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Crise de la presse de gauche (molle)

Bien sûr, il serait plus raisonnable de ne même pas prêter attention à cela, mais, moi non plus, je ne suis pas toujours raisonnable. Que le Nouvel Observateur et Libération souhaitent assurer un lancement en Une au nouvel opuscule de la philosophe  Marcella Iacub, narrant aux marges de la réalité et de la fiction, sa liaison de quelques mois avec DSK, le tout au nom de la Littérature avec un grand L, ne me regarde pas après tout. C’est la liberté d’expression de ces deux institutions éditoriales, aisément identifiables à la gauche (molle). Il ne faudrait pas en parler. C’est là entrer dans leur jeu. Mais bon je tombe dans le piège.

Malheureusement pour eux, il se trouve que ces deux organes (sans jeu de mots) font partie de la presse d’information générale de ce pays, et que cette presse est censée  servir à la formation de l’opinion publique de ce pays. Elle est même subventionnée par le budget public pour cela, vu les difficultés économiques qu’elle rencontre depuis des années. Or, de ce point de vue, celui de l’information générale, est-ce que vraiment les états d’âme et analyses sur le cas DSK de M. Iacub méritent une telle attention? Ne se passe-t-il vraiment rien de plus important à porter à la connaissance d’un  public, que l’on suppose de gauche (certes molle)?

Bien sûr, ces Unes s’inscrivent dans la trajectoire des deux titres (cf. les petites annonces de rencontre jadis publiées par l’un comme par l’autre titre qui restent mythiques pour certains anciens). Ils se pensent tous les deux comme les hérauts de la « libération des mœurs » dans ce vieux pays catholique et bourgeois que la France est toujours censée être à leurs yeux.  Cependant, cette lutte pour la « libération des mœurs » est-elle encore d’actualité?

En deux sens : le plus évident, c’est que la situation économique, sociale, morale, politique, du pays  France et de la planète Monde, appellent peut-être à intéresser (aux frais du contribuable) le grand public (de gauche) à autre chose qu’à nos sempiternelles coucheries de petits Français. La presse people est faite entre autre pour cela, pas la presse d’information générale.  Certes, le buzz international que ne manquera pas de déclencher cette affaire Iacub/DSK avec tous ses rebondissements crapuleux ne renforcera notre image mondiale de libertins, c’est déjà cela.  Voilà au moins un primat que personne ou presque ne peut nous contester.

Le moins évident, c’est que tous ceux qui encensent et encenseront M. Iacub pour son exploit « littéraire » (comme S. Bourmeau) ne semblent pas avoir pris conscience que se montrer soi-même dans un écrit à prétention littéraire comme se vautrant – avec délice et horreur à la fois – dans des actes que la morale bourgeoise, ou la morale tout court, réprouve, est devenu depuis longtemps un topos éculé de notre littérature. Il me semble que Catherine Millet, avec la Vie sexuelle de Catherine M., a largement clos le débat à ce propos. Et encore, cela encore n’est rien du point de la littérature, par rapport, à du Jean Genet, qui date tout de même de l’immédiate après-guerre si je ne me trompe. Le « Moi » et le « Sexe », l’absence de tout lien autre que négatif à la morale bourgeoise du « bon père de famille » (hétérosexuel), sont banalisés depuis longtemps. Il faut passer à autre chose, pitié Messieurs les journalistes de Libé et du Nouvel Obs, même si cela fait vendre de la copie et que cela doit être difficile pour vous en ce moment.  Ne croyez pas que nous nous indignions parce que nous sommes des petits bourgeois catholiques  coincés de 1950 vivant dans la Sarthe, mais nous le faisons parce que nous sommes désormais lassés de Sade et tutti quanti.

