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Bilan (personnel) des départementales 2015 : la routine (éternelle?) de la Ve République.

Dans la métropole de Lyon, nous n’étions pas invité à voter pour les départementales de mars 2015, puisque ici les compétences du département et de l’intercommunalité ont été dévolues depuis le 1er janvier 2015 à l’assemblée intercommunale élue l’année dernière à travers les municipales. Je n’ai donc pas pu suivre en direct une campagne départementale, et je n’ai eu finalement accès qu’aux résultats de ces départementales tels qu’ils ont été diffusés par les médias nationaux.

Contrairement aux commentateurs qui en ont souligné les nouveautés (parité, percée du Front national au premier tour, implantation nationale de ce dernier, effondrement de la gauche en général, etc.), je reste frappé par la normalité des résultats si on les examine dans la perspective longue de la Vème République.

Premièrement, comment ne pas voir qu’il s’agit d‘élections intermédiaires classiques désormais pour une Vème République complètement incapable depuis la fin des « Trente Glorieuses » de mener des politiques publiques qui satisfassent des majorités durables d’électeurs ? Comme d’habitude, en particulier avec le chômage de masse qui persiste et embellit depuis des lustres,  le camp gouvernemental se prend une rouste (méritée), et l’opposition classique (en l’occurrence la droite républicaine) l’emporte (sans grand effort). L’alliance partisane UMP-UDI-Modem gagne en effet très largement l’élection en voix (33,3% des suffrages exprimés selon les calculs des collègues de Slowpolitix). La droite (y compris les divers droite) l’emporte largement en terme de sièges de conseillers départementaux (plus de 2400), et en terme de présidences de départements (67 sur 98). Le rapport de force droite/gauche à ce niveau est ainsi complètement inversé.  C’est d’autant plus remarquable qu’il y a quelques années, dans une conjoncture similaire pour les forces soutenant le gouvernement en place, des commentateurs de droite pleuraient dans le pages du Monde sur l’implantation locale perdue de la droite et du centre, et n’y voyaient pas de remède. Il suffisait pourtant d’attendre le retour du balancier. Quod demostrandum erat. Du coup, attribuer à l’action de Nicolas Sarkozy himself cette victoire constitue une affirmation bien héroïque à tous les sens du terme, elle résulte surtout du traditionalisme de l’électorat français -en fait du traditionalisme de la (toute petite) majorité de votants parmi les inscrits!  N’importe quel leader de la droite aurait sans doute gagné cette élection départementale. Ceux des électeurs qui se déplacent pour voter ne sont de toute façon pas prêts dans leur majorité pour essayer des nouveautés. Pas d’aventurisme surtout.

Deuxièmement, dans le camp de la gauche, si l’on observe le nombre de conseillers départementaux élus et encore plus les présidences des départements conservés (ou gagné), comment ne pas être frappé par la prééminence maintenue du PS? Même à cet étiage bas, le PS dispose encore selon les calculs des Décodeurs du Monde d’un peu plus de 1000 conseillers départementaux, alors qu’EELV plafonne à 48,  le PRG à 65 et le FG (PCF et PG) à 156.  Selon les collègues de Slowpolitix,  la proportion de voix obtenus par les partis situés à la gauche du PS au premier tour serait de 10,1% des suffrages exprimés, alors que le PS serait lui à 24,7%.  Les candidats du PS auraient donc réussi à mobiliser en leur faveur un électorat près de deux fois et demi plus important que celui de ses alliés (habituels) à gauche. Il reste en fait le seul parti de gauche à avoir un maillage territorial important (même s’il y a désormais des conseils départementaux d’où il est absent ou marginalisé), et presque le seul à conserver des présidences de conseils départementaux. Selon les calculs des décodeurs du Monde, le PS serait même le parti de gauche où le taux de survie des sortants se représentant serait le meilleur! 61% des sortants socialistes se représentant auraient retrouvé leur siège, contre seulement 46% des anciens élus divers gauche, 56% des élus communistes et 55% des radicaux de gauche. Les élus EELV qui se représentaient n’auraient été que 6 sur 22 à revenir siéger dans l’arène départementale, et les élus FG (non-PCF) seulement 4 sur 12. De fait, la modération du PS, autrement dit le fait de se situer à la droite de la gauche, lui permet de continuer à dominer de très loin les autres partis de gauche en terme d’élus départementaux. Dans la perspective de la « reconstruction de la gauche » après sa (à ce stade très probable) éviction (probablement fort méritée) du pouvoir national en 2017 (si le quinquennat va à son terme naturel), cette donnée – la prééminence de la gauche (très) modérée au niveau des élus locaux –  continuera à jouer à plein. Les autres partis de gauche connaissent eux, soit la poursuite de leur interminable déclin  (comme pour le PCF qui ne préside plus qu’un département), soit une implantation locale toujours très limitée et le plus souvent dépendante du bon vouloir du PS lui-même (EELV en particulier, qui lui ne préside toujours aucun département à ce jour).

Troisièmement, contrairement à l’image qu’en ont donnée les médias, il faut souligner que, envisagé du point de vue stratégique, le FN s’est pris lui aussi une rouste lors de ces départementales. Certes, il fait au premier tour de l’élection départementale son meilleur score pour ce qui concerne une élection locale (25,7% des suffrages exprimés toujours selon les collègues de Slowpolitix), mais, au second tour, c’est globalement la branlée. Il réussit certes à obtenir beaucoup plus d’élus qu’auparavant (68, il n’en avait que deux), mais il se fait battre dans la plupart des cas quand il s’avère présent au second tour. La logique du scrutin majoritaire à deux tours – au premier tour, on choisit, au second tour, on élimine – fonctionne donc encore à plein à son détriment. Et cela vaut aussi en cas de triangulaire : toujours selon les décodeurs du Monde, les binômes FN ne remportent que 5 triangulaires sur les 273 auxquels ils ont participé, soit un taux de succès (misérable) de 1,8%.  Cette logique, qui vaudrait d’ailleurs pour tout parti se situant à une extrême du système politique se retrouvant dans la même situation, est renforcée, d’une part, par l’absence totale de parti allié du FN qui soit de quelque importance (les autres partis d’extrême droite aurait recueilli, 0,1% des suffrages exprimés, et encore je parie que le gros de ces voix concernent le rival de la « Ligue du sud » de Bompard & Cie),  d’autre part, par la médiocre éligibilité des binômes proposés par le FN à l’attention des électeurs. Le Monde a publié un article cruel sur une candidate FN dans l’Aisne, soulignant à quel point le FN manque d’éligibles même là où il dispose a priori d’électeurs. Certes, il semble qu’une partie des électeurs de la droite le rejoignent en cas de duel FN/gauche, mais ce transfert de voix n’est pas appuyé par une consigne partisane en ce sens, encore moins par une alliance en bonne et due forme. Le FN peut bien se glorifier d’être (en suffrages exprimés) le « premier parti de France » (aux européennes de 2014), il reste le vilain petit canard de la politique française avec lequel personne ne veut patauger. Ce constat n’est sans doute pas étranger à la crise  au sein du FN autour des déclarations de J.M. Le Pen dans les jours qui ont suivi ces résultats. De fait, si aucun parti ne veut s’allier dans le futur avec le FN, ce reniement du fondateur par la direction actuelle du FN, dont sa propre fille,  ne servira pas à grand chose. En effet, s’il veut l’emporter, s’il reste sans allié, le FN doit nécessairement  être majoritaire à lui tout seul. Or, dans un scrutin majoritaire à deux tours comme les départementales, ce seuil lui est en l’état présent des rapports de force la plupart du temps inaccessible. En principe, les régionales lui sont un peu plus favorables, puisqu’au second tour, une majorité relative suffit pour emporter une région. Cela reste toutefois à vérifier, et ce mode de scrutin des régionales pourra toujours être modifié par les autres partis largement majoritaires à l’AN et au Sénat si besoin est s’il permettait trop souvent au FN d’accéder seul aux responsabilités régionales (ce qui a été déjà fait en 2004 suite aux élections régionales de 1998). En somme, le seul espoir pour le FN solitaire d’accéder au pouvoir  demeure l’élection présidentielle – et en imaginant que des (r)alliés viennent ensuite à la soupe une fois la victoire présidentielle acquise pour assurer une majorité parlementaire permettant de gouverner ensuite. Les départementales de 2015 tendraient pourtant à indiquer qu’il s’agit d’un espoir bien ténu. Le FN reste un tiers exclu de la politique française – tant que personne ne lui ouvre la porte.

