L’abandon de l' »Ecotaxe » sur la circulation des poids lourds au nom du refus de « l’écologie punitive » par la Ministre en charge du dossier, Ségolène Royal, n’a même pas fait la une de la presse plus d’une journée. Il est vrai que la raison de l’abandon de cette mesure, pourtant inscrite dans la loi de la République et prévue par le « Grenelle de l’environnement », parait tellement caricaturale – la pression de groupes patronaux censés pouvoir paralyser le pays en quelques jours – qu’il n’y a guère besoin d’expliciter plus avant la situation. Vu l’état actuel d’immense popularité du pouvoir en place, il n’était sans doute pas envisageable de se lancer dans un conflit avec les routiers pollueurs et râleurs. Ils sont certes bien « sympas », mais ils ont pris tout de même de bien mauvaises habitudes ces dernières décennies. Or leur apprendre avec humanité et avec cœur le respect de l’ordre républicain aurait pu se révéler tout de même fort compliqué. Il est vrai qu’avec leurs grosses machines, ils sont moins malléables au CRS ou gendarme mobile que le bénéficiaire de quelque « rente » (au sens contemporain du terme : fonctionnaires, allocataires des minima sociaux, chômeurs indemnisés, etc.) ayant l’envie déplacée de protester contre une « réforme structurelle », et bien sûr que l’universitaire en colère qui lui se déplace à vélo dans le même temps vers la capitale pour protester contre des budgets en peau de chagrin. Le refus de la Ministre de même se battre pour faire appliquer la loi votée par les représentants du peuple (dont ceux appartenant au parti de la Ministre) tient aussi sans doute au fait que la dite « Ecotaxe » n’était pas exempte de graves vices de conception, ne serait-ce que par la mise en place d’un affermage de sa collecte, à la société Ecomouv. Il sentait certes bon son Ancien Régime par bien des côtés. On comprend fort bien que la Ministre n’ait pas eu envie d’une longue explication de texte sur le sujet devant le peuple français. Le bougre aurait bien pu prendre parti pour les sympathiques routiers. Le « principe pollueur-râleur » semble donc suffire à expliquer cette capitulation.
En même temps, au delà de cette explication simple, je finis par me demander si il n’y a pas autre chose. En effet, si on regarde le contexte de ce choix (début octobre 2014), on ne peut qu’être frappé par son absurdité du point de vue des finances de l’État (quoiqu’on pense, par ailleurs, de la manière de faire entrer de l’argent dans une des caisses de l’État dédiée au financement des infrastructures de transport par une société ad hoc comme Ecomouv, et sans prendre en compte les aspects écologiques de la décision). Comme chacun devrait le savoir désormais, l’État français est censé se trouver « en faillite », « dépensier », « ruiné », etc. Nous vivons au dessus de nos moyens, c’est bien connu. On ne pourra bientôt plus chauffer les prisons et les hospices, et, après-demain, les crèches. Du coup, abandonner sine die l’Ecotaxe, alors même que cela va coûter d’évidence à l’État français des centaines de millions d’euros en indemnités à Ecomouv et en taxes non perçues, c’est totalement illogique, presque criminel si on se place de ce point de vue. Du coup, n’est-ce pas alors en fait un moyen de brûler ses vaisseaux, de signaler à Bruxelles et aux partenaires européens, que ce gouvernement ne peut vraiment pas aller plus vite que la musique en matière d’austérité? De signaler qu’il voudrait certes bien aller plus loin – ses intentions néo-libérales sont certes pures! (cf. les déclarations sur le marché du travail de Rebsamen et de Macron) -, mais qu’il se trouve pour l’instant au taquet et que sa popularité ne lui permet pas de risquer quelque conflit majeur que ce soit avec un groupe un tant soit peu menaçant? Cette capitulation, tout de même un peu trop rapide pour être honnête, n’est-ce pas une façon de montrer sa faiblesse, pour ne pas dire sa débilité, pour négocier ensuite avec la Commission européenne et les autres Européens le fait de ne pas aller plus loin dans l’austérité budgétaire en 2015? Cela cadrerait assez avec les déclarations martiales d’un Manuel Valls (qui a approuvé S. Royal) assurant ce week-end que l’Europe ne saurait dire à cette grande Nation qu’est la France et qu’il faut « respecter » ce qu’elle doit faire en matière budgétaire.
J’attends du coup avec curiosité la suite du jeu avec les partenaires européens de la France. Si, finalement, la France obtient des accommodements, l’abandon de l' »Ecotaxe » aura été un bon investissement, puisqu’elle aura dûment signalé que le gouvernement ne peut plus rien faire en terme d’ajustement fiscal, et que le budget 2015 devait être pris tel quel. Par contre, si le gouvernement Valls se trouve obligé d’annoncer dans quelques jours ou semaines, non seulement d’autres « réformes structurelles » (cela me parait inévitable), mais aussi quelques nouvelles hausses de recettes et diminution de dépenses dès 2015 (entre 8 et 28 milliards d’euros selon les sources d’ajustement supplémentaire), on dira simplement que le principe pollueur-râleur l’a encore une fois emporté, y compris dans ce contexte. Retour à la normale. Cela montrera donc que, même avec une contrainte budgétaire présentée comme très forte, certains sont bien plus égaux que d’autres – et que, bien sûr, « l’écologie ça commence à bien faire », mais cela on le savait déjà. Nos universitaires à vélo sauront sans doute apprécier l’ironie de la situation.