Un dernier mot sur Marcella Iacub : cette philosophe plaidait dans ses écrits théoriques pour que le Sexe, la sexualité, ne deviennent plus le lieu de l’exception juridique par excellence, avec des peines disproportionnées à ses yeux pour les déviances dans ce domaine par rapport à l’importance des dommages. Ce que j’ai pu saisir de son opuscule littéraire à travers les louanges de ses thuriféraires me laisse à penser qu’elle  fait en réalité du Sexe  l’alpha et l’oméga de la Vie.  On ne saurait rêver plus belle contradiction pratique pour quelqu’un qui prétend penser la société. Je dis, d’une part,  que le sexe ne devrait pas être si important comme lieu de régulation sociale, et j’écris, d’autre part, un livre qui joue à plein sur ce même aspect en attendant que le grand public le lise.

En fait, tout cela me désole : le poisson pourrit  par le journal qui l’entoure…

Ps. (en date du 28 février 2013) La suite des événements autour de cette affaire Iacub a largement confirmé ma réaction initiale. Les journalistes ordinaires de Libération n’ont pas apprécié, ils ont raison. En plus, lors du procès intenté par DSK pour contrer la diffusion du livre (qui, comme par hasard, devait être en librairie quelques jours après les articles l’annonçant dans le Nouvel Observateur de façon sans doute à laisser le temps à DSK d’agir en justice afin de rendre l’affaire plus croustillante encore), les avocats de DSK ont sorti un mail de Madame Iacub à ce dernier, dont le contenu laisse pantois. Elle y fait allusion à un groupe de personnes qui l’aurait poussée à faire ce qu’elle a fait.  Comme lors de l’audience, les défenseurs de Madame Iacub n’ont pas souhaité mettre en doute la véracité de ce courriel, la presse, si elle croit en la valeur ajoutée de l’investigation, aurait peut-être la responsabilité de tirer cette sombre affaire au clair.

Toujours sur JM. Messier & Cie : Libération s’humilie.

Je reviens brièvement dans ce post sur les aventures médiatiques de notre brave ci-devant financier et « maître du monde » Jean-Marie Messier.

J’ai eu la bonne (et mauvaise) surprise de lire dans Libération du vendredi 16 janvier 2009, une pleine page sur cet évènement;  sous la plume de Nicolas Cori, on trouve en effet un article dans la rubrique « l’Homme du jour », sous le titre « Jean-Marie Messier. Toute honte bue », avec comme sous titre « L’ancien patron de Vivendi, symbole déchu d’une finance arrogante, se fait désormais le Chantre d’un ‘capitalisme éthique' ».  L’article est accompagné d’une photo du personnage, qui semble vous regarder d’un air narquois, photo donc moins  avantageuse que dans l’Express des « YesMen ». J’attendais donc un article satirique et informé qui marquerait la fameuse différence de Libération, et bien non, tout cela m’a paru affreusement gentillet.  Le journaliste indique bien que le livre dont notre « homme du jour » fait la promotion n’est pas d’une originalité extrême, et qu’il est en fait le résultat d’entretiens enregistrés entre Messier et un autre futur ci-devant, Denis Jeambar, son éditeur au Seuil, mais il semble s’extasier qu’à force de parler ainsi, notre héros ait dépassé les 300.000 signes prévus pour atteindre les 600.000 signes (et n’a donc pas fait appel à un « négre », comme pourraient le penser des mauvais esprits dans mon genre, seulement à des gens qui lui ont rassemblé de la documentation… des coupures de presse des Echos et de la Tribune je suppose). L’article signale une nouvelle compagne, une certaine Christel, sans aller jusqu’à prétendre comme l’Express qu’elle serait la même femme que celle qui accompagna un temps Didier Schuller, détail qui, s’il se confirmait, donnerait un tour balzacien bienvenu au récit. Il conclut même : « Quoi qu’il fasse Jean-Marie Messier risque d’incarner à tout jamais les dérives du capitalisme (le pauvre!). ‘Il a fait des conneries (tout le monde en fait, n’est-ce pas? ), mais il a toujours fait les choses avec sincérité (c’est l’essentiel), en y mettant ses tripes’, résume une proche (non identifiée par l’article sinon par l’usage du féminin, ce qui prend un aspect « lacanien » amusant au demeurant)« . En lisant cette dernière phrase, j’ai pourtant failli déchirer de rage le journal (le torchon? le vil canard?) que j’avais entre les mains . Il a été sincère quand il faisait le cador, il est sincère quand il donne ses petits camarades de la finance, que demander en effet de plus à un homme aujourd’hui? (Exercice : transposez cette méthode à des cas plus graves objectivement, guerres et génocides divers, criminalité organisée, mensonges de grandes entreprises ayant entraîné des morts par millions…)  Cette morale de la sincérité, de l’authenticité,  entendue ainsi, n’est décidément pas la mienne, mais cette conclusion de l’article m’interroge sur la vision morale de ce journaliste (pour ne pas parler de sa vision politique, apparemment plus proche de celle de Voici ou Point de vue Images du monde d’aujourd’hui que du Libération d’il y a ne serait-ce que dix ans, pour ne pas parler des débuts de ce titre). Que transmet-il là au lecteur par cette citation d’un propos d’une proche non nommée (la dite Christel?), sinon que, dans le fond, « faute avouée est  à moitié pardonnée »? Que l’on ne doit pas avoir de rancœur contre ceux qui ont « pêché » en toute bonne foi, mais qui ont sincèrement abjuré leurs fautes? Les salariés et actionnaires de Vivendi victimes des errements du personnage apprécieront la sincérité à sa juste valeur.