Quatrièmement, au total, est-ce qu’on ne doit pas constater surtout l’inertie du système politique français? Nous sommes pourtant dans une crise économique majeure, le chômage est au plus haut, les sondages d’opinion montrent une insatisfaction massive de l’opinion envers les politiques, l’abstention persiste et signe, mais, finalement, pas grand chose de nouveau ne se passe. L’alternance régulière entre la droite républicaine et la gauche continue à s’effectuer, sans que le FN – qui occupe pourtant tant les médias  aux deux sens du terme – perturbe le jeu politique tant que cela. Il n’a même pas réussi à conquérir une présidence de département, et il n’a même pas réussi à bloquer par sa présence même le moindre conseil départemental. E la nave va.

Par ailleurs, aucune autre force politique alternative que le FN n’émerge au niveau national, en particulier à gauche, comme le note plus généralement le collègue Fabien Escalona, spécialiste des gauches européennes, sur Slate.  On reste toujours dans cette atonie de la gauche de gauche observable en France par comparaison depuis 2010 au moins – en dehors du feu de paille Mélenchon aux présidentielles de 2012. En effet, je veux bien que la situation grenobloise soit un signal important avec la victoire dans deux cantons de binômes du « Rassemblement citoyen » soutenant l’actuel maire de Grenoble, mais cet événement ancré déjà dans une longue histoire de la ville des Alpes  ne correspond pas à un bouleversement des rapports de force nationaux au sein de la gauche. Ce phénomène général d’inertie s’est trouvé sans doute renforcé par la caractéristique même de ces élections départementales. En effet, malgré leur nationalisation due à leur organisation en une seule fois sur la France entière, ces départementales restent destinées à désigner des élus locaux, dont les compétences (un peu floues en plus ces temps-ci…) ne sont susceptibles de mobiliser sur le fond des politiques publiques concernées qu’une part limitée des électeurs. La part de notabilité locale dans chaque élection n’est sans doute pas non plus à négliger – contrairement d’ailleurs à ce qu’avait pu faire penser le redécoupage des cantons et l’introduction des binômes paritaires. Surtout, dans ce résultat finalement si banal (en particulier si l’on observe « qui gagne à la fin »),  j’ai du mal à ne pas voir  le rôle central du mode de scrutin majoritaire à deux tours. En effet, ce scrutin oblige un parti nouveau qui veut avoir des élus, soit à attendre d’être à soi seul  majoritaire – ce qui n’a jamais pris qu’une bonne quarantaine d’années à un FN fondé tout de même en 1972… et encore le compte n’y est pas encore -, soit à s’allier avec plus centriste que soi, et donc à risquer de ne pas apparaître « nouveau » très longtemps aux yeux des électeurs. Pour prendre un exemple (facile, trop facile), avec ce que synthétise un personnage comme le sénateur Jean-Vincent Placé,  un parti comme EELV réussit à sembler aussi vieillot que le radicalisme de gauche, de droite ou du centre réunis, sans même en avoir l’histoire sénescente pour excuse.

Si les départementales avaient été organisées sur un autre mode de scrutin, proportionnel par exemple, les dynamiques observées auraient été sans doute différentes. Des partis comme DLF (Debout la France) ou Nouvelle Donne auraient eu leur (petite) chance. Pour l’heure, malgré les bruits qui courent d’un coup à la Mitterrand de F. Hollande en ce sens,  il faudra nous en passer sauf sous forme d’ersatz cache-misère, car le scrutin majoritaire à deux tours demeure trop bien favorable aux deux partis dominants, l’UMP et le PS, et à leurs annexes directes, l’UDI et le PRG, pour qu’ils décident d’un coup de s’en passer. Il n’est que d’observer leur presque parfaite harmonie quand il s’agit de légiférer ces jours-ci sur le renseignement au détriment des libertés publiques pour mesurer le caractère commun de leurs « intérêts professionnels ». Aucun des responsables de ces partis n’imagine même qu’ils pourraient être un jour durablement cantonnés dans l’opposition et en proie à un pouvoir devenu par malheur tyrannique et usant des outils qu’ils mettent en place.  Ils sont le pouvoir, et ne sauraient donc craindre ses abus. CQFD.

