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… Ils n’auront pas nos piscines et nos cantines…

Comme c’était déjà prévisible au vu de la tournure prise au fil des semaines de sa campagne du premier tour qui s’éloignait de plus en plus des thèmes économiques (par exemple de la « TVA sociale » ou « anti-délocalisation », devenue quasiment de l’histoire ancienne… alors même qu’elle n’est même pas en vigueur), N. Sarkozy a décidément décidé pour ce second tour de continuer dans ce qu’il est convenu d’appeler la « stratégie Buisson » du nom de son conseiller. Barre à droite toute, machines au maximum, jetez à la mer centristes et autres humanistes, feu à volonté sur les fellaghas, communistes, et autres suppôts de l’étranger.  Le discours du président-candidat au lendemain du premier tour, lors de son premier meeting de la campagne du second tour, faisait directement écho à celui de Jean-Marie Le Pen, lors de sa campagne de second tour en 2002. C’est quasiment du plagiat, avec la réapparition des « sans-grade ». Un beau mot de la langue française, peu usité en général. Et, à chaque intervention publique de N. Sarkozy, il en rajoute dans ce registre …

Et, puis, quelle belle idée de vouloir rassembler le 1er mai dans une manifestation autour du « Vrai Travail »  … contre les syndicats de salariés… contre les assistés… C’est là encore la famille Le Pen qui peut l’attaquer pour plagiat éhonté de son propre 1er Mai à la gloire de Jeanne d’Arc. J’attends cependant avec impatience de voir, par médias interposés, à quoi ressemblent ces « vrais travailleurs »… Je n’en serais pas, je ne travaille pas vraiment. De plus, quelle meilleure manière de motiver syndicalistes, d’une part, et frontistes, d’autre part, à aller manifester ce jour-là dans les rues de Paris.  Il se peut que la bataille du nombre finisse par être perdue sur les deux flancs.

En plus, avec cette nouvelle notion de « vrai travail », notre candidat-président a découvert quelque chose : en effet, déjà en France, il y a quelques millions de chômeurs, d’assistés et autres fainéants qui vivent aux crochets de la solidarité nationale, voilà qu’il vient de se rendre compte que, parmi les gens qui officiellement sont employés, ont un travail, une bonne part n’en rame pas une, pour le dire vulgairement, certes essentiellement les syndicalistes, ce qui n’est pas une nouveauté. A ce compte-là, la productivité des « vrais travailleurs » de France est gigantesque, inouïe,  merveilleuse, puisque, malgré cet océan de fainéants, de bons à rien, et de tire-au-flan,  la France reste quand même à ce jour la cinquième puissance économique de la planète. Dire que tout cela repose sur une petite majorité (?) de vrais bosseurs…  En fait, c’est le scoop absolu! Avec quelques « vrais travailleurs » seulement, nous ne sommes pas encore dans la mouise! Qu’est-ce que cela serait si tous les gars de France et de Navarre bossaient tous! Ensemble, tout serait possible, et la France serait  forte.

J’attends pourtant encore à cette heure une déclaration vraiment forte sur l’immigration, l’Islam, l’insécurité, ou le FN. Je me suis un peu mithridatisé à force, et il faut que je me méfie de mes propres emportements. Pour l’instant, les représentants de la majorité actuelle se contentent de dénoncer l’intention du candidat socialiste – s’il est élu – d’introduire le droit de vote des étrangers extra-européens aux élections locales. A en juger par les appels du public  sur ce point lors du passage de Ségolène Royal à France-Inter ce matin, c’est effectivement une proposition qui froisse une partie de l’électorat. En même temps, sur le moyen terme, notre collègue Vincent Tiberj croyait pouvoir montrer en décembre 2011 que les individus s’expriment de plus en plus clairement dans les sondages en faveur d’un tel vote étendu aux étrangers non-européens, et cela en raison de tendances sociologiques de fond (essentiellement, l’élévation du niveau d’éducation des cohortes entrant dans le corps électoral  au fil des décennies) qui favorisent le « libéralisme culturel ». De plus, l’effet sur une élection présidentielle de ce sujet qui n’est pas une préoccupation centrale déclarée des Français (contrairement au chômage et au pouvoir d’achat) reste douteux : il peut en effet y avoir une différence entre une déclaration majoritaire dans un sondage et le résultat d’un vote … surtout avec des niveaux de mobilisations différentes par classes d’âge.

Notre collègue, Laurent Bouvet, dans une opinion publiée par le Monde (du 24 avril 2012) souligne par ailleurs la réalité de cette « insécurité culturelle » que ressent une bonne partie de la population, et qui représente une des sources du vote extrémiste de droite. Il invite la gauche, surtout si elle est victorieuse le 6 mai, à ne pas abandonner le terrain à la droite et à l’extrême droite, et à ne pas se contenter en quelque sorte de donner à manger, de vêtir,  et de loger. (Il me semble que son propos a eu un effet direct sur les déclarations de S. Royal que j’évoquais plus haut, elle a utilisé le terme d’insécurité culturelle.) Je suis assez d’accord avec son analyse, mais moins sur les effets du remède républicain proposé.  J’ai en effet beaucoup de mal à visualiser ce qu’en pratique, cela pourrait vouloir dire.

De fait, comme le montre l’évolution de la géographie du vote frontiste (qui se péri-urbanise, avec même un minimum, semble-t-il, à Paris intra-muros), les personnes qui se sentent menacés de perdre leur « sécurité culturelle » ont déjà voté massivement avec leur voiture en s’éloignant de leurs craintes (c’est-à-dire « jeunes à la casquette à l’envers », « femmes voilées », « salafistes », etc.).  Ils se sont éloignés des lieux où ils avaient le sentiment de ne plus être chez eux. Que peut faire la gauche pour eux? On peut certes rêver d’un État qui fonctionnerait de façon parfaitement égalitaire sur tout le territoire national, et, en plus, dans une parfaite laïcité. Par exemple, cela voudrait dire une égalité des chances scolaires partout,  des soins de qualité y compris dans les lointaines campagnes, ou encore une police de proximité efficace partout. Cependant, même dans cette éventualité presque utopique à ce stade, pour que le remède républicain fonctionne, il faut malheureusement aussi que les citoyens y mettent du leur. Dans un régime libéral, les gens peuvent en effet aussi exprimer par leurs comportements ou leurs propos qu’ils n’aiment pas, et n’aimeront jamais, tel ou tel autre groupe de la population. Le simple fait de savoir que l’autre existe, de le voir être ce qu’il ne peut pas ne pas être, est pénible pour certains. Il me semble que ce n’est pas une politique républicaine, même excellente, qui peut résoudre cette contradiction d’une société divisée, aussi par le choix des individus. Par contre, il est certain qu’à force de faire du « Buisson » matin, midi et soir, cela n’améliore pas la situation.

Ps. En plus, pour ne rien améliorer N. Sarkozy a démenti avoir parlé de « vrai travail », puis il a été démenti par une image de lui le montrant en train de prononcer cette formule…., et il a fini par être confronté à cette double séquence lors d’une émission télévisée de grande écoute, où il a dû tenter de s’expliquer. Là, je me demande si cette campagne n’est pas en train de marquer un changement dans la façon de faire de la politique : le mensonge, la demi-vérité, ou l’approximation, sont désormais immédiatement dévoilés. Cela a toujours existé que menteurs et assimilés  se fassent prendre en défaut, mais j’ai l’impression que le délais entre le mensonge et la preuve du mensonge raccourcit à vue d’œil.  « Français, vous avez la mémoire courte! », mais pas si courte de ne pas pouvoir se rendre compte désormais que certains mentent, approximent, déparlent, se déjugent. Si d’aventure N. Sarkozy sombre au second tour de cette Présidentielle, cela sera l’indice que nous commençons vraiment à entrer dans un nouveau monde, où la mémoire numérique de tout ce que nous aurons dit ou fait nous poursuivra éternellement. (Ce qui n’est pas sans ressembler au vieux jugement dernier des Chrétiens.)

A voté.

Quelques remarques en vrac sur ce premier tour :

a) Où l’on constate encore une fois que les sondages d’intentions de vote constituent un instrument d’une fiabilité moyenne. Le paysage général du premier tour a certes été assez bien prévu… sauf pour le niveau du FN sous-estimé et le vote du Front de gauche surestimé. Il n’y a pas de quoi être très étonné vu les caractéristiques sociopolitiques de ces deux électorats. Nous ne disposons pas des résultats bruts des enquêtes avant redressements, mais je parierais que, si nous les avions, nous verrions l’ampleur des corrections effectuées par les instituts de sondages (qui sont couvertes jusqu’à présent par le secret professionnel de chaque institut et juste connues de la Commission des sondages). Il est cependant probable que l’électeur frontiste se trouve en grand nombre dans la masse croissante des enquêtés qui refusent tout de go de répondre à une enquête par sondage; inversement, l’électeur du Front de gauche constitue sans doute un meilleur répondant.

b) Où l’on constate que le leadership du Front de Gauche s’est laissé prendre au jeu des sondages. Il est piquant en effet de constater que le jugement sur le résultat du Front de gauche au premier tour est désormais entièrement déterminé par le niveau des intentions de vote attribués à ce dernier par les sondages. Il fait un peu plus de 10%, les sondages le voyaient autour de 15%, c’est donc un échec. Il aurait été prévu à 8%, et il faisait un peu plus de 10%, c’était une réussite. Le piquant dans cette situation, c’est que cette mésaventure qui change presque entièrement le sens final de la campagne du Front de gauche arrive à un secteur politique dont la plupart des intellectuels organiques ne sont pourtant pas privés dans la tradition de Pierre Bourdieu de critiquer les sondages comme instrument de trahison de la volonté populaire, de constitution d’une fausse opinion publique au service des dominants. Il aurait donc été plus prudent pour les « mélenchonistes » de ne pas se donner comme objectif un défi impossible à tenir face au FN à la lumière trop lénifiante de ces mêmes sondages. Il aurait été plus prudent de se contenter de rassembler sur un seul nom la plus grande partie de l’électorat de l’extrême gauche – ce qui, au regard des épisodes immédiatement précédents, constitue déjà un résultat hors norme. Par ailleurs, il est amusant de constater que ce camp semble avoir oublié l’adage, remontant dans le fond au début du suffrage universel en France (1848), qui le met en garde contre la concomitance de meetings pleins et d’urnes vides. La « Fête de l’Humanité » continua d’avoir du succès alors même que le PCF était à 2% des voix… Si j’ose dire, l’électeur d’extrême gauche sait ce que manifester, militer ou aller à un meeting veut dire, un peu moins l’électeur ordinaire de ce pays… qui, décidément, est beaucoup plus chafoin.

c) Pour ce qui est du second tour, je serais beaucoup moins catégorique qu’Eric Dupin qui prédit une victoire obligée de François Hollande. Certes, N. Sarkozy n’a pas fait un très bon score pour un Président sortant sous la Cinquième République – euphémisme-, mais le total des voix de la droite et du centre au premier tour est bel et bien majoritaire (UMP et alliés, FN, Modem, DLR). Donc, sur cette base, comme il l’a montré hier dans sa déclaration au soir du premier tour, N. Sarkozy peut encore essayer d’organiser un référendum anti-immigrés, anti-étrangers, voire anti-Europe, ou anti-Monde,  à l’occasion du second tour. « La France forte » contre le monde entier et la cinquième colonne. Against all enemies.  L’image de la réunion de la mutualité hier soir avec les drapeaux français agités frénétiquement est claire. Cela a d’ailleurs déjà commencé hier soir avec l’insistance de Jean-François Copé à évoquer le droit de vote des étrangers aux élections municipales, présent dans le programme présidentiel de F. Hollande, porte grande ouverte au « communautarisme » selon ce dernier.  D’après le sondage sortie des urnes du réseau Trielec, N. Sarkozy n’a sans doute pas tort de se lancer sur cette piste : en effet, les électeurs du FN au premier tour se distinguent encore et toujours par l’importance qu’ils donnent à l’enjeu de l’immigration, de la sécurité, et aussi du pouvoir d’achat, et ils représentent de fait le plus grand bassin d’électeurs disponibles. La campagne de second tour s’annonce donc très « bruit et odeur »… ce qui peut amener d’ailleurs par contrecoup une mobilisation pour F. Hollande des électeurs se sentant particulièrement visés par ce genre de propos xénophobes.

En attendant Godot (J-6) : Haro sur le baudet européen!

Après l« environnement qui commence à bien faire » – le reniement à mes yeux le plus symbolique du quinquennat qui s’achève, car exprimé sans détours  – , voilà que N. Sarkozy vient de se rallier publiquement à la thèse selon laquelle le mandat de la BCE était à renégocier pour favoriser la croissance en Europe – ou, tout au moins, cela semble bien être le sens du propos qu’il a tenu hier à la Concorde devant la foule de ses partisans. Jean Quatremer en est un peu tombé de sa chaise, et le traite du coup de « Mélenchon ». Cette proposition de meeting vient après l’idée, déjà répétée à de multiples reprises pendant la campagne, de poser une sorte d’ultimatum aux partenaires européens sur la réforme des accords de Schengen, et après les rodomontades en matière de renouvellement de la politique commerciale de l’Union européenne  répétées d’une manière assez similaire. Ces deux derniers aspects sont d’ailleurs bien cités dans la « Lettre de Nicolas Sarkozy au peuple français » (cf. p.7-8 sur Schengen, et p. 28-29 sur les problèmes commerciaux), que j’ai récupérée des mains d’un militant UMP en allant faire mes courses. Par contre, sur cet appel à renégocier les Traités européens sur le mandat de la BCE, qui devrait faire plus pour la croissance, absolument rien n’est dit dans ce document. Au contraire, on trouve à la fin de la défense de l’action européenne de N. Sarkozy pendant la crise financière européenne l’argumentaire suivant, destiné d’évidence à contrer l’idée de F. Hollande d’une réouverture des négociations sur le « Traité Merkozy » pour y introduire un volet dédié à la croissance  : « Croire dans une réouverture des négociations est une utopie tout simplement parce que celles-ci viennent de s’achever et que pas un gouvernement en place en Europe ne le souhaite. «  La différence est d’ailleurs faite ensuite avec « la réforme de la zone Schengen que je [N. S.] propose, dont le traité fondateur date de 1985 et dont les insuffisantes sont donc criantes. Cette réforme est au surplus souhaitée par un nombre croissante d’États. » Autrement dit, lorsque N. Sarkozy rédige (ou fait plutôt rédiger) cette lettre, il ne croit pas pouvoir aller plus loin en matière  de réforme de la zone Euro que ce qui se trouve dans les accords à peine passés avec nos partenaires européens, et, hier, il affirme devant la « majorité silencieuse » qu’il peut amener ses partenaires à de plus grandes décisions encore. Le temps s’accélère décidément. A ce rythme, à la fin de la semaine, il proposera l’arrestation du directoire de la BCE, Draghi en tête, pour crime de haute trahison, et mise en danger du bonheur des Européens.

Ce ne sont sans doute que des propos de meeting. C’est à cela qu’on reconnait les vrais militants. On peut tout leur dire.  Et, en fait, depuis 2007, N. Sarkozy ne cesse de faire des déclarations hostiles à la marche actuelle de l’Union européenne dans ses différents aspects, tout en se félicitant  par ailleurs d’être le meilleur Européen du monde et d’être surtout le sauveur de l’Europe.

En fait, le cas de N. Sarkozy n’est pas isolé.  Si l’on en croit les sondages, les probable quatre premiers candidats par ordre d’arrivée auront tous tenus des propos au cours de cette campagne qui laissent à penser à l’électeur qu’il va falloir désormais que la volonté française s’impose en Europe. Chers concitoyen(ne)s, si vous m’élisez, vous allez voir ce que vous allez voir! N. Sarkozy va s’imposer désormais à ses partenaires – on en rit (jaune) déjà à Berlin, Helsinki, La Haye! François Hollande veut « renégocier » le « Traité Merkozy ». Marine Le Pen veut quitter la zone Euro, et revenir au Franc, sans demander son avis à personne. Jean-Luc Mélenchon, comme il l’a affirmé clairement lors de son passage à l’émission « Des paroles et des actes », en tant que Président à peine élu de la « Révolution citoyenne » , et chef en conséquence de la deuxième puissance économique de la zone Euro, mettrait les points sur les « i » avec nos partenaires. On rirait.

