par conquête, mariage et autre événement dynastique de l’époque, où en serions-nous? On ne fait pas l’Europe sans casser des démocraties, comme on ne fit pas la France sans quelques menus abus souvent bien oubliés aujourd’hui. On ironisera toutefois sur ce dernier point de vue en soulignant que même la très « poutinienne » Fédération de Russie fait mine de demander leur avis aux habitants de Crimée quand elle les absorbe à la mère-patrie. A. Vauchez écarte, au moins implicitement, ces deux conclusions possibles de son analyse, et c’est sans doute par là qu’il se détache de la critique « technocratique » habituelle.

Tenant pour acquis que les « indépendantes » gouvernent en fait l’Union européenne, que propose-t-il donc pour « démocratiser l’Europe »? D’abord  abandonner l’idée qu’on pourrait installer un pouvoir parlementaire au cœur du système pour le démocratiser. On a essayé de le faire depuis des décennies, cela n’a guère fonctionné. Il décrit ainsi dans son premier chapitre la « démocratie Potemkine » (p.11-32) auquel on a abouti à force de ne pas vouloir comprendre et reconnaître la place toute particulière des « indépendantes » dans la construction européenne.  Que faire alors? Selon A. Vauchez, il faut rendre possible la discussion publique des « mandats » des « indépendantes », du sens qu’elles donnent à ce dernier, des raisons des décisions prises sur la base de ces mandats. Il faudrait aussi que les parties prenantes de la société civile européenne soient représentées au sein même de ces institutions, par exemple en ayant des juges issus du syndicalisme au sein de la Cour de justice. Il faut enfin que les communautés savantes qui décrivent leur action arrêtent de les traiter avec une révérence ou une connivence parfois intéressée, et les soumettent à la critique (cf. « La fonction ‘eurosceptique’ des communautés savantes », p. 86-90).

Ces solutions paraitront bien timides à beaucoup, mais A. Vauchez souligne que ce sont les seules vraiment réalistes pour l’Union européenne telle qu’elle est. En effet, les 60 années de construction européenne, qui sont allées dans cette direction, ne peuvent pas être effacées d’un trait de plume, et a priori, les souverains officiels (à savoir les Etats membres) n’arriveront jamais à se mettre d’accord pour réviser complétement les Traités pour sortir du sentier institutionnel choisi jusque là – pour autant d’ailleurs que leurs dirigeants veuillent redonner ainsi le spectre au(x) peuple(s) européen(s)!  C’est une autre façon de dire qu’à juger par le passé, il est fort improbable que l’Union européenne actuelle accouche jamais d’une Fédération européenne (avec un gouvernement responsable devant un parlement, une banque centrale tout de même maîtrisable si nécessaire par le pouvoir politique de l’heure, et une justice constitutionnelle soumise en dernier ressort à la volonté souveraine du peuple).

Pour ce qui est de l’importance de la maîtrise au moins partielle des « indépendantes » par la discussion publique de leurs décisions, il me semble que le cours des événements donne partiellement raison à A. Vauchez, au moins pour la BCE. Cette dernière a déjà été obligée de faire preuve d’imagination pour sauver la zone Euro et pour se sauver elle-même (ce qui a été fait à l’été 2012 avec la création de l’OMT). Le procès BCE vs. Bundesbank devant la Cour constitutionnelle allemande peut aussi illustrer cette mise en discussion du mandat de la BCE. Par ailleurs, la polémique actuelle sur les risques de déflation au sein de la zone Euro confirme cette montée en puissance d’une mise en débat de ce que fait ou non la BCE, à la fois par les marchés  financiers et leurs représentants, par les Etats membres et par les sociétés civiles. On peut imaginer que se développe le même type de débat transnational pour les décisions de la Commission européenne et sans doute plus difficilement pour les jugements de la Cour de justice. De fait, la notion même d’« intérêt général européen », en ce qu’elle est abstraite, vide d’un sens précis, pourrait effectivement être remplie d’une autre façon que celle choisie actuellement. On peut douter par exemple que l’augmentation du taux de suicide ou de la mortalité infantile en Grèce fassent partie de l’intérêt général européen, sauf à considérer qu’il faut épurer le territoire de l’Union de ses éléments trop fainéants et improductifs pour avoir le droit de vivre et de se reproduire…

