Et voilà, il a gagné de nouveau, et à la loyale en plus! Silvio Berlusconi vient d’enregistrer une grande victoire électorale pour son cartel électoral, « Peuple de la liberté », « Ligue du nord », et « Mouvement per les Autonomies », il laisse prés de 10 points derrière le cartel « Parti démocrate – Italie des valeurs ».
Pendant la campagne électorale, on a même bien peu parlé de son poids différentiel dans les médias audiovisuels. L' »autorité de garantie pour les communications » s’est plaint (un peu) du déséquilibre dans les médias audiovisuels, mais sans plus et sans grand écho. S. Berlusconi a protesté comme d’habitude contre la « par condicio », la loi qui régule l’équité lors des campagnes électorales, mais en fait il n’a pas plus insisté que cela. Il est vrai que le plus marquant a été la bipolarisation dans les grands médias de la campagne entre S. Berlusconi et W. Veltroni, et les deux leaders des deux grands cartels étaient d’accord pour réduire le débat à eux-mêmes.
De plus, S. Berlusconi n’a rien été obligé de promettre d’extraordinaire, contrairement aux fois précédentes. Il y a indéniablement une réussite personnelle dans tout cela : le lancement à l’automne dernier du nouveau (futur) parti dit « Le peuple de la liberté », depuis une manifestation dans un théâtre situé Place San Babila à Milan, haut lieu de la droite italienne (et surtout de l’extrême-droite), a été une contre-mesure aussi risquée que géniale à la crise de l’alliance « Maison de la liberté ». Les alliés, pourtant publiquement réticents au leadership du vieux leader, ont été obligé de suivre: c’est le cas en particulier de Gianfranco Fini. Il a suivi plus contraint qu’enthousiaste, et il a gagné, car son électorat a suivi lui aussi : du point de vue du positionnement idéologique, il était déjà difficile de distinguer un électeur d’AN et de FI, cela a bien fonctionné finalement, mais AN est décidément le « junior partner » de cette fusion autour de FI. A vérifier lors du processus constituant réel de la nouvelle force politique.
Il a aussi réussi à reconstituer une géographie variable de son système d’alliance, avec la « Ligue du nord » qui l’appuie au nord de Rome et ensuite de Rome au « sud profond » le « Mouvement pour les Autonomies ». Ce dernier est surtout implanté en Sicile, et son leader, Raffaele Lombardo, a remporté rien moins que l’élection pour le poste de Président de la Région (autonome) Sicile avec un écart énorme (60/40). Je suppose que cela va confirmer les analyses de Luca Ricolfi qui insistent sur la nature « anti-centraliste » et « anti-étatiste » de l’électorat des droites rassemblées (en 2006) derrière Berlusconi (ce qui néglige un peu la tendance « étatiste-laziale » d’AN).
Bref, une très belle victoire, logique vu les résultats de l’élection de 2006. Bien qu’il ait été au pouvoir, S. Berlusconi avait failli ne pas perdre. La victoire à la Chambre des député lui avait échappé de 22.000 voix à peine (0,1%) (ce qui correspondait à un parti autonomiste du nord laissé en dehors de la grande alliance d’alors) ; et au Sénat, il avait (presque) arraché l’égalité. Pour ces élections, avec des périmètres d’alliance différents, il gagne nettement dans les deux Chambres. C’est sans appel.
Autre nouveauté que tout le monde signale, et que j’envisageais dans mon « post » précédent : le massacre des petits partis porteurs d’anciennes identités politiques. La surprise, c’est la catastrophe électorale de la « Sinistra arcobaleno ». Je pressentais que Fausto Bertinotti n’était pas très vendeur comme tête de gondole, mais à ce point : le nouveau sujet politique rassemble à peine 3% de voix. En chiffres absolus, ce n’est pas très loin au dessus de « la Destra », l’ultime tentative d’une refondation néo-fasciste. Tout le monde le remarque : les marques électorales du XXième siècle sont en crise. A la gauche de la « Sinistra arcobaleno » (Sa), les résultats sont groupusculaires (ou crépusculaires?), mais ces voix ont manqué à Sa pour atteindre les 4% demandés pour avoir des représentants à la Chambre. Au centre-gauche, la diaspora socialiste récemment réunifiée coule corps et biens avec moins de 1% des voix. Au centre, il faut noter la disparition de l’UDEUR de Clemente Mastella, qui ne s’est même pas présenté aux élections. La tentative de ressusciter le PLI (d’avant 1994) a fini avec 0,3% des voix, et la plupart des petites entreprises de survie des anciennes enseignes se sont ralliées soit au PDL soit au PD quand la porte leur a été ouverte. Seuls la diaspora démocrate-chrétienne possède encore une enseigne : l’UDC de Casini (allié avec ses propres scissionnistes de la « Rose blanche ») sauve les meubles. Elle dépasse les 5% des voix. A droite, la tentative de reconstituer une droite néo-fasciste parlementaire échoue, et à l’extrême de l’extrême-droite, le « FN » fait un beau flop.
En résumé, tout ce qui n’a pas été rénové disparait, et ne survit que les deux forces issues de la crise des années 1980-90, « Ligue Nord » d’un côté, et « Italie des valeurs » de l’autre : le représentant des prolétaires nordistes en colère et celui des honnêtes gens en colère avides d’ordre et de légalité de l’autre. Les deux grands partis « Pd » et « Pdl » eux affirment leur nouveauté, leur positionnement l’un vis-à-vis de l’autre. Ils sont deux grands chaudrons où il serait intéressant de regarder les ingrédients, fort étonnants parfois. Ainsi Lamberto Dini, un traître au berlusconisme de 1995 à 2007, se retrouve dans le « PdL », et il en a défendu les raisons lors de cette campagne. Il faut savoir pardonner les offenses et « retourner sa veste » comme dit la chanson…
Dernière remarque : en France, on parle souvent pour l’alliance « Parti démocratique et Italie des valeurs » de la gauche. Il s’agit d’un simplification : de gauche au sens traditionnel du terme, il n’y a qu’une partie des dirigeants du PD, qui viennent effectivement de l’ex-majorité du PCI (d’avant 1990), mais pour le reste, on peut en douter. Le choix du mot de « Parti démocrate » pour se nommer n’est pas du tout anodin; il s’agit bien de rompre avec le communisme et même avec le socialisme (qui n’a d’ailleurs jamais attiré l’aile ex-démocrate chrétienne des dirigeants du parti). Si on se réfère à la gauche au sens strict (héritage socialiste, y compris la branche communiste issu du Congrès de Livorno des années 1920), il n’y a plus rien de revendiqué au niveau du nouveau Parlement italien.
En fait, on aura plutôt au Parlement une opposition entre deux centres (Parti démocrate et UDC) séparés entre autres par la question de la laïcité et une coalition des droites divisées territorialement. Bref, la « gauche » italienne a devant elle beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail.