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Sergio Mattarella, l’homme qui aura tué deux fois la démocratie italienne.

Sergio Mattarella, l’actuel Président de la République italienne, était déjà connu pour avoir donné son nom à la loi électorale adoptée en 1993 au sortir de la crise politique connu sous le nom de « Mains Propres ». Cette loi électorale, un scrutin mixte, était tellement mal fichue selon le grand politiste italien, Giovanni Sartori, qu’il avait inventé le terme de « Mattarellum », en faisant un jeu de mot avec le terme de Parabellum. En effet, selon Sartori, la loi électorale était destinée à tuer l’expression populaire des Italiens – et, en tout cas, très pragmatiquement, à sauver la mise aux anciens partis politiques, défaits par la crise politique de l’époque, aux prochaines élections – ce qui advint effectivement.

Ce démocrate-chrétien imperturbable dans son conservatisme mâtinée de bonhomie vient hier soir d’afficher un nouveau fait d’arme à son actif. Il a en effet refusé la nomination de Paolo Savona, un économiste « eurosceptique », mais des plus qualifiés et  aussi ancien Ministre dans les années 1990, au ministère de l’Economie dans le gouvernement en formation appuyé par la Ligue de Matteo Salvini et le M5S. Il s’en est justifié derechef par un message télévisé en soulignant que la présence d’un tel personnage à cette fonction perçue comme un signal anti-Euro, pour avoir tenu des propos critiques sur l’Euro et sa gestion par le passé, allait inquiéter les marchés et les épargnants en laissant planer le doute sur la volonté de maintenir à tout prix l’Italie dans la zone Euro. Or le contrat de gouvernement entre le M5S et la Ligue ne fait pas du tout allusion à ce projet, et cela n’a pas été évoqué par les deux partis dans leur campagne électorale. C’est donc ce qu’on appelle un procès d’intention. Dans la journée, le dit Savona,  avait pourtant diffusé un message explicitant sa volonté de rester dans l’Euro  et rappelant ses convictions europhiles. Par contre, il est vrai que le dit Savona et le texte du contrat de gouvernement allaient dans le sens d’une discussion ouverte, publique, européanisé sur la gestion de l’Euro et ses conséquences. En somme, il était question de poser la question qui fâche vraiment : à qui profite l’Euro?

Bref, on ne saurait être plus explicite et clair : il est strictement interdit pour un gouvernant italien – selon le Président Mattarella – de même penser qu’éventuellement, au cas où, dans des circonstances exceptionnelles, etc. , il pourrait être question de se passer de l’Euro. Et, en l’occurrence, c’est surtout la discussion au niveau européen qu’entendait ouvrir P. Savona, avec son autorité d’ancien trop informé des tenants et aboutissants de la monnaie unique,  dont il est vraiment urgent de se passer. Cela montre d’ailleurs en creux à quel point l’Euro comme construction institutionnelle parait fragile à ceux-là même qui s’en disent les plus chauds partisans.

Et, pour couronner le tout,  le dit Mattarella va sans doute nommer un « gouvernement technique », avec à sa tête un ancien du FMI, un cost-killer déjà à l’œuvre sous le gouvernement Renzi.  Ce nominé d’en haut n’aura bien sûr pas de majorité dans le Parlement actuel, mais, vu les règles constitutionnelles italiennes, il pourra gouverner jusqu’à la formation d’un gouvernement issu des prochaines élections… Il aura donc le temps d’appliquer le programme de restrictions budgétaires prévues par les accords préalables pris avec les partenaires européens de l’Italie (dont une hausse de la TVA…), et il pourra siéger au nom de l’Italie au Conseil européen de juin prochain où l’on doit décider d’une feuille de route pour les réformettes de la zone Euro.

Comme il se doit pour des forces aussi éloignées dans leur histoire respective, les deux partenaires de la coalition ainsi avortée – le M5S et la Ligue de Salvini – réagissent pour l’instant de manière non coordonnée. Le leader du M5S vient d’accuser Matteo Salvini d’avoir voulu provoquer des élections en s’arc-boutant sur le nom de P. Savona. Cette situation de conflit probable entre le M5S et la Ligue laisse donc toutes leurs chances à un retour à bonne fortune des vaincus de mars 2018 : le PD et FI – qui pourront dire que voter pour eux « en se bouchant le nez » (comme aurait dit Indro Montanelli), c’est éviter la crise liée à une sortie de l’Italie de la zone Euro. Si tout se passe comme le prévoit sans doute Mattarella en misant sur la peur des (vieux) Italiens de perdre leur épargne, ils devraient pouvoir former la « grande coalition » habituelle en Europe désormais en de telles circonstances. Et, puis, sans doute, Silvio Berlusconi redeviendra même Président du Conseil, puisqu’il est de nouveau éligible. Je ne crois pas en effet que Matteo Salvini ait joué sciemment la carte des élections en tenant à avoir P. Savona comme Ministre, parce qu’en cas d’élections (très) anticipées à l’automne, se pose pour lui la question des alliances. Je vois mal Berlusconi accepter de revenir s’allier avec un Salvini leader de fait de la coalition des droites, qui, vu les sondages disponibles, ferait éventuellement de ce dernier le Président du Conseil en cas de victoire de cette dernière.

De toute façon, les Italiens savent désormais que voter ne peut plus changer la politique économique et sociale de leur pays : les marchés ont toute priorité sur leurs choix. Pourquoi iraient-ils donc se déranger pour voter? La première économie à faire, cher cost-killer, c’est donc de supprimer l’électivité du Parlement italien.

Et nous, pourquoi irions-nous nous aussi voter?  Eh oui, « Démocratie derniers temps », voilà l’esprit de l’époque.

 

 

Les « Ritals » ont mal voté! Unsere Europe Kaputt!?!

Ah, là, là, en démocratie, les électeurs quand on leur donne la possibilité de voter, quels licences, ces veaux d’électeurs, ne se prennent-ils pas! Nos amis transalpins – que je qualifie très affectueusement ici de « ritals » – s’en sont payés une bien bonne …  La  presse internationale en est tout en émois, parfois rageurs, contre ces Italiens irresponsables qui risquent de relancer la crise de la zone Euro (comme si elle était déjà finie…). Ne voilà-t-il pas qu’ils oublient d’aller voter, ou qu’ils votent pour des gens vraiment pas bien raisonnables, des populistes, des démagogues, des anti-européens. Bernard Guetta, dans sa chronique matinale sur France-Inter, semblait lui-même avoir perdu espoir en l’Europe, c’est dire. Silvio Berlusconi et Beppe Grillo se trouvent ainsi mis dans le même sac, alors qu’ils ne représentent sans doute pas la même vision de l’avenir de l’Italie et de la manière de faire de la politique. On ne retient en l’occurrence que leur commune mise en cause de l’Euro, sans se rendre compte qu’elle s’avère de nature assez différente.  Beppe Grillo veut certes un référendum sur l’Euro – ce qui semble pour beaucoup de commentateurs la preuve qu’il représente rien moins que l’ultime incarnation du démon! un proche cousin, sinon d’Hitler, tout au moins du général Peron ou d’Hugo Chavez  -, mais, si le programme du M5S était appliqué intégralement, cela ferait sans doute de l’Italie un pays « scandinave », tant l’importance de la lutte contre la corruption des élites, l’utilisation d’Internet, le rôle des jeunes et des femmes, et l’écologie lui importent. Inversement, S. Berlusconi ne veut pas vraiment un tel référendum sur l’Euro; à mon avis, il bluffe complètement sur ce point, mais les forces politiques, économiques et sociales, qui l’ont presque porté à la victoire une nouvelle fois, sont tout sauf favorables en pratique à une véritable normalisation « à la scandinave » ou « à l’allemande » de l’Italie. Ils ne veulent pas se plier aux règles communes, c’est tout! Plus généralement, ces deux forces viennent d’horizons historiques différents : le PDL constitue le réceptacle de toute une histoire de la droitisation de la politique italienne depuis au moins le début des années 1980 (d’abord au sein du PSI de Bettino Craxi), alors que le M5S, cette force hyper-populiste, est issue des échecs répétées de la rénovation supposée de la politique après 1993. Hier soir, à la télévision italienne, la différence était hallucinante entre le vieux porte-parole de droite rappelant (avec une féroce ironie) qu’ils étaient eux (la droite) « affreux, sales et méchants », mais qu’il n’étaient pas morts politiquement contrairement aux prédictions de la veille, et la jeune (future députée) M5S, qui rougissait en parlant au journaliste…

Les Italiens ont donc mal voté, mais il ne faut donc pas trop simplifier le tableau tout de même.

Tout d’abord, les électeurs italiens ont humilié (un peu) les sondeurs. Bon, cela n’est qu’un détail. En dehors des scores du M5S, les autres partis sont plutôt dans les larges fourchettes d’il y a quinze jours.  Mais, surtout, ils n’ont pas envoyé dire par leur vote qu’ils n’étaient pas d’accord du tout avec la route suivie depuis quelques années – pas seulement dans les rapports entre l’Italie et ses engagements européens, mais bien plus largement.

Tout d’abord, ils envoient au Parlement, comme premier parti en nombre de suffrages, le parti dirigé par l’histrion Beppe Grillo, le « Mouvement 5 Étoiles », avec 25,6% des voix à la Chambre des députés et 23,8% au Sénat. C’est bien au delà des scores prévus par les sondages publiés il y a encore quinze jours. Surtout, à ma connaissance, c’est en absolu le premier courant politique nouveau depuis l’avènement de la République italienne en 1946 qui, à sa première participation à une élection générale, arrive à un score pareil, et de très loin. La « Ligue du Nord » d’Umberto Bossi avait fait un peu plus de 8% au niveau national en 1992 à sa première participation (et, encore, en fait, ses ancêtres directs étaient déjà là en 1983 et 1987). Le parti « qualunquiste » de la fin des années 1940, que, bizarrement les commentateurs italiens utilisent peu pour dévaloriser le M5S en l’assimilant à ce mouvement « poujadiste » avant la lettre, avait surtout des élus dans le sud du pays. Le premier parti de S. Berlusconi, Forza Italia, avait fait un score similaire en 1994, mais il ne représentait pas, comme la suite l’a bien montré, une force politique radicalement nouvelle dans son idéologie et ses méthodes d’action, mais bien plutôt la transmutation, incomprise au départ, d’une partie du camp modéré italien traditionnel (comme aujourd’hui, la liste civique de M. Monti semble être surtout une nouvelle illustration de la persistance d’une certaine Italie catholique). La nouveauté du M5S est d’apparaître d’emblée en plus comme une force  nationale. Quoiqu’il ne gagne pas les primes de majorité à la Chambre et au Sénat parce qu’il est toujours battu par l’une ou l’autre coalition, son succès en voix se traduit plutôt correctement en sièges, car il profite du fait qu’aussi bien à la Chambre qu’au Sénat, certains partis ou coalitions n’atteignent pas les seuils requis pour avoir des élus, et ne participent donc pas à la répartition des sièges à la proportionnelle entre perdants.

Ensuite, les électeurs de droite ont fait bloc autour de S. Berlusconi et de ses petits alliés de droite. Quand on pense à l’état de l’image personnelle de S. Berlusconi depuis 2010, on ne peut que saluer la performance.  La campagne de S. Berlusconi prenant des tonalités de « révolte anti-fiscale » (contre l’IMU [taxe d’habitation], contre Equitalia[agence chargée depuis 2007 de récolter les impôts et taxes]) a magnifiquement fonctionné pour ramener une bonne part des brebis égarés de la droite. Pas toutes, mais déjà assez pour rester compétitif. C’était: votez pour mon parti, je suis certes une crapule, mais, avec moi, vous payerez moins d’impôts.  L’aspect anti-germanique a dû jouer aussi. Je serais intéressé de voir si les collègues politistes italiens ont posé des questions en ce sens dans les sondages sorties des urnes.  La remarque du 27 janvier 2013 de S. Berlusconi sur l’anti-sémitisme de Mussolini qui aurait été uniquement amené par l’alliance avec l’Allemagne nazie prend dès lors tout son sens. Les  Allemands, aujourd’hui comme hier, sont la cause de tous les maux de l’Europe. En résumé, Mussolini était un brave garçon, qui avait bien mené sa barque depuis 1919 contre les communistes et autres socialistes, mais qui a été entraîné après  1938 à de bien  mauvaises choses par Adolf; moi-même (Silvio B.), j’ai été amené à accepter bien trop d’austérité mortifère par une certaine Angela M., désolé, je ne le referais plus.

La campagne a donc été l’occasion de réactiver le mythe du « bon » fascisme (italien). Italiani brava gente. Du point de vue européen, comme le PPE par la voix de Joseph Daul avait littéralement désavoué le PDL de S. Berlusconi et invité à voter pour la coalition de M. Monti (qui comprenait un parti, l’UDC, membre du PPE), je parierais que S. Berlusconi va lui faire rentrer dans la gorge cet affront. Il a déjà commencé ce matin, en disant que « le spread, il ne faut pas s’en préoccuper, les marchés sont fous »(sic). Autrement dit, notre bon Silvio semble bien avoir l’intention de faire monter les enchères en donnant un peu la fièvre aux marchés financiers, pour rendre indispensable un « gouvernement de responsabilité nationale ». A droite, il faut aussi admirer la performance du petit parti post-fasciste « Fratelli d’Italia » (presque 2% des voix), lancé en décembre 2012, il gagne le derby avec l’autre petit post-fasciste de la coalition Berlusconi, « la Destra » de Storace, 0,6%, mais surtout ses responsables humilient l’ancien leader d’AN, G. Fini, qui finit avec FLI à 0,5%. L’homme qui voulait normaliser totalement la droite italienne, l’européaniser depuis sa participation à la « Convention Giscard » il y a dix ans, ne vaut donc rien sur le plan électoral.

Du côté des perdants, ou de ceux qui ont fait une belle contre-performance, on mettra bien sûr l’alliance rassemblée autour du PD. Elle arrache d’un cheveu la majorité à la Chambre et rate de très loin la majorité au Sénat. Il semble que son leader Bersani ait reconnu sa défaite, sinon technique (en sièges), au moins morale (en dynamique), cet après-midi. Il appelle du coup à l’aide le M5S – amusant.  Apparemment, une grande partie des Italiens se sont souvenus que ce parti avait soutenu le gouvernement de Mario Monti depuis l’automne 2011,  certes le parti de S. Berlusconi aussi, mais le PDL a acquis un avantage tactique en rompant le premier l’alliance tripartite PD/UDC/PDL, et en se situant d’emblée dans une opposition féroce à l’action du gouvernement Monti depuis 2011. Un vrai gauchiste à la Stiglitz / Krugman, notre Berlusconi nouvelle mouture. Le PD a été pris au piège de son propre loyalisme envers un parcours institutionnel sans heurts pour l’après-gouvernement Monti. Il paye aussi sans nul doute l’impression donnée pendant la campagne qu’il ne prenait pas la mesure de la souffrance des Italiens due à la cure d’austérité qu’il avait accepté « au nom de l’Europe ». Sans compter le scandale sur la banque MPS, qui a frappé en plein cœur de l’un de ses fiefs historiques. L’austérité juste de son slogan (« Italia justa ») a dû apparaître à beaucoup comme juste de l’austérité.

Il y a aussi tous ceux qui incarnaient de vieilles forces politiques. L’échec de la liste « Rivoluzione civile » devrait interroger : en se mettant à quatre partis propriétaires de vieilles marques établies pendant l’autre siècle (deux néo-communistes, les Verts, et IdV), ils n’arrivent péniblement qu’à 2,3%,  même pas à 4%, ce qui leur aurait permis d’avoir des élus… Sic transiit gloria mundi. Du côté de la coalition Monti, l’UDC, héritière de la DC et membre du PPE,  s’écroule à  1,8%. Les autres tentatives de réanimer à droite ou à gauche un parti identifiable comme « démocrate-chrétien » ne rapportent rien ou presque (0,1% ou 0,5%). Plus généralement, les vieilles marques, présentes sur le marché électoral avant 1992 pour certaines, ou depuis les années 1990, sont démonétisées du point de vue électoral. Ce ne sont décidément pas des élections vintage. La seule exception me semble être le relatif dynamisme des marques post-fascistes ou néo-fascistes. En les additionnant (celles au sein de la coalition Berlusconi et les non-alignés), on arrive autour de 3% des voix. Si l’usage de « La faucille et le marteau » du PCI  ne pèse électoralement plus rien du tout, comme celle du « Scudo cruciato » de la DC, l’affichage plus ou moins marqué des valeurs nationales liées à l’héritage fasciste semble encore présentable pour une minorité d’électeurs. Plus généralement, on remarquera que le tricolore se trouve très présent dans les symboles électoraux – le nom du M5S fait lui aussi allusion à un symbole national. On pourrait ajouter à cette résistance des vieilles marques (de droite), celle de « la Ligue du Nord ». Malgré une contre-performance historique, elle reste juste au dessus des 4% des suffrages. Le parti, en principe le plus eurosceptique du paysage politique national depuis 1999, n’a certes nullement profité de la situation; il est vrai qu’avec ses multiples casseroles judiciaires, dont une en pleine campagne,  et avec son alliance avec S. Berlusconi qui révulse une partie de sa propre base, il n’avait rien d’engageant, mais il a surmonté l’épreuve. Roberto Maroni, son leader, devient même ce soir gouverneur de Lombardie. Still alive.Still jazzing.

Au total, au delà de la critique de la cure d’austérité imposée par les engagements européens de l’Italie, il me semble surtout qu’une bonne partie des électeurs italiens avaient envie de faire le ménage, envie de nouveauté. Les scores au sein de la coalition de Mario Monti illustrent ce fait. A la Chambre des députés, elle a recueilli seulement 10,5% des suffrages exprimés – ce qui, en soi, constitue un désaveu de la ligne suivie depuis l’automne 2011 -, mais sur ces derniers, 8,3% vont à « Scelta civica »(Choix civique), la liste civique des personnes entrées en politique à cette occasion, et seulement 1,8% à l’UDC et 0,5% à FLI, ce qui veut dire que 80% de ceux qui ont soutenu le pro-européen Monti  ne voulaient pas des vieux politiciens tout aussi pro-européens que lui. Il ne faut donc pas à mon avis confondre deux tendances  dans cette élection italienne : le problème conjoncturel avec la politique économique inspirée par le « consensus de Bruxelles » qui, d’évidence, ne marche pas bien (euphémisme);  la volonté plus structurelle d’une très grande part des électeurs italiens de renouveler entièrement leur classe politique. Il ne faut sans doute pas confondre les deux phénomènes.