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C’est la rentrée 2012, et la crise continue!

Voilà, nous sommes aux portes de la rentrée 2012, et la crise économique et politique européenne continue as usual. Comme me le disait lundi mon collègue Klaus Kinzler lors d’une conversation de couloir devant l’inévitable photocopieuse, il a l’impression que l’on a désormais fait le tour des arguments possibles, que tout le monde se trouve désormais condamné à se répéter, et que cette crise se traîne au delà de ce qu’un observateur impliqué comme lui peut tolérer.  J’ai moi-même une impression semblable de lassitude et d’exaspération, j’essaye pourtant encore une fois de rassembler mes idées au seuil de cet automne sans doute décisif pour la zone Euro et l’Union européenne.

Ainsi, si l’on s’occupe des interprétations de cette crise, j’ai l’impression que l’on trouve désormais trois lignes d’analyse critique, qui s’entremêlent souvent en pratique, mais qu’on peut distinguer tout de même parce qu’elles ne situent pas la source du blocage de l’économie européenne au même endroit.

La première, c’est celle des auteurs d’inspiration néo-keynésienne qui soulignent les erreurs de jugement des dirigeants européens, et surtout de leurs conseillers économiques. Pour ces derniers, inspirés par une vision  remastérisée de l’économie néo-classique, il suffirait d’une bonne vieille cure d’austérité dans la dépense publique, d’une bonne saignée bien moralisante, pour provoquer un choc de confiance chez les agents économiques privés, et pour faire repartir de ce fait la machine économique. Cette « austérité expansionniste », qui, dans l’idéal, amènerait à zéro les dépenses publiques et à zéro l’endettement public, n’a pourtant pas l’air de bien fonctionner, tout au moins pour l’instant, et tous les néo-keynésiens de se faire un malin plaisir de le souligner, à mesure que des pays comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne semblent s’enfoncer dans le cycle récessif qu’ils avaient fort bien prévu. Il me semble qu’on peut classer, avec les modulations d’usage, Paul Krugman, Joseph Stiglitz, les « économistes atterrés », Patrick Artus, les économistes de l’OFCE sur cette ligne. De manière plus modérée, on voit des économistes souligner que les déficits publics doivent certes être réduits pour rendre la dette publique des Etats européens soutenable, mais qu’il faut le faire à la bonne cadence. Pour un exemple en ce sens, je citerais Anton Brender, Florence Pisani, Emile Gagna dans leur chapitre consacré à l’Europe dans La crise des dettes souveraines (Paris, La Découverte, 2012), sobrement intitulé Le drame européen (sic). Selon cette première ligne d’analyse, il suffirait que les dirigeants changent de vision des mécanismes économiques pour que les choses s’améliorent. Le point fort de cette explication à mon sens, c’est que des pays qui ne sont pas dans la zone Euro, la Grande-Bretagne pour ne pas la citer, suivent cette ligne de conduite dans leur politique économique, avec des résultats pour l’instant conformes à la vision des keynésiens, autrement dit, cela va mal.

La seconde est institutionnaliste. Étant donné la structure des institutions européennes au départ de la crise économique, le résultat ne pouvait être qu’une incapacité à trouver un acteur capable de relancer l’économie européenne  au niveau global. L’Union européenne (en tant que Commission européenne) possède un budget réduit à 1% du PIB européen, et n’a en plus que peu de ressources fiscales propres, pour ne pas dire en pratique aucune. Le pur aspect institutionnel ne suffit cependant pas à épuiser cette ligne d’explication. De fait,  les acteurs politiques nationaux ont largement contourné les règles établies lors du  Traité de Maastricht. La clause de « no bail-out », de non-renflouement d’un État par ses partenaires, a largement été ignorée, en particulier pour la Grèce. Il serait bien évidemment intéressant de construite un contre-factuel, où les règles européennes sont strictement respectées. La Grèce fait défaut sur sa dette publique au printemps 2010, que se passe-t-il ensuite? Les banques grecques sautent, les grandes banques européennes sautent, et ensuite? Comme on sait bien que la Grèce a été aidée à ce moment-là, toute une analyse politologique et économique en découle qui souligne à l’envi le poids de certains acteurs-clés, qui ont justement refusé de « sauter ». Du point de vue des remèdes, contrairement à la vision précédente, il ne s’agit pas alors tant de changer la vision de l’économie des dirigeants européens, que les contraintes institutionnelles des uns et des autres. L’idée d’une vraie fédération se trouve  ici au bout du tunnel. Évidemment, s’il existait une Fédération européenne avec un budget conséquent, on pourrait envisager une politique contra-cyclique à l’échelle continentale. Si les faillites bancaire deviennent l’affaire de la Fédération, c’est le contribuable européen qui les paye. Sans le grand soir fédéral, c’est (presque) chacun pour soi, et l’Euro pour tous, et de belles années de stagnation à venir.

Enfin, j’ai l’impression qu’une troisième ligne d’analyse tend à s’affirmer ces derniers temps. Je l’appellerais pour faire image la thèse de la « strangulation contrôlée ».  C’est un jeu finalement très simple, bien décrit par l’économiste Alexandre Delaigue par exemple. Selon cette vision – qui pourrait paraître complotiste à certains politistes, mais qui correspond à des déclarations publiques de responsables politiques européens – ,  certaines élites économiques et politiques – en particulier les dirigeants de la BCE, ceux de la Commission, les dirigeants allemands actuels – veulent saisir l’occasion de la crise pour restructurer en profondeur les rapports de force au sein des sociétés européennes, en particulier en finir avec les « archaïsmes » sociaux des pays méditerranéens. Certains y voient aussi une sorte de vengeance nordique contre les sudistes s’étant invité par effraction à la table de l’Euro  en 1996-97. Dans ce cadre, il s’agit d’aider les Etats en difficulté, mais en leur imposant des « conditionnalités » et de faire en sorte qu’ils ne puissent plus s’en affranchir une fois qu’ils ont reçu de l’aide. Plutôt que de trouver un mécanisme pérenne d’aide, il faut donc viser à  maintenir ces Etats dans un état d’asphyxie financière. Ainsi la BCE pourrait aider les Etats en difficulté à se financer en achetant directement leur dette publique (comme le font les autres grandes banques centrales pour leurs Etats respectifs), mais elle déclare ne vouloir le faire que si les dits Etats mettent en œuvre des réformes de structure d’orientation libérale, fortement demandées par cette dernière, par les pays dominants, l’OCDE, le FMI, les économistes libéraux, etc.. Il s’agit de faire fortement pression sur les gouvernants nationaux – dont certains non élus ne demandent à vrai dire que cela…- pour qu’ils passent outre toutes les réticences populaires aux dites réformes structurelles, le tout au nom de l’Europe. Celles-ci visent à établir un marché du travail purement libéral, sans syndicats pour augmenter les salaires au delà du niveau de la productivité individuelle de chaque travailleur, sans trop de droits sociaux pour gêner les entreprises, etc. . Le grand avantage de cette troisième façon de voir est de redonner aux acteurs dominants en Europe une intentionnalité moins stupide que dans les deux premières explications, surtout que celle que leur prête  la première explication. En effet, les effets récessifs des politiques d’austérité budgétaire ne gênent en rien ceux qui veulent en profiter pour restructurer à marche forcée les sociétés méditerranéennes, bien au contraire, tout se passe comme prévu. Plus il y a de récession, plus il y a de chômage,  plus le pouvoir de négociation des syndicats diminue, plus les salaires baissent, plus les gouvernements nationaux peuvent mettre en œuvre des mesures littéralement impensables auparavant – qui risquent d’ailleurs de finir par se heurter au droit européen minimal du travail… ce qui n’est pas d’ailleurs le moindre paradoxe de l’affaire. Comme le rappelle A. Delaigue, cette ligne de négociation au bord de l’abîme entre les gouvernements nationaux des pays dominés, ceux des pays dominants (en pratique la seule Allemagne) et la BCE peut déraper à tout moment. En effet, les marchés financiers peuvent prendre peur, un gouvernement national se cabrer, la conjoncture économique d’un pays s’écrouler vraiment. J’ajouterais que les représentants syndicaux du monde du travail peuvent finir par comprendre la manœuvre, que, surtout, les simples citoyens des pays concernés peuvent perdre confiance dans l’Europe – comme c’est le cas en Italie par exemple . Ce jour, A. Merkel a adressé un satisfecit à l’action « réformatrice » de M. Monti, tout en s’inquiétant du futur gouvernement italien issu des urnes…

En tout état de cause, ces trois lignes d’analyse critique indiquent que nous en avons encore pour un moment de cette crise…  Le « chemin de Damas » keynésien est improbable, les institutions se réforment lentement, et l’on n’a pas fini d’éduquer les méridionaux…

Ps. Ce matin sur France-Inter, 4 septembre 2012, Daniel Cohen, invité à la Matinale pour faire la promotion de son dernier opus, affirme que tous les économistes savent bien ce qu’il faudrait faire, en citant P. Krugman et J. Stiglitz, pour résoudre la crise, puisque celle-ci ressemble fortement dans ses mécanismes à celle des années 1930 et que les gouvernements font de l’austérité  à la manière d’un chancelier Bruning en Allemagne en 1932 (sic).  De manière intéressante, pour expliquer le blocage alors qu’intellectuellement,  selon D. Cohen, les économistes seraient unanimes sur la direction de la sortie de crise – ce qui bien sûr est faux! sauf à disqualifier certains économistes de leur titre même d’économiste -, il fait un parallèle entre les deux rives de l’Atlantique. Des deux côtés, il s’agirait au fond d’un refus de solidarité, à travers l’annulation nécessaire des dettes des pauvres (directe ou via l’inflation) : les riches (blancs) américains refuseraient de payer pour les pauvres (noirs surtout) américains; les riches européens nordiques (allemands) refuseraient d’aider les pauvres européens sudistes (grecs). C’est sans doute bien rapide comme raisonnement, mais cela correspond à mon deuxième motif de blocage, en y ajoutant une arrière-plan identitaire de clivage profond des sociétés en cause.  D. Cohen, l’économiste, souligne d’ailleurs qu’en 50 ans d’intégration européenne, le sentiment identitaire entre Européens n’a pas progressé. Les données disponibles lui donnent tort, mais il a raison sur le fait que, pour l’heure, ce n’est pas le grand amour!

Paul Dirkx, La concurrence ethnique. La Belgique, l’Europe et le néolibéralisme.

En tant que politiste, le livre de Paul Dirkx, La concurrence ethnique. La Belgique, l’Europe et le néolibéralisme (Broissieux – Bellecombe en Bauges : Éditions du Croquant, 2012) aurait dû m’énerver. En effet, voilà un spécialiste d’études littéraires qui se mêle de vouloir expliquer au vaste monde la politique belge et ses liens avec l’intégration européenne. Il  ne se prive pas en plus au fil des pages d’asséner quelques claques bien senties à des collègues politistes pour leur courte vue. Il y aurait de quoi être énervé devant tant d’outrecuidance. Cependant, je ne tomberais pas dans le (petit) piège du pré carré disciplinaire. En effet, ce livre vaut la peine d’être lu avec attention à la lumière de la crise  de l’Union européenne. D’ailleurs, selon le point de vue ici proposé, cette dernière n’est  pas en crise du tout! Mais au contraire dans une forme olympique!

A un premier niveau de lecture, Paul Dirkx se propose de déconstruire le récit ordinaire qui opposerait éternellement en Belgique « Flamands » et « Wallons ». Il reconstruit une histoire plus réaliste, car plus fondée sur la géographie économique, la géopolitique (franco-allemande), et les projets partisans, que sur l’âme  supposée des peuples flamands et wallons. Cette histoire, fort compliquée dans ses détails mais fort bien résumée ici m’a-t-il semblé, mène effectivement à la situation contemporaine d’évidement de l’État belge. Cette dernière s’effectue  sous la poussée de deux partitocraties, la flamande et la wallonne, opposées en apparence mais largement conniventes, mobilisant leurs électeurs respectifs de chaque côté de la « frontière linguistique ». Les guillemets sont ici particulièrement de mise : P. Dirkx montre bien toute l’effort de construction de la réalité qui réside dans ce terme. En effet, selon l’auteur, au début du XIXème siècle, les Flamands et les Wallons en tant que groupes bien délimités, conscients d’eux-mêmes sur un territoire qui leur serait particulier, n’existent tout bonnement pas. Il va falloir bien des mobilisations culturelles et politiques de part et d’autre de la future « frontière linguistique » pour la faire exister  – les tenants de « la Wallonie » n’étant pas moins responsables de la situation actuelle que ceux de « la Flandre » -, pour qu’aujourd’hui, on puisse s’illusionner de bonne foi de part et d’autre sur l’existence d’une essence flamande  et d’une essence wallonne, toutes deux éternelles (opposant les germains du nord aux latins du sud!). P. Dirk reconstruit habilement tout ce cheminement, en montrant en particulier l’importance du mouvement catholique dans cette élévation progressive d’une identité flamande, largement en opposition avec la montée en puissance du mouvement ouvrier chez les travailleurs du sud du pays (future Wallonie). On trouvera une démonstration similaire, plus fouillée, dans l’article de Nadim Farhat, « Le conflit communautaire belge. Entre contingence identitaire et déterminisme historique » (Revue Française de Science Politique, vol. 62, n°2, avril 2012, p. 231-254), qui insiste lui aussi sur le lien entre d’une part, le contre-feu catholique au socialisme partageux et athée,  et, d’autre part, le mouvement flamand.

P. Dirkx montre par ailleurs que, depuis les années 1930, le mouvement flamand n’a cessé d’hybrider des considérations identitaires avec des considérations économiques. La communauté du peuple flamand doit se libérer des pesanteurs (sociales) de l’État belge pour être compétitive sur la scène économique mondiale.  Pour les années 1980-2000, l’auteur montre à quel point sur la scène politique flamande les libéraux (idéologiques) convergent avec les nationalistes-flamands, les restes de l’aile droite du mouvement catholique et le patronat organisé flamand. Tous communient dans l’idée que la Flandre doit se libérer de l’État belge, et surtout de l’État tout court – ou, tout au moins, de l’État au sens de régulation collective de la distribution de la richesse, celle-ci devant être laissée au libre jeu du marché. Et que le meilleur gagne!

L’ originalité de Paul Dirkx est d’établir par ailleurs un lien entre cette visée contemporaine des élites flamandes de se libérer de l’étatisme belge avec une caractéristique particulièrement pérenne de ce même État belge. En effet, pour P. Dirkx, dès sa création en 1830-1831, l’État belge se caractérise par son libéralisme sur le plan économique. Il est donc conçu comme le serviteur du marché belge, de la bourgeoisie belge, et surtout de  l’internationalisation de cette dernière – ce qui fera de la Belgique l’un des hauts lieux du capitalisme international(isé) avant 1914.

Et nous voici au lien avec l’Europe : lorsque les politiciens belges font tous leurs efforts pour participer à la création du  Marché commun à la fin des années 1950 et que, pour certains d’entre eux, ils occupent des postes de direction dans les organisations internationales ou européennes de l’Occident du second après-guerre, ils poursuivent en fait cette vieille visée libérale, libre-échangiste, de l’État belge. Ces politiciens belges opèrent de plus en symbiose dès lors, non seulement avec le capitalisme belge (encore puissant à l’époque), mais aussi avec les grandes entreprises multinationales (américaines) qui s’installent au même moment… en Flandre tout particulièrement.

La suite de l’histoire de la Belgique est alors entrelacée avec celle de l’intégration européenne. Les élites belges font de leur pays l’un des bons élèves de cette dernière, justement parce qu’elles sont elles-mêmes néo-libérales d’orientation (y compris quand elles se prétendent socialistes), et parce qu’elles ne cessent par ailleurs de déconstruire petit à petit l’État belge vers le bas à coup de réformes institutionnelles et que l’Europe représente vers le haut le futur de l’État pour eux. Pour P. Dirkx, l’histoire de la Belgique depuis les années 1970 représente donc une suite interminable de réformes sociales, économiques et institutionnelles visant toutes à (ré)affirmer la primauté du marché d’une part, et des communautés d’autre part … Le résultat de tout cet effort des élites belges pour séparer les populations de la Belgique en deux catégories d’humains, les Flamands et les Wallons, est d’affirmer la « concurrence ethnique » entre deux entités communautaires supposées humainement, économiquement, culturellement, socialement,  autonomes l’une de l’autre, la Flandre et la Wallonie au sein du marché européen et mondial. La situation actuelle de l’Union européenne en panne de solidarité ne fait alors que poursuivre à plus grande échelle cette visée d’une concurrence entre groupes humains et territoires. C’est ce qui m’a fait dire plus haut que, du point de vue proposé par P. Dirk, l’Union européenne s’avère être en pleine forme, puisqu’elle continue à s’affirmer au cœur de cette crise économique comme un dispositif de mise en concurrence des populations et des territoires. Comme chacun le sait, chaque pays de la zone Euro doit devenir compétitif, ou le redevenir si nécessaire, en faisant les efforts de réforme réputés si nécessaires. Et, dans le même temps, personne ne parle sérieusement de mettre fin à la concurrence fiscale entre Etats membres… pour ne pas parler d’un niveau commun de protection sociale qui ne soit pas un minimum. Le parallélisme entre l’injonction, pluri-décennale désormais, faite à ces fainéants de Wallons de bouger un peu leur gros derrière (pour rester poli) avec celle faite depuis trois ans à longueur d’éditoriaux aux Grecs, Portugais, Espagnols, Italiens, etc. de bien vouloir faire des efforts pour revenir dans la course ne peut que frapper le lecteur.

De fait, le livre de P. Dirk constitue un apport précieux pour comprendre le présent de l’Europe, ne serait-ce que parce que certains protagonistes de la politique européenne viennent de cet horizon-là (Herman Van Rompuy, et surtout Guy Verhofstadt, dont j’ai découvert le côté d’extrémiste libéral à cette occasion).

Cependant, malgré la qualité de son ouvrage, P. Dirkx n’articule peut-être pas encore assez son propos. Il ne souligne en effet pas assez qu’au sein de chaque communauté une forme de solidarité se trouve tout de même (ré)affirmée. Le mouvement flamand – tout particulièrement le patronat flamand – revendique ainsi la scission de tous les aspects de la protection sociale entre Flandre et Wallonie depuis les années 1990, et, avec le dernier compromis « inter-communautaire » en date lors de la formation du gouvernement Di Rupo, on s’en approche singulièrement. Cependant, ce qu’on peut considérer comme une ruse néo-libérale pour en finir avec la protection sociale issue des luttes du mouvement ouvrier du XIXème-XXème siècle, fonctionne pour autant qu’elle promette à certains bénéficiaires le maintien de quelque chose comme une protection sociale. La visée des élites qui promeuvent ce processus est peut-être au fond libertarienne, mais elle ne devient une réalité politique que pour autant que l’électeur ordinaire se voie promettre que la protection sociale ethnicisée restera en vigueur pour lui! En plus, en pratique, en Belgique, de chaque côté de la frontière linguistique, les trois piliers, catholiques, libéraux, socialistes, qui gèrent sous la protection de leur parti respectif la protection sociale de leurs affiliés, restent en place.

De fait, la démonstration de P. Dirkx à force de souligner que tout le processus de (con?)fédéralisation de la Belgique et d’intégration européenne ne sont que le résultat des pulsions néo-libérales des élites politiques et économiques belges  (entre autres) et que ce vaste mouvement historique se trouve complétement déconnecté d’une quelconque volonté populaire de séparatisme et/ou de néo-libéralisme se trouve fort dégarnie sur le front de la logique électoral(iste).

En effet, ne reste-il pas que, depuis les années 1970, les électeurs, surtout en Flandre, ont constamment validé par leur vote les choix néo-libéraux et autonomistes que les élites partisanes leur ont proposés? Les dernières élections en date ont vu la poussée de l’Alliance néo-flamande (N-VA). P. Dirkx replace bien  la victoire de ce parti dans  tout un monde de lieux communs construits depuis les années 1930 par le mouvement flamand et les élites économiques flamandes, mais il semble vouloir détacher l’électeur de la N-VA de son propre vote. Il indique ainsi que la plupart d’entre eux déclarent lors d’un sondage ne pas vouloir de l’indépendance de la Flandre (p. 217). Certes, mais il reste que ces électeurs-là ont voté N-VA, qui déclare vouloir cette dernière, et pas autre chose. L’acte compte ici plus que la déclaration, et cet acte revient à pousser pour la séparation.

En effet, sauf à considérer les électeurs comme des idiots facilement manipulables par les élites, les médias, etc., – ce qui est souvent l’impression donnée par P. Dirkx-, ou comme des humoristes à leur manière votant n’importe quoi pour mettre le système politique à l’épreuve -,  force est d’admettre qu’ils préfèrent les partis actuels à tout autre offre politique, « belgicaine », en particulier. Les partis historiques (catholiques, socialistes, libéraux) se sont scindés en une aile flamande et une aile francophone, se sont alliés avec des partis autonomistes de chaque côté de la frontière linguistique, et, de fait, ces manœuvres leur ont  réussi! Ne sont-ils pas toujours au pouvoir en 2012, comme en 1962?

Il me semble que, comme beaucoup de gens de haute culture, imprégnés d’une vraie culture européenne, multilingue, P. Dirkx a des difficultés à admettre qu’une majorité d’électeurs de nos démocraties se laissent si facilement prendre aux grosses ficelles des ethnolibéraux, qui promettent de priver les Autres des avantages toujours indus dont ils bénéficient, tout en promettant de protéger les seuls vrais Humains méritants, leurs propres électeurs. De fait, ces grosses ficelles marchent fort bien en Europe ces temps-ci. C’est fort regrettable, mais le profiteur, c’est toujours l’autre!

Europe in our times? (II)

Les résultats du sommet européen des 28/29 juin ont été présenté par une partie de la presse française comme une victoire du « club Med » contre l’Allemagne, de F. Hollande et ses alliés italien et espagnol contre A. Merkel.

Cette vision me semble un peu courte tout de même, surtout si l’on va voir les textes officiels qui rendent compte du sommet, disponible comme il se doit sur le site du Conseil européen.

Premièrement, qu’est-ce que contient ce fameux « Pacte pour la croissance et l’emploi » adopté lors du sommet, mis en annexe de la déclaration finale?

En dehors du fait que ce texte représente en soi plus des bonnes intentions à mettre en œuvre par les pays membres et les institutions européennes qu’un texte à valeur juridique contraignante, tout lecteur devrait être frappé du fait qu’on y retrouve toute la rhétorique habituelle depuis quelques années de la part de l’Union européenne. Rien de neuf en réalité. Pour le dire simplement, c’est 75% de « politique de l’offre » traditionnelle et 25% de « croissance endogène » fondée sur l’innovation. La faible croissance n’est selon ce schéma due  qu’à des marchés pas assez européens et concurrentiels, trop régulés, qu’à de la main d’œuvre pas assez formée et mobile, qu’à des infrastructures déficientes, qu’à des PME qui n’ont pas accès facilement au crédit et souffrent de l’impôt-paperasse, et surtout qu’à des innovations techno-scientifiques pas assez nombreuses.

Le gros des mesures préconisées se trouvaient déjà dans l’arsenal des recommandations européennes depuis au moins l’Agenda de Lisbonne (1999-2000) et dans sa version révisée pour 2020 : concurrence et innovation nous mèneront au Paradis sur terre, saints Adam Smith et J.A. Schumpeter, priez pour nous, pauvres humains! Surtout, ce Pacte correspond à la demande émise il y a quelques mois par les douze gouvernement les plus néo-libéraux d’orientation de relancer l’économie de l’Union européenne par un approfondissement du grand marché européen et par des « réformes structurelles ». Nous y sommes. CQFD.

La seule contre-tendance (keynésienne d’apparence), qui se soucierait de quelque façon de la demande effective adressée à toutes ces belles capacités productives qu’on se propose ainsi de développer, se trouve dans l’alinéa h). Ce dernier détaille les divers sources de financement européen pour aider à la mise en place d’« infrastructures essentielles dans les domaines des transports, de l’énergie, et du haut débit », ou d’aides et prêts aux PME. Or ces 130 milliards d’euros (dont le texte officiel du Pacte indique qu’ils [ne] représentent [que] 1% du RNB de l’UE) apparaissent par le contenu même que leur donne le texte officiel bien peu keynésiens en réalité. Ne serait-ce en effet que parce qu’il s’agit ici simplement d’aider au financement des infrastructures et au développement des PME. Or, en particulier, ces infrastructures seront mises en place avec des moyens techniques modernes, par définition très capitalistiques: ces financements ne créeront donc sans doute, au moins par leur effet direct, que très peu d’emplois. Il faudra bien admettre que construire une autoroute, même de l’information, crée bien moins d’emplois que dans les années 1930… De fait, de manière réaliste, le texte souligne qu’on attend  de ces financements, surtout une amélioration de l’offre compétitive dans l’Union européenne.

Il faut bien dire que la simultanéité entre l’adoption de ce « Pacte pour la croissance et l’emploi » et l’annonce que jamais le chômage n’a été aussi élevé dans la zone Euro est un fait d’époque. Au mieux, si l’on croit que ce qui est contenu dans ce Pacte sera effectivement mis intégralement en place et aura un effet positif sur le niveau de l’emploi en Europe, cela ne se verra que dans quelques (très) longues années. Cette Europe-là ne semble donc rien à faire du sort des actuels chômeurs, précaires et autres inutiles au monde.

Pour le dire dans les termes mêmes du paragraphe introductif des Conclusions du Conseil européen des 28/29 juin 2012 :

« Une croissance forte, intelligente, durable et inclusive, reposant sur des finances publiques saines, des réformes structurelles et des investissements destinés à stimuler la compétitivité, demeure notre principale priorité. »

Bref, à en juger du texte même, cela serait quelque peu abusif de voir dans ce Pacte un tournant vers une politique économique européenne qui prendrait en compte de quelque façon que ce soit le problème de la demande et de l’activité économique à court terme. Cela correspond aussi plus généralement à la réaffirmation de la nécessité de l’assainissement budgétaire.

Si l’on regarde l’autre texte adopté lors de ce sommet, la « Déclaration du sommet de la zone Euro », du 29 juin 2012 (dont le lecteur remarquera qu’il est très court), on constatera aisément qu’il ne concerne en fait que le secteur financier de l’économie. Il est bien précisé que les mesures qui permettraient une aide directe du FESF/MES aux banques en difficulté d’un pays donné et/ou l’intervention de ce dernier sur le marché de la dette publique d’un État ne vaudront que si cet État respecte les engagements de son programme d’ajustement. Pour le dire simplement, ne seront aidés que ceux qui s’appliqueront la rigueur financière  et les réformes structurelles.

Bref, au moins pour les aspects à mettre en œuvre immédiatement, ce sommet européen est resté dans la ligne de l’austérité et des réformes structurelles comme remède. De fait, le Parlement allemand a avalisé dans la foulée immédiate du sommet les traités instituant le M.E.S. et le Pacte budgétaire (« Traité Merkozy »).

Pour François Hollande, il me semble donc qu’il est bien excessif de parler de « victoire ». Certes, le Rapport sur l’UEM (« Vers une véritable Union économique et monétaire ») a été adopté comme base de discussion, mais c’est tout. Le modèle de politique économique, prôné par l’Union européenne, reste celui d’une austérité accrue (hausse des recettes publiques et baisse des dépenses pour ajuster le solde public) dans un contexte économique de croissance très faible, si ce n’est de récession, et de chômage élevé. Bref, la politique budgétaire va continuer à être fortement procyclique. L’économiste Jacques Sapir pense de même et ajoute qu’en plus, du point de vue strictement financier,  l’impasse se profile dès l’automne.

Pour ma part, je ne voudrais pas avec bien d’autres et sans grande originalité être prophète de malheur, mais à voir les premières annonces du gouvernement Ayrault sur l’ajustement budgétaire qu’il souhaite réaliser – alors même qu’il révise lui-même les prévisions de croissance à la baisse pour 2012 et 2013 , il y a désormais fort à parier que la France s’engage elle aussi dans un cycle à l’italienne.

Dans le fond, la vraie question à se poser désormais ne serait-elle pas de se demander pourquoi les dirigeants européens s’enferrent ainsi?

Première hypothèse : ce sont les institutions européennes qui produisent constamment du compromis et du plus petit dénominateur commun. Les mouvements ne peuvent être que millimétriques, par accrétion lente d’idées nouvelles qui ne suppose pas  d’abandonner les anciennes. En plus, l’usage d’un anglais simplifié dans les discussions n’arrange sans doute rien (voir pour un simple exemple, le petit bout de texte que je cite, pas très français, n’est-il pas?). Ce serait ici appliquer comme outil d’analyse la très vieille idée des anciens Romains : pour décider vite et bien, il faut un « dictateur » et non un Sénat, des Consuls, des Tribuns, de la « gouvernance ». Seule une personne peut avoir et mettre en place des idées nouvelles pour surmonter une situation inédite, pas un collectif d’institutions qui discutent sans fin et défendent leurs intérêts particuliers ou leur vision de l’intérêt général. L’Union européenne représente sans doute l’un des ensembles institutionnels créés par l’homme au cours de l’histoire le plus compliqué qui soit, il n’est guère alors étonnant que cela se passe ainsi.

Deuxième hypothèse : ces choix faits collectivement au niveau européen correspondent à une négligence de fait totale envers les intérêts de ceux qui peuvent être négligés parce qu’ils ont peu de poids politique. Par exemple, d’évidence, les jeunes, et surtout les jeunes  sans qualification, sont sacrifiés. Les 15-24 ans, qui sont actifs au sens des nomenclatures économiques, sont, comme chacun sait, parmi les catégories les plus touchées par le chômage en Italie, en Espagne, ou en France, mais, dans le fond, quel est leur poids politique, quel est le poids politique des parents de ces jeunes-là même pas capables d’étudier jusqu’à 25 ans, de devenir du capital humain? De ce second point de vue, loin d’être l’effet d’une aboulie de la décision, c’est bien une nouvelle économie politique européenne que ces accords européens mettent en place, où une grande partie de la population européenne  compte pour rien. On peut négliger certains – les aspirants travailleurs non-qualifiés par exemple -, pas d’autres – les épargnants -, et s’occuper (vaguement) de la masse des salariés.

Crise de l’euro : le nécessaire est-il possible?

Nous voici en train de rentrer dans un nouvel épisode de la crise de la zone Euro. Les Grecs n’ont pas encore revoté, que déjà le gouvernement espagnol donne des signes de détresse financière… Ce nouvel épisode n’est pas très étonnant. Le monde entier sait bien que l’Espagne a été le lieu d’une bulle immobilière, alimentée par un flux de capitaux étrangers. Tout le monde a pu voir dans un reportage télévisé les constructions inoccupées issues de cette folie des grandeurs, financée à crédit. Maintenant, l’addition est en train d’arriver, c’est logique. Du coup, les dizaines de milliards d’euros nécessaires à la non-faillite des banques espagnoles concernées virevoltent. De plus, le gouvernement espagnol ne veut pas être « humilié » par un plan d’aide UE/FMI de type irlandais, portugais, grec, roumain, hongrois, letton, etc., mais il voudrait bien de l’aide européenne tout de même. J’ose supposer que, comme tout le monde est tout de même raisonnable, les autorités européennes vont encore une fois trouver une rustine quelconque, un raccourci à la légalité douteuse, mais qui sauvera encore une fois la baraque européenne.

Plus intéressants sont les bruits, parus d’abord ce week-end, dans un journal allemand (die Welt) selon lesquelles pour le sommet européen de la fin du mois de juin, les autorités européennes (supranationales) seraient en train de préparer un plan global de sortie de crise, le plan de la dernière  chance en quelque sorte. Il y aurait à la fois un aspect technique sectoriel correspondant à une « union bancaire », qui reviendrait à faire de la surveillance bancaire, de la garantie des dépôts et du règlement des crises bancaires, une prérogative européenne (aspect sectoriel dont la presse anglo-saxonne avait déjà parlé, comme dans The Economist), un aspect plus général de politique économique et financière avec un approfondissement de tout ce qui a été déjà mis en place depuis 2008 en terme de coordination économique qui reviendrait de fait à communautariser tous les grands paramètres des politiques économiques structurelles (y compris les retraites…), et enfin un aspect politique pour couronner le tout, et pour surtout donner une onction démocratique à ce qui consisterait un  transfert majeur de souveraineté de la part des Etats membres aux organes communautaires.

Je ne doute guère que ces mesures de création d’une « Fédération de l’Euro » sous l’effet de ce qu’on peut assimiler du point de vue néo-fonctionnaliste  à un spill over  géant ne soient nécessaires pour permettre la survie de la zone Euro. La simple vérité qu’à une monnaie doit correspondre une autorité politique qui la garantisse, et qui en soit garanti, semble être passée dans les esprits. De toute façon, c’était le but à peine caché par certains de ses initiateurs de l’institution d’une monnaie unique, forcer à terme à l’instauration d’une Europe politique. Georges Soros dans une intervention au Festival de l’économie de Trente (Italie) donne cependant seulement trois mois aux dirigeants européens pour donner des preuves au monde qu’ils sont prêts aller vers cette apothéose de l’idée européenne : la vraie union politique – ou ce sera la fin. The End my Friend, the End. Die Götterdämmerung. Doomsday.

Mais, pour reprendre la formule qu’un collègue de l’IEP de Grenoble (Klaus Kinzler) m’a inspirée lors d’une conversation, le nécessaire (l’union politique) est-il possible?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela va être difficile… En effet, le déroulé même de la crise depuis 2008 a eu tendance à accentuer des tendances hostiles dans l’opinion publique à une telle évolution qualitative de l’Union européenne .

Tout d’abord, jamais auparavant depuis les années 1950, ne s’étaient autant exprimés aussi ouvertement dans l’opinion publique des rancœurs réciproques prenant pour cible d’autres Européens : imaginer une « Fédération de l’Euro » qui comprenne la Grèce et l’Allemagne après tous les mots doux échangés de part et d’autre suppose tout de même une bonne dose d’optimisme, mais sans doute faut-il oublier les offenses et savoir pardonner en bons chrétiens.

Au delà de ces rancœurs diffuses, il faut tenir compte des situations politiques nationales dans 17 ou 27 Etats, en plein milieu d’une crise économique majeure où l’Union européenne n’a guère joué aux yeux des populations un rôle bien positif. La zone Euro est tout de même en train de battre ses records de chômage ces temps-ci. Cependant, du point de vue des forces partisanes, la difficulté n’est sans doute pas insurmontable.  Comme je l’ai dit à plusieurs reprises dans ce blog, les grandes forces politiques dans tous les Etats de l’Union européenne sont pro-européennes;  de fait, elles ont tellement à perdre à l’échec du projet européen qu’elles ont soutenu, depuis les années 1950 parfois, que je parie qu’elles feront tout pour le sauver (et se sauver elles-mêmes par la même occasion). Cette réflexion s’étend d’ailleurs à tous les partis traditionnels de gouvernement en Europe : il n’est que de constater qu’un des plus ardents défenseurs d’un renforcement institutionnel de la zone Euro n’est autre que … David Cameron, ci-devant Premier Ministre britannique conservateur, à fortes tendances eurosceptiques avant d’être aux affaires de son pays…

La vraie difficulté me semble plutôt être du côté des électorats. Surtout, dans l’hypothèse où la solution serait d’instituer une « union politique » entre les Etats de la zone Euro et/ou de toute l’Union européenne, il serait très difficile, sinon impossible dans certains cas (Irlande, Danemark par exemple), de ne pas demander la ratification du choix des élites politiques en faveur de cette dernière par les électeurs. Cela risque d’être vraiment sportif.