Ainsi tous les grands candidats (pour les sondages) s’en prennent à l’état actuel des politiques de l’Union européenne, et postulent que la France (seule) pourrait faire la différence. Certes, on peut leur donner acte à tous qu’il y aurait sans doute une dynamique européenne autour du vainqueur de l’élection présidentielle française (en fonction aussi des conditions de son élection, large ou serrée), mais il reste que les rapports de force ne sont pas a priori par exemple du côté d’une réforme du mandat de la BCE  ou de la politique commerciale de l’Union européenne. Il y a vraiment à ce stade comme un mensonge général de la part des quatre grands prétendants à présenter la France comme pouvant décider seule d’un changement d’orientation de l’Union européenne, ou, même simplement, pouvant impulser seule un changement. Il faut absolument des alliés dans ce genre d’aventure, et construire une majorité autour de soi. F. Hollande par exemple pourra sans doute construire une alliance autour de la « croissance »…  pour autant qu’il  accepte d’avaler les couleuvres « néo-libérales » en matière de libéralisation de tout mises en avant par la récente lettre des douze Etats à la Commission européenne sur ce point.

Plus généralement, la contradiction institutionnelle de cette élection me parait de plus en plus tragique. La Vème République a été conçue largement par un homme, qui avait en vue la sauvegarde de la Nation face à des périls imminents ou lointains. Il s’agissait d’éviter un nouveau « Juin 40 », d’affirmer la souveraineté de l’État. L’élection présidentielle au suffrage universel direct couronnait cette idée de la souveraineté, en faisant la synthèse de la pérennité de l’État et de la démocratie des masses. Or, désormais, cette élection revient en fait en pratique à élire l’un des membres (un sur 27 ) de la Présidence collégiale de l’Union européenne (le « Conseil européen »), un membre certes très important, plus que le représentant maltais, chypriote ou letton, dans cet organe suprême qui nous régit, mais un membre seulement, qui ne saurait décider seul de l’orientation future de l’ensemble.

Pour compléter le tableau, à en croire les sondages, il faut bien admettre que donner foi à cette souveraineté française semble payant électoralement.  Le (ex-)grand candidat  le plus philo-européen par ses alliances, François Bayrou, qui  fait cependant campagne sur le retour du « Fabriqué en France », risque la Bérézina électorale, alors qu’il propose un programme de rigueur budgétaire des plus cohérents avec les attentes européennes actuelles.  La candidate d’Europe-Ecologie-les Verts, Eva Joly, surprendra elle favorablement son propre camp, si elle dépasse les 2% des suffrages exprimés.

Cette situation est d’autant moins tenable que,  vu les difficultés de la zone Euro, c’est peut-être le prochain Président qui devra annoncer aux Français que l’Euro est un échec, ou que, pour maintenir ce dernier, il faut passer maintenant à la Fédération européenne, et que la France éternelle et souveraine, c’est fini.

Ps. N. Sarkozy sur France-Inter ce matin 17 avril 2012 persiste et signe sur le rôle de la BCE dans la croissance européenne. Il abandonne cependant l’idée d’une renégociation des Traités, mais, cela reviendrait en pratique au même.  L’explication est désormais la suivante : il faut un « dialogue » entre la BCE et les autres institutions européennes sur le modèle américain de la Fed, explicitement cité. Il faut aussi gérer ensemble (BCE et autres institutions européennes) le taux de change de l’Euro. N. Sarkozy explique désormais que le « Traité Merkozy » (sur l’austérité budgétaire) (n’)est (qu’)un moyen nécessaire pour que la France  devienne crédible pour demander de la croissance. Admettons. Admettons. On se rapprocherait ainsi du policy mix des États-Unis, avec par exemple une politique monétaire mettant comme dans les circonstances actuelles le taux d’intérêt de la banque centrale aux alentours de 0%  tant que le marché de l’emploi ne s’améliore pas  vraiment – certains en Europe vont apprécier…-, et on chercherait à faire glisser le taux de change de l’Euro – là encore, certains en Europe vont apprécier. Il reste l’autre aspect : la politique budgétaire. Si tous les pays membres de l’UE se tiennent à l’austérité budgétaire demandée, toujours pour faire un parallèle avec les États-Unis, qui relance au niveau continental?  Pour l’instant, le budget communautaire représente autour de 1% du PIB européen, et les déclarations des Etats membres pour les négociations budgétaires à venir vont plutôt vers un blocage à ce niveau (y compris celles de N. Sarkozy). Mais, après tout, à ce stade, il n’est pas impossible que N. Sarkozy suggère d’ici la fin de la campagne présidentielle une augmentation massive du budget communautaire, appuyée sur un impôt spécifiquement européen. On avance, on avance, on avance, vers la fédération, mais en dénigrant l’Europe.

En attendant Godot (j-10).

Étrange impression pour quelqu’un qui comme moi, suit d’assez près la presse italienne en même temps que la presse française. En effet, on dirait bien que la crise de la dette européenne se met à repartir de plus belle, Italiens et Espagnols tendant à se renvoyer la balle de la responsabilité de ce rebondissement. C’est pourtant logique et attendu comme un « multiplicateur keynésien ». Au moins dans un premier temps, prendre des mesures d’austérité sur la dépense publique ou augmenter les impôts, taxes,  et autres contributions, des ménages ou des entreprises, tend à déprimer la conjoncture économique dans un pays, et, si des pays fortement interdépendants comme les pays européens se mettent à jouer tous dans ce sens, le résultat récessif finit par arriver. Beaucoup d’économistes avaient prévenu de cet effet dès l’année dernière. Maintenant, simplement, cela devient concret. En Italie, le marché de l’automobile est en train de s’effondrer comme jamais. Étonnant, n’est-ce pas? On ne s’en serait pas douté un seul instant : s’endetter pour acheter une voiture neuve quand le revenu disponible du ménage diminue (ou pourrait diminuer)…, c’est pourtant une bonne idée. Il se trouve que le lobby qui prétend représenter la finance mondiale (« l’Institut de la finance internationale ») vient même de communiquer sur ce point, selon le Monde. De fait, dans le communiqué de presse, de ce dernier, on peut lire (entre autres) :

« In today’s letter, IIF Managing Director Charles Dallara noted that the strong emphasis in Europe on fiscal austerity has contributed to a steep contraction in domestic demand. He proposed that European governments adopt a more balanced fiscal policy approach, consistency between economic policy and regulatory policies, as well as intensified efforts to implement structural reform. He said Euro Area countries should move towards a mutualization of the fiscal burden, which would help weaker Euro Area member countries to cope with needed adjustments and structural reforms and give an impetus to regional growth and thus reduce regional imbalances. »

Bien sûr, les toujours indispensables « réformes structurelles » sont appelées à la rescousse pour sauver l’Europe de la stagnation, mais il semble bien que ces braves financiers s’inquiètent maintenant d’une austérité trop prononcée, et ne seraient pas contre une mutualisation plus nette des dettes publiques des Etats européens. Cela serait comme une pierre dans le jardin des « Merkozy »…

En tout cas, à ce rythme, à lire la presse étrangère, je ne suis pas sûr que quelque joyeux rebondissement européen ne vienne pas perturber le caractère jusqu’ici très franco-français de la campagne présidentielle. Si cela se produit d’ici le 6 mai, cela pourra jouer en faveur tout aussi bien d’un Sarkozy, capitaine courageux dans la tempête, que d’un Hollande, qui se voit ainsi renforcé par les représentants du « grand capital » eux-mêmes dans sa volonté de redéfinir la politique économique européenne en direction de la croissance.

Pour parler de tout autre chose dans le même post, je me suis soumis à l’obligation de regarder l’émission de France 2 hier soir, avec la première fournée de candidats. C’est du speed-dating version politique, mais, malgré la limite temporelle stricte, les candidats soumis à l’exercice ont été tous pu faire passer le cœur de leur doctrine. Il n’y a pas de confusion possible sur la ligne suivie (y compris à travers les choix vestimentaires de chacun-e). Pour prendre un seul exemple qui m’a fait sourire, Eva Joly n’a pas été très loin de dire que, dans les pays plus civilisés, vu ce que l’on sait des affaires entourant le Président actuel, il y a longtemps qu’il aurait été contraint à la démission par une presse plus agressive et une opinion publique plus moralisatrice. Décidément, F. Fillon avait raison, cette dame ne comprend pas bien l’histoire de ce vieux pays… et nos mœurs gallo-romaines de Bas Empire. De fait, la cohérence de la prestation de chacun avec sa place dans l’espace politique français m’a frappé.

Par contre, les journalistes, les journalistes, les journalistes… Arrogance, mépris, langage corporel et mimiques ne cachant rien de leurs sentiments (réels ou feints) à l’encontre de ces pauvres hères de candidat(e)s… Cela ne valait pas seulement pour Philippe Poutou, le candidat du NPA, mais pour tous les présents d’hier soir. Certains sociologues parlent de « société du mépris » : de fait, la configuration d’hier soir m’a profondément déplu. Je n’ai pas assez regardé la télévision ces cinq dernières années pour ne pas être surpris par le processus de « dé-civilisation » qui y est en cours, ou tout au moins, pour ne pas avoir mal pris la contamination, soulignée de fait par la mise en scène choisie, entre ce genre d’exercice et une quelconque émission de variété, où l’on fait mine de rechercher le talent de demain. C’est à la fois faussement cool et vraiment  méprisant. Je ne sais pas encore si j’ai le courage de m’infliger ce pensum une deuxième fois.  Il faudrait pourtant…

Ps. Je me suis contraint à regarder la deuxième soirée. Je me suis habitué aux journalistes, et à leur côté méprisant. N. Sarkozy m’a bien faire rire avec son refrain contre le « libéralisme anglo-saxon » (via sa critique d’un article du Financial Times favorable à F. Hollande), qui faisait très retour au « Discours de Toulon » d’octobre 2008. Ah la droite française, et son incapacité à assumer son libéralisme… (Mais cela correspondrait-il à quelque coup de tabac qui se prépare sur les marchés financiers? La crise serait-elle non résolue finalement?). Le message qui se rappelait au bon souvenir des retraités était aussi tellement transparent que j’en ai ri de bon cœur.  Ensuite, le « scientisme » digne du XIXème siècle, mêlé à un « planisme » digne de la période de la reconstruction (1946-1955), de J. Cheminade  m’a paru encore plus exotique que son complotisme. Son « désir de Mars »  était plus sérieusement fou qu’on aurait pu le croire. La candidate de Lutte Ouvrière a été cohérente dans ses propos, mais elle a montré à quel point son « communisme » n’est pas capable d’exprimer un « projet de société ». Et, pour la fin du cycle, pour le téléspectateur qui était encore devant son poste, l’intervention de Jean-Luc Mélanchon a été une vraie récompense. Un grand bretteur, qui aura réussi à déstabiliser les journalistes en les ramenant à leur rôle, et qui aura dramatisé à souhait la situation de la France.

Je ne sais pas si cette émission bougera des voix; par contre, elle peut servir de document pédagogique d’introduction aux « grands courants politiques français » dans la deuxième décennie du XXIème siècle. Beaucoup de  choses, au delà des personnes de chacun des candidats, y sont.

Présidentielle 2012 : les politistes en ordre de bataille.

Nous voilà à moins d’une vingtaine de jours de la fin de la campagne électorale du premier tour de l’élection présidentielle 2012. Tout cela n’a pas été très passionnant jusque là. A moins que les sondages (fort critiqués par certains blogueurs pour leur absence de rigueur scientifique) se soient trompés complètement dans leurs estimations des votes futurs des électeurs se rendant aux urnes le 22 avril, et que, du coup, le dépouillement amène à un résultat totalement imprévu (du genre un second tour Bayrou/Le Pen), tout cela sera resté fort classique.

En tout cas, les politistes sont en ordre de bataille pour expliquer ce qui se passe et va se passer. J’ai essayé de lister ce qui était d’ores et déjà disponible sur Internet:

a) les approches tout à fait classiques du « canal historique » et du « canal habituel » de la tradition, issue de la partie dominante de la science politique, qui pense que les sondages d’opinion (pourvu qu’ils soient rigoureusement faits) constituent une source de connaissances décisives sur l’opinion publique et sa formation.

On trouvera sur le site du Cevipof en particulier les résultats de leur panel. Un panel, rappelons-le, consiste à réinterroger les mêmes personnes plusieurs fois, ce qui permet de suivre leurs éventuels changements d’opinion. Il suppose un large échantillon au départ pour compenser les pertes de répondants entre deux vagues successives. Ce dernier, géré par IPSOS et financé de manière pluraliste par la Fondapol, la Fondation Jean Jaurès et le journal le Monde,  est fondé sur la très contestée ailleurs qu’en France « méthode des quotas ». Il fonctionne sur Internet depuis novembre 2011, et, comme il fallait s’y attendre, les résultats obtenus ne bougent pas énormément d’une enquête à une autre. C’est bien sûr le déroulé de l’ensemble qui sera intéressant au final. On trouvera aussi sur le site du Cevipof toute une série d’études sur des segments particuliers de l’électorat, ainsi que sur les enjeux de l’élection  et des réactions de collègues étrangers.

Dans ce champ des croyants dans le sondage, on trouve la concurrence (ou plutôt la complémentarité?) du groupe Trielec. Il s’agit d’une triple alliance entre le CEE (Science-Po Paris), le Centre Emile Durkheim (Science-Po Bordeaux), et enfin le laboratoire PACTE (Science-Po Grenoble), dont je suis par ailleurs membre sans participer à la dite enquête.  Là aussi, on s’appuie principalement sur des vagues de sondages successifs, réalisés dans ce cas par TNS Sofres. Il ne s’agit pas par contre d’un panel  (même s’il existe dans le dispositif très diversifié proposé un panel qualitatif en ligne). Les grincheux souligneront là aussi qu’il s’agit de sondages à la française, c’est-à-dire d’échantillons de 1000 personnes avec la méthode des quotas. Malgré tout, cette approche permet de s’apercevoir dès début mars 2012, que la campagne en cours ne ravit pas les électeurs (note de Bernard Denni en date du 6 mars 2012, « La pré-campagne déçoit les électeurs »). L’originalité de « Trielec » est par ailleurs d’étudier aussi le côté émission de messages politiques en même temps que les effets (supposés) de leur réception (via les sondages), et de ne pas négliger les nouveaux médias (genre Twitter).

b) Du côté de ceux qui ne croient guère (euphémisme) aux sondages comme instruments de connaissance des choix politiques des groupes sociaux, on peut d’abord signaler le collectif SPEL (Sociologie politique des élections) hébergé par le journal en ligne Médiapart. Les articles publiés sont sans surprise dans la veine de la sociologie politique « critique », issue de manière désormais lointaine des travaux de Pierre Bourdieu. Il s’agit souvent de déconstruire des évidences du discours médiatique sur la campagne en cours, et/ou de rappeler la profondeur historique des situations du point d’un groupe social ou d’une politique publique. Comme j’ai moi-même été formé dans ce cadre théorique là, je ne me sens pas dépaysé.

Dans une veine bien plus obsédée par les sondages, on signalera  le blog « Régime d’opinion »,  dont le titre illustre assez le propos, hébergé par le Monde diplomatique, blog de notre collègue Alain  Garrigou, et, lié au même collègue, le site Observatoire des sondages. Fondamentalement, pour ce dernier et son équipe (même s’ils ne ne nient pas vu leurs  critiques méthodologiques  qu’on pourrait faire du sondage scientifiquement pertinent),  les sondages d’opinion en France ne sont rien d’autre qu’un moyen de manipulation du bon peuple.

c) Une nouveauté de cette année 2012 est constituée enfin parce que j’appellerais les expérimentateurs : j’ai repéré d’une part, le site La boussole présidentielle, qui est géré à encore par le Cevipof et quelques médias (20 minutes, Ouest France) à forte audience populaire. Il représente une adaptation à la situation française d’un modèle néerlandais de la société Kieskompas, elle-même lié à un collègue néerlandais bien connu (A. Krouwer). Il s’agit de proposer un site où les électeurs peuvent en répondant à une trentaine de questions portant sur les propositions des candidats se positionner eux-mêmes dans l’espace politique, et donc estimer le candidat ou les candidats les plus proches de leurs préférences. C’est donc un instrument qui permet à l’électeur de voter « sur enjeux » – en supposant donc par hypothèse qu’il  n’a pas de préférence partisane préalable qui oriente son vote. Le site permet même de pondérer entre les différents domaines de préférence ce qui compte le plus pour l’électeur qui s’interroge. A l’usage, c’est ludique à souhait. Surtout, cela permet de bien montrer (par exemple à des étudiants) que l’élection se joue dans un espace à deux dimensions où les candidats se positionnent logiquement : l’opposition entre les conservateurs (droite) et les progressistes (gauche) économiques et celle entre les conservateurs et les progressistes moraux. (J’ai eu cependant l’impression que l’enjeu européen, si on ne retient que lui pour critère de choix, pouvait perturber entièrement ce bel ordonnancement.)

D’autre part, j’ai repéré le site de collègues canadiens qui veulent profiter de l’élection présidentielle 2012 pour faire tester à l’électeur français des méthodes de vote alternative à notre bon vieux scrutin majoritaire à deux tours. On se trouve dans ce cas à la limite entre l’expérimentation et la proposition d’une méthode pour améliorer la démocratie. Je suis nettement moins séduit, ne serait-ce que parce qu’il faudrait des événements extraordinaires pour qu’on change en France ce mode de scrutin-là.

Dans le présent post, je ne suis sans doute pas exhaustif, mais, en tout cas, l’élection présidentielle 2012 confirme aussi la structuration pérenne de notre discipline en des pôles peu compatibles par leurs approches, ainsi que les effets d’homologie structurale entre les choix méthodologiques des uns et des autres et les médias qui donnent la parole à tel ou tel groupe de collègues.

J. De Maillard, Y. Surel, Les politiques publiques sous Sarkozy

Nous voici à quelques petites semaines de l’échéance : les électeurs de la République française vont choisir en l’espace de deux dimanches un nouveau Président (roi? empereur? leader? amuseur?), mais, par là même, ils vont aussi se prononcer les 22 avril et 6 mai 2012 sur le quinquennat 2007-2012. En effet, comme le Président sortant a cru bon de se représenter aux suffrages, il est impossible de ne pas faire un premier  bilan de son action de gouvernement à l’occasion de cette élection.

Dès le début du quinquennat, les bilans n’ont d’ailleurs pas manqué. Nos collègues, Jacques de Maillard et Yves Surel, ont choisi d’alourdir le dossier en rassemblant autour d’eux une équipe de politistes français et étrangers pour faire un état de (presque) toutes les grandes politiques publiques pendant le quinquennat. En effet, l’éducation et la défense sont absentes du tableau. Cela donne du coup un solide livre de 400 pages: Les politiques publiques sous Sarkozy (Paris : PFNSP, 2012), qui, du point de vue éditorial, se trouve être aussi le troisième volume paru d’un ensemble conséquent sur les politiques publiques en France.

J’ai écrit à dessein « alourdir le dossier », car il faut bien le dire, cela m’étonnerait que les militants de l’UMP ou de quelque autre parti de la majorité sortante lisent ce livre avec un grand plaisir. En effet, quoique tous les collègues ici réunis s’astreignent au respect des faits (en général bien connus de ceux qui ont suivi l’actualité de ces cinq dernières années) et à celle d’une déontologie scientifique favorisant la pondération du propos, et qu’ils corrigent à l’occasion des exagérations de l’opposition sur le bilan du quinquennat, il ressort de cet ouvrage une image finalement désormais assez banale de la Présidence Sarkozy : « So Much Noise for Nothing ». Ou, en bon français, que de bruit et de fureur pour si peu de substance nouvelle.  Il se trouve que ce jour même, Nicolas Sarkozy a promis que, s’il était réélu, il serait une autre sorte de Président que celui qu’il a été pendant cinq ans. Aurait-il lu lui-même le livre dont nous faisons ici la chronique?

En effet, l’apport premier de toutes ces contributions est de montrer que, dans tous les domaines de l’action publique considérés, au delà des différences,  les schémas se ressemblent : une grande volonté de « rupture » au départ à travers une implication personnelle du Président dans le dossier sectoriel considéré, pour ensuite être ramené dans le lit habituel des politiques publiques de moyenne période de l’État français,  soit par le respect d’une base électorale à préserver ou d’un lobby à cajoler, soit par le droit constitutionnel, soit par le droit européen, soit par la configuration administrative et institutionnelle de la dite politique publique,  sans compter les quelques revirements plus ou moins accentués dans certains cas (politique africaine ou politique fiscale par exemple) qui ne sont d’ailleurs pas passés inaperçus. Les deux directeurs de l’ouvrage résument cela ainsi (p.42-44)  : une présidence qui ne fut pas de « rupture » si l’on observe une à une les politiques publiques suivies, où l’on constate « l’écart entre un discours volontariste, offensif et des changements substantiels réduits »; une tendance prononcée à faire des coups au nom de la volonté politique sans afficher  pourtant de ligne idéologique claire dans l’action suivie . Ou, pour être plus clair encore, « La rupture n’est ainsi sans doute pas là où l’on l’attend, car c’est par l’inflation rhétorique et communicationnelle que Nicolas Sarkozy tranche de la façon la plus nette avec ses prédécesseurs » (p. 43).

De fait, à lire les différents chapitres de l’ouvrage, le diagnostic de J. De Maillard et d’Y. Surel semble pertinent. Nous serions tenté d’y ajouter dans une lecture transversale un évident problème d’agenda présidentiel et une absence des ministres comme acteurs pertinents des politiques publiques étudiées. En effet, dans  toutes les études sectorielles ici rassemblées, il apparait que les ministres du domaine concerné valsent, changent, n’ont qu’un poids très limité, si ce n’est nul, dans les décisions prises dans leur domaine de compétence, et qu’en pratique, il faut, comme l’a souligné la presse au fil de la Présidence Sarkozy, aller voir pour comprendre ce qui se trame ce que font les conseillers de l’Élysée. C’est flagrant par exemple dans le chapitre  sur la gestion de la crise financière (chap. 14, Nicolas Jabko et Elsa Massoc, « Nicolas Sarkozy et la crise financière. Cherchez la rupture! », p.321-340) où la situation décrite apparait presque « poutinienne », mais aussi dans le chapitre (excellent par ailleurs) sur la réforme territoriale (chap 8., Patrick Le Lidec, « La réforme des collectivités territoriales sous Sarkozy. Entre (mise en scène du) volontarisme et incrémentalisme », p. 189-210).  Dans la plupart des chapitres, le nom même des ministres en charge n’est pas même cité par les auteurs; par contre, on connait parfois ceux, si on ne les connait pas déjà, des conseillers à la Présidence, ou bien ceux des administrations centrales concernées. La Présidence Sarkozy a visiblement atteint le stade de la perfection au niveau  des « Ministres Godillot », ou bien, est-ce une erreur collective de vision des auteurs des différents chapitres, eux-mêmes obnubilés par le « sarkozysme »? Nous aurions tendance à leur faire plutôt crédit, d’autant plus qu’à ce jour le seul ministre de ce quinquennat, dont le nom semble devoir rester dans les mémoires, sera justement celui d’un ancien (principal) conseiller présidentiel: Claude Guéant.