On sent déjà du coup le triste scénario pour 2017. Probablement, Marine Le Pen, candidate du seul FN, sera au second tour – sauf si les diverses affaires qu’on voit monter ces derniers temps la concernant auront réussi d’ici là à faire place nette de sa personne. Sauf bouleversement économique ou géopolitique (inimaginable à ce jour?), elle sera pourtant battue par n’importe quel candidat « républicain », de gauche ou de droite, qui ralliera une majorité (âgée et/ou éduquée) de citoyens craignant les aventures. On ne fait pas la (contre-)révolution par les urnes dans une maison de retraite qui, quoique décrépie, arrive encore à servir des repas encore tièdes, si ce n’est chauds, à la plupart des résidents. Cela va aviver les batailles à droite et à gauche pour être ce candidat « républicain », mais cela n’apportera rien de neuf en matière de réorientation générale des politiques publiques, parce qu’aucun des deux camps ne peut d’évidence se renouveler de l’intérieur, parce qu’aucun ne constitue plus depuis longtemps un vecteur portant un ou des mouvements sociaux défendant des besoins actuels des citoyens. Le système politique de la Vème République est bloqué, et bien bloqué, et ce ne sont pas à en juger par ces départementales les électeurs eux-mêmes qui risquent de le débloquer.

Et comme symbole de tout cela, un réacteur EPR à x milliards d’euros qui se moque de nos présomptions à la maîtrise technologique.

 Ps. Allez lire aussi l’excellent entretien avec mon collègue Pierre Martin, qui va plus en détail dans le cambouis électoral que je ne saurais le faire.  Nos conclusions se rejoignent, en particulier sur le FN. Selon P. Martin, le FN reste une « force impuissante » : « La conclusion est cruelle pour le FN : le PS et l’UMP conservent le quasi-monopole de la capacité à offrir des carrières politiques attractives. C’est un échec important pour la stratégie de Marine Le Pen et un facteur de crise pour ce parti car ceux qui espéraient trouver dans le FN l’opportunité d’accéder à des carrières politiques ont presque tous échoué. »  Une question accessoire se pose alors : si cette analyse du blocage du système politique français se répand largement dans l’opinion, que peut-il se passer? Est-ce que l’opportun (?) retour de l’idée du vote obligatoire n’a pas à voir avec ce constat dérangeant qui pourrait être (un peu trop) partagé?

Cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française

« Cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française », a déclaré le Premier Ministre François Fillon pour renvoyer à son néant, non sans une visible délectation, la candidate à la Présidence de la République d’Europe Ecologie – les Verts. Cette dernière, à peine désignée candidate par le vote des militants écologistes, avait eu en effet  l’outrecuidance de déclarer publiquement qu’elle souhaiterait, si elle était élue Présidente de la République, remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé civil. Cette déclaration du Premier Ministre n’est alors que la plus réussie d’un florilège de propos peu amènes tenus à droite, à l’extrême-droite, et même en partie à gauche, en réaction à la proposition d’Eva Joly. De plus, F. Fillon, en visite officielle à Abidjan, a ajouté prendre plaisir à la polémique entraînée par ses propos.

Cependant, ne peut-on pas  féliciter les auteurs de toutes ces déclarations de leur propre ignorance de l’histoire de France, ou, tout au moins, de leur capacité à n’en retenir à dessein qu’une partie? En effet, dans les traditions françaises, l’anti-militarisme existe tout  aussi bien (anti-militarisme que ne revendique d’ailleurs pas  du tout E. Joly dans son entretien avec Libération du 16-17 juillet 2011), tout comme d’ailleurs une méfiance (essentiellement à gauche il est vrai) envers les capacités répressives, réactionnaires, voire putschistes, de l’armée. « Garde nationale », cela leur dit-il quelque chose? Plus tard, « Versaillais », est-ce que ce mot ne rappelle pas aux responsables actuels de la droite quelque évènement bien peu glorieux pour l’armée française ? « Dreyfus », ne connaissent-ils pas non plus? Et, plus récemment, « 1961 », qu’est-ce que cela leur évoque? Rien? Une sainte méfiance à l’encontre des tendances réactionnaires, anti-républicaines, qui ont longtemps marqué l’histoire des forces armées françaises, me semble faire aussi partie de l’héritage républicain. Ce n’est qu’avec force oublis et raccourcis que l’on peut tendre à une vision univoque d’une armée qui aurait toujours et en tout lieu été au service exclusif du pouvoir civil républicain. La droite n’aurait raison dans ses propos que si elle voulait souligner ainsi qu’il ne faut surtout pas, en remettant en cause le défilé militaire du 14 juillet, revenir  sur ce compromis qui considère l’armée comme d’essence républicaine en dépit même de ce que l’histoire, y compris récente, a parfois montré. La question se pose d’ailleurs dans la société : cette année, des étudiants s’étonnaient auprès de moi qu’on célébrât dans les lycées militaires les victoires napoléoniennes, et qu’il subsiste chez certains élèves de ces lycées d’élite tout un culte napoléonien qui n’avait à tout prendre rien de républicain.  Je me souviens avoir défendu ces traditions napoléoniennes au nom de l’histoire propre de nos armées, qui trouvent sans doute dans ce mythe de la « Grande Armée » des ressources symboliques d’affirmation de soi dans un monde qui, par ailleurs, tend à ne plus raisonner du tout en terme de gloire, grandeur et servitude. En somme, que l’armée française puisse s’enorgueillir de quelques traditions pré-républicaines ne peut guère être mis en doute, et que cela gêne certains de nos concitoyens non plus.