Il me semble dans ce cadre d’appel aux électeurs que les dernières décisions de la Cour constitutionnelle allemande vont clairement dans le sens d’une obligation pour les autorités allemandes de demander désormais pour aller vraiment plus loin dans l’intégration européenne l’avis par référendum du peuple allemand sur la fin de son État national souverain au profit de son intégration dans la fédération européenne à venir. Les grandes forces politiques allemandes (CDU-CSU, SPD, Grünen) sont officiellement pour « plus d’Europe » si j’en crois les déclarations publiques de leurs responsables, mais personne ne peut dire qu’elle serait la dynamique d’une campagne référendaire demandant aux Allemands la fin de la République fédérale comme État pleinement souverain. Le succès immédiat de librairie du livre contre l’Euro de Thilo Sarrazin, Europa braucht des Euro nicht [l’Europe n’a pas besoin de l’Euro], en dit long sur une certaine humeur « isolationniste » outre-Rhin.

J’imagine aussi les difficultés de ratification d’un tel traité de « Fédération de l’Euro » en France. Probablement, le PS, lointain héritier de la SFIO et de l’internationalisme du XIXème siècle, serait prêt à aller uni à cette bataille avec les Verts pour alliés, mais que se passerait-il à droite? Déjà que certains ont accusé la gauche d’avoir fêté sa victoire à la Bastille en oubliant dans les placards de l’histoire les drapeaux français, je me demande ce qui se passerait s’il fallait sérieusement en finir avec la souveraineté pleine et entière de la France éternelle… La campagne référendaire serait sans doute animée.

Par ailleurs, cette « Fédération de l’Euro » sera symboliquement d’une faiblesse insigne. Elle ne sera au mieux qu’un expédient économique nécessaire. Aucune logique « sentimentale » ne la définira vraiment, tout à fait à l’image de la signalétique neutre  des billets de banque européens, contrairement à l’Union européenne elle-même, qui, si elle ne fait pas vraiment rêver grand monde, possède au moins le mérite d’avoir l’ambition d’unifier tout le continent européen. De plus, le statut de la langue anglaise comme lingua franca de la « Fédération de l’Euro » y sera d’autant plus étrange  qu’a priori seule l’Irlande utilise cette langue comme langue courante, et que, bien sûr, le Royaume-Uni sera marginalisé dans le fonctionnement de cette dernière. Il serait démographiquement logique de passer à l’allemand (parlé en République fédérale et en Autriche), mais là, pour le coup, je sens qu’il va y avoir des réticences de ce côté-ci du Rhin.

Enfin, la voie pour arriver à cette « Fédération de l’Euro » semble devoir être dans la foulée de ce qui a été fait depuis 2008 la résultante de choix pris dans des conciliabules d’experts par les exécutifs nationaux en charge des affaires. Vu l’importance de l’enjeu, on pourrait encore espérer à ce stade que les dirigeants nationaux innovent. De toute façon, s’il s’agit de faire de grands changements à l’architecture de l’Union européenne actuelle, il faudra convoquer une « Convention » avant de passer à la C.I.G. et aux ratifications nationales à l’unanimité des Etats membres.  Il faudra aussi régler une fois pour toutes le cas britannique, la Grande-Bretagne ne pouvant pas suivre de toute façon un mouvement vers plus de fédéralisme.  S’il s’agit de créer une entité, « Fédération de l’Euro », à côté de l’Union européenne actuelle, on pourrait imaginer d’autres formules que le simple traité entre Etats. Pourquoi ne pas faire élire une Assemblée constituante de la Fédération, de 600 membres par exemple,  à la proportionnelle intégrale sur le principe strict d’ un homme-une voix, sur des listes transnationales? On peut aussi suggérer un congrès des Parlements nationaux, qui aurait tâche de désigner en son sein une « commission constitutionnelle ».

Le problème dans toutes ces conjectures, c’est qu’elles ne reposent que sur une seule force, celle du spill-over, qui peut se résumer dans le slogan que tout le monde a déjà compris : « la fédération ou le chaos ». Or, à part quelques minorités actives, il n’existe pas de volonté réelle d’Europe,  entendu comme la volonté de créer quelque chose qui dépasse définitivement les Etats nations à la manière de ce que propose avec passion un J. Habermas. Il n’y a que la peur du vide, de l’aventure, du chaos.  Les populations concernées veulent, selon les sondages majoritairement conserver l’Euro, par peur de tout perdre lors de son abandon – comme l’a montré en France le peu d’écho de la proposition du FN en ce sens lors de la Présidentielle. Est-ce que cela peut suffire? Est-ce même légitime?

Ps. Dans un article de Frédéric Lemaître, « Impasse allemande, déni français », Le Monde, samedi 9 juin 2012, p. 15, le journaliste correspondant à Berlin cite un haut responsable français, qui aurait dit :  » ‘Le fédéralisme à la papa est dépassé,’ juge-t-on en France, » à propos des propositions allemandes en matière d’intégration européenne. Pierre Moscovici, cité dans la phrase qui précède,  parlerait de la nécessité d’une « intégration fonctionnelle » – ce qui renvoie à mon avis à la bonne vieille méthode communautaire et sectorielle qui n’est pas trop visible du grand public. Est-ce notre Ministre qui a prononcé la formule un peu insultante à l’égard des partenaires allemands? En tout cas, cela prouve qu’à Paris, certains pensent à un habile contournement des obstacles que j’évoquais. Puisque les populations européennes pourraient ne pas être d’accord pour faire un saut fédéral, il suffit de le faire sans lui donner les formes officielles du fédéralisme et en maintenant l’illusion de la souveraineté pleine et entière. L’éditorial de Bernard Guetta sur France-Inter ce matin 11 juin 2012 me parait aller dans le même sens. Un problème dans cette méthode de résolution technique des problèmes d’intégration européenne me semble être la présence désormais des marchés financiers mondiaux pour observer ce qui se passe. Si l’on pourra sans doute contourner les électeurs européens, pourra-t-on faire croire aux marchés financiers mondiaux que l’Euro est définitif sans créer, dans les formes connues par ailleurs dans le monde, une fédération dont un opérateur financier ordinaire américain, japonais, brésilien, etc. puisse comprendre le fonctionnement? Paradoxalement, ce sont peut-être les marchés financiers qui vont obliger les autorités européennes en venir à un fédéralisme aux yeux de tous, y compris des électeurs européens.

Si ce n’est pas un « diktat »…

A propos des décisions de l’Eurogroupe de cette nuit du 20 au 21 février 2012 à propos de la Grèce, il me semble que le mot de « diktat »  s’impose sans autre forme de procès. Le communiqué de l’Eurogroupe, malgré les précautions de langage d’usage dans ce genre de texte diplomatique, ne cache même plus que le gouvernement grec n’a plus d’autre choix que d’obéir à tout ce qu’on lui propose.

Dans l’ordre, d’apparition dans ce communiqué que les historiens étudieront sans doute non sans étonnement, le prédicat selon lequel les deux partis actuellement au pouvoir (PASOK et Nouvelle Démocratie) le seront de toute façon encore après les prochaines élections, et que donc leur engagement à ne rien changer au plan établi ce jour fait partie du plan lui-même (« the provision of assurances by the leaders of the two coalition parties regarding the implementation of the programme beyond the forthcoming general elections »). On ne saurait dire plus clairement à quel point les mécanismes démocratiques classiques sont suspendus sine die en Grèce. Je suis censé écrire un papier sur les liens entre élections et politiques publiques pendant la crise européenne, je dois dire que je suis découragé par tant d’évidence, il n’y a même plus de débat à avoir. « There is no alternative », voilà ce qu’on devrait graver sur tous les frontons de tous les Parlements d’Europe.

Ensuite, une terrible formulation qui signifie clairement que les membres de l’Eurogroupe savent bien que les citoyens grecs souffrent déjà beaucoup, mais qu’ils vont souffrir encore plus! « The Eurogroup is fully aware of the significant efforts already made by the Greek citizens, but also underlines that further major efforts by the Greek society are needed to return the economy to a sustainable growth path. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’aspect moralisateur de la crise en cours n’a pas fini de jouer. Traduction en français (un peu) vulgaire : « On sait que vous en avez  déjà un peu chié hein, les buveurs d’ouzo, mais vous n’avez encore rien vu, bande de fainéants, au boulot et vite, bande de nazes! »

Puis, une belle formulation pour dire que les autorités grecques sont sous tutelle, curatelle, assistance renforcée, surveillance, etc. des autorités européennes, sous la rubrique élégante de « a further strengthening of Greece’s institutional capacity ». Ce terme, qui dit exactement le contraire de ce qu’il prétend dire, revient à encourager la présence permanente à Athènes d’une mission de la Commission européenne. Elle surveillera toute la mise en œuvre des mesures exigées par la « troïka »  (« Task Force for Greece, in particular through an enhanced and permanent presence on the ground in Greece, in order to bolster its capacity to provide and coordinate technical assistance »). En clair, les institutions grecques ne décideront plus de rien, sauf formellement – ce qui revient bien sûr à les renforcer. C’est du pur Orwell! En d’autres temps, on appelait cela un proconsulat, un protectorat, ou l’aide internationaliste des pays-frères. Cela manque toutefois encore à mon goût un peu de style dans la mesure où on n’a pas encore nommé un « Haut-Commissaire à la Grèce », ou un « Résident Général », ou un « Gouverneur ». Cela manque vraiment de décorum – mais, là encore, c’est une constante de l’Union européenne (cf. les travaux de François Forêt sur ce point).

Pour finir, deux dispositions clairement vexatoires : une mesure technique visant à faire en sorte qu’en pratique les impôts récoltés aillent en priorité au service de la dette (« a mechanism that allows better tracing and monitoring of the official borrowing and internally-generated funds destined to service Greece’s debt by, under monitoring of the troika, paying an amount corresponding to the coming quarter’s debt service directly to a segregated account of Greece’s paying agent »), et une réforme constitutionnelle à adopter dans les deux mois donnant priorité au remboursement de la dette (« Finally, the Eurogroup in this context welcomes the intention of the Greek authorities to introduce over the next two months in the Greek legal framework a provision ensuring that priority is granted to debt servicing payments. This provision will be introduced in the Greek constitution as soon as possible. » – le lecteur remarquera que, comme pour les autres mesures vexatoires annoncées dans le communiqué de l’Eurogroupe, c’est toujours le gouvernement grec qui est censé les avoir proposées à ses partenaires).  Il est pour le moins piquant de voir les partenaires européens exiger des politiciens grecs une réforme constitutionnelle en urgence, alors même que ces derniers ont été bien incapables de faire jusqu’ici quoi ce soit à propos de dispositions de la Constitution grecque empêchant de taxer certaines catégories de revenus (les armateurs bien sûr). Sur cette disposition constitutionnelle, je me demande si elle ne contrevient pas aux engagements de la Grèce pris en signant la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui indiquait un droit fondamental à une aide sociale en cas de besoin. En pratique, cette idée que le remboursement de la dette passe avant toute autre dépense publique est effrayante. Ma femme a passé son enfance dans la Roumanie de Ceaucescu, quand ce dernier voulait rembourser les prêts contractés auprès du FMI au prix de la misère du peuple roumain. On notera que c’est l’actuelle majorité parlementaire qui est en charge de faire passer cette réforme constitutionnelle – voilà une bonne manière de signaler encore une fois aux électeurs grecs pour qui ne pas voter.