Même si l’on peut être séduit par la voie raisonnable proposée par A. Vauchez, il restera toutefois que, pour un certain nombre de décisions déjà prises par les « indépendantes » au nom de l’intérêt général européen, l’Union européenne n’offre pas de voie de réversibilité. En dehors même de toute considération d’équilibre sur les choix politiques ainsi définitivement institués (plutôt libéraux/libertaires tout de même), cela interroge sur la capacité de l’Union européenne à affronter des événements ou des circonstances totalement imprévues à ce jour. Les systèmes pré-démocratiques, absolutistes, auquel l’Union européenne finit par ressembler étrangement, avaient au moins le mérite de disposer à leur sommet d’un dirigeant autorisé si nécessaire à tout bousculer pour sauver le Royaume ou l’Empire. Avec l’Union européenne, personne n’est habilité à émettre d’oukases, ou d’acte de souveraineté au nom de l’intérêt général européen.  Sauf pour l’instant la BCE en matière monétaire. Peut-être le Conseil européen dans une large mesure comme on l’a vu au fil de la crise économique, a-t-il aussi une telle prérogative de fait. Mais cela peut-il suffire à traiter toutes les urgences? La crise actuelle avec la Russie me parait une belle illustration du problème ainsi posé.

Et Hollande fit du Sarkozy sur l’Europe…

Les réalités structurelles de la politique française ont la vie dure. Sur le rapport à l’Union européenne tout particulièrement : quand on se trouve au pouvoir, comme dirait Flaubert, toujours  attribuer aux technocrates apatrides de Bruxelles la faute de ce qui ne va pas dans le pays et toujours s’attribuer en revanche le mérite de ce qui y va bien; se présenter toujours comme le brave gars, plein de bon sens, qui défend le peuple français et son bonheur contre ces fous dangereux, utopistes, incompétents, ou les deux, de Bruxelles; et surtout ne jamais admettre la réalité des transferts de souveraineté qu’on a soi-même accepté à ces mêmes fous. Selon l’historien Laurent Warlouzet au vu des archives (cf. Le choix de la CEE par la France. L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle[1955-1969], Paris : Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2010, en particulier les dernières lignes de la conclusion p. 507-508), ce double jeu a commencé sous le Général de Gaulle lui-même en 1958-69. Il continue toujours en 2013.

Ainsi, comme prévu par les nombreuses dispositions adoptées depuis 2010 à la suite de ce qui a été conceptualisé par les pays dominants (dont la France), la Commission européenne et la Banque centrale européenne comme la « crise des dettes publiques » des pays européens, la Commission européenne a rendu hier publique ses recommandations aux différents pays afin d’améliorer leur sort économique et social et de faire progresser ainsi l’ensemble européen vers ce bonheur terrestre et matériel que l’Europe  promet depuis si longtemps  à ses ressortissants.  On ne peut pas dire que le Parti socialiste français n’ait pas été partie prenante de cette montée en puissance d‘un devoir d’injonction attribué à la Commission européenne à propos des politiques économiques nationales. On ne sache pas que ses députés au Parlement européen aient occupé l’hémicycle bruxellois ou strasbourgeois en hurlant que c’est la souveraineté du peuple français qu’on assassinait ainsi; on ne sache pas non plus que la majorité parlementaire de gauche, élue en juin 2012, essentiellement socialiste, ait fait obstacle à la ratification du nouveau Traité européen signé au départ par un certain Nicolas Sarkozy.  Et voilà que François Hollande, dans une posture toute gaullienne, une fois reçues les recommandations de la Commission européenne, déclare tout de go que la France n’a pas à recevoir d’ordres sur les réformes à faire et que seul le solde budgétaire compte. En tout cas, c’est ce qu’en rapporte l’estimé quotidien parisien, le Monde, dont il serait malicieux de douter de la compétence en matière de transmission des propos présidentiels à la population.