Par ailleurs, les déclarations des dirigeants de la droite à l’encontre d’Eva Joly démontrent que ces derniers ne sont décidément pas racistes, mais qu’ils sont sans doute xénophobes sans le savoir eux-mêmes et qu’ils ne croient pas une seconde à leur propre discours sur l’intégration des immigrés. Eva Joly, comme on le sait, est d’origine norvégienne, on ne peut guère donc voir dans les propos tenus à son égard insistant sur son origine une quelconque preuve de racisme (sauf à supposer que l’on oppose ici la race celte à la race scandinave). Par contre, les propos tenus semblent pencher vers la xénophobie : c’est parce qu’elle est au fond demeurée une étrangère qu’elle ne comprend rien à la France – sans compter les remarques qui affleurent chez certains sur son accent. Il est vrai qu’Eva Joly a souhaité garder sa nationalité norvégienne, elle est donc de fait aussi étrangère, mais, après tout, un étranger a aussi la possibilité de comprendre quelque chose à ce pays (pensons à tous ces historiens étrangers qui ont joué un rôle éminent dans notre historiographie). Surtout, ces attaques à l’encontre d’Eva Joly soulignent que, finalement, même si on réside en France depuis 50 ans, qu’on a acquis la nationalité française depuis des lustres, qu’on y ancré sa vie privée, qu’on y a exercé une profession, magistrat, qu’on peut considérer comme participant des fonctions régaliennes de l’Etat français, on reste une étrangère qui n’a rien compris et ne comprendra jamais rien à la France. Eva Joly prouverait par cette déclaration qu’elle n’est pas « intégrée » ou « assimilée ». Seuls les Français par leurs ancêtres depuis… les Croisades? les Guerres de Religion? la Révolution? comprennent pour les auteurs de ces déclarations quelque chose à ce pays. On devrait du coup méditer ce fait qui concerne pour le coup tous les étrangers voulant devenir français (ou croyant l’être devenu par acquisition) : même dans une telle configuration extrêmement favorable (Eva Joly étant du point de vue de la sociologie exactement le contraire de l’immigré difficile à intégrer), vous resterez toujours un étranger, dès que vous ne penserez pas comme nous…

Ce procès en légitimité fait à brûle-pourpoint à la ci-devant norvégienne Eva Joly, qui ,pourtant, comme elle l’a dit avec un sens de la répartie qu’on ne lui soupçonnait pas, n’est pas descendue la semaine dernière de son drakkar, augure aussi mal des sentiments européens des dirigeants de la droite. Même si la Norvège n’est certes pas membre de l’Union européenne (pour avoir refusé d’y entrer par référendum), c’est aussi l’idéal européen qui souffre dans ce procès en légitimité fait à Eva Joly.

Enfin, la campagne présidentielle de 2012 a commencé, et à droite, d’évidence, c’est la phase « back to basics ».

Le bel avenir de la droite.

Attention, le titre de ce post n’est pas ironique! Au vu du résultat des élections cantonales cuvée 2011,  la droite  française ne doit surtout pas désespérer de son avenir à moyen terme.

