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Suppression de la qualif???

Bon, là vraiment, la nouvelle loi universitaire, cela devient du n’importe quoi…  Lors de la discussion de cette loi au Sénat, un amendement, proposé par les Verts (???), a été adopté qui supprime pas moins que la procédure dite de « qualification ».

Rappel pour comprendre : la « qualification » est une procédure centralisée qui demande à chaque docteur, titulaire d’une thèse de doctorat, qui veut devenir à terme « Maître de conférence » des Universités de se faire certifier au vu de ses travaux par la section disciplinaire correspondante à sa spécialité du « Conseil national des Universités » (CNU). Les participants aux sections du CNU sont à la fois élus par les membres de la discipline concernée et nommés par le Ministre en charge de l’enseignement supérieur. Après examen contradictoire de la part de ses (éventuels futurs) pairs, le docteur est réputé « qualifié » pour quatre ans en vue de candidater aux postes de maîtres de conférence ouverts par les Universités. La procédure de recrutement se poursuit ensuite au niveau local de chaque Université sur les postes ouverts par discipline. La « qualification » peut être vue à la fois comme une procédure de contrôle et de mise en conformité au sein de chaque discipline (avec parfois les coups bas que cela suppose…) et comme une procédure « malthusienne » qui réduit le nombre de candidats docteurs éligibles au recrutement par discipline. En effet, avec cette procédure, certaines thèses sont moins égales que d’autres, puisqu’elles ne donnent pas droit à prétendre enseigner ensuite à l’Université, et certains docteurs se voient refuser le droit de tenter leur chance au recrutement au niveau local.

La suppression de la « qualification » signifierait donc que tout le recrutement devient un processus local au niveau des Universités (et ensuite dans la foulée l’ensemble de la carrière universitaire?). Cela peut se concevoir, cela existe largement dans les autres systèmes universitaires où une procédure centralisée comme la « qualification » n’existe pas à ma connaissance, d’ailleurs les Universités française ne sont-elles pas réputées être désormais  autonomes? Bref, a priori, ce n’est pas grave, et cela évitera aux collègues des sections du CNU beaucoup de travail.

L’amendement déposé par les Verts pose toutefois un double problème.

D’une part, il prend à froid la communauté universitaire, qui n’a pas « mûri le dossier », c’est le moins que l’on puisse dire. Mais, après tout, toute cette loi universitaire correspond à la faiblesse actuelle du monde universitaire. Donc, pourquoi pas? Allons-y gaiement!

D’autre part, a-t-on réfléchi aux conséquences pratiques d’une telle suppression de la qualification?  En effet, à l’heure actuelle, la qualification joue d’évidence le rôle de filtre pour limiter le nombre de candidats aux postes de Maître de conférence,  du point de vue administratif mais aussi du point de vue psychologique. De ce second point de vue, les nouveaux docteurs,  qui sont en effet parfois incertains de la valeur de leur propre travail de thèse et de leurs qualités de chercheur, utilisent la qualification  (à tort ou à raison) comme un moyen de savoir ce qu’ils valent sur le marché académique, comme un autre regard sur leur thèse. Ne pas obtenir la qualification après la thèse permet alors à certains de décider que, non finalement, le métier d’enseignant-chercheur n’est pas fait pour eux. Ils s’éloignent donc et vont chercher (meilleure?) fortune ailleurs.  Supprimer la qualification, c’est aussi supprimer un signal (de bonne ou mauvaise qualité, cela resterait bien sûr à discuter) pour les docteurs sur la poursuite ou non de l’aventure. Et il faut bien dire que, dans la situation actuelle de l’emploi dans la monde académique, il vaut peut-être mieux quitter le circuit le plus tôt possible après la thèse, au moment où une reconversion s’avère encore jouable, plutôt que de s’entêter à multiplier en vain pendant des années les travaux académiques et les candidatures pour se rendre compte à près de 40 ans que « non, cela ne va pas être possible… ». J’avais été frappé il y a quelques années par un article dans Die Zeit racontant comment, dans un système universitaire décentralisé, des docteurs allemands devenaient finalement chauffeurs de taxi à force d’avoir attendu en vain un poste à l’Université… , et je ne suis pas sûr qu’on ne pourrait pas faire le même article désormais pour le cas français.

Par ailleurs, s’il n’y a plus de qualification « malthusienne », le nombre de candidats docteurs par poste ouvert de Maître de conférence, va en bonne logique encore augmenter… sans que toutefois une objectivation nationale du nombre de candidats possibles par discipline ne soit  plus offerte par les résultats cumulés de la qualification. (C’est un peu casser le thermomètre comme on dit. ) Tous les docteurs (tout au moins probablement ceux qui auront eu la thèse avec les félicitations de leur jury) vont tenter leur chance au niveau local pour savoir s’ils sont aptes à continuer dans la carrière.  Face à cette situation, le niveau local – s’il ne veut pas se trouver étouffé de dossiers à étudier –  ne pourra que réagir de manière à restreindre le nombre de candidatures qui lui sont adressées à travers des profils de poste de plus en plus pointus, donnant du coup aux (rares) recrutements effectués un côté cousu de fil blanc – pour ne pas dire clientéliste – qui ne renseignera  pas vraiment les docteurs non recrutés sur la perception de leur thèse par la communauté scientifique concernée.

Certes, au total, au bout d’un certain temps d’échec total aux recrutements locaux, les docteurs concernés auront bien compris qu’on n’a pas besoin d’eux dans les circonstances actuelles d’écart pour le moins abyssal entre le nombre de bons candidats et le nombre de postes offerts, mais cela aura retardé leur prise de conscience d’un ou deux ans, voire plus. Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée.

Ps 1. Pour une fois, je me retrouve à 100% dans « la ligne du parti ». J’approuve entièrement  le communiqué de ce jour de l’Association française de science politique, qui a réagi au quart de tour, et que je reproduis ci-dessous in extenso.

« L’Association Française de Science Politique est très inquiète de la suppression de la procédure de qualification nationale telle qu’elle vient d’être adoptée par le Sénat. Faisant suite à un amendement [ http://www.senat.fr/amendements/2012-2013/660/Amdt_6.html ] adopté au terme d’un débat succinct, cette évolution législative risque de renforcer les tendances au localisme maintes fois constatées dans le recrutement des enseignants-chercheurs et de rendre le travail des futurs comités de sélection impossible en raison de la disparition du filtre légitime que représente la qualification disciplinaire nationale. L’AFSP appelle d’urgence la représentation parlementaire à suspendre cette modification et à rétablir l’article L 952-6 [ http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006525622&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20090509 ] du Code de l’enseignement. L’Association est solidaire de la pétition lancée en ce début de semaine par la CP-CNU [ http://www.cpcnu.fr et http://www.petitions24.net/cpcnu ] visant à défendre une politique exigeante et nationale de qualification, gage d’une Université de qualité. »

Je n’ai pas insisté moi-même sur les risques de localisme dans les recrutements, parce qu’à mon sens, dans cette hypothèse de suppression de la qualification, les recruteurs seraient obligés de trouver un moyen de barrer la route au flot insurmontable de candidatures, et cela  en raison de leurs moyens limités en temps d’étude de ces dernières, le localisme peut être le moyen le plus simple en effet…

Ps2. Intéressant à observer le « rétropédalage » des parlementaires des Verts sur le sujet ces dernières heures. Il ne s’agissait, parait-il, que d’un amendement destiné à ouvrir le débat… C’est plutôt réussi vu les réactions multiples de la communauté universitaire (entre les sections du CNU qui réagissent les unes après les autres, les syndicats des enseignants-chercheurs qui s’opposent, les voix individuelles qui s’indignent). En tout cas, il ressort plus généralement de l’épisode que les diverses composantes de la communauté universitaire ne se sentent guère associées à la réforme en cours (euphémisme).

Jeunes candidats chercheurs, rassurez-vous, vous pourriez être italiens.

L’Italie est réputée depuis au moins deux décennies pour le médiocre état de ses Universités et de sa recherche publique, et surtout pour leur sous-financement chronique. Toutes les comparaisons internationales disponibles insistent sur ce point.

Il semble que l’actuel gouvernement Berlusconi veuille ajouter un épisode à cet saga.  D’ultérieures restrictions budgétaires sont à prévoir pour le monde universitaire sur les trois prochaines années. Le gouvernement propose, semble-t-il pour compenser ces restrictions, de rendre possible la transformation des Universités en fondations de droit privé; celles-ci pourraient recevoir des fonds du secteur privé (ce qui ne va pas de soi sachant l’appétence des entreprises italiennes pour la recherche).  La crainte est bien sûr que ces Universités soient obligées d’augmenter leur frais de scolarité et surtout de ne se consacrer qu’aux études réputées rentables par les entreprises les finançant. Dans l’immédiat, le gouvernement propose de ne remplacer que 20% des personnels universitaires statutaires partant en retraite, soit 1 sur 5. Oui, vous avez bien lu, 1 sur 5. Sachant que déjà actuellement le personnel non statutaire (les « precari ») assure souvent le gros de l’activité pédagogique et scientifique des Universités, on peut imaginer l’impasse dans lequel se trouvent ces mêmes « precari ». C’est d’autant plus troublant qu’en même temps le gouvernement prétend résorber ce même précariat, avec des régles au byzantisme étudié par un fonctionnaire sorti de l’imagination d’un Kafka sous acide. Cela vaut aussi pour les grands organismes de recherche public. Leur titularisation dans un statut s’enfonce donc dans le néant à grande vitesse, sauf pour une infime minorité de « salvati » (sauvés comme dirait Primo Levi pour un sujet plus grave). De toute façon, il semble qu’un ministre ait comparé les chercheurs à des « mercenaires » qui vont et qui viennent, et qu’un poste fixe pourrait endormir. (Comme dirait L. Parisot rien ne dure en ce bas monde… )

Je ne vous étonnerai pas en disant que les personnes concernées protestent hautement . Menacés dans leur existence et leur avenir, elles multiplient les manifestations (peu relayées par la presse) et les sites Internet pour informer de leur sort (cf. pour une avalanche de liens ). La situation est d’autant plus grave  que la durée des études en Italie tend souvent à produire des « precari » à des âges plutôt avancés (35 ans et plus) parmi les « jeunes chercheurs ». Leur reconversion semble dès lors des plus difficile , voire impossible, à     l’âge où l’on est déjà un « vieux con » pour les entreprises. (Plus généralement, sur le marché du travail italien, le recrutement sur un  travail précaire s’arrête à la quarantaine; au delà si l’on doit encore être précaire, plus personne ne veut de vous.)

Etant donné que cette politique va à l’encontre de tout ce qui peut raisonnablement être considéré comme la défense de l’Italie dans l' »économie de la connaissance » prévue par la Stratégie de Libonne, même si tout cela est présenté par le gouvernement italien comme un moyen de se préparer à de tels défis en « rationalisant » le monde universitaire et académique en lui trouvant de nouvelles ressources ailleurs que dans les poches vides de l’Etat, j’y vois aussi un moyen pour les dirigeants actuels d’en finir avec le monde de la science et de la haute culture. Ce « massacre des élites » (universitaires) tient beaucoup au fait que la base sociale, économique, morale des droite italiennes se trouve peu à l’Université – même s’il existe des universitaires de droite, même s’il existe des militants étudiants de droite. Les universitaires forment un monde un peu incompréhensible dont on se débarasserait d’autant plus volontiers que le barycentre social du centre-gauche se trouve dans l’Université ou plutôt dans les personnes issues d’une éducation universitaire qui sont le seul point fort électoral de la gauche modérée (la génération éduquée dans les années 1960-1970). Les universitaires ou les hommes de haute culture ont fourni d’ailleurs de solides opposants à la personnes de S. Berlusconi : des professeurs d’Université formaient d’ailleurs la base du mouvement des « Girotondi » (les rondes) dans les années 2003-04.

En même temps, face à ce désastre, je ne peux manquer de me dire que cela a toujours été le cas.  Cette impasse sur le recrutement de statutaires était déjà en cours au début des années 1990, et les actuels  (rares et âgés) titulaires  racontent volontiers qu’ils sont arrivés bien tard dans leur vie là où ils sont. Vu la structure mandarinale et gérontocratique marquée de l’Université italienne (pour ne pas parler de quelques abus clientélistes, voire maffieux, de ci de là), il devrait apparaître à toute personne raisonnable comme absurde de vouloir faire carrière dans un tel système. De nombreux brillants éléments issus de la Péninsule ne se sont  d’ailleurs pas gênés pour le comprendre et font d’ailleurs carrière dans le monde anglo-saxon (ou en France). Face à cette impasse durable, je me suis toujours demandé comment une partie des jeunes Italiens les plus brillants s’aveuglaient tout de même sur leurs chances de réussite, et continuaient à faire vivre ce système inique. En même temps, quand j’essaye d’expliquer le plus honnêtement possible à mes propres étudiants ce qui les attend en réalité avant d’avoir une « certitude » sur leur avenir (ce qui est peut-être le problème, mais nous sommes dans une société sans pitié…), je sens bien qu’ils me croient à moitié. Il y a toujours, comme face à une épidémie, l’optimisme de celui qui pense qu’il va s’en sortir tout de même. Cela doit être un peu du même ordre en Italie. « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. »

Cette crise de l’Université italienne n’est pas sans rapport avec l’attitude du gouvernement italien sur le « Plan climat » de l’Union européenne au Conseil européen des 15/16 octobre. Ce dernier voudrait des accomodements dans la mesure où il a le sentiment que l’Italie ne peut respecter ce plan sans y perdre économiquement. L’Italie, qui n’a pas de charbon contrairement à la Pologne, se retrouve ainsi le seul pays développé de l’Ouest du continent à soutenir cette ligne du suicide collectif à l’étouffée. Cela correspond assez bien à une économie sous-dotée en capital humain, incapable d’investir en Recherche & Développement. La masse des petites et moyennes entreprises du nord du pays, que le gouvernement Berlusconi entend représenter, est hors d’état d’envisager une reconversion écologiquement correcte même à moyen terme – si j’ose dire : déjà que les déchets  toxiques les plus divers sont déversés dans le Sud à cause de réglementations européennes contraignantes, il ne faudrait pas en plus avoir à respecter des quotas d’émissions de CO2 en plus! En effet, si on ne fait pas de recherches et si on ne maîtrise pas les technologies correspondantes, la seule manière de diminuer les émissions de CO2 est de faire faillite! (ou de tricher avec les quotas…)

Commission de spécialistes, dernière séance.

Hier j’ai assisté sans doute à ma dernière commission de spécialistes. Selon la loi LRU, ce genre d’institutions doit cesser de fonctionner au 11 août 2008. Il n’y avait pas d’émotion particulière parmi les collègues, sinon la ferme intention partagée d’assurer le bon fonctionnement de la chose afin de ne pas troubler le cours normal de l’année universitaire à venir.

Je voudrais revenir ici sur les critères de jugement que nous avons utilisés pour sélectionner les candidats (il s’agissait d’attribuer des demi-postes d’ATER). Je me suis rendu compte une fois la discussion terminée que nous n’avions jamais évoqué le sujet de thèse du candidat en lui-même. Tous les sujets, pourvu qu’ils fassent académiquement partie de la science politique au sens juridique d’inscription en thèse de science politique, valaient. Personne ne s’est hasardé à utiliser des critères de jugement intrinsèques sur la pertinence de faire une thèse sur tel ou tel sujet. Il y a bien eu une ou deux remarques éparses sur l’objet fort limité de certaines thèses, mais nous ne sommes pas entrés dans une discussion de fond. Nous n’avons même pas discuté sur le fait de faire sa thèse avec tel ou telle directeur/directrice de thèse.

Du coup, sur quoi a porté la discussion? Quels furent les critères de différentiation des candidats? Eh bien, des critères de type « scoring » par rapport à l’objectif d’un poste d’ATER (avoir fini ou être en train de finir à court terme d’un an une thèse, se proposer de commencer une carrière scientifique dans la foulée). Du coup, nous sommes partis à la recherche d’indicateurs poètiques s’il en est : nombre de communications dans des colloques, nombre d’articles dans des revues à comité de lecture, participation à des réseaux organisés et validés par un quelconque contrat, etc. Tout le monde a d’ailleurs pu remarquer que beaucoup de candidats, en particulier ceux qui se sont retrouvés sur notre liste finale, ont un publication record tout à fait remarquable pour leur âge (souvent moins de 28 ans). Nous avions même une candidate qui a déjà publié un livre (pas à compte d’auteur!) sur un sujet par ailleurs très éloigné de sa thèse en cours, livre dont la copie a circulé lors de la commission. Dans cette débauche de publications, d’insertions dans les réseaux internationaux de recherche, de post-doctorats divers et variés et de séjours académiques de plus on moins longue durée, de double et triple cursus, de maîtrise d’au moins trois langues étrangères, il est facile de voir l’effet de la « professionnalisation » de notre discipline – ou aussi, de l’augmentation géométrique des conditions de participation à la compétition pour les trés rares postes disponibles.

Certes, mais du point de vue intellectuel qui devrait être le nôtre puisque nous jugeons des oeuvres de l’esprit, nous avons surtout fait preuve de la montée en puissance de la délégation du jugement que décrit Linday Waters dans l’Eclipse de la pensée (voir un post précédent). Nous nous sommes contentés de faire un « score » fondé sur les jugements faits par ailleurs, par ceux qui ont accueilli les articles, les communications, les projets de recherche des candidats. « Tel candidat a neuf articles dans des livres collectifs », a-t-on pu dire, il est donc compétitif… mais, du contenu des articles, de leur apport à la science politique, il est ici interdit de parler!

Cette méthode, qui met de côté toute considération de fond, pour se concentrer sur le « Graal » de l’article dans la « revue-à-comité-de-lecture », préserve la bonne entente entre collègues, qui ne partagent pas des critères unifiés de jugement par ailleurs. Cela a été publié dans une telle revue, donc c’est à prendre en compte – même si je m’ennuie à mourir à la lecture de cette revue.

Vu ainsi, il n’y avait de fait plus grand chose à sauver dans les commissions de spécialistes. De spécialistes de quoi d’ailleurs, des formes extérieures et extrinsèques de ce qui se veut de la science politique? Du bon cursus honorum dans notre discipline? Vaut-il mieux avoir fait un bac scientifique, une prépa littéraire, un IEP, ou parler couramment une langue un peu exotique?

Pour les candidats, qui sont pris dans une course aux armements infinie (à quand la thèse en trois ans, avec 10 articles publiés dans des revues, anglophone si possible, à comité de lecture, 3 livres de 250 pages, 36 communications -une par mois -, et deux réseaux paneuropéens animés dans le cadre du IXe Programme cadre de l’Union européenne, plus un post-doc dans un pays européen, un autre à Chicago, à Dubaï ou à Shangaï, le tout à 25 ans), ils sont incités à rationaliser leurs pratiques en ce sens. Candidats qui me lisez, ne faites rien qui ne soit pas destiné à publier in fine dans une « revue-à-comité-de-lecture », le reste n’est que littérature. Tout ce qui n’est pas finalisé à être pris en compte dans le scoring est inutile. Réfléchir aussi à l’état du monde aussi d’ailleurs. Publiez, insérez-vous, et un jour vous pourrez juger comme nous… J’écris ces lignes avec le lâche soulagement de celui qui sait qu’avec ce genre de post il ne risque pas d’être appelé à participer à beaucoup de recrutements dans l’avenir.

Un dernier mot : sans doute, serons-nous accusé de localisme (encore que nous avons fait place à deux extérieurs sur nos quatre recrutements), mais il faut aussi considérer le localisme d’un autre point de vue, comme de l' »insider trading ». Sur un candidat local, nous savons collectivement plus de choses que sur les autres candidats, en bien et en moins bien. Nous connaissons ainsi l’état réel d’une recherche, ou les capacités à finir la thèse dans les délais au delà des déclarations sur le papier. Chaque enseignant se méfie aussi d’une perte de crédibilité auprès de ses collègues s’il soutient une cause perdue d’avance en raison d’indices concordants dans le mauvais sens sur un candidat local. En fait, j’ai bien l’impression que les candidats locaux ne tentent leur chance en fait que s’ils ont eu avant même la commission des signaux les incitant à le faire, d’où leur surreprésentation dans le résultat final. Que les candidats qui douteraient de ce point examinent leur propre jugement sur leurs pairs.

Les recrutements aprés la LRU… clientélisme puissance 10?

La « saison des recrutements » s’achève : elle n’a pas été très brillante pour les doctorants ayant fait leur thèse à l’IEP de Grenoble. Sur le moyen terme, Grenoble est plutôt un lieu qui « place » ses doctorants mieux que la moyenne des institutions provinciales, donc « nous » ne devrions pas nous plaindre.

Les résultats de cette année (au niveau des recrutements de maitre de conférence en science politique) sont les derniers effectués selon la formule de la loi antérieure et donc des « commissions de spécialistes ». Celles-ci étaient élues par les pairs de la discipline présents localement, et déjà présentées souvent comme un haut lieu du localisme, pour ne pas utiliser le gros mot de « clientélisme » ou celui plus usé de « mandarinat ».

Je réserverais mon jugement sur cette mise en accusation des « commissions de spécialistes », mais cela risque de n’être rien par rapport aux nouvelles « commissions de sélection » mises en place par la LRU. J’ai eu connaissance via mon université de rattachement de la note d’information sur les « comités de sélection pour le recrutement des enseignants-chercheurs » (MEN, DGRH A1 2III n°08-0069) du 23 avril 2008 qui remplace celle du 9 janvier 2008.

En résumé, le Président de l’Université et la majorité des membres enseignants élus au CA de l’Université ont le dernier mot sur la composition de ce comité de huit membres au minimum, quatre électeurs de l’Université concernée et quatre non-électeurs, avec une majorité de membres de la discipline dans laquelle on recrute (tout de même).

Ces comités sont normalement tous ad hoc pour un recrutement! Bon courage pour leur constitution répétée. Le ministère précise toutefois que « la même composition peut être retenue pour plusieurs emplois lorsque la nature de ces emplois autorise une composition identique », par exemple je suppose quand il s’agit de recruter quelques ATER d’un coup.

Cette disposition assure évidemment qu’un comité de sélection qui aurait mal choisi dans un cas pourra être immédiatement remplacé par un autre comité plus docile; de toute façon, ce sont les membres enseignants du CA et le Président qu’ils soutiennent qui décident en dernière instance du recrutement. Les membres enseignants du CA sont le jury du point de vue légal.

Ces « comités de sélection » risquent fort d’être des chambres d’enregistrement de décisions prises dans de petits cénacles encore bien plus obscurs que les anciennes « commissions de spécialistes ». On dira qu’il y a l’obstacle des « membres extérieurs » à l’Université, sauf que dans une petite discipline comme la nôtre, « tout le monde se connait ». Il suffira de faire un choix judicieux de membres extérieurs, à charge de revanche n’est-ce pas?

Autrement dit, le Président de l’Université X soutenu en CA par la sous-coterie Y de la discipline Z nomme un comité de sélection ne comprenant que des Y, locaux et extérieurs, qui pour la forme auditionnent Y1, Y2, Y3 et quelques membres de la sous-coterie W , W1, W2, W3, de la discipline Z, et le tour est joué : « the winner is Y1 », et la compétition a été légale et transparente pourvu qu’on respecte les textes.

Ce genre de mécanisme peut rapidement tourner à la farce dans les disciplines où il n’existe guère de consensus interne sur l’excellence (y en a-t-il en fait?). En même temps, j’y vois un grand avantage pour les futurs candidats : si la composition du comité de sélection est publique (elle sera votée par le CA), il leur suffira de connaitre les noms dans ce comité pour savoir de quoi il retourne. Normalement, les candidats un peu au fait des arcanes du milieu sauront qu’il est inutile de perdre son temps; seuls quelques « caves » se présenteront en dehors du futur gagnant et de ses alliés qui doivent faire semblant. C’était déjà un peu la situation auparavant, en particulier à travers les « fléchages de poste » et les « profils de poste » qui permettaient souvent de deviner une orientation, mais là cela devrait être encore plus clair.

Un des premiers nouveaux combats de l’ANMCSP devrait être d’exiger la publicité de la composition des comités de sélection. Tout le monde gagnera du temps : moins de dossiers à « étudier » d’un côté, moins d’auditions auxquelles participer de l’autre.

Ajoutons que les règles strictes de quorum et l’obligation d’avoir toujours une moitié d’extérieurs dans ce quorum (même mitigée par la possibilité de vidéoconférence) feront que seuls des collègues motivés vont participer à ces cérémonies. La motivation risque fort d’être fort corrélée à la proximité avec la probabilité (la certitude?) de recruter le « bon » candidat.

Un garde-fou théorique a été créé en obligeant les comités de sélection, CA et Président à « motiver leurs décisions » dans de nombreux cas, mais il est là aussi évident que rien n’est plus facile. Je peux les écrire d’avance : « Malgré les nombreuses publications de haut niveau à l’actif du candidat dans des revues de rang international, ses trois ouvrages dont un en anglais, les indéniables qualités de chercheur et d’enseignant dont il a fait preuve jusqu’ici, et la qualité de son audition pendant laquelle il a démontré d’immenses qualités, il n’a pas semblé que son programme de recherche s’inscrivait pleinement dans celui qu’entend développer notre Université ». Bref, il a tout pour plaire, mais il y a un « je ne sais quoi » ou un « presque rien » qui nous fait l’écarter, bien que nous n’ayons rien à lui reprocher qui nous puissions dire publiquement. Il suffira simplement pour échapper aux (éventuelles) foudre d’un TA de varier à l’infini les formules. Facile. Cela prendra un peu plus de temps toutefois.

Tout cela s’annonce donc très mal, mais cela durera-t-il? On peut miser en effet, de manière dialectique, sur la capacité de certains de nos chers collègues à exagérer. Une commission de sélection qui reprend entièrement un jury de thèse d’un candidat par exemple, en y ajoutant quelques garants internationaux par exemple. Ou bien un comité de sélection qui reflète le comité de rédaction d’une revue bien connue, avec toujours deux ou trois alliés étrangers. Mon imagination sera sans doute dépassée par la réalité des combinaisons qui se feront jour.

« L’éclipse du savoir », Lindsay Waters.

Les éditions Alia viennent de rendre disponible en français un petit ouvrage de Lindsay Waters, L’éclipse du savoir. Celui-ci était originellement paru en anglais sous le titre plus précis de Ennemies of Promise. Publishing, perishing and the Eclipse of Scholarship. Pour comprendre le titre, il faut rappeler la phrase typique du cynisme universitaire nord-américain, « publish or perish », il faut publier ou périr, guide d’action que chaque impétrant de la profession universitaire se doit de faire sien ; ici il est question de publier et périr. L’auteur est directeur des Presses universitaires de Harvard, et sa première thèse est simple : à force de faire des publications la condition sine qua non , objective, de toute carrière universitaire, les universitaires se doivent de publier, et ils font publier n’importe quoi du « vite fait, mal fait ». Bref, la quantité des livres et articles publiés augmente vertigineusement depuis les années 1960 à mesure que la concurrence pour les postes disponibles se durcit infiniment, mais la qualité et l’intérêt général de ce qui est publié diminue lui à grande vitesse. Le savoir s’éclipse, l’innovation intellectuelle n’est plus à l’université. De fait, dans les sciences humaines qui le concernent plus particulièrement (ou si j’ai bien compris les études littéraires, la philosophie et les « cultural studies »), les livres sont publiés en masse par les Presses universitaires de tout le pays, mais ils n’ont plus ni acheteurs, ni sans doute de lecteurs. Ce phénomène est lié: d’une part, à l’idée purement quantitative que se font de l’Université ses nouveaux maîtres, les bureaucrates : plus on publie (quelque soit le contenu de ce qui est publié), mieux c’est; d’autre part, à la soumission de fait des nouveaux aux anciens renforcé par la concurrence qui tend à primer le conformisme. En effet, publier, c’est bien, mais encore ne faut-il pas publier quelque chose qui tendrait à vexer les dominants? N’ont-ils pas tant d’autres bons candidats à choisir? L’auteur ajoute par ailleurs que les commissions de recrutement tendent à ne plus s’intéresser au contenu de ce qui a été publié, mais seulement au fait que cela a été publié, se défaussant de la responsabilité de choisir les nouveaux universitaires sur les comités de rédaction des revues et les comités éditoriaux des diverses presses universitaires.

Le diagnostic de L. Waters me parait largement acceptable, et l’on voit se renforcer les mêmes mécanismes en France dans la science politique, avec une augmentation « quantifiée » et « objective » de la qualité des candidats certifiée par des articles (les livres comptant moins). Il porte cependant plus spécifiquement sur les humanités aux Etats-Unis. En effet, l’auteur ajoute à ces mécanismes valables pour toutes les disciplines universitaires un piquant supplémentaire dans les humanités nord-américaines : une tendance représentée par les plus éminents professeurs selon laquelle en fait il n’y a plus rien à dire sinon que justement que le jeu littéraire et culturel est fini. L. Waters parle à ce propos de pensée négative, et montre que, sous ses dehors rebelle, elle vise à stériliser toute réelle concurrence future des jeunes, puisque tout a été dit (mais néanmoins qu’on nous laisse nos postes…). De ce point de vue, là encore, je ne peux que suivre L. Waters : en effet, si l’on connait un peu ce qui a été écrit de 1900 à 1975, on ne peut qu’être effrayé par le recul de l’audace critique de notre époque. En tout cas, toute cette critique actuelle ne semble pas devoir rester dans les annales.

Pour ce qui est du phénomène dénoncé, il me parait qu’il ne fera que s’accentuer en France vu les règles nouvelles d’évaluation qui vont se mettre en place, qui font la part belle à la recherche de la quantité, et aussi de la citation comme indice ultime de qualité d’un travail. (En science humaine, il suffit de soutenir une thèse séduisante à première vue mais idiote en fait pour s’attirer une multiplication de citations qui vont rectifier votre thèse. Par exemple, si je m’amusais à soutenir que l’Union européenne est un système plus démocratique que la Confédération suisse, j’aurais sans doute pas mal de citations qui démontreraient que je dis savamment des bêtises…). Il n’y a rien à faire, sinon de clarifier aux jeunes ces règles et que ceux qui le peuvent encore fuient à toute jambe vers des plus verts horizons. Quant aux autres, ils sont prévenus.

Un lecteur du post précédent de cette rubrique soulignait que j’ajoutais une litanie supplémentaire sur l’inutilité de la science politique, et plaidait lui pour la mise en place d’un agenda commun, qui serait la « diminution de la souffrance ». Cet agenda « utilitariste » (maximisation du bonheur, minimisation de la souffrance) devrait en effet être explicité, mais il supposerait de faire des choix en matière de « diminution de la souffrance » . Quelle souffrance? Celle de qui? Un pur libéral à la Pareto n’a pas la même vision qu’un John Stuart Mill ou un Pigou. Plus généralement, cela reviendrait à exposer des présupposés premiers, philosophiques si j’ose dire, or s’il y a bien une chose que la science politique française contemporaine refuse, c’est tout engagement de ce type; au mieux, on se dira dévoué à la vérité, l’objectivité, la science, mais très peu de nos collègues seraient prés à exposer clairement leurs présupposés philosophiques. Il faut dire que les sciences elles-mêmes s’y risquent rarement, ou plutôt vivent sur une version édulcorée du « positivisme » d’antan, « à tout maux, la science est la solution, mais bon quand même il y a la Bombe et le Zyclon B… faut pas rêver trop, sauf quand on demande des financements ».

Un agenda clair pour la science politique reviendrait à la fractionner encore, mais cela serait-il un mal? Cela obligerait chacun à se positionner. En même temps, quel débouché professionnel pour nos étudiants dans ce cas? En effet, le but des institutions qui peut les employer (entreprises, administrations, hôpitaux, services sociaux) n’est pas le bonheur (ou le non-malheur) de leurs ressortissants, mais bien plutôt une stabilité dynamique, un ordre social à maintenir. N’en ferions-nous pas des « êtres sans avenir »?

RFSP cuvée 2007, morne plaine…

La Revue française de science politique reste la revue principale sur le plan académique de la science politique française. Y publier est presque indispensable pour devenir enseignant-chercheur ou chercheur. Je l’ai fait moi-même une seule fois en 1998. En rangeant chez moi, vendredi dernier, j’ai reparcouru l’ensemble de la livraison de 2007.
Malheureusement ce rapide parcours fut largement désespérant. Aucun article ne démérite à première vue des critères de qualité en vigueur dans la discipline, tout cela est du plus grand sérieux, mais je serais bien en peine de citer un article qui a fait avancer d’un iota la science politique en général. C’est plutôt le registre du « deux pas en avant, un pas en arrière, et un pas de côté », qui est mobilisé. Rendons tout plus complexe semble être le motif, et ne soyons d’accord sur presque rien d’essentiel. Montrons que nous maitrisons bien nos gammes. C’est sans doute logique en terme de publication scientifique, mais que c’est morne et sans saveur, que sais-je de plus qui soit important à savoir à travers ces