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« La droite la plus bête du monde »- le retour.

Par curiosité professionnelle, je me suis obligé à regarder jeudi soir dernier le premier débat télévisé du premier tour de la « primaire de la droite » sur TF1. Au moins, je n’ai pas été dépaysé: entre le cadrage général du débat par les journalistes (rien que l’infographie du début… un vrai chef d’œuvre) et les propos tenus par les sept candidats, il y avait là une illustration presque parfaite des thèmes permanents de la droite « républicaine » française depuis au moins un quart de siècle – et peut-être plus. Comme mon collègue Bruno Cautrès l’a fait très justement remarquer sur Conversation, sous un titre ironique, « Primaire : le programme commun de la droite », en matière économique et sociale, les thèmes et les propositions n’avaient rien de bien novateur – pour ne pas dire plus -, et en matière de lutte contre le terrorisme, les nuances dans la ligne Law&Order n’étaient que des nuances justement.

Le plus drôlatique, c’est que certains candidats à la candidature le firent eux-mêmes remarquer au cours du débat, comme Copé, fort en verve, soulignant que l’espérance de 2007 dans de grandes réformes libérales n’avait pas été suivie d’effet. Quant au représentant du PCD (Parti chrétien-démocrate), le sieur Poisson, il joua sur ce point là aussi la mouche du coche, en notant que ce qu’il entendait ce soir de la part de ses concurrents lui rappelait le programme de Balladur en 1995, voire un passé plus lointain. Il n’y avait guère que NKM pour essayer d’avancer une réflexion un peu indexée sur l’état actuel de l’économie, en insistant lourdement sur le sort des indépendants, avenir de l’économie selon elle. « Tous uberisés », ai-je traduit, mais dans la dignité tout de même. Pour le reste, toutes les propositions étaient parfaitement vintage (suppression de l’ISF, des ’35 heures’, du maximum possible de fonctionnaires- si ce n’est du statut de fonctionnaire lui-même -, réduction des impôts progressifs et promotion des impôts régressifs comme la TVA, hausse de l’âge légal de la retraite, etc.), le tout entouré chez certains candidats d’un prurit anti-syndical (enfin anti-CGT pour être précis), pour le coup carrément très années 1930. L’argumentaire pour soutenir ces différentes mesures n’était pas en reste dans le côté déjà entendu mille fois. Il n’y avait là presque nulle trace de réalités nouvelles, comme le changement climatique, ou encore la montée en puissance de la robotisation et de l’intelligence artificielle  et son impact fort probable tout de même sur le monde du travail. Les dites réalités devraient pourtant influer plus sur les propos tenus en 2016 qu’en 1986 – il faudra donc sans doute attendre 2046 pour avoir l’avis de la droite française sur ces sujets. Il n’y avait nulle trace non plus de l’échec des politiques néo-libérales ainsi prônées à bénéficier à une moitié au moins de la société – comme l’a finalement constaté au même moment la nouvelle Première Ministre britannique à la suite du vote du Brexit (sans en tirer néanmoins toutes les conséquences, mais c’est là une toute autre question). Nos parangons de la « droite la plus bête du monde » se sont ainsi contentés de répéter le mantra selon lequel tous les pays développés avaient vaincu le chômage grâce aux recettes qu’ils préconisaient, sans vouloir voir qu’un taux de chômage à 5/7% ne veut  presque plus rien dire en soi sur le niveau réel de la satisfaction ou l’insatisfaction populaire.

Bref, la droite française dans toute sa splendeur telle que l’éternité la change. Je sais pourtant bien qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et, d’ailleurs, le chrétien-démocrate Poisson par certaines de ses remarques (sur les syndicats par exemple) rappelait à qui voulait bien tendre l’oreille qu’il y eut jadis d’autres droites que celle-là.

Au sortir de ce débat, je me suis interrogé s’il resterait encore un électeur de gauche un peu classique dans ses convictions pour aller encore voter à cette « primaire de la droite ». Cela serait vraiment un vote en se bouchant le nez. Surtout, je me suis demandé, tout au moins au vu de l’aspect économique du programme, comment ce même électeur allait pouvoir voter au second tour de la présidentielle pour l’un de ces sept candidats devenu le leader de la droite et du centre, et donc probablement à en croire la logique des dernières élections, l’un des finalistes du second tour de l’élection présidentielle de l’année prochaine. Il n’aura en effet pas échappé aux téléspectateurs un peu attentifs que même un Juppé n’était pas ce gauchiste que certains amnésiques volontaires ont cru deviner un temps dans ce politicien de droite – pas plus gauchiste en réalité que les autres compétiteurs en tout cas. (De fait, le plus modéré sur le plan économique et social, avec l’outsider Poisson, n’était autre en fait que Sarkozy.) Lors de sa campagne présidentielle proprement dite, la personne  ainsi choisie aura sans doute certes le temps de modérer ses propos, ou d’y ajouter quelques garanties sociales pour attirer le chaland, mais il reste que tout ce qui a été dit jeudi dernier ne va pas faciliter la tâche de l’électeur de gauche décidé à faire barrage à la candidate du Front national. Entre un remake de Margaret Thatcher – le brillant rhétorique en moins – lui promettant tout ce qu’il déteste et la candidate du FN, je sens que bien des gens à gauche vont aller en week-end sans laisser de procuration…

PS. Mes remarques rejoignent celles de Martine Orange pour Mediapart et de Christian Chavagneux pour Altereco+. Eux aussi, ils ont été frappés par le classicisme du discours tenu, et ils anticipent déjà les dégâts en matière de croissance et d’emploi s’il devait se transformer en décisions publiques.  De fait, face à cette évidence d’une ligne unique de la droite et du centre en matière économique, la vraie interrogation devient alors pourquoi la primaire de la droite et du centre offre aussi peu de diversité sur ce point. Celle de la gauche en 2011 avait été marquée par l’opposition entre la ligne Montebourg (la « démondialisation ») et celle de tous les autres candidats.  Dans le cas présent, rien de tel n’apparait. C’est sans doute mieux pour l’unité d’action de la future majorité de la droite et du centre, mais c’est inquiétant pour la capacité de ce camp à faire exister un minimum de réel débat en son sein sur ces aspects. Le seul qui aurait pu incarner une autre voie à droite est Henri Guaino. Il vient de faire paraitre un ouvrage pour réaffirmer ses vues. Il prétend, me semble-t-il, jouer un rôle à la Présidentielle, mais il reste d’évidence un leader (possible) sans troupes. Il faut aussi compter sur DLR de N. Dupont-Aignan, mais ce parti reste marginal.

La première hypothèse pour rendre compte de ce blocage de la pensée économique à droite et au centre pourrait être que cette ligne convient très bien à la fois aux donneurs d’ordre de cette dernière (en gros, le MEDEF) et à l’électorat visé lors de ces primaires (en gros, les retraités aisés et les classes moyennes supérieures du secteur privé – bien plus que les « ploucs »), et qu’elle n’oblige en plus à aucune remise en cause au niveau européen. C’est l’explication par les intérêts. (Ces derniers peuvent d’ailleurs être à courte vue : bien des économistes font remarquer que la France ne sera jamais plus compétitive par le coût du travail, mais seulement par la qualité des produits et services offerts, produits par de la main d’œuvre bien payée). La seconde pourrait être que l’imprégnation néo-libérale de ces leaders (et de leurs proches conseillers) est devenue telle qu’elles sont devenues incapables de chercher à raisonner autrement. C’est l’explication par les idées. Enfin, j’aurais tendance à supposer qu’au delà de tous les discours sur la crise économique et politique, tenus par ces leaders lors de ce débat, ces derniers voient encore la situation comme « ordinaire ». Après tout, la France est « en crise » depuis les années 1970 au moins. Cela n’a pas empêché leurs carrières de suivre leur cours. Bref, pour penser autrement, il faudrait déjà penser qu’il existe une vraie urgence à ne pas continuer comme avant.