Bien sûr, dans l’immédiat, il s’agit d’une  claire défaite (surtout estimée en pourcentages nationaux au 1er tour), et cela n’augure  sans doute rien de bon pour l’élection présidentielle de 2012 – sauf si, en face, une machine à perdre se met à fonctionner à plein régime, ce qui n’est pas du tout à exclure. Mais les résultats de ces cantonales, surtout estimés en sièges et en départements, ne montrent aucune tendance à l’écroulement. La droite française, ce n’est pas le Fianna Fail irlandais! Au final, en nombre de départements, l’opposition de gauche progresse peu (4 présidences supplémentaires normalement), et la droite réussit même à conquérir une majorité départementale (le Val d’Oise). Ces élections cantonales montrent donc que la droite conserve un solide enracinement dans le pays, certes parmi la minorité des électeurs qui vont voter lors d’une telle élection locale sans presque aucune mobilisation nationale des électeurs (avec en plus un contexte médiatique particulièrement défavorable), autrement dit parmi les électeurs qui constituent le cœur de la France civique au sens traditionnel du terme (ceux qui vont voter quoiqu’il arrive). Dans une conjoncture aussi désastreuse pour la majorité au pouvoir national depuis 2002 – quatre années d’exercice brouillon du pouvoir par N. Sarkozy, et  une accentuation depuis 2008 de la  crise économique et sociale que vit le pays depuis 1973-74 -, la droite résiste plutôt bien dans ses territoires de prédilection.

Surtout quelques signes montrent que, dans ses purs bastions sociologiques, elle montre même une capacité de renouvellement. Je pense à ces victoires d’indépendants de droite dans les Hauts-de-Seine au cœur même du « Royaume », et aussi de manière plus lyonnaise à la défaite de Dominique Perben à Lyon contre Jean-Jacques David, le maire divers – droite du 6ème arrondissement de Lyon. Cette défaite (45,9% au sortant UMP contre 54,1% au divers droite) dans un contexte de très faible participation au second tour (33,7%) est explicable : depuis sa défaite comme tête de liste de l’UMP lors des municipales de 2008, D. Perben n’avait vraiment plus rien à offrir comme perspectives à la droite locale. Bon débarras. Le maire d’arrondissement  avait de fait l’avantage d’être par définition engagé au niveau local. Il est aussi possible que l’électeur de droite de ce canton imprenable par la gauche ait trouvé dans le vote pour le maire d’arrondissement un moyen de rester de droite tout en cassant du sucre sur le dos de l’UMP.  (L’électeur du FN a aussi pu apprécier le côté droite de droite de l’élu municipal. L’électeur de gauche lui a dû s’abstenir ou voter blanc.) Ainsi, il me semble que les premiers signes de ce qui sera le renouvellement de la droite après 2012 apparaissent déjà. En cas de défaite de N. Sarkozy lors de la prochaine présidentielle, l’épisode qu’il représentera alors sera soldé rapidement au profit d’une droite qui se reconstruira en opposition d’image à la déviation sarkozyste. On changera de nom encore une fois.

Cette renaissance sera d’autant plus facile que la gauche, revenue au pouvoir en 2012 probablement sur la foi d’un enthousiasme très modéré des Français pour l’élu(e) à la Présidence, ne manquera pas en gouvernant de nouveau de devoir choquer les fondamentaux de cette même droite : changer (même de manière moderne) la répartition de la charge fiscale au détriment du capital, remettre à plat la politique du logement, avancer sur des questions de société, etc. . Ne serait-ce que sur les impôts ou sur une éventuelle taxe carbone il y aura largement de quoi réveiller les morts…

Et le FN, me direz-vous? Malgré tout le discours sur la « vague Marine » et les sondages qui en rajoutent (quoiqu’à vrai dire, ils offrent plus d’incertitudes que de certitudes), ce parti extrémiste ne gagne que 2 duels de second tour sur les 400 auxquels il a réussi à participer. Son  entrée dans les institutions électives de la République française reste donc toujours au même point mort qu’il y a vingt ans :  lorsque le scrutin majoritaire à deux tours existe, l’entrée en force dans les institutions demeure impossible à toute force entrante qui ne se trouve sans alliés. Pour l’instant, rien, rationnellement, ne devrait inciter la droite à partager le gâteau avec l’extrême-droite. Il lui suffit de laisser passer 2012, et d’attendre que les premières bourdes (inévitables) de la gauche revenue au gouvernement lui ramènent les électeurs. La droite aura-t-elle collectivement les nerfs assez solides pour ne pas faire l’erreur d’ouvrir sa bergerie à la louve frontiste?  Dans un système politique comme le nôtre où le scrutin à deux tours domine, une telle coalition droite-extrême droite signifie une alliance de longue durée dont on ne sort pas facilement, comme le montre d’ailleurs encore à cette élection les difficultés (pour ne pas dire plus) du Modem (ex-Udf) ou, inversement, les dynamiques concurrentielles/coopératives au sein de la gauche.