Le reste du communiqué énonce les dispositions proprement financières du plan (rôle du secteur privé, de la BCE, des  Etats membres, etc.) en donnant l’image d’efforts faits par les créanciers. Il réaffirme le but selon lequel la Grèce devrait atteindre un rapport dette publique sur PIB de 120,5% (sic) à l’horizon 2020, si tout se déroule comme prévu… (ce dont tous les économistes qui s’expriment sur le sujet doutent par ailleurs).

Face à un tel « diktat », j’hésite entre deux interprétations. Ceux qui ont exigé de telles mesures vexatoires (apparemment les Allemands, les Hollandais, et les Finlandais selon la presse) croient vraiment que la Grèce va s’en sortir ainsi par une vaste expérience d’ingénierie sociale, et que les autorités grecques présentes et futures vont gérer le pays selon les préceptes européens, et que tout cela va finir par fonctionner sur le plan économique. C’est certes possible,… si l’austérité ne mène pas entre temps à un écroulement de l’économie grecque. Ou alors, les mêmes sont en train de pousser à bout les demandes afin de les rendre inacceptables à l’électorat grec – pour ne pas parler de la « rue » grecque -, ceci en vue de rendre le pays ingouvernable et de le sortir de fait de l’Eurozone dans une situation où les banques  privées auront en fait déjà pris leurs pertes.

Si la seconde considération correspondait à la vérité, il faudrait repenser entièrement l’intégration européenne. En effet, si vraiment des élites gouvernantes de certains pays européens pensent sérieusement à sortir la Grèce de l’Euro, alors même que cette monnaie unique, comme le dit justement le nouveau représentant de la France au conseil des Gouverneurs de la zone Euro, est un projet éminemment fédéral dans son objectif final, cela signifierait en réalité qu’ils ne veulent en aucune façon des « Etats Unis d’Europe » à terme. De fait, nous nous trouverions dans la situation inverse que celle des États-Unis au moment de la Guerre de sécession :  il y eut un terrible conflit parce que les élites gouvernantes du nord de la fédération ne voulaient pas du tout que le sud de cette dernière s’émancipe de l’ensemble. Dans le cas présent, certaines élites du nord de l’Europe semblent bien dire aux Grecs que personne ne les retient, et que, s’ils veulent rester dans le club, ils ont intérêt à se racheter fissa fissa une conduite. Cette réalité se trouve sous nos yeux, mais elle devrait nous amener à de plus amples réflexions : quand une puissance s’agrandit ou s’unifie dans l’histoire, les périphéries sont invitées fermement par les élites du centre à rester dans le rang (y compris au prix d’une féroce répression des éventuels sécessionnistes) ; quand une puissance se racornit, s’écroule, ou simplement réoriente ses objectifs, elle laisse tomber ses conquêtes antérieures. Pour l’instant, les dirigeants européens font mine d’hésiter. Ils n’ont pourtant pas le choix. Abandonner la Grèce à son sort, c’est dire à la face du monde que l’Union européenne ne sera jamais – à l’échelle d’une vie humaine tout au moins – une puissance mondiale qui compte. En revanche, « aider la Grèce »  sous la forme de ce genre de « diktat » ne risque pas de rendre l’Union européenne très sympathique à ses peuples. Certes, pour l’instant, selon un sondage cité par Jean Quatremer sur son blog, les Grecs en veulent surtout à leurs politiciens, mais, dans quelques années, qui sait ce qu’ils en penseront?

Dani Rodrik, The Globalization Paradox. Why Global Markets, States, and Democracy Can’t Coexist.

Certains universitaires anglo-saxons me fascineront toujours pour leur capacité à produire des ouvrages qui se situent efficacement à mi-chemin entre un discours destiné à la communauté académique et un discours destiné au grand public cultivé. Dani Rodrik avec son The Globalization Paradox. Why Global Markets, States, and Democracy Can’t Coexist (Oxford : Oxford University Press, 2011) est de ceux-là.

Le livre est d’évidence fondée sur les travaux antérieurs de l’auteur (cités en notes et expliqués en langage ordinaire au fil de l’ouvrage), tout en proposant une mise en récit fort réussie qui rend la lecture aisée et vivante. Ce spécialiste d’économie politique internationale (EPI) se propose de penser ensemble les contraintes économiques et les contraintes politiques.  Il croit de fait pouvoir établir un triangle d’incompatibilité entre trois aspects du monde contemporain : la démocratie, la souveraineté nationale, et l'(hyper)globalisation économique. On peut avoir deux de ces aspects en même temps, mais pas les trois à la fois.

Pour faire cette démonstration et en tirer les conséquences, D. Rodrik n’est pas loin de reconstituer toute l’histoire économique de l’Occident capitaliste depuis le XVIIIème siècle. Il propose surtout une vision, classique de l’économie politique internationale, qui rompt avec l’idée que les affaires économiques (marché), les affaires juridiques (normes de droit = État souverain ou accords entre Etats souverains = condition de l’existence du marché) et les affaires politiques (État-Nation = rapports de force entre groupes au sein de ce dernier + division géographique de la Terre en souverainetés distinctes) peuvent être valablement traités de manière distincte. Le propos est donc fort riche, et je ne peux ici qu’en donner un aperçu pour encourager à le lire.

En résumé donc (cf. en particulier le chapitre 9, « The Political Trilemma of the World Economy », p. 184-206), si toutes les règles juridiques qui permettent d’établir un marché mondial pour les biens et les services se décident à travers un accord de toutes les nations (comme avec l’OMC actuelle), il y a fort à parier que tous les groupes dominés dans les nations dominantes  et les nations en retard de développement économique  au moment de l’établissement de l’accord vont y perdre toute possibilité de rétablir leur situation, pour les groupes au sein des Etats, par une protestation démocratique, ou, pour les Etats, par une politique protectionniste de défense des secteurs d’avenir.  D. Rodrik souligne en effet à de multiples reprises que les économistes standard ont tendance, d’une part, à sous-estimer les coûts d’ajustement aux effets de la libéralisation commerciale pour les perdants de cette dernière, et, d’autre part, qu’ils nient effrontément le constat historique selon lequel le décollage économique d’un État ne peut s’appuyer que sur une première phase protectionniste qui lui permet d’investir dans des secteurs d’avenir.

Au sein des Etats, pour que les perdants ne se rebellent pas contre le sort qui les attend avec la libéralisation commerciale, le mieux reste encore qu’ils n’aient pas la possibilité politique de le faire (avec un régime dictatorial ou un régime de suffrage censitaire sans pression populaire). Pour D. Rodrik (cf. chapitre 2, « The Rise and Fall of the First Globalization », p. 24-46), le régime d’étalon-or, qui a bien fonctionné au XIXe siècle, était typique de cet équilibre marché mondial / État-nation : si l’économie nationale devait connaître un ajustement en raison de quelque choc asymétrique, il suffisait de laisser l’étalon-or produire ses effets automatiques : sous sa douce et ferme pression, les salaires et les prix baissaient, et c’était tout! Il était alors inutile de recourir au protectionnisme : le marché mondial continuait à fonctionner. Le génie de J. M. Keynes est justement d’avoir compris et théorisé que ce mécanisme d’ajustement à la baisse des prix et salaires ne fonctionnait plus :  à son époque (années 1920), les pays occidentaux vivaient désormais en démocratie, ou, tout au moins, sous la pression des masses, et les perdants de l’ajustement (les masses de salariés ou de petits indépendants) pouvaient se défendre, soit par la voie syndicale, soit par leur vote, soit par l’usage de la violence. La conséquence ultime de cette pression des masses sur les gouvernants (y compris dans les régimes totalitaires fondés sur le soutien des dites masses, cf. aspects welfaristes du nazisme) n’est autre que l’écroulement progressif du marché international au profit du protectionnisme de tous les Etats au profit de leurs ressortissants et à celui de l’impérialisme des Etats qui avaient  les moyens de se réserver ainsi une part du marché mondial.

Pour D. Rodrik, la période 1945-1975 constitue ensuite celle d’un équilibre subtil entre démocratie, mondialisation et ambitions nationales. Le régime de Bretton-Woods / GATT permet en effet de rendre conciliable une (ré)ouverture mesurée et graduelle aux échanges internationaux de biens et de services entre nations et une vie démocratique nationale, où chaque pays choisit d’établir ses institutions propres (de sécurité sociale, de normes de sécurité alimentaire, de conditions de travail, etc.) pour répondre aux demandes des masses, tout en garantissant l’augmentation de la puissance de l’État via la croissance économique. En transposant au cas français, ce que ne fait pas l’auteur, c’est la synthèse gaulliste  des années 1960 : Sécurité sociale, SMIG, Marché commun, et Bombe atomique! La réussite est alors d’autant plus grande que les secteurs (essentiellement industriels) qui s’ouvrent de nouveau à la concurrence internationale sont justement ceux où les gains mutuels de l’échange se trouvent être les plus grands et où les distorsions de bien-être entre groupes de chaque nation suite à ces échanges restent limités. En somme, beaucoup de gagnants et peu de perdants.

La période actuelle s’ouvre dans les années 1980, moment où triomphe l’idée portée par les économistes néolibéraux que la libéralisation des échanges n’est pas allé assez loin pour soutenir désormais la croissance à venir et que les règles imposées à la finance internationale sont irrationnelles pour assurer une bonne allocation de l’épargne au niveau mondial. La période consiste donc à l’inverse à revenir à la situation, où, pour encourager la création d’un vrai marché mondial des biens, services et des capitaux, les nations s’accordent pour accepter des normes juridiques qui vident largement la démocratie au niveau national de son sens. Si les perdants des nouvelles normes juridiques qui ouvrent les marchés tiennent encore à se plaindre des conséquences négatives qu’ils subissent, ils se trouvent désormais face à des institutions politiques nationales qui ne peuvent plus répondre à leurs plaintes. Ces dernières ont bien  pris soin en effet de se  démettre de leurs prérogatives auprès d’instances non-démocratiques (du genre banque centrale indépendante ou « panels de l’OMC »). La démocratie (nationale), au sens de droit d’appel des perdants, se trouve vidée de son sens, mais, en revanche, le marché mondial triomphe et les Etats les plus habiles (par exemple la Chine) accumulent, grâce à la croissance qu’ils connaissent, de la puissance comme jamais. Il faut ajouter que, selon D. Rodrik, les gains marginaux liés à l’ouverture des échanges dans de nouveaux domaines ou selon de nouvelles normes dans des domaines déjà ouverts auparavant  sont décroissants en terme de richesses supplémentaires créées, tout en provoquant par contre des effets distributifs entre groupes sociaux de plus en plus puissants. (A ce propos, j’ai pensé dans l’actualité récente à l’ouverture du commerce de détail dans l’Union indienne aux investissements internationaux – ouverture proposée par le gouvernement indien, et repoussée temporairement suite aux vives protestations des commerçants indiens…)

Bref, D. Rodrik nous explique, après d’autres, comment nous sommes arrivés at the state we’re in. (Toute application de ce schéma à l’Union européenne serait pure malveillance de ma part…) Si on tient un tant que soit peu au bonheur du plus grand nombre, la situation ne semble pas vraiment optimale. Que faire alors? Bien sûr, face à cette situation, on pourrait rétablir la démocratie comme moyen de prendre en compte les intérêts de tous en la situant au niveau mondial où se créent les normes juridiques qui régulent le marché mondial, et on pourrait aussi imaginer une responsabilisation de ceux qui créent ces mêmes normes via un processus démocratique mondial à inventer. Le plus logique mais aussi le plus utopique serait alors de  créer une fédération mondiale qui ferait de fait disparaitre les souverainetés nationales. Le plus faisable est encore de renforcer une gouvernance mondiale où les perdants (groupes et Etats) aient vraiment beaucoup plus de voix au chapitre  – mais, dans cette hypothèse, D. Rodrik fait remarquer que les préférences des habitants des différentes nations restent très différentes, et qu’on risque donc de ne s’accorder au final que sur des règles minimales au niveau global.

Que reste-t-il alors à faire? Il propose de revenir à une vision plus modérée des gains de l’échange international et à une prise en compte démocratique de la voix des perdants au niveau national. Il faut revenir vers un compromis à la Bretton Woods / GATT, en abandonnant le mirage de l’hyperglobalisation comme panacée universelle, tout en admettant que le protectionnisme n’est pas non plus une panacée universelle. Il faut repasser d’une « globalisation épaisse » qui rentre dans les détails de l’organisation institutionnelle de l’économie de chaque État à une « globalisation fine » qui s’assure simplement que des échanges commerciaux ont lieu dans les domaines de plus grand intérêt mutuel.

Pour aller dans cette direction, il m’a semblé que D. Rodrik fait peser une large partie de l’avenir sur les épaules des économistes. En effet, ce sont eux qui justifient la nécessité absolue de l’hyperglobalisation pour faire le bonheur de l’humanité, et cela selon D. Rodrik, alors même qu’ils se rendent bien compte à travers leurs travaux que les choses ne sont pas aussi simples qu’ils ne veulent bien l’expliquer aux journalistes ou aux étudiants  (cf. p.61-66 en particulier).

Il faudrait donc au minimum que les économistes dans leur majorité reconnaissent que les effets distributifs de l’ouverture commerciale entre groupes sociaux d’un État sont bien plus pesants qu’ils ne le disent généralement face au grand public, que ces effets directs et indirects de l’ouverture commerciale méritent donc une discussion publique bien plus approfondie qu’actuellement à chaque fois qu’on se propose d’effectuer une libéralisation,  que les économistes admettent publiquement que toutes les spécialisations productives ne se valent pas du point de vue de leur potentiel de croissance future. Ainsi D. Rodrik fait remarquer que les économistes savent bien – ce dont tout le monde se doute bien –  qu’il vaut mieux se spécialiser dans des secteurs industriels plutôt que dans la mise à disposition de matières premières, dans l’agriculture ou les services (… à la personne ou de restauration…)  pour assurer un développement à long terme, mais qu’ils ne le clament pas trop fort. (Il est intéressant par ailleurs de voir D. Rodrik raconter comme il a essayé de donner des conseils au gouvernement sud-africain pour sauver son industrie dans le cadre des règles de l’OMC en essayant de jouer intelligemment avec les règles.)

En pratique, le message principal  de D. Rodrik est que chaque nation doit se voir reconnu de nouveau le droit de mener des politiques économiques et sociales au bénéfice de toute sa population, et non pas seulement de son État et de ses élites. (Cela n’est pas sans ressembler à la « démondialisation » proposée par le ci-devant candidat aux primaires socialistes Arnaud Montebourg.)

Bien sûr, pour qu’une telle transformation s’opère, je serais tenté de dire que les masses n’ont pas fini de devoir protester! Ou alors faut-il espérer/craindre que l'(hyper)globalisation s’écroule d’elle-même sous le coup d’une thrombose financière qui marquera le présent siècle ?

Enfin, si j’avais une critique à formuler à l’encontre du modèle de D. Rodrik, c’est qu’il ne spécifie pas assez ce qu’il entend par « nation ». J’ai largement reformulé dans ce présent compte-rendu en identifiant la « nation » aux intérêts géopolitiques des élites qui contrôlent l’État. En effet, comme le montre l’exemple du XIXe siècle, ou celui plus contemporain de la « Chinamérique »,  la libéralisation des échanges commerciaux et financiers est tout à fait compatible avec une augmentation de la puissance (militaire, impériale) des Etats, mais, semble-t-il, pas avec les dépenses sociales qui seraient nécessaires pour faire le bonheur de tous les assujettis.  Un peu le vieux dilemme du beurre ou des canons en somme.

Au total, le triangle d’incompatibilité de Rodrik est sans doute destiné à rentrer dans le vocabulaire courant des sciences sociales – je l’ai d’ailleurs déjà entendu dans la bouche de doctorants. Et c’est une bonne chose, même si c’est pour le critiquer comme il se doit.

Dehors les Britanniques…

Selon ce que les médias en disent ce matin, le sommet européen des 8/9 décembre 2011 s’est décidé pour un tout nouveau traité à 17 plus tous ceux qui voudront ce joindre. Le blocage de la révision des Traités à 27 tiendrait à l’attitude britannique, suivi seulement par le gouvernement hongrois.

Fort bien… dehors les Britanniques et les Hongrois, mais je me demande maintenant comment les juristes vont faire coexister deux traités traitant des mêmes choses (le Traité de Lisbonne et la législation dérivée qui en découle à propose de la gouvernance économique, et le nouveau traité entre les 17 de la zone Euro plus  les pays candidats à rejoindre la dite zone sauf sans doute la Hongrie, à propos de la même gouvernance économique). En effet, si le Traité à 27 reste en vigueur (sauf preuve du contraire...), toutes les dispositions de gestion de la politique économique à 27, et des pays de la zone Euro, restent par définition en vigueur. On vient d’ailleurs de les renforcer à travers les procédures normales à 27, et cela doit entrer en vigueur au début de 2012. Comment diable va-t-on rendre compatible l’existence de tous ces textes déjà là avec un nouveau texte qui disposeraient les choses, sinon autrement, du moins parallèlement? La presse britannique indique par ailleurs que, logiquement, le gouvernement britanniques refuserait que les institutions à 27 soient utilisés pour faire fonctionner ce traité à 17 et plus. De deux choses l’une, soit il faut construire ex nihilo une sorte d’Union-bis restreinte cependant à certaines questions budgétaires, soit on se raccorde quand même, avec l’accord des Britanniques et des Hongrois obtenu lors des négociations de ce jour, à l’Union actuelle, et, là, on va se faire rire : il y aura la Commission en formation pour les 27 et pour les 17+, le Parlement européen en formation à 27 et à 17+, etc. On voit mal en effet les ressortissants britanniques participer aux fonctionnements liés au nouveau traité.  Normalement, il y aurait la solution d’une « coopération renforcée », mais cela suppose à première vue l’accord des Britanniques et des Hongrois, et là encore, les façons d’agir préconisées dans la coopération renforcée peuvent-elles contredire celles déjà actées dans les traités à 27 ?

En tout cas, l’idée d’un nouveau traité qui doublonne et sur certains points comme la manière d’aboutir à des sanctions (automaticité ou pas?) contredise les textes à 27 atteint le summum du baroque.

Il va aussi être difficile de prétendre en Irlande qu’il s’agit d’un petit traité de rien du tout qui n’engage à rien, puisque les voisins britanniques en font tout un plat (de lentilles?)… d’où référendum  ou déni patent de démocratie!

Jean-Louis Bourlanges, ce matin sur France-Inter, a lui aussi noté ce point de complexité juridique, tout en indiquant que le sommet européen devrait le résoudre aujourd’hui. Nous verrons donc dans les conclusions de ce sommet à 27 ce qui a été décidé.  Des juristes imaginatifs vont bien trouver une solution élégante. Du moins, je l’espère.

Ps 1. La situation s’est un peu décantée au fil de la journée : la délégation britannique semble être finalement la seule à refuser vraiment une modification des traités en vigueur et sa participation à un nouveau traité. Le texte diffusé, par le Conseil européen, sous le titre « Statement by the Euro Area Heads of State or Government », ainsi que les déclarations du président du Conseil européen, Herman Von Rompuy, laissent entièrement ouverte la question proprement juridique du comment faire entrer en vigueur de telles modifications de la gouvernance économique de la zone Euro. S’ils évoquent un nouveau traité ad hoc, les membres de la zone Euro et H. van Rompuy déclarent aussi vouloir inscrire dans les Traités de l’Union dès que possible, et tout le langage des déclarations fait allusion aux organes et fonctionnements actuels de l’Union européenne. Je crois bien que nous voyons se créer sous nos yeux une nouvelle forme de révision des traités, celle voulue par une quasi-unanimité. Les développements juridiques et politiques sur ce point seront passionnants.

Par ailleurs, les décisions du sommet des 8/9 décembre 2011 confirment que tous  les gouvernements présents restent prisonniers d’une vision économique qui fait de l’austérité budgétaire un sine qua non de la politique économique à mener dans l’avenir. On passerait d’un critère de Maastricht de 3% de déficit annuel autorisé, à un nouveau critère (idéal) de 0,5% – c’est dans le fond logique pour stabiliser l’endettement si l’on se prépare à une période de croissante très lente… Le très généreux 3% de Maastricht était encore un souvenir des « Trente Glorieuses ». Si tous les pays vont réellement dans la direction indiquée de « zéro déficit », les années 2012 et suivantes vont être celles d’une stagnation européenne des plus réussies…

Le sommet a en plus  souhaité exonérer entièrement les créanciers (en particulier les banques) de tout effort. Il seront payés rubis sur l’ongle. Herman von Rompuy a apparemment été chargé de faire passer le message le plus clairement possible à la communauté financière : vous ne risquez plus rien, la Grèce était une exception. Du coup, c’est assez amusant de voir les résultats de ce sommet présentés comme une « victoire allemande » : il me semblait pourtant que c’était A. Merkel qui avait insisté il y a un an pour que les banques et autres créanciers y soient de leur poche dans le cas de la Grèce – et ce sur les instances de son opinion publique et de son Parlement. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le présent accord revient à entériner le pouvoir de la finance sur les Etats. C’est un « choix social » comme disent les économistes… L’euthanasie des rentiers n’est pas pour demain.

Bref, tout cela est foncièrement enthousiasmant… je m’en vais finir mon whisky…

Ps 2. Où va-t-on? Jacques Attali fait un commentaire sur l’accord du 8/9 décembre 2011, que je pourrais partager. J’ai honte. Il souligne, lui l’ancien banquier international public, que tout cela ne profite au final qu’aux banques commerciales.

Ps 3. Il semble que des juristes allemands, cités par la FAZ, commencent à se rendre compte que le nouveau traité proposé est un monstre juridique. Cette solution adoptée pour contourner le pouvoir de négociation (ou de veto si l’on veut) des Britanniques sera au minimum considérée par certains commentateurs comme joyeusement baroque, au pire finira par s’échouer dans les eaux de la légalité à respecter (tout de même).

Ps 4. L’économiste Alexandre Delaigue, lui aussi, n’est guère convaincu par cette remise au goût du jour de l’esprit de Maastricht. Cela n’a pas marché avant, cela ne marchera pas ensuite. (Ou alors, en reprenant son idée d’une victoire de la BCE, cela peut marcher justement parce que cette dernière va se substituer aux marchés financiers dans l’évaluation du risque-pays, et parce que c’est elle qui fera en fait varier les taux d’intérêt de la dette publique de chaque pays de la zone Euro, mais le problème est alors que cela va finir par se voir!).

Perplexité européenne

A découvrir dans la presse,  par des fuites venues de sources plus ou moins indiquées comme proches des autorités, ce qui se concocterait dans les coulisses de la négociation européenne au sommet, je dois dire que j’y perds un peu mon latin, et je me demande si tout cela n’est pas de l’ordre du rideau de fumée.

Maintenant, on parlerait de créer des « eurobligations », mais seulement entre les pays  de la zone Euro, notés AAA. Je ne vois pas bien ce que cela apporterait (en dehors d’une plus grande taille du marché de ces titres), sinon de diviser officiellement la zone Euro en bons et en mauvais risques.Très malin comme idée, les Italiens, Espagnols et autres vont apprécier au moment même où ils promettent de faire tout ce qu’on leur demande pour restaurer leur crédibilité. Et la France, où se situe-t-elle dans ce cas-là?

On parle d’un renforcement (encore une fois) du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Déjà, j’avais cru comprendre qu’un tel renforcement avait déjà été envoyé dans les tuyaux de la législation européenne ordinaire sous forme de réforme du PSC de 1997, révisé 2005, et que ces mesures se trouvaient dans un état très avancé dans leur processus d’approbation. Sauf erreur de ma part, ces réformes de la gouvernance économique, avec quelque chose comme le « semestre européen » par exemple, risquent déjà à l’usage de ne pas passer inaperçues auprès des opinions publiques nationales. Elles n’ont cependant même pas encore été mises en application, qu’on songe déjà à autre chose de plus corsé. Pour ne pas parler de la fameuse « règle d’or budgétaire » que la France est bien incapable à ce stade d’adopter (contrairement à l’Espagne par exemple)… sauf illumination christique du PS, qui verrait saint François aller sauver le grand pêcheur Nicolas de la panade où il s’est mis à coup de « paquet fiscal », « grand emprunt » et autre « TVA réduite sur la restauration ». Plus gribouille que cela, tu meurs! Ou est-ce une resucée du « Pacte Euro+ » déjà annoncée cet été par « Merkozy »? Avec de bonnes vieilles réformes structurelles à la clé, qui feraient de tout le domaine économique et social, y compris dans les détails qui fâchent le populo, une prérogative de l’ensemble (enfin de quel ensemble? de l’Union à 27, de la zone Euro, d’autre chose de plus restreint?) A ce propos, on fait quoi : on s’aligne sur l’Allemagne en supprimant le SMIC bien trop élevé en France, ou on introduit un SMIC commun de part et d’autre du Rhin à un niveau compatible avec la décence (minimale) à la française. Si on veut rendre similaire les conditions de travail et de rémunération des deux côtés du Rhin, il va falloir aussi penser à aligner les conditions de consommation et de logement des salariés. Il va falloir abandonner le rêve d’une « France de propriétaires », et il va falloir introduire une vraie concurrence entre distributeurs pour faire baisser les prix à la consommation de ce côté du Rhin. C’est les Auchan, Carrefour, Leclerc et autres qui vont aimer, et, là, si j’ose dire, il y a de la marge.

On parle d’un nouveau traité ad hoc entre les 17, mais j’ai bien peur qu’il en soit déjà question depuis un moment depuis qu’on veut pérenniser le FESF en MES, ou alors s’agit-il de faire coexister deux nouveaux traités, celui sur le FESF/MES, déjà signé, concernant les 17 de la zone Euro, et envoyé en principe dans les tuyaux d’une ratification, et celui sur l’Union de stabilité  évoqué ces jours-ci qui lui, si j’ai bien compris, ne concernerait peut-être qu’une partie des membres de la zone Euro (à savoir les gens sérieux) prêt à accepter la potion hardcore des réformes et de la gestion à l’allemande. Le Figaro laisse même entendre que ceux qui ne voudraient pas signer ce nouveau Traité se mettraient d’eux-mêmes hors de la zone Euro. Plus fantastique encore, selon une dépêche prétendant faire le point sur ces affaires, j’ai vu entrer en jeu le Traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne. Cela me rappelle l’idée d’il y a quelques années un temps évoquée d’une fusion des Etats français et allemand. La créativité finit parfois en délire.

Cela part vraiment dans tous les sens, et je dois avouer que, si j’étais un analyste financier basé à Hong-Kong ou à New York, je trouverais cela éminemment bordélique – enfin, je suppose que j’utiliserais le terme adéquat dans ma langue. Tout cela manque de clarté et de logique, et cela ne semble correspondre qu’à de nouvelles rustines qui ressemblent aux précédentes. Cela commence à me faire penser à des promesses d’ivrognes. Je veux bien que la zone Euro soit une création originale dans l’histoire universelle, mais, comme tout le monde comprend qu’il faut une autorité politique commune pour la gérer, comment la crée-t-on? Il n’y a pas mille moyens.

En tout cas, tous ces bruits de couloir font ressortir l’absence totale de prise en considération des critères démocratiques  – sinon, justement, en creux sous la forme d’un déphasage prononcé avec ces derniers. Surtout pas de référendum, et, désormais, surtout pas de lenteurs démocratiques liés à des Traités trop compliqués à modifier. Je me demande d’ailleurs si l’Union de stabilité évoquée, qui ne serait ouverte qu’à quelques pays élus, ne serait pas destiné à contourner l’écueil démocratique irlandais sans que le détour soit trop apparent.

Ces jours-ci, sans doute sous le coup d’une fatigue de fin de semestre, je commence à me demander si mon raisonnement général sur la zone Euro n’a pas oublié une variable intermédiaire. Les politiciens de la zone Euro veulent sans aucun doute la sauver, ils feront tout pour la sauver, mais  leurs conseillers sont-ils  assez  doués pour trouver la bonne formule? Inventer midi à quatorze heures, c’est bien, c’est subtil, cela permet de trouver un compromis entre les contraintes des uns et des autres, cela permet un consensus, mais, à la fin, cela peut finir par ne pas marcher à force de subtilités.

Ou, alors, s’agit-il pour les autorités allemandes de prouver à leur opinion publique qu’elles auront tout tenté pour éviter d’avoir à admettre in fine un rôle de sauveteur de la BCE? Serait-ce une forme extrême de « blame avoidance » de la part de la Chancelière Merkel?

A-pic démocratique : un référendum, parbleu!

J’expliquais, il y a quelques jours, à mes étudiants que les dirigeants européens ne voulaient plus entendre parler de référendum sur les questions européennes depuis les désastreuses expériences  en la matière des années 2000. Mes étudiants s’étonnaient de ma ferme conviction sur ce point (fondée sur l’observation des faits et gestes des dirigeants européens depuis 2005). Je dois dire que les dernières quarante-huit heures ont confirmé mes dires au delà même de mes espérances ou de mes craintes. Les premières réactions à l’annonce par le Premier Ministre grec qu’il demanderait l’organisation dans son pays d’une consultation populaire pour avaliser le plan de sauvetage de la semaine dernière (qui ne m’a pas paru par ailleurs fort différent en substance de celui du 21 juillet…) ont été édifiantes. Je ne donnerais pas de noms, mais j’en ai entendu certains divaguer sur l’irresponsabilité foncière des peuples et des électeurs de belle manière. C’est sûr la démocratie, c’est pénible, on doit parfois demander leur avis aux gens ordinaires qui, d’évidence, n’y connaissent rien. Regardez dans quel état sont ces malheureux Suisses avec leurs votations constantes…

La déclaration du Président Sarkozy sur le perron de l’Élysée (apparemment nous n’avons déjà plus les moyens de nous payer un porte-parole…) était un joyau en ce sens : tout en reconnaissant que c’est toujours bien de consulter le peuple (il a dû se rappeler à temps qu’il est le Président d’une Cinquième  République fondée à grands coups de référendums… contre l’odieux « régime des partis ») , la suite de la phrase clé du Président affirmait le contraire en insistant sur les « efforts nécessaires ». En clair : « There is no alternative. »

J’ai lu par ailleurs que les gouvernements français et allemands voudraient pouvoir influer sur la nature et la formulation de la question posée au peuple grec. On croit rêver, on se trouverait là en plein diktat. Si l’on veut avoir le soutien du peuple grec au plan européen, il faut déjà laisser ses institutions fonctionner librement et poser la question jugée idoine en interne. On convoque en plus le Premier Ministre grec à Cannes comme un vassal rétif pour d’évidence lui passer un savon. Et s’il se rebellait? et s’il leur disait leur quatre vérités? On ne sait jamais avec ces gens-là… Il ne manquerait plus qu’il déballe toute l’histoire.

Heureusement, quelques esprits plus fins que les autres, en l’occurrence Pascal Lamy, l’actuel directeur de l’OMC, ont déjà pris soin d’accepter le défi d’un tel référendum au nom même de l’esprit européen. Un Pascal Lamy, qui certes n’est pas actuellement un dirigeant européen, a bien compris qu’il est impossible de faire fi de toute l’armature démocratique qui est censée donner une légitimité aux décisions politiques qui gouvernent la vie des Européens.

Par ailleurs, les dirigeants européens ne devraient pas être si surpris que cela : le Premier Ministre grec avait déjà évoqué l’idée d’un référendum. Pas sur le plan européen de sauvetage certes, mais sur les institutions grecques. Cependant, l’idée était  sans doute la même : lors de sa victoire électorale de 2009, le PASOK n’avait pas reçu mandat du peuple grec de s’atteler à ce qu’on peut – en étant optimiste –  appeler une refondation complète du système économique et social grec. Il a découvert le gouffre financier en arrivant aux affaires. Il a accepté de mettre en place des plans d’austérité à répétition sur les instances de ses partenaires européens, plans qui, d’évidence, sont en train d’entraîner l’économie grecque dans une spirale récessive. On lui demande désormais d’abdiquer (au moins temporairement) une grande part de sa souveraineté en matière économique et sociale avec l’idée d’une présence permanente de surveillants européens/internationaux à Athènes. Il est du coup logique que le Premier Ministre grec cherche à faire approuver son action (douloureuse à court terme) par une (nouvelle) majorité du peuple grec – d’autant plus que la rue est en fureur, les oppositions peu conciliantes, et la presse grecque peu convaincue par son action. Le Premier Ministre grec pourrait certes s’en passer, en se limitant à disposer d’une majorité parlementaire, mais cela veut dire en pratique se diriger vers une fin à la polonaise ou à la hongroise du socialisme grec (autrement dit, moins de 10% des voix à la prochaine élection). Imagine-t-on le Général De Gaulle abandonner l’Algérie sans avoir l’assentiment du peuple français?

De même, le Premier Ministre grec va demander une nouvelle fois la confiance de son Parlement. Quoi de plus normal dans une démocratie représentative en cas de crise majeure? S’il ne passe pas cette épreuve, il faudra bien respecter le procédures démocratiques grecques.

De fait, ce nième rebondissement de la crise grecque devrait surtout signaler aux dirigeants européens qu’ils font totalement fausse route dans leurs choix économiques. On retrouve la bonne vieille conviction de J. M. Keynes selon laquelle ajuster les salaires nominaux à la baisse constitue une opération politiquement dangereuse – car, dans le fond, c’est de cela qu’il s’agit ici, ramener le Grecs à un niveau de salaires  nominaux compatibles avec leur productivité (directement par des baisses de salaires et indirectement par l’action d’un fort taux de chômage sur les prétentions salariales des entrants sur le marché du travail grec) . Il se trouve que cette opération de rétablissement de la compétitivité-prix du pays se passe  d’autant plus mal qu’elle est accompagnée parallèlement d’une hausse de la taxation et d’une persistance de l’inflation à un niveau relativement élevé. C’est trop à supporter pour les Grecs ordinaires.

En voyant ces soubresauts, je me dis que cela commence à ressembler à la situation des années 1970. Le passage du « référentiel » keynésien au « référentiel » néo-libéral en matière de politique économique et sociale ne s’est pas fait quelques petites années. Il a fallu toute une série de troubles économiques et sociaux sur près d’une décennie pour que l’on passe de l’un à l’autre. La Grèce joue dans ce scénario un peu le rôle du Royaume-Uni dans les années 1970 : on y applique des anciennes méthodes (keynésiennes dans les années 1970, néo-libérales dans les années 2010) avec de moins en moins d’efficacité, on persiste dans l’erreur, on évoque (un peu) d’autres voies, on s’approche doucement mais sûrement de troubles politiques graves (dans les années 1970, des rumeurs de coup d’État avaient circulé au Royaume-Uni). On ne souvient pas assez que le passage d’une régulation du capitalisme à une autre prend du temps. Beaucoup de temps à l’échelle d’une vie humaine ordinaire.

En même temps, comme je reste convaincu que les dirigeants européens feront tout pour sauver l’Euro (et leur peau avec! car c’est de cela qu’il s’agit!), ils vont bien finir par trouver la solution : changer de vision économique et sociale. Il est d’ailleurs significatif qu’enfin, des voix se font entendre pour tout simplement faire de la BCE une banque centrale ordinaire, autorisée à refinancer sans limites « ses Etats ». Cela ne va pas être facile, mais je suppose qu’on finira par en arriver là, car je vois mal les dirigeants des grands partis de gouvernement choisir le suicide politique.

Ps 1. Aux dernières nouvelles, le Premier Ministre grec serait acculé par son propre gouvernement et sans doute par son propre parti, le PASOK, à revenir sur son intention de proposer un référendum. Il s’agit sans doute de sauver sa majorité demain à la chambre des députés. Si cela se confirme, l’épisode aura été bref, mais significatif des positions des uns et des autres. Fédéralistes et souverainistes veulent laisser parler le peuple, les intergouvernementalistes qu’il se taise. Configuration intéressante tout de même.

Ps 2. Bien qu’il vienne à peine d’entrer en fonction, Mario Draghi a annoncé une petite baisse du taux d’intérêt de la BCE (0,25%). Ce n’est bien sûr pas sa décision, mais celle du conseil des gouverneurs de la BCE. En tout cas, la passation de pouvoir entre Trichet et Draghi n’a pas imposé de nier plus longtemps la réalité du ralentissement économique. Un (petit) ouf.

Dramatisation européenne, ou panique européenne?

Comme me le demandait hier un collègue, comment est-ce que je me tiens au courant de l’actualité européenne? Tout simplement, lui ai-je répondu, en allant surfer sur les divers sites de la presse européenne dont je comprends la langue, sur quelques blogs ou sites spécialisés, et aussi en utilisant le site créé pour faire circuler les informations européennes parues dans la presse papier, j’ai nommé le site Presseurope. Ce site multilingue, géré par Courrier international depuis Paris, et sponsorisé par la Commission européenne, fait  remarquablement bien son travail. Il se trouve être en plus  gratuit d’accès. (Du point de vue de l’économie de la presse, c’est sans doute un autre désastre, puisque le lecteur se voit offrir l’occasion de lire des articles de valeur sans débourser un sou, et sans subir de publicité en plus).

Ceci étant, à travers ces sources « ouvertes » comme diraient les adeptes du renseignement, j’observe depuis au moins la « chute de la maison Dexia » une énorme montée en puissance de ce que je ne sais pas trop qualifier : dramatisation ou panique de la part des autorités européennes?

Comme je l’ai dit avant-hier mardi à mes étudiants, d’un certain point de vue, certains acteurs (dont pas plus tard qu’hier Nicolas Sarkozy) présentent le sommet européen du 23 octobre comme le moment où il faudra « sauver le monde » de l’apocalypse, avec en plus une option sur un deuxième moment de rédemption, le sommet du G20 de Cannes quelques jours plus tard. Il me semble même avoir entendu notre Président faire allusion à une fin de l’Euro à éviter à tout prix, car celle-ci mènerait ensuite inévitablement à la guerre sur notre continent…  L’allusion à la crise des années 1930 est patente, mais elle oublie avec une vigueur des plus consternante toutes les autres considérations contextuelles qui ont mené à la Seconde Guerre Mondiale. Même si je choisis la comparaison la plus eurosceptique qui soit, en mettant sur le même plan, la dissolution de l’Union soviétique en 1990-91 et celle encore à venir de l’Union européenne en 2012, je peux certes imaginer que des conflits localisés pourraient se développer, conflits largement antécédents à la crise (par exemple, indépendance du Pays Basque, de la Flandre, ou de la Catalogne), mais un conflit général en Europe, pour des motifs internes à cette dernière, me parait à tout prendre comme une fantaisie absurde, aussi crédible que le débarquement la semaine prochaine de Martiens sur la Grand Place de Bruxelles. La cathédrale de Strasbourg ne devrait donc pas être menacé dans l’immédiat par l’artillerie germanique… Cette fantasmagorie de la guerre en Europe, d’ailleurs déjà utilisée quelques semaines auparavant par un politicien polonais, doit sans doute être vue d’abord comme un outil de dramatisation pour ne pas trop laisser réfléchir les populations et les simples élus nationaux d’ailleurs (cf. le vote de nos députés sur le sauvetage de Dexia) sur ce qui est en train de se passer. En effet, prendre des décisions majeures pour l’avenir de l’Union européenne à l’arrachée possède le mérite de clore toute discussion, pour ne pas parler d’une quelconque participation de l’opinion publique, avant même de l’avoir engagé.

En effet, si j’en crois ce que je peux lire comme rumeurs relayés par la presse européenne sur ce que le sommet européen du 23 octobre devait décider, on se trouverait entre le lourd et le super-lourd (transformation du FESF en banquier central bis ou en assureur universel des Etats de la zone Euro, création d’un super-Commissaire européen, recapitalisation des banques à un niveau élevé,  « vraie-fausse » faillite « ordonnée » de la Grèce à… 30, 40, 50, 60… de décote nominale, révision des Traités, etc.) . Quand on se rappelle qu’il y a quelques années, les pays européens pinaillaient pour l’établissement d’un budget pluriannuel 2007-2013 de l’Union européenne, situé autour de 100-120 milliards d’euros par an (soit 700-800 milliards sur cette durée), et qu’on parle ici de discussions qui portent :

a) sur des sommes à mettre au pot commun qui atteignent selon les sources les 1000, 1500, 2000, qui dit mieux?, toute la dette publique de tous les pays de la zone Euro? ;

b) sur un contrôle de l’ensemble des masses budgétaires de tous les Etats membres de la zone Euro,

on ne peut que mesurer le saut qualitatif en train de s’opérer sous nos yeux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aucune des solutions évoquées dans la presse ces jours-ci n’aura connu  le moindre début de débat argumenté dans l’opinion publique, en dehors des tribunes qui se multiplient de la part d’économistes continuant inlassablement leur concours Lépine de « ma solution à la crise de la dette, c’est… » . Cela va être dimanche soir « le lapin qui sort du chapeau », pour impressionner les « marchés ». En plus, à en juger des épisodes précédents, il ne faudra pas compter, ni sur les procédures législatives des Etats membres, ni sur le contrôle de légalité par les Cours constitutionnelles, pour revenir sur ce qui aura été décidé lors du sommet européen du 23 octobre. Les « indignés » auront beau s’indigner, les éditorialistes éditorialiser, les blogueurs perdre leur temps à analyser, les juristes et les économistes tordre le nez, il faudra avaliser les décisions du Conseil européen, puisque cela sera cela ou la guerre!

Il faut ajouter à cela qu’à l’occasion de cette crise, l’observateur sur le moment subit la douloureuse impression que l’acronyme « Merkozy » est destiné à rester dans l’histoire. Tous les autres membres de la zone Euro et de l’Union européenne semblent destinés à entériner ce que « Merkozy » a décidé. C’est, je l’espère, une impression fausse. En effet, l’histoire comparée des fédéralismes aurait tendance à montrer que les fédérations fondées sur seulement deux entités fédérés majeures (ex. Autriche-Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) tendent à la dissolution, alors que les fédérations fondées sur un nombre élevé d’entités de poids politique pas trop divergents s’avèrent plus durables (ex. Suisse, États-Unis, Union indienne). Une zone euro qui ne serait qu’un condominium franco-allemand ne serait pas une construction très raisonnable, or c’est l’impression désagréable que donnent les récents événements .

L’autre hypothèse, plus gênante encore, serait tout bonnement que nos dirigeants se laissent aller à un sentiment qu’ils ne devraient pas connaître en principe : la panique. Il est vrai que la (probable) dégradation de la note de la dette française par les agences de notation, qui se profile, rend caduque toute l’architecture actuelle du FESF. En effet, le statut sur les marchés financiers des titres émis par le FESF, censés permettre un refinancement à bas coût de toutes les opérations de colmatage qui lui sont désormais autorisées, dépend de la qualité de ses deux grands garants : la France et l’Allemagne. S’il ne reste plus qu’un grand garant avec la note AAA, l’existence du FESF revient à dire que le contribuable allemand se porte caution du remboursement de la dette de (presque) tous les autres pays de la zone Euro. Absurde. Bien sûr, la France pourrait se lancer dans une politique de rigueur à la grecque ou à la britannique,  pour préserver son triple AAA, mais, au delà du danger de troubles sociaux que cela représenterait, et du suicide politique de la majorité actuelle que cela suppose à six mois d’une élection majeure (baisser les revenus des retraités en alignant leur CSG sur celle des actifs par exemple…), il va de soi, qu’au vu des caractéristiques de l’économie française (avec le poids que tient la consommation des ménages dans la demande), on aurait ainsi la certitude de plomber définitivement la conjoncture européenne pour l’année 2012. Bref, il y a peut-être de quoi paniquer.

Pour être un peu optimiste, on peut imaginer que dramatisation et panique se combinent pour aboutir à un coup politique majeur, un total gambit. Lequel? (Une coopération renforcée autour de la seule zone Euro? ) On verra.

Pour participer, moi aussi, au concours Lépine des solutions (foireuses? utopiques? irréalistes?), je suggérerais volontiers d’annoncer que le Parlement européen est investi de la mission de rédiger sous six mois une Constitution fédérale pour l’Union européenne, que l’ensemble des peuples des pays de l’Union soient ensuite amenés à voter (le même jour si possible) sur cette Constitution en septembre 2012, que les peuples qui n’approuveraient pas  cette dernière (par exemple nos amis anglais…) sortiraient de l’Union au 1er janvier 2013, que si trop peu de peuples approuvent le projet, l’Union européenne sera dissoute à la même date. (On peut imaginer une autre option, simplement en passant par la procédure ordinaire de révision des traités, mais l’idée est ici de frapper les esprits : la fédération ou la fin de l’Union européenne.) C’est un peu le coup de force, mais au moins cela nous évitera de voir imposer la même chose aux populations concernées sans qu’on leur demande leur avis et sans que personne n’ait eu à justifier publiquement de la bonne architecture à adopter pour l’ensemble des affaires européennes.

Ps. Cela semble se  durcir entre Français et Allemands. (A quand la guerre?) Un communiqué franco-allemand a été diffusé hier soir. Le sommet européen de dimanche 23 octobre 2011 n’a pas été annulé, mais il a été doublé par un autre sommet européen le mercredi 26 octobre 2011. Serait-ce qu’enfin les autres pays européens veulent avoir leur mot à dire? Zapatero et Berlusconi se plaindraient des décisions qui s’ébauchent. Il semble plutôt que ce sommet « à deux lames »  soit plutôt lié aux contraintes parlementaires d’Angela Merkel, qui s’est rappelé qu’elle ne peut engager la signature de l’Allemagne de sa seule propre initiative (contrairement à notre Prince-Président, qui peut signer tout ce qu’il veut). En tout cas, l’annonce faite par un communiqué commun franco-allemand du nouveau sommet après le sommet prévu le 23 outrepasse toute pudeur européenne. Les « Merkozy » auraient au moins pu demander à von Rompuy de faire sous son nom le dit communiqué. Il m’avait semblé que le Président du Conseil européen possédait ce rôle d’organiser les travaux de ce dernier. Il doit bien avoir au moins un attaché de presse. J’espère qu’un dirigeant européen aura dimanche le courage de dire leur fait aux « Merkozy » et de faire un rappel à l’ordre à l’étiquette européenne.

Ps2. Allez lire sur Presseurope l’article de Brigitte Fehrle paru originellement dans le Frankfurter Rundschau (cf. version originale). Cela peut faire comprendre au lecteur français le niveau des réticences allemandes. Vous remarquerez qu’elle aussi s’affole des montants évoqués qui augmentent de semaine en semaine.