Comme me l’a toujours dit mon père, qui a été juriste et qui a bien retenu la leçon de ses professeurs de droit, « n’avoue jamais! » Quel manque de professionnalisme politique tout de même de la part de Jérôme Cahuzac de finir par reconnaître devant les juges chargés de son affaire qu’il possédait effectivement des comptes bancaires à l’étranger depuis une vingtaine d’années. Même devant l’évidence, il faut toujours nier, nier et encore nier, n’importe quel petit malfrat sait cela. Qu’est-ce qui lui a pris? Il a une crise mystique? Il va bientôt nous annoncer qu’il se retire dans un couvent après avoir distribué tous ses biens aux pauvres. N’importe quoi vraiment! On ne peut plus avoir confiance en personne.
La ligne de défense de F. Hollande et de l’ensemble des socialistes que j’ai entendus s’exprimer depuis hier après-midi est qu’ils ont été trompés de bout en bout par J. Cahuzac. Certes. Ils se trompèrent déjà pour la plupart sur la double vie de DSK, dont ils firent semblant de découvrir l’existence au moment du scandale du Sofitel. Pas mal pour un parti qui se prétend « féministe »…
Je me permets de rappeler que la fonction en démocratie des partis politiques, selon la théorie la plus banalement partagée, est entre autres choses de « sélectionner le personnel politique », de servir en quelque sorte de filtre aristocratique (au sens platonicien du terme) pour déterminer quels sont les meilleurs représentants d’une certaine idée politique. Les députés et militants de base disent se sentir trahis, et craignent de porter dorénavant l’opprobre liée aux délits et mensonges de l’ex-Ministre du Budget Cahuzac, désormais ci-devant « fraudeur au fisc », alors qu’eux, ils travaillent avec honnêteté et dévouement pour ce qu’ils croient être le bien commun. Malheureusement pour eux – les honnêtes, les dévoués -, les citoyens n’auront cependant pas tort de leur en vouloir aussi à eux, et au PS en général. En effet, un parti en démocratie représentative libérale constitue une entreprise collective, à laquelle personne n’est obligé de participer et où il existe une responsabilité collective sur ce qui est fait et décidé. Si un militant ou un élu suppute qu’il s’y trouve en mauvaise compagnie, libre à lui de partir. Il se trouve de fait que le PS s’avère à l’expérience d’une grande carence à repérer et à exclure les personnes qui n’ont pas les mœurs voulues au regard de ce qu’on peut ordinairement admettre comme faisant partie du bien commun (en l’occurrence, ne pas frauder le fisc), pourtant, cela devrait aussi être l’un de ses rôles que de jouer le rôle de filtre.
Que J. Cahuzac ait pu jusqu’à présent faire une aussi belle carrière au sein du PS sans que personne ne soupçonne, selon les dires actuels des élus du PS, qu’il y avait quelque anguille sous roche n’est pas très brillant pour ce vieux parti de la gauche modérée. Cela l’est encore moins pour F. Hollande, ancien Premier secrétaire de ce dernier au moment même où J. Cahuzac commençait son ascension. Il aurait peut-être pu mieux se renseigner sur le personnage. Bien sûr, comme le savent tous les connaisseurs de l’histoire, de l’espionnage en particulier, on peut toujours tromper son monde, mais, pour un F. Hollande se voulant l’héritier de François Mitterand qui ne serait sans doute pas laissé abuser, ce n’est pas encourageant sur sa capacité à jauger ses collaborateurs. De toute façon, en dehors des mesures cosmétiques annoncées ce midi par le Président Hollande pour lutter contre la corruption des élus, il faudra sans doute faire sauter aussi un « fusible » dans les jours qui viennent – Moscovici parait l’homme de la situation.
Je n’ai guère été non plus impressionné par le socialiste Gérard Filoche perdant ses nerfs à la télévision (sur LCI), et gémissant sur la misère montante dans le pays vis-à-vis de laquelle le cas Cahuzac constitue (certes) une insulte vivante. Il semblerait à l’entendre qu’il ait découvert seulement à ce moment-là que J. Cahuzac comme Ministre du Budget n’en avait rien à faire de la souffrance sociale. Je n’ai guère de compassion pour quelqu’un qui découvre en direct qu’il n’est sans doute, comme disait Lénine, rien d’autre qu’un « idiot utile », un brave gars qui croit sincèrement à la justice sociale old style dans un parti qui n’y croit plus vraiment depuis longtemps. On n’est en effet pas obligé de rester dans un parti dont la majorité ne partage pas par ses actes vos valeurs profondes, et, si on y reste, on ne saurait ensuite trop se plaindre. Idem pour la journaliste bien connue pour son attirance pour la gauche socialiste, Audrey Pulvar, disant dans une émission de télévision en conclure que le PS « cocufie » (sic) les Français depuis 1981… Le choix du verbe « cocufier » m’a beaucoup amusé, qu’en termes galants ces choses-là sont dites, la dame serait-elle rancunière?
Avec tout cela, Marine Le Pen est bien sûr en lévitation, et demande du coup dans un élan d’enthousiasme rien moins que la dissolution de l’Assemblée nationale. Why not? F. Hollande devrait la prendre au mot. Bien sûr la droite gagnerait haut la main ces élections anticipées avec n’importe quel leader à sa tête, sans avoir à demander l’aide du FN d’ailleurs pour emporter une majorité, par simple écroulement électoral de la gauche. La droite serait alors confrontée à ses propres promesses et à l’obligation de faire le très sale boulot qui attend tout exécutif français dans les prochaines années si l’on reste dans le cadre européen actuel. La droite devrait revenir sur les 35 heures, repousser l’âge légal de la retraite jusqu’à 67 ans (ou plus même si nécessaire), elle pourrait diminuer drastiquement les allocations familiales, etc. Ce qui resterait du PS pourrait en profiter pour changer de nom afin de faire oublier ses errements (ce qui n’a pas été fait depuis 1969 tout de même), et, avec un peu de chance, le gouvernement de droite, issu des élections anticipées, serait devenu lui-même tellement impopulaire au printemps 2014 que la gauche post-socialiste sauverait sans doute son bien le plus précieux, ses nombreuses mairies. En se faisant oublier pendant deux-trois ans comme Président-potiche d’une nouvelle et inattendue cohabitation, F. Hollande aurait même une petite chance de se faire réélire en 2017, qui sait?
J’ai élaboré ce scénario – très fantaisiste, je l’accorde volontiers -, parce qu’à ce stade, d’impopularité, de récession économique, de chômage croissant, et maintenant d’affaires bien glauques pour pimenter le débat, j’ai comme l’impression que F. Hollande va avoir du mal à remonter la pente, et que l’addition électorale va être fort salée pour le PS et ses alliés en 2014.