En attendant, comme il faut bien faire carrière, et que le moyen terme, c’est loin, les esprits s’échauffent et les tentations vont monter.

Ps. Hier, en fin d’après-midi, mercredi 30 mars 2011, j’ai réussi à assister à l’IEP de Grenoble (Amphi D) à la présentation de mon collègue Pierre Martin et de l’un de ses doctorants, Simon Labouret, sur le second tour des cantonales. Le public était un peu clairsemé et surtout âgé!, mais visiblement passionné et réactif. Pierre Martin nous a démontré par a+b que, décidément, au regard de l’histoire électorale du FN depuis les années 1980, les commentaires  sur une percée extraordinaire de ce dernier étaient fort excessifs, que, du point de vue, des équilibres électoraux, il restait « diabolisé », ce que montre d’évidence son incapacité à remporter plus de 2 duels sur un peu plus de 400 dans lesquels il se trouvait engagé, et aussi que la droite, loin d’être tenue à bout de bras par les électeurs du FN en cas de duel avec la gauche, subissait clairement une sanction des électeurs FN du premier tour. Sur le cas des cantons renouvelables de l’Isère qu’il a tous étudiés un à un, Simon Labouret nous a fait remarquer l’augmentation concomitante des blancs et nuls dans les zones rurales quand le FN avait fait un bon score au premier tour et n’était pas présent au second tour, indice d’un refus de voter à droite (ou a fortiori à gauche) pour des électeurs cependant participationnistes en raison du contexte micro-social dans lequel ils s’insèrent.

En fait, cette élection est du coup le cas de deux stratégies qui ne fonctionnent pas (ou plus) : celle de pêche aux voix frontistes mise en œuvre par N. Sarkozy depuis le « discours de Grenoble » – les électeurs FN sont vraiment fâchés! – et qui avait marché à la présidentielle de 2007 ; et celle de « dé-diabolisation » menée par la direction actuelle du FN. Finalement, personne n’est dupe de part et d’autre. Les analyses de P. Martin et S. Labouret indiquent donc que, rationnellement,  vu depuis les cantonales, la droite n’a vraiment rien à gagner à une alliance avec le  FN.

Barre à droite toute, souquez!

Un peu moins de deux ans après le déclenchement de la crise économique mondiale de ce début de siècle, les conséquences politiques commencent à se dessiner nettement en Europe. Ce matin, Dominique Reynié, invité dans le journal de France-Inter à commenter les résultats des élections en Belgique, donnait à ses propos une tonalité plutôt apocalyptique. Il devient en effet difficile de ne pas voir que les électorats européens répondent avec plus de ferveur en ce moment aux messages les incitant à  taper sur quelque bouc-émissaire et à faire preuve d’absence de solidarité avec le voisin, qu’à des messages d’amour et de fraternité. Le cas belge apparait  du coup – en dehors des idiosyncrasies du plat pays – comme une illustration d’une tendance plus générale au refus de la solidarité – tout au moins de celle qui s’exprime dans les formes institutionnelles. L’État belge constitue, comme tout État européen moderne, un puissant mécanisme de redistribution, tout aussi bien à l’échelle individuelle qu’à celle des territoires. Or on peut tourner les choses dans tous les sens:  les électeurs de la partie flamande du Royaume expriment, dans toutes les nuances de leurs votes, un rejet, plus ou moins net certes, d’une solidarité entre Belges. Le coup semble d’autant plus rude qu’au même moment, la crise de la zone Euro et des finances publiques de nombreux pays européens amène à discuter ouvertement entre pays européens d’un renforcement de la solidarité financière entre Etats de l’Union européenne. En plus, de nombreux  économistes nous serinent sur tous les tons qu’il faudrait un budget fédéral européen conséquent pour pouvoir stabiliser la zone Euro par gros temps; or, le moins que l’on puisse dire, c’est que le vote belge, pris comme l’illustration d’une tendance plus générale, confirme aux hommes politiques en place dans les différents pays européens que les masses électorales – à ne pas confondre avec l’opinion publique mesurée par les sondages ou avec l’opinion des populations en général – ne sont pas pour l’heure des plus partageuses. Dominique Reynié, qu’on sait très attaché à l’idée européenne, ne peut que constater le hiatus.