La manœuvre politicienne au sens le plus ordinaire du terme est évidente : il ne faudrait pas que le bon peuple de France se rende compte que, désormais, les grandes lignes de l’ensemble des politiques économiques sont prises à Bruxelles, et que ces lignes sont parfaitement alignées sur l’habituel « consensus de Bruxelles ». De fait, le « gouvernement économique de l’Union européenne » (ou de la seule zone Euro) que le Président Hollande appelle de ses vœux pour l’avenir existe en fait déjà, et il a lui-même fait ratifier par la France un Traité qui l’entérine (sans compter la loi organique sur les finances publiques qui met en œuvre les dispositions de ce Traité).  Il se trouve que je suis l’actualité italienne, j’ai donc pu lire à peu prés les mêmes recommandations de la part de la Commission européenne pour l’Italie. Le Corriere della Sera, journal  qui incarne pourtant le sel de la bourgeoisie italienne la plus traditionnellement capitaliste et libérale, commentait d’ailleurs non sans une légère pointe d’ironie les mesures ainsi préconisées par Bruxelles. Ce sont en effet toujours les mêmes : libéralisation du marché du travail, réforme des retraites, maîtrise du déficit public, diminution des dépenses publiques inutiles, mais investissement public dans les secteurs d’avenir, tout en diminuant les impôts et les charges sociales, ouverture de nombreux secteurs protégés à la concurrence.  Il faut bien dire que, vu d’Italie, même un journal bourgeois peut commencer à se demander si tout cela sert vraiment à quelque chose… Où s’arrête d’ailleurs la libéralisation du marché du travail souhaitée par la Commission européenne? Sans doute à la précarité de l’emploi pour 100% de la main d’œuvre, mais, alors, comme le montre déjà l’exemple italien, qui va faire des projets d’avenir dans de telles conditions, qui va acheter son logement, qui va s’installer dans la vie, qui va renouveler les générations, qui va renouveler son abonnement annuel au Corriere?

La sortie de François Hollande m’a d’autant plus paru s’inscrire dans une vieille tradition de double langage sur l’Europe – dont N. Sarkozy n’avait pas été avare non plus – qu’en réalité le gouvernement français a obtenu de ne pas respecter tout de suite (en 2013 et en 2014)  ses engagements en terme de solde des dépenses publiques, et qu’en contrepartie, il s’est engagé à aller plus loin dans les « réformes structurelles » que la Commission européenne juge nécessaires. Il est certes certain que ce n’est pas dans les bureaux de la Commission que les détails de la future réforme des retraites vont être écrits, mais, pour ce qui concerne sa conception générale et sa nécessité même, il ne fait pas non plus de doute que la France s’aligne ainsi sur le « consensus de Bruxelles ».

On peut se demander pourquoi le Président Hollande, donnant par ailleurs des gages de fidélité à la ligne européenne « néo-libérale » de sortie de crise (comme avec son discours de Leipzig pour le centenaire du SPD), refuse d’informer les Français de la situation réelle du pays en la matière. Qui croit-il donc tromper? C’est à dire vrai une question montante en science politique : avec l’élévation générale du niveau d’éducation de la population, avec la transmission d’informations entre les différentes arènes dans lesquelles un politicien s’exprime, y compris entre pays différents, pourquoi s’entêter à nier l’évidence?

