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Et le second tour Monsieur Fillon vous y avez pensé?

Les difficultés que traversent actuellement mes vieux parents mobilisent largement mon attention, mais ce que j’arrive à suivre de la politique française en cette année d’élection présidentielle ne laisse pas de m’inquiéter.

En particulier, le tour pris par l’affaire dite du « Penelopegate » me parait encore plus affligeant depuis que François Fillon a décidé de persister dans sa candidature à l’élection présidentielle.  Faute de mieux, son camp – grands élus et électeurs les plus convaincus – risquent bien de le suivre dans cette détermination.  C’est là un effet classique de « dissonance cognitive ».

Cependant, je vois venir un  petit problème à l’horizon. En admettant que François Fillon arrive par la force des déterminations de la sociologie électorale à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle (puisqu’il attirera à lui la France bourgeoise, âgée et aisée sur-participante aux élections qui l’a déjà adoubé aux primaires de la droite et du centre), il est fort possible en l’état de ce qu’on sait des orientations générales de l’électorat et de l’offre politique qu’il affronte Marine Le Pen. Dans une telle configuration, semblable à celle de 2002, il faudra bien que d’autres forces que la seule droite républicaine appellent à voter au second tout pour François Fillon, et que les électeurs suivent ces consignes de vote pour faire, comme on dit depuis un bon quart de siècle, barrage au Front national. Normalement, tout devrait se passer comme aux élections régionales de 2015, où, finalement, quelque soit le candidat de droite républicaine resté en lice, il a battu le candidat du FN au second tour.

Toutefois, vu le déballage que représente le « Penelopegate » – même en supposant qu’aucun acte illégal n’ait été commis par François Fillon – et vu le niveau de jésuitisme des propos des Républicains pour défendre leur candidat (par exemple sur les niveaux de rémunération des assistants parlementaires, qui me font un peu grincer des dents…), j’ai un fort doute sur la tenue de l’électorat de gauche ou même du centre face à une telle configuration.  Chirac en 2002 n’était certes pas un ange, mais tout de même refaire le coup avec Fillon en 2017. J’ai mes doutes. Cela serait en tout cas un nouveau test en grandeur nature de la répulsion d’une majorité d’électeurs français pour le FN.

En même temps, vu l’incertitude de cette élection présidentielle de l’an 2017, mes craintes de février ne seront sans doute pas celles d’avril. Et sur ce, je retourne à mes copies en retard.

Ps. en date du 6/3/17 au matin. Décidément, l’affaire Fillon ne s’arrange pas du tout. Pour autant que le dit F. Fillon arrive au second tour, je ne vois pas comment un électeur de gauche ou même du centre pourra le soutenir contre une M. Le Pen. J’en viens à me demander si le soutien affiché hier de la manifestation du Trocadéro par une partie des militants de la droite la plus dure (en particulier, « Sens commun »/ »Manif pour tous ») ne vise pas à permettre un duel de second tour M. Le Pen/E. Macron en faisant se maintenir un candidat de la droite républicaine dont ils sont eux aussi sûr qu’il n’ira pas au second tour, et à faire gagner la dite M. Le Pen. What a fun it will be!

Vous (et pas seulement les Allemands…) allez payer! Petite pédagogie européiste pour 2012!

J’ai bien du mal à suivre la stratégie argumentative de notre Premier Ministre, François Fillon : il y a quelques jours, il s’en prend à l’ignorance de l’histoire de France que représenterait par ses déclarations sur le 14 juillet la ci-devant norvégienne Eva Joly. Notre Premier Ministre avec des déclarations qui fleurent bon le nationalisme cocardier d’avant guerre semble vouloir couper toute velléité de récupération de l’incident par le Front National. C’est tellement réussi dans le genre que, même à l’UMP, certains grincheux/cheuses s’offusquent. Or, là, au lendemain même du dernier sommet européen en date sur la Grèce, le même F. Fillon aurait déclaré selon le Monde qu’au total, cette affaire grecque coûterait 15 milliards d’euros (sic) d’endettement supplémentaire à la France – ce qui bien sûr justifierait, encore plus qu’avant le dit sommet, une maîtrise accrue des comptes publics français (qui, d’ailleurs, est aussi promise par les conclusions du dit sommet pour tous les Etats de la zone Euro, voir plus loin). Je comprends bien qu’il s’agit d’un vieux discours de F. Fillon selon lequel « la France est en faillite » et que cela correspond à toute la stratégie visant à réactiver la croyance droitière d’une gauche cigale désormais aux portes du pouvoir que seule la droite fourmi peut contrecarrer en 2012, mais j’ai sauté sur ma chaise en voyant attribuer aussi clairement une partie de l’endettement à venir de la France à cette aide à la Grèce.