Je prêterais plus d’attention à ce genre d’auto-absolution par la sincérité, si le dit personnage n’avait pas encore affaire pendante avec la justice de notre pays (ce qui aurait dû constituer l’essentiel de l’article s’il avait voulu informer le lecteur), et si il exerçait une activité professionnelle sans aucun rapport avec ses errements passés, ce qui ferait au moins de lui un vrai repenti. S’il était devenu éboueur à Maubeuge (sans vouloir offenser cette profession utile et cette ville) aprés avoir pleinement collaboré avec la justice, plutôt que dirigeant d’une entreprise donnant des conseils financiers ayant pignon sur rue à Paris et New York, j’aurais peut-être plus d’indulgence.

La publication de ce portrait lénifiant du personnage, en dépit du titre qui sauve un peu l’honneur, m’a d’autant plus énervé que Libération a pris le soin de publier la même semaine un encart consacré à l’Université de Vincennes, essayant ainsi de se rattacher à une tradition d’esprit critique qui a presque entièrement disparu depuis de ses pages. Avec ce genre d’articles, il ne faut pas s’étonner alors qu’une partie du lectorat ait envie de fuir ce genre de propos,  qui ne valent pas les 1,30 Euros qu’on y consacre (désolé, je suis un adepte du papier journal).  En même temps, il y aura sans doute des gens pour acheter le livre et avoir apprécié cet article, il est sincère, vous dis-je? Sincère!

Ps. Après avoir rédigé ce post, j’ai vu en première page du Monde de ce jour (20 janvier 2008) la publicité par les éditions du Seuil pour le livre du génie de notre temps, avec cette phrase citée pour inciter à l’achat de la dite chose : « Jean-Marie Messier a pris le temps de rendre limpide un monde complexe, et ne se contente pas de décrire, ni de dénoncer, il dessine un (Autre????) monde possible », Olivier Jay, Le Journal du dimanche (date non précisée).  J’aurais envie de dire que le monde possible ici dessiné est celui où plus personne n’est minimalement responsable de son parcours de vie et des conséquences de celui-ci pour autrui pourvu que cela se chiffre en milliards d’euros, de dollards, de roubles ou de yens. Evidemment, si la phrase n’est pas apocryphe ou au sens détourné par citation à fin publicitaire, le journaliste de Libération reste par comparaison un esprit critique, un esprit fort même! Ou alors, O. Jay est-il un autre de ces « YesMen » infiltrés dans les meilleurs journaux de ce pays?