Sans doute, y a-t-il là une simple et banale raison électoraliste. On sait depuis 2005 que les groupes populaires de ce pays sont majoritairement hostiles à l’Europe  – tout au moins quand ils expriment une opinion à ce propos. Si je ne me trompe pas, la part la plus populaire de l’électorat du futur Président Hollande en avril 2012 se déclare déjà majoritairement hostile à l’Europe. Le Président socialiste ne peut donc pas officialiser devant le grand public français qu’il suit en fait la ligne définie en commun à Bruxelles, cela serait faire un trait sur cet électorat, ou du moins, donner à ses adversaires sur ce segment de l’électorat populaire un argument pour le (re-)détacher du PS (comme en 2002). En même temps, comme le montrent les sondages quand on dispose des répartitions socio-démographiques, c’est déjà fait! Les ouvriers et employés ont déjà compris que c’était « European business as usual », et qu’en tout cas, le changement promis en 2012 ne serait pas dans le sens espéré par eux.

Malheureusement, en essayant de s’en tirer par le double langage, par l’ambiguïté des propos, F. Hollande passe par pertes et profits la possibilité d’un choix éclairé de l’électorat. Comme par une heureuse communication des bons esprits, Bernard Guetta fit de même ce matin sur France-Inter tout un sermon sur le même thème : la France ne doit pas se laisser imposer les mauvaises réformes libérales par des Commissaires européens irresponsables car non élus, cela risque de désespérer Billancourt et Maubeuge. D’évidence, la couleuvre néo-libérale que propose Bruxelles à l’attention du gouvernement français et à la gauche pro-européenne dont B. Guetta représente le porte-voix journalistique sur France-Inter est un peu trop grosse à avaler, mais ne serait-ce pas plus sain pour l’avenir d’y aller franco de port?

En effet, le résultat de tout cela sera que, lorsqu’il faudra changer les Traités européens – ce qui ne manquera pas d’arriver du train où vont les choses, si on donne raison à nos partenaires allemands – pour sauver la zone Euro, le Président Hollande n’aura pas d’autre choix que de passer par la seule voie parlementaire de révision constitutionnelle, et ne pourra pas faire appel à un référendum pour légitimer ces transferts de souveraineté. Ce n’est pas en effet en faisant croire aux citoyens – qu’on suppose là bien niais tout de même – que la France a encore seule la main sur ses grands choix de politique économique qu’on pourra éviter à terme une mobilisation massive en sens inverse.

Ps. La prise de position idiote (au sens antique et nouveau du terme) de F. Hollande a fait la une du Monde le vendredi 31 mai 2013 : Hollande brandit la souveraineté de la France face aux demandes de Bruxelles. Le chef de l’État craint d’apparaître assujetti à la Commission européenne en ces temps d’euroscepticisme titre le journal du soir. Pour une fois, je suis entièrement d’accord avec le sous-titre analytique. (Cela me coûte.) Les prises de position de membres de l’UMP et du Modem, relatées par le journal,  ne sont pas glorieuses non plus.  Je ne suis bien sûr pas le seul à m’être rendu compte de la « grosse ficelle » bien usée utilisée par F. Hollande, cf. l’interview croisé dans Atlantico de Nicolas Goetzmann et Sylvie Goulard.  On appréciera toutefois la chute de l’interview où l’eurodéputé Modem,fédéraliste, bras droit de R. Prodi en son temps, S. Goulard, prend position contre un futur référendum sur le traité qui en finira avec les atermoiements actuels pour aller vers le fédéralisme de la zone Euro. Une question trop compliquée… mais, bien sûr, ma bonne dame, ils sont trop bêtes pour comprendre ces veaux de Français…  (Je blague, mais cela ne me fait pas beaucoup rire moi-même.) On retombe toujours sur le même problème : rationnellement, les élites pro-européennes (que ce soient S. Goulard ou F. Hollande) croient savoir – qu’il est impossible désormais, du moins à court/moyen terme, de convaincre la majorité du peuple français dans un débat ouvert que la « fin de la France souveraine » (à l’image de ce que connaît le canton de Genève dans la Confédération helvétique… pour être positif) au profit de l’Europe souveraine serait au final une bonne chose pour eux. Chacun à son poste réagit donc en conséquence.