De fait, force est de constater que les élections nationales de ce printemps 2010 se suivent et se ressemblent, mutadis mutandis bien sûr. Les électeurs hongrois ont ouvert le bal en avril, avec une victoire de la droite et de l’extrême-droite, certes prévisible depuis  les dernières élections européennes de juin 2009, mais tout de même  digne dans son ampleur d’interloquer si l’on était moins habitué depuis les années 1990 aux revirements électoraux dans les ex-pays d’Europe de l’Est.  A la suite de ces élections,  le Fidesz, qui a atteint la super-majorité de 2/3 des sièges, peut changer par ses seuls votes la Constitution hongroise. Depuis quand a-t-on déjà vu en Europe une chose pareille lors d’élections (vraiment) libres? Les Britanniques ont eux fait triompher, plutôt modestement il est vrai, les Conservateurs le 6 mai. Les électeurs tchèques ont suivi les 28/29 mai 2010; même s’ils ont laissé le parti social-démocrate arriver en tête, ils se sont exprimés en majorité pour les anciennes et nouvelles droites.  Le 9 juin, les électeurs des Pays-Bas ont propulsé le « Parti de la liberté »(PVV) de G. Wilders à 15,5% des suffrages , ce qui en fait le troisième parti du pays.  Surtout,  ils ont placé en tête de leurs votes le parti libéral, le VVD, avec 20,4%, pendant que s’écroulait dans le même temps l’extrême-gauche. Le vote des électeurs slovaques du 12 juin 2010 est plus ambigu : le parti de R. Fico, Smer (Direction), un affilié un peu particulier du PSE, qui gouvernait avec l’extrême-droite locale, arrive en tête avec prés de 35% des suffrages, mais il est confronté à une défaite de ses alliés et à une poussée des centres et des droites… Autrement dit, la situation slovaque peut être assimilée à une défaite de la rhétorique nationaliste (ou populiste) de la gauche  au profit de partis de droite en principe plus raisonnables… sauf que certains d’entre eux répugnent à aider la Grèce… Cela leur passera sans doute au moment de voter le texte de loi nécessaire, mais, tout de même, voilà une bien mauvaise façon de gagner des voix si l’on est attaché à la solidarité européenne.

Le cas belge du 13 juin 2010 semble ainsi conclure la série  et lui donner son caractère de kermesse bien peu héroïque – même si, là encore, le socialisme électoral résiste, surtout en l’occurrence en  Wallonie.

D’une certaine façon, les électorats de ces différents pays sont en train de valider – plus ou moins clairement selon le niveau de démagogie en vigueur dans chaque espace national – des réponses à la crise économique  fondées sur l’austérité, la rigueur, la réduction du périmètre de l’État, la chasse aux fonctionnaires et aux assistés.

Marc Lazar faisait remarquer dans la Repubblica du 4 juin 2010 dans un article consacré à l’aphasie du Parti démocrate italien, traduit par Presseurop, que les politiques d’austérité menées en Grèce, en Espagne et au Portugal par des gouvernements socialistes ne différaient guère des politiques menées par la droite au pouvoir dans les autres pays ayant choisi l’austérité. Il faisait aussi noter que, si la gauche réformiste n’inventait pas sous peu quelque discours plus mobilisateur, les plus fragiles des Européens, face à cette situation, seraient tenté par l’abstention ou le repli sur la vie privée. La remarque est sans doute trop schématique, mais elle saisit bien un élément de fond qui semble ressortir de la situation présente : lors de chacune de ces élections, les groupes sociaux qui sont susceptibles de payer par leurs impôts les pots cassés de la crise économique – qui mènent donc encore une vie normale en pleine crise – semblent bien plus mobilisés que ceux qui vivent déjà au quotidien les conséquences de cette dernière. On retrouve un peu là le syndrome des « chômeurs de Marienthal » décrit par le jeune Lazarsfeld : ceux qui ont perdu leurs moyens d’existence ne sont pas les plus susceptibles de se mobiliser politiquement. C’est un vieux constat de la sociologie politique, mais j’ai bien peur qu’on en vérifie encore une fois la validité dans les années à venir.

Enfin, si ces tendances aux virages à droite toute et à l’austérité venaient à se poursuivre d’ici 2012, la gauche française, dans l’hypothèse où elle arriverait à revenir au pouvoir, va se trouver dans une situation plutôt désagréable. Elle aurait intérêt à déterminer à l’avance une ligne politique qui ne compte en aucune façon pour réussir sur l’influence qu’elle exercerait sur ses 26 partenaires européens.