Vu cette configuration « consulaire » du pouvoir d’État, qui, par ailleurs éloigne la France de ses voisins européens où, en principe, les ministres en charge comptent dans le jeu politique autour de leurs dossiers, il n’est guère étonnant d’observer comment des moments d’activisme présidentiel sur certains dossiers sont suivis d’un enlisement, voire d’un abandon, du sujet par la suite. Un homme, même entouré de conseillers nombreux et efficaces, ne peut pas suivre au jour le jour tous les dossiers d’un pays comme la France. Il se heurte à un problème d’agenda, et peut-être d’énergie. Comme dirait sa femme actuelle, il risque de se tuer à la tâche…

Pour ajouter au dossier à charge, l’ouvrage ajoute qu’une attention considérable semble avoir été investie dans la gestion de l’opinion publique. Erik Neveu (chap. 1, « Les politiques de communication du Président Sarkozy », p. 47-69), dans quelques pages remarquablement claires, explique bien à quel point l’actuel Président a décidé d’utiliser une stratégie de saturation en terme de communication en multipliant les annonces et les coups, au risque de finir par lasser son auditoire face à des faits souvent contraires à ses annonces, et surtout au risque de se saturer lui-même. « Le budget-temps considérable consacré par Nicolas Sarkozy à la gestion des médias et au suivi de l’opinion soulève par ailleurs des questions de fond sur les définitions du métier politique, au double sens de fonction et de savoir-faire. »(p. 63). Cette idée d’une part disproportionnée allouée par le Président à la propagande de sa cause est renforcée par la recherche de Céline Belot (chap. 2. , « Gouverner par les sondages? Nicolas Sarkozy et l’opinion publique », p. 72-92). Celle-ci croit pouvoir discerner qu’à chaque moment où la popularité présidentielle s’étiole dans les sondages rendus publics, correspond une contre-attaque médiatique avec annonce présidentielle de quelques mesures censées lui rallier l’opinion (cf. p.81-86) – ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de finir par battre des records d’impopularité… Il ne s’agit peut-être là que d’une (mal)heureuse série de coïncidences, mais il sera intéressant d’avoir un jour des témoignages de l’intérieur du premier cercle présidentiel pour vérifier ce qu’il en fut vraiment de la gestion de l’agenda.

Pour adopter un autre point de vue sur l’ouvrage que l’obsession Sarkozy qui finit par être lassante, les chapitres pris un à un présentent à chaque fois un bon état de l’art sur la politique publique considéré. L’avantage, en particulier pour un lecteur étudiant, de chacun de ces chapitres est sans doute qu’ils ne sont pas trop chargés de l’habituelle inflation conceptuelle typique de nos collègues spécialiste des politiques publiques, et qu’ils décrivent  des faits, indiquent des dates, des procédures, fournissent en somme des récits lisibles. Comme ce sont le plus souvent des spécialistes déjà connus des différents domaines considérés, le lecteur que je suis retrouve des thèmes déjà abordés par les mêmes auteurs ailleurs, et n’est du coup pas trop surpris de ce qu’il peut lire. Les bibliographies sont en général bien faites, et permettent d’aller plus loin – même si un observateur attentif remarquera que, parfois, certains se gardent bien de citer leur(s) concurrent(s) direct(s) dans le sous-champ académique considéré, éternel péché véniel(?) de l’universitaire.

Pour être plus critique enfin, certains chapitres me paraissent un peu trop oublieux des réactions populaires et associatives aux politiques suivies, en particulier celui consacré à la politique migratoire (chap. 12, Joao  Carvalho et Andrew Geddes, « La politique d’immigration sous Sarkoy. Le retour à l’identité nationale », p. 279-298), qui oublie à la fois le rôle de RESF, et surtout le long conflit des « sans-papiers » encadré par la CGT. Ce quinquennat apparaitra peut-être comme celui où des mécanismes sociaux et économiques ont fini par montrer, contre la volonté politique, que la société française ne peut pas se passer d’immigration.

Sur le plan des lacunes, je ne peux que regretter que l’éducation primaire et secondaire et la défense aient été oubliés, ou que les deux directeurs de l’ouvrage n’aient trouvé aucun volontaire pour traiter le sujet. Ces deux postes constituent pourtant les principales sources de dépense de l’État (en dehors du service de la dette publique), et surtout ils ont connu eux aussi des politiques publiques de « rupture » de la part de N. Sarkozy. En particulier, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a eu, d’évidence, un fort impact sur les politiques éducatives suivies, et sur le ressenti des ressortissants (élèves, parents, enseignants) des dites politiques éducatives. Sans doute, ajouter ces deux cas au tableau n’aurait pas changé le diagnostic général qui visait à comprendre la nature de la Présidence Sarkozy, mais, pour que le livre soit un instrument de connaissance des politiques publiques en général sous Sarkozy (pour un lecteur étudiant par exemple), il me semble qu’il s’agit là d’une double absence regrettable.

Enfin, mais c’est là ma marotte personnelle, je trouve que le livre traite trop peu des enjeux économiques et financiers de tous ces choix de N. Sarkozy. Le chapitre sur la politique économique (chap. 13, Ben Clift, « Les politiques économiques sous Sarkozy », p. 299-320) est plutôt rapide, et donne une impression de surplomb un peu moqueur vis-à-vis de ces pauvres frenchies toujours aussi incapables de se réformer qui tranche un peu avec le reste de l’ouvrage. Cette faiblesse traduit sans doute le fait que, pour l’instant, les politistes français ne souhaitent pas intégrer dans leurs réflexions sur les politiques publiques des considérations proprement économiques, et laissent dans le fond l’économie aux économistes.  J’aurais pourtant aimé trouver dans ce livre un vaste tableau des grands équilibres de l’Etat, et donc des grands postes de recettes et de dépenses, traités dans une vision politiste (par exemple, en réfléchissant aux équilibres sociaux et politiques qui déterminent ces dépenses). N. Sarkozy a-t-il eu là aussi une faible particularité? Ou bien a-t-il été le « Président des riches » comme le prétendent certains? Ou encore un clientéliste sans scrupules (cf. allégement de la TVA sur la restauration)? Ou encore a-t-il  vraiment mis pour reprendre la célèbre expression de son (inutile) Premier Ministre  la France en faillite?

J’en demande peut-être trop à un seul ouvrage… Au total, ce livre constitue un bel état de l’art de la part de nos collègues spécialistes des politiques publiques. Il sera vraiment intéressant d’y revenir dans quelques années pour voir si des inflexions n’ont pas échappé aux auteurs.

Ps. Pour une présentation par Y. Surel et J. De Maillard de leurs principales conclusions (que j’ai apparemment bien résumées, car elles sont clairement dites dans l’ouvrage), voir ici sur le site de Laurent Mucchieli. Décidément, ce livre n’est pas à lire tout de suite si on se trouve être un militant UMP, seulement après le 6 mai. Cela pourra servir – ou non.

Rally around the flag effect? Ou simple réactivation des positions politiques déjà là?

Au delà de leur caractère d’évidence infiniment tragique pour les victimes et leurs proches, les événements de la semaine dernière, à Montauban et Toulouse, constituent pour le moins un test des théories disponibles sur le choix électoral.

Première hypothèse. Nicolas Sarkozy arrive largement en tête au premier tour le 22 avril et gagne (même de très peu) l’élection le 6 mai 2012.  Au vu de son bilan économique et social plutôt médiocre (avec un niveau de chômage record par exemple), au vu surtout des sondages de popularité encore plus médiocres qui l’auront accompagné pendant presque tout son mandat, et au vu enfin des défaites successives de son camp lors des élections intermédiaires, il sera très difficile de ne pas attribuer cette victoire, au moins en partie, à ces événements de Montauban et Toulouse. En effet, aussi bien par la personnalité du tueur que par la nature de ses victimes, c’est l’illustration parfaite des raisons qui justifient dans nos sociétés pour ceux qui y sont favorables des politiques toujours renforcées de law & order. Or, sur cet enjeu de la sécurité, la droite a, depuis les années 1970, la prééminence. Peut-être, la situation pourrait se retourner contre la majorité en place, si démonstration était faite clairement des carences de l’action policière en matière de prévention de ce crime.  En tout cas, dans cette première hypothèse d’une victoire de N. Sarkozy, les chercheurs discuteront obligatoirement de l’impact de cet événement. S’il se trouve que les équilibres de l’opinion en auront été totalement bouleversés, avec par exemple une très nette avance inattendue de N. Sarkozy au premier tour par exemple sur son concurrent socialiste et un résultat médiocre de la candidate du FN, il faudra bien se rendre à l’évidence qu’il y aura eu comme un « rally around the flag effect ». Comme au début d’une guerre, le pouvoir en place aura bénéficié d’un large appui de l’opinion publique.  En revanche, si, finalement, le résultat du premier tour n’a pas bougé pas tellement par rapport à ses équilibres antérieurs (mal?) mesurés par les sondages, on supposera plutôt que cet événement n’aura fait que réactiver des positions politiques déjà présentes chez les électeurs. Il comprend en lui-même en effet tout pour réveiller les convictions des uns et des autres. Le criminel dont je ne citerais pas le nom ici pour éviter de participer à sa gloire posthume nullement méritée représente sans doute la quintessence de ce que peut craindre un électeur de droite ou du centre-droit! – et, encore plus,d’extrême-droite! Or, rappelons-le, les intentions de vote pour les candidats des partis de gauche et d’extrême gauche (PS, EE- les Verts, Front de gauche, NPA, LO)  au premier tour sont minoritaires. Il suffirait donc à N. Sarkozy de rassembler tout le reste (y compris en particulier les électeurs du Modem) pour gagner, en transformant l’élection en un référendum sur la loi et l’ordre, et, implicitement, sur l’immigration et l’Islam. Au second tour, une majorité d’électeurs décideraient non pas d’éliminer N. Sarkozy comme les sondages le prédisaient avec constance depuis des mois, mais d’éliminer le candidat d’en face supposé être trop tendre, angélique, laxiste avec la menace terroriste, migratoire, islamiste.

Deuxième hypothèse. Nicolas Sarkozy fait un score médiocre au premier tour pour un Président sortant qui reste le seul représentant de la droite, et se fait battre par François Hollande au second tour. Dans cette configuration, plus conforme à tous les sondages antérieurs, les événements de Montauban et de Toulouse seront ramenés à un événement qui, finalement, n’aura pas changé grand chose : les électeurs ont une mémoire un peu plus grande que celle des « poissons rouges » (pour reprendre l’expression d’un collègue), et, de fait, les explications à la défaite de N.Sarkozy ne manqueront pas!

Europe-follies!

Nicolas Sarkozy ne l’a pas encore dit, mais, à ce train-là, il va ne pas manquer de le  dire avant la fin de sa campagne de réélection s’il continue ainsi : « L’Allemagne, cela commence à bien faire »… En tout cas, hier, à Villepinte, il n’a pas été très loin de dire que « l’Europe, cela commence à bien faire ». Devant le « peuple de l’UMP » (bravo la foule!), le président sortant a indiqué qu’il adopterait, s’il est réélu, une position de négociation dure avec nos partenaires européens. Soit la collectivité européenne se pliera aux volontés françaises qu’il incarnera de nouveau par l’onction électorale du peuple, soit la France agira unilatéralement. Comme au bon vieux temps du Général De Gaulle – ah, la bonne vieille « crise de la chaise vide », et le bon vieux « compromis de Luxembourg » – de l’Europe des six. Heureusement, ces velléités de mettre nos partenaires devant un ultimatum ont été formulées de façon telle que le Président réélu n’ait pas de toute manière à en arriver là: sur la révision des règles régissant l’espace Schengen (de libre circulation des personnes), des négociations sont déjà en cours, et le gouvernement français obtiendra sans aucun doute quelque hochet bien symbolique à présenter comme un grand résultat dans la lutte contre l’immigration clandestine. En effet, je vois bien un gouvernement français fermant au cours de l’année 2013 de nouveau les frontières à l’ancienne… cela aurait un succès fou auprès de nos concitoyens qui font du tourisme chez nos voisins, et de ceux qui y commercent. (Au moins, cela permettrait des recrutements dans la police des frontières.) Pour les autres propositions (sur les petites entreprises, sur les marchés publics, sur la préférence communautaire), N. Sarkozy amuse la galerie. Dans cette Europe à 27-là, c’est – dans la version forte de dites propositions –  impossible.

Ces déclarations du candidat-président, applaudies par la foule de Villepinte, montrent à quel point une partie de l’électorat (si ce n’est la majorité?) n’a pas encore compris que la participation de la France à l’Union européenne suppose par définition une souveraineté partagée et implique désormais de très fortes contraintes sur les grands choix économiques du pays. Nous sommes en 2012, pas en 1966! La France n’a pas le même poids relatif dans la prise de décision d’une Europe à 6, et dans celle d’une Europe à 27.  Il est par ailleurs pour le moins piquant de voir le même Président qui vient de signer toute une série d’accords européens qui contraignent – s’ils sont respectés – la France à suivre une « bonne politique économique et une seule » s’époumoner devant ses militants pour leur faire croire que la France peut encore jouer les cadors en Europe.

A dire vrai, la situation n’est guère meilleure dans une bonne partie de la gauche. Tout au moins, quand François Hollande dit qu’il va chercher à renégocier le récent Traité à 25 en ajoutant un volet « croissance » à ce dernier, il semble bien tout de même se poser la question de se trouver des alliés en Europe pour faire valider sa démarche. (Il existe d’ailleurs une lettre de 12 pays membres pour demander une démarche plus vigoureuse de la Commission en ce sens d’un accent à mettre sur la croissance, mais elle a été signée par les gouvernements les plus libéraux, c’est-à-dire Cameron, Monti, Rajoy & Cie, qui veulent relancer la croissance par la libération des esprits animaux du marché, et non par quelque mesure dirigiste à la française.) C’est donc sans doute illusoire dans une telle Europe de vouloir imposer sa vision « interventionniste » de la croissance, mais au moins le candidat du PS se pose la question des alliances.

En tout cas, heureusement que nos partenaires européens savent (nécessairement?) que N. Sarkozy fait de la démagogie à leurs dépens sans leur en vouloir le moins du monde. En période d’élection, c’est open bar pour les promesses à l’emporte-pièces sur l’Europe. Ce n’est pas seulement un effet de concurrence avec le FN, c’est plus général je crois, c’est jouer sur un manque de connaissances du public sur l’Union européenne.

Un exemple sur ce point : le Monde fait un éditorial le samedi 10 mars 2012, sous le titre « Le triste délitement de l’idée européenne ». La plume anonyme du journal commente le sondage sur l’Europe que le journal a commandé. Il n’est pas fameux, mais le commentaire non plus. Deux phrases m’ont fait mal :

Première : « S’il y avait au sein de l’Union européenne (UE) un classement des opinions en fonction de leur degré d’europhilie, la France serait sans doute dans les rayons du bas ». Problème énorme : le dit classement existe depuis les années 1970 sous la forme des Eurobaromètres produits très régulièrement par la Commission européenne. (Pour les personnes intéressées, voir ici.) Comment l’éditorialiste fait-il semblant d’ignorer cette réalité? En tout cas, s’il allait voir les dernières données Eurobaromètres disponibles (le « 76.1 »), il verrait qu’effectivement, les Français ne sont pas parmi les plus europhiles des Européens, mais aussi que l’opinion des Français est bien plus subtile qu’un simple pour ou contre. Les données sont là, elles sont gratuites en plus, pourquoi les ignorer?

Deuxième : « Hormis l’établissement du grand marché unique, il n’y a plus guère de ‘politique communautaire’. Mais la perception de l’opinion est qu’il y en a encore trop… » Seconde partie de la séquence, voir les Eurobaromètres déjà cités. Première partie : l’activité de l’Europe communautaire (Commission européenne) ne se réduit pas à gérer le « grand marché » au sens strict. Ont-ils même entendu parler au Monde d’un certain Ollii Rehn, actuel Commissaire européen en charge des affaires économiques et financières?

Le but de l’éditorial du Monde était de faire la leçon aux politiques proeuropéens sur leur manque de prise sur l’opinion publique française : il faudrait peut-être que la dite opinion soit déjà mieux informée par ceux dont c’est en principe le métier. Il ne faut pas s’étonner alors qu’un N. Sarkozy se permette de dire un peu n’importe quoi sur l’Europe ensuite.

Ps. Et en plus notre bon Président va se prendre s’est pris (mais discrètement tout de même) un rappel à la réalité de la part de la Commission… Lisez déjà cette mise au point bien vue sur Schengen de la part d’un collègue juriste, où l’on voit qu’en ce domaine, les Etats n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes!

Hallal-follies!

Quand, lors de la revue de presse hebdomadaire de mes étudiants de 3ième année à l’IEP ce mardi, ces derniers ont rappelé à l’auditoire que N. Sarkozy avait déclaré en gros que le problème du caractère hallal ou non de la viande était le problème qui préoccupait le plus les Français, je n’y ai pas cru. Je me suis dit que mes étudiants se trompaient, mais il m’a été facile de vérifier (par exemple, ici ou ) qu’ils avaient bien fait le travail que je leur avais demandé.