Nous avions eu le « plombier polonais » comme invité spécial pendant la campagne référendaire de 2005, est-il besoin d’avoir lors de la campagne des présidentielles de 2012 le « riche fraudeur grec » qu’il  nous faut renflouer avec sa Mercedes dernier cri, sa bedaine et ses moustaches? Marine Le Pen peut se  faire servir une coupe de champagne (si elle aime cela!), elle va pouvoir utiliser l’argument pendant la campagne présidentielle, puisque c’est désormais officiel  : les Français vont devoir payer pour les Grecs, et elle va même pouvoir encore une fois laïciser son discours en faisant remarquer perfidement que l’Église orthodoxe grecque vit toujours aux dépens d’un État grec que nous (contribuables français d’un État laïc) allons de fait renflouer. Génial ! Payer les salaires des gras popes (nb. le pope est toujours gras dans le monde des idées reçues) en supprimant juges, policiers et gardiens de prison ici. Or, sauf erreur de ma part, jusque là, le discours, peut-être mensonger, mais politiquement prudent, de Nicolas Sarkozy était d’affirmer haut et fort dans les médias français que la crise grecque ne nous coûtait rien…, il ne s’agissait d’ailleurs que de prêts que les Grecs rembourseraient de toute façon, et elle était même censée nous rapporter via le niveau élevé des taux d’intérêts facturés à la Grèce pour l’aide reçue de ses partenaires européens (disposition usuraire qui a été hier heureusement abandonnée pour les futurs prêts ). Je suppose que le discours va être désormais : cela coûte certes 15 milliards, mais les salauds de banquiers et financiers participent, et, surtout, c’est bien moins que la catastrophe générale qu’aurait été une faillite complète de la Grèce et ce qui s’en serait suivi. 15 milliards pour sauver le monde, pas cher finalement… Ou alors, il est encore possible de rétropédaler en revenant au discours antérieur : on aide, mais, dormez bonnes gens, cela ne nous coûte rien (cf. la version de l’Expansion du discours de F. Fillon). Si l’idée qu’aider la Grèce nous coûte traverse le Rhin comme un vulgaire nuage radioactif venu d’Ukraine, où allons-nous?  Vers une européanisation des termes du débat public certes, mais surtout vers un test de la bonhomie de l’électorat français que j’aimerais autant éviter… (même si cela fera plaisir aux collègues qui pensent que l’attitude vis-à-vis de l’Europe est une variable importante des choix politiques des Français, et que l’on a encore rien vu en la matière).

Sur l’analyse générale des décisions prises hier, je renvoie à l’analyse à chaud de Philippe Waechter pour les Echos, qui me parait bien vue.

Pour ma part, je remarquerais que :

a) le FESF se voit attribuer un rôle de plus en plus central dans le dispositif; je suppose que les décisions prises hier supposent de modifier ce que les ministres des Finances avaient signé quelques jours auparavant pour après 2013 – ce qui signifie quand même que le nouveau Traité à ratifier pour légaliser tout ce qui aura été fait depuis le début de la crise grecque aura un contenu plus  substantiel que prévu – ce qui risque de reposer la question d’une validation référendaire en Irlande par exemple  ; on se trouve de fait à deux pas de créer une caisse commune des Etats européens de la zone euro, appuyé sur des obligations européennes, mais sans avoir aucunement pris pour l’instant du moins l’avis formel des peuples européens pour le faire; et l’on veut en plus aller très loin, semble-t-il, dans l’encadrement des politiques économiques et sociales des Etats membres (après le « Pacte Euro Plus », le « Pacte Euro Plus PLUS »?). Dans le fond, le responsable du FESF serait le Ministre des Finances de la zone Euro demandé par le banquier central. Très belle avancée vers le fédéralisme budgétaire européen sans aucun mandat populaire toutefois… , mais  avec l’assentiment des grandes banques qui, de fait, ont participé au sommet. (J’ai bien l’impression qu’il s’agit là d’une première : mais là, peut-être, avait-on la même chose lors des rounds de négociation de la PAC à la belle époque des MCM, avec les représentants des intérêts agricoles directement dans les coulisses des Conseils des ministres européens? ) Voilà enfin éclairci, ce que veut dire le mot de gouvernance dans l’Union européenne : les exécutifs des Etats (déliés de tout mandat populaire, et même de tout contrôle parlementaire) et les puissances économiques concernées par la décision à prendre décident ensemble. Simple finalement. (Je me demande ce que pensent de tout cela les juges constitutionnels allemands qui avaient signalé dans leur jugement de juin 2009 sur le Traité de Lisbonne que cette façon de procéder à des avancées dans l’intégration européenne n’était pas la bonne.)