Effectivement, le Président de la République française a déclaré lundi lors d’une visite à Saint-Quentin à des journalistes : «Le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français – je parle sous votre contrôle -, c’est cette question de la viande halal.» (sic, selon le Figaro, qu’on ne peut soupçonner de  bidonner les propos présidentiels!) . Deux journalistes du Monde, Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider, proposent une belle reconstitution à chaud de ce revirement, qui tient, semble-t-il, à une lecture de sondages indiquant que le cœur de cible électoral de N. Sarkozy discutait effectivement de la question.  François Fillon a rajouté son grain de sel sur l’abattage rituel juif et musulman qui doit se mettre au goût du jour, et, voilà, effectivement, une belle polémique bien lancée.

Sur le fond, ce n’est pas la première fois qu’un leader de la « droite républicaine » en période d’élection présidentielle se lance dans un propos clairement destiné à attirer (ou retenir) la partie la plus xénophobe de son électorat potentiel. Aurait-on oublié la bonne vieille diatribe de Jacques Chirac sur le « bruit et l’odeur »?

Ces déclarations sur le hallal s’inscrivent donc dans une tradition de mobilisation de l’électorat conservateur : en effet, il est absolument certain que la viande hallal n’est pas la première préoccupation des électeurs français en général (d’ailleurs les sondages disponibles ne testent même pas ce supposé problème); par contre, il est tout aussi certain qu’une partie des électeurs, ceux qui se sentent  proches des positions du  Front National, se déclarent prioritairement préoccupés par l’immigration.

Autrement dit, je n’aurais pas dû m’étonner tant que cela.

Encore que je ne voie pas l’intérêt qu’il y a à donner de fait raison si vite  à Marine Le Pen (après lui avoir donné tort dans un premier temps en plus), qui a évoqué la première le supposé problème il y a moins de trois semaines , ce qui va lui permettre ensuite de plastronner en soulignant qu’elle a eu raison de parler la première de « cette première préoccupation des Français ».

Encore que je ne voie pas l’intérêt de mettre en porte-à-faux une Rachida Dati que le camp présidentiel venait juste de mobiliser au service de la campagne présidentielle. Considère-t-on au château que tout l’électorat issu de la « diversité » (pour utiliser l’affreux jargon en usage) est de toute façon perdu, ou négligeable dans la recherche d’une majorité au second tour?

Encore que je ne voie pas l’intérêt de semer le désordre dans sa propre majorité (voir les déclarations des uns et des autres, y compris d’un Jean-Claude Gaudin), et de donner à tous ses opposants (en dehors du FN) le beau rôle de défenseurs des traditions républicaines de tolérance (et, accessoirement, des intérêts géopolitiques de la France).

Encore que je ne voie pas l’intérêt d’inquiéter la communauté juive par la même occasion, ou encore de mettre en cause la filière viande de l’agro-alimentaire qui a déjà connu quelques crises de confiance de la part du consommateur depuis 20 ans.

Bref, c’est bien beau de monter en gamme dans la provocation pour occuper le devant de la scène – cela peut certes marcher, comme l’a démontré un Berrlusconi pendant des années -, mais il faudrait tout de même penser à ne pas sombrer dans le ridicule!

Ps. Dans le même ordre d’idée, la déclaration de l’actuelle Madame Sarkozy, « Nous sommes des gens modestes. » Il ne manque plus qu’une déclaration du genre « Les Allemands, cela commence à bien faire… »

Référendum, proportionnelle, et quoi encore?

La campagne officielle de N. Sarkozy est lancée. Pour l’instant, on nage plutôt dans le classique, et on révise ses gammes.

Premier point. Le référendum comme moyen de résoudre les grandes questions qui se posent à la société française. Depuis une réforme constitutionnelle des années 1990, il est effectivement possible d’utiliser le référendum à cette fin. Aucun pouvoir politique ne s’y est pourtant risqué. Le seul référendum organisé depuis est bien sûr celui, tout à fait classique dans son objet institutionnel, du 29 mai 2005 sur le TCE, et l’on sait comment cela a fini : le peuple souverain a « tranché » (pour user du mot de N. Sarkozy) nettement contre le TCE, et… N. Sarkozy n’a pas respecté sa volonté en lui resservant le même plat à peine tiède dans d’autres assiettes (Traité de Lisbonne) deux ans plus tard. Il me semble par ailleurs que des syndicalistes avaient demandé par pétition l’organisation d’un référendum sur la privatisation partielle de la Poste, ils ont été bien sûr entendus comme chaque électeur le sait pour avoir été dûment invité à voter pour cette consultation il y a peu. Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que le référendum est un joyeux pétard mouillé. Si  le Président de la République tient pour une opinion sur la question qu’il fait poser au peuple français, il ne peut qu’être le vainqueur ou le perdant de la consultation. Soit c’est un plébiscite, soit c’est un désaveu. Or, qui peut imaginer un instant que, sur les deux sujets évoqués (droit/devoir des chômeurs à une formation, mécanisme judiciaire des expulsions d’étrangers), un N. Sarkozy réélu n’ait pas d’opinion? Qui peut imaginer ensuite qu’il se soumette par deux fois à la possibilité d’un désaveu des Français?  Défait, il pourra, certes, ne pas démissionner, se référant plutôt à J. Chirac en 2005, qu’à De Gaulle en 1969, mais il finira à petite vitesse son mandat.

Par ailleurs, les objets des deux référendums éventuels sont assez peu définis à ce stade. Déranger les citoyens pour modifier la répartition des tâches entre justice administrative et justice ordinaire ne me parait pas très mobilisateur en soi. Tant qu’à faire dans le brutal à visée xénophobe, il aurait fallu trouver quelque chose de plus croustillant – la suppression de toute possibilité d’acquisition de la nationalité française par mariage? Pour ce qui est de la proposition sur le droit/devoir de formation des chômeurs, cela parait d’un tel flou à en juger les déclarations des uns et des autres qu’on se demande bien à quoi cela peut servir. Surtout, rien n’interdisait en cinq ans à la majorité de revoir de fond en comble ce domaine de la formation des chômeurs – qui, effectivement, fonctionne bien mal. Là encore, en matière sociale, il fallait faire dans le brutal, par exemple avec la suppression pure et simple de tout paritarisme en matière sociale en visant la « mort » des syndicats, ou la suppression « à l’allemande » de la distinction chômeurs/assistés, avec pourquoi pas une allocation unique à hauteur d’un RSA socle. Voilà qui remotiverait ces fainéants de chômeurs! Bref, pour que ce genre  de référendum (anti-)social ait un sens politique et favorise la mobilisation des électeurs, il fallait des propositions encore plus fortes. Mais cela peut encore venir. Patience.

Deuxième point. La « dose de proportionnelle » à introduire dans le droit électoral pour la Chambre des députés. Là encore, rien n’interdisait de le faire : la loi électorale, pourvu qu’elle respecte les principes constitutionnels d’égalité des citoyens devant le suffrage, reste à l’entière disposition de la majorité parlementaire de l’heure. En plus, la seule grande réforme d’un mode de scrutin sous cette mandature (2007-2012) est allée au contraire vers un renforcement du poids du scrutin majoritaire à deux tours dans les équilibres généraux du système politique français. En effet, si tout se passe comme prévu par l’actuelle majorité parlementaire, en 2014, les conseillers territoriaux (remplaçant les conseillers généraux des départements et régionaux des régions) devraient être élus par un scrutin uninominal à deux tours… avec en prime un relèvement du seuil à 12,5% des inscrits pour se maintenir au second tour (afin de supprimer les possibilités de triangulaire). Autrement dit, la majorité actuelle n’a pas hésité à supprimer une bonne dose de proportionnelle… ce qui correspond d’ailleurs à ses intérêts de boutique. Bref, cette dose de proportionnelle sera oubliée à n’en point douter dans les tiroirs dès que l’élection de N. Sarkozy sera acquise.

J’ai bien aimé aussi la prétention (louable) du Président sortant de se présenter comme le candidat « contre le système », et « contre les corps intermédiaires », « avec le peuple contre les élites ». C’est la magie infinie de la politique, le truc a toutefois quelques petites limites, il ne faudrait pas qu’il finisse par nous dire emporter par son élan fantasmagorique qu’il est une femme comme nous contre le machisme ambiant! Mais qui sait? Certains militants pourraient croire même à cela.

A ce stade de la campagne, le camp du Président sortant nous ressort donc les vieux plats de 2007. Un peu d’imagination que diable! Qu’on s’amuse!