b) Que, même avec ce dispositif, si j’ai bien compris, la Grèce resterait durablement pour les dix prochaines années au moins à un niveau d’endettement bien supérieur à 100% de son PIB. Si j’étais grec, j’aurais sans doute le sentiment que mon pays n’a pas fini de payer. Surtout, si dans dix ans, quinze ans, la Grèce traine toujours comme problème central de sa vie publique cet endettement issu des années 2000, il est à parier que ce dernier sera vécu comme un intolérable esclavage national, un peu comme les « réparations » dans l’Allemagne de Weimar, avec de même des sociaux-démocrates dans le rôle des traitres à la patrie.

c) Tout ce dispositif repose sur la croyance en la possibilité de ramener l’économie grecque sur un sentier de croissance, qui lui permettrait de rembourser la dette publique qui lui restera à acquitter. C’est un immense progrès par rapport au plan précédent de s’être aperçu que l’austérité seule ne pouvait rien (idée qui ne vaut, pour l’instant, que pour la Grèce…), mais, en même temps, est-ce possible d’envisager sous la pression extérieure  la grande ingénierie sociale et économique qu’envisage le texte adopté hier par les représentants de la zone Euro qui ferait de la Grèce le pays compétitif et bien géré qu’il aurait dû être au moment de son entrée dans l’Euro? C’est a priori une bonne chose que d’utiliser les fonds structurels européens en Grèce, mais, dans un contexte où le sport le plus pratiqué par les élites locales semble bien être la triche dans toutes ses dimensions, sait-on bien ce qu’on fait là? Je compare peut-être abusivement avec la situation du sud de l’Italie, mais tout l’argent italien, puis italo-européen, dégagé pour aider cette région depuis la fin des années 1940, n’a servi qu’à y entretenir une économie fondée sur l’immobilier et les travaux publics. Plus encore, si le problème de la Grèce se trouve être entre autres choses, le faible niveau de formation de son « capital humain » en général, est-il bien raisonnable d’avoir plongé le monde enseignant de ce pays dans la gêne? De même, la Grèce dépense bien trop pour son armée et l’équipement de cette dernière : la pression extérieure pourra-t-elle exiger qu’elle abandonne toute ambition dans ce domaine, alors même que l’ennemi turc est plus fringuant que jamais depuis 1922? (Déjà, le gouvernement turc en profite pour avancer ses pions dans la question chypriote.) De même pour les privilèges de l’Église orthodoxe grecque. Je ne parle même pas du caractère « clientéliste » des deux grands partis grecs (Pasok et Nouvelle Démocratie) : les privatisations et réductions d’effectifs risquent bien d’aboutir à une « sélection adverse » des salariés restants, sauf à tirer au sort les partants pour éviter que ne sauvent leur poste que les plus inscrits dans un rapport de clientèle. Comme dirait le sociologue Michel Crozier, « on ne change pas la société par décret », et j’ai quelque mal à imaginer que cette règle (qu’avait déjà imaginé Renan dans d’autres termes) ne soit pas valable aussi pour la société grecque, le décret fût-il européen. Pour être vraiment cynique, il me semble que la vraie et seule chance de l’économie grecque, c’est que la situation sur la rive sud et est de la Méditerranée tourne à l’aigre de telle façon que plus un touriste européen ne pourra aller y prendre le soleil, il faudra alors se replier sur la Grèce ou ne plus bronzer du tout.

d) Le choix de l’austérité comme mantra majeur à ce stade de la crise économique de l’économie politique contemporaine des pays de l’Union européenne , accompagné des réformes de structure permettant de renouer avec la croissance, a encore une fois été confirmé par ce sommet. Keynes is dead again. Le point 11 de la déclaration du 21 juillet l’affirme :

« Tous les États membres de la zone euro respecteront à la lettre (je souligne) les objectifs budgétaires fixés, amélioreront la compétitivité et remédieront aux déséquilibres macroéconomiques. Les déficits publics dans tous les pays, à l’exception de ceux bénéficiant d’un programme, seront ramenés sous le seuil de 3 % d’ici 2013 au plus tard. »

Là, pour le coup, c’est le Mélanchon qui va boire du champagne (toujours s’il aime cela). L’Europe mère fouettarde (et bientôt blafarde?) est réaffirmée dans ses droits désormais imprescriptibles à corseter les envies de jouissances terrestres des peuples. Bel argument de campagne pour 2012 là encore. Cependant, il devrait remarquer que, dans ce même texte, est évoqué à mots couverts à peine couvert une harmonisation de la taxation des entreprises. La fin du dumping fiscal dans la zone Euro, voilà bien le seul aspect vendable auprès du citoyen contribuable de cette Europe-là. (Mais comme les Irlandais ont eu un rabais… il fallait bien qu’ils promettent au moins de laisser étudier le problème.)

Enfin, réjouissons-nous quand même, l’Euro est sauvé, la BNP et la SG aussi! Et les Grecs vont devenir compétitifs!

Ps 1. Journal de 20 heures sur France 2, le vendredi 22 juillet : un professeur d’un Institut de Haute finance, dont je n’ai pas noté le nom, commente doctement le coût pour la France du sauvetage de la Grèce, et confirme que cela sera effectivement comme l’a dit F. Fillon repris dans un reportage l’instant d’avant « 15 milliards d’euros et peut-être plus » (sic), mais qu’il y va de notre avenir, there is no alternative, n’est-il pas? Au moins, les choses commencent-elles à être dites ce qui clarifie les enjeux pour les citoyens, mais le problème va devenir que ces derniers vont savoir qu’ils payent (une somme encore abstraite il est vrai) et qu’ils sont donc solidaires des Grecs, mais que la justification de ce transfert de richesses reste, pour l’heure, des déclarations péremptoires selon laquelle ce choix douloureux vaut mieux que le chaos – je sens que cela ne va guère le faire, il faudrait trouver mieux.

Ps2. Articles du Monde du 23 juillet 2011 sur le sujet :  seul l’article consacré à la réception du plan européen en Grèce fait allusion sous la plume d’Alain Salles (p. 12) à l’aspect « retour à la compétitivité de la Grèce »… tout en rappelant : « Athènes a parfois (litote) abusé des fonds structurels pour des travaux qui n’ont jamais été terminés, voire même jamais commencés, l’argent disparaissant dans des poches d’intermédiaires. Bruxelles affiche son intention de sévèrement contrôler l’utilisation de ces fonds. » … et j’ajouterais : les profiteurs de tout acabit s’en pourlèchent déjà les babines, les affaires vont reprendre… Y a-t-il quelqu’un pour expliquer à toutes ces institutions européennes et internationales que, dans un environnement où la corruption des élites locales est la règle, elles se fatiguent pour rien à vouloir contrôler, les locaux seront toujours plus malins…. Par ailleurs, ce n’est pas de l’argent supplémentaire pour investir dans des « éléphants blancs » qu’il faut à la Grèce, mais d’abord une capacité nouvelle des citoyens grecs à ne plus se laisser tondre, et des institutions politiques permettant de rendre effectif leurs droits démocratiques. (Je me demande même si la plupart des Grecs semblant fondamentalement individualistes et ne supportant pas l’État, il ne faudrait pas leur proposer une expérience libertarienne, ne serait-ce que pour les faire revenir tous à une meilleure appréciation du rôle de l’État dans une société développée.)

Cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française

« Cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française », a déclaré le Premier Ministre François Fillon pour renvoyer à son néant, non sans une visible délectation, la candidate à la Présidence de la République d’Europe Ecologie – les Verts. Cette dernière, à peine désignée candidate par le vote des militants écologistes, avait eu en effet  l’outrecuidance de déclarer publiquement qu’elle souhaiterait, si elle était élue Présidente de la République, remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé civil. Cette déclaration du Premier Ministre n’est alors que la plus réussie d’un florilège de propos peu amènes tenus à droite, à l’extrême-droite, et même en partie à gauche, en réaction à la proposition d’Eva Joly. De plus, F. Fillon, en visite officielle à Abidjan, a ajouté prendre plaisir à la polémique entraînée par ses propos.

Cependant, ne peut-on pas  féliciter les auteurs de toutes ces déclarations de leur propre ignorance de l’histoire de France, ou, tout au moins, de leur capacité à n’en retenir à dessein qu’une partie? En effet, dans les traditions françaises, l’anti-militarisme existe tout  aussi bien (anti-militarisme que ne revendique d’ailleurs pas  du tout E. Joly dans son entretien avec Libération du 16-17 juillet 2011), tout comme d’ailleurs une méfiance (essentiellement à gauche il est vrai) envers les capacités répressives, réactionnaires, voire putschistes, de l’armée. « Garde nationale », cela leur dit-il quelque chose? Plus tard, « Versaillais », est-ce que ce mot ne rappelle pas aux responsables actuels de la droite quelque évènement bien peu glorieux pour l’armée française ? « Dreyfus », ne connaissent-ils pas non plus? Et, plus récemment, « 1961 », qu’est-ce que cela leur évoque? Rien? Une sainte méfiance à l’encontre des tendances réactionnaires, anti-républicaines, qui ont longtemps marqué l’histoire des forces armées françaises, me semble faire aussi partie de l’héritage républicain. Ce n’est qu’avec force oublis et raccourcis que l’on peut tendre à une vision univoque d’une armée qui aurait toujours et en tout lieu été au service exclusif du pouvoir civil républicain. La droite n’aurait raison dans ses propos que si elle voulait souligner ainsi qu’il ne faut surtout pas, en remettant en cause le défilé militaire du 14 juillet, revenir  sur ce compromis qui considère l’armée comme d’essence républicaine en dépit même de ce que l’histoire, y compris récente, a parfois montré. La question se pose d’ailleurs dans la société : cette année, des étudiants s’étonnaient auprès de moi qu’on célébrât dans les lycées militaires les victoires napoléoniennes, et qu’il subsiste chez certains élèves de ces lycées d’élite tout un culte napoléonien qui n’avait à tout prendre rien de républicain.  Je me souviens avoir défendu ces traditions napoléoniennes au nom de l’histoire propre de nos armées, qui trouvent sans doute dans ce mythe de la « Grande Armée » des ressources symboliques d’affirmation de soi dans un monde qui, par ailleurs, tend à ne plus raisonner du tout en terme de gloire, grandeur et servitude. En somme, que l’armée française puisse s’enorgueillir de quelques traditions pré-républicaines ne peut guère être mis en doute, et que cela gêne certains de nos concitoyens non plus.

Par ailleurs, les déclarations des dirigeants de la droite à l’encontre d’Eva Joly démontrent que ces derniers ne sont décidément pas racistes, mais qu’ils sont sans doute xénophobes sans le savoir eux-mêmes et qu’ils ne croient pas une seconde à leur propre discours sur l’intégration des immigrés. Eva Joly, comme on le sait, est d’origine norvégienne, on ne peut guère donc voir dans les propos tenus à son égard insistant sur son origine une quelconque preuve de racisme (sauf à supposer que l’on oppose ici la race celte à la race scandinave). Par contre, les propos tenus semblent pencher vers la xénophobie : c’est parce qu’elle est au fond demeurée une étrangère qu’elle ne comprend rien à la France – sans compter les remarques qui affleurent chez certains sur son accent. Il est vrai qu’Eva Joly a souhaité garder sa nationalité norvégienne, elle est donc de fait aussi étrangère, mais, après tout, un étranger a aussi la possibilité de comprendre quelque chose à ce pays (pensons à tous ces historiens étrangers qui ont joué un rôle éminent dans notre historiographie). Surtout, ces attaques à l’encontre d’Eva Joly soulignent que, finalement, même si on réside en France depuis 50 ans, qu’on a acquis la nationalité française depuis des lustres, qu’on y ancré sa vie privée, qu’on y a exercé une profession, magistrat, qu’on peut considérer comme participant des fonctions régaliennes de l’Etat français, on reste une étrangère qui n’a rien compris et ne comprendra jamais rien à la France. Eva Joly prouverait par cette déclaration qu’elle n’est pas « intégrée » ou « assimilée ». Seuls les Français par leurs ancêtres depuis… les Croisades? les Guerres de Religion? la Révolution? comprennent pour les auteurs de ces déclarations quelque chose à ce pays. On devrait du coup méditer ce fait qui concerne pour le coup tous les étrangers voulant devenir français (ou croyant l’être devenu par acquisition) : même dans une telle configuration extrêmement favorable (Eva Joly étant du point de vue de la sociologie exactement le contraire de l’immigré difficile à intégrer), vous resterez toujours un étranger, dès que vous ne penserez pas comme nous…

Ce procès en légitimité fait à brûle-pourpoint à la ci-devant norvégienne Eva Joly, qui ,pourtant, comme elle l’a dit avec un sens de la répartie qu’on ne lui soupçonnait pas, n’est pas descendue la semaine dernière de son drakkar, augure aussi mal des sentiments européens des dirigeants de la droite. Même si la Norvège n’est certes pas membre de l’Union européenne (pour avoir refusé d’y entrer par référendum), c’est aussi l’idéal européen qui souffre dans ce procès en légitimité fait à Eva Joly.

Enfin, la campagne présidentielle de 2012 a commencé, et à droite, d’évidence, c’est la phase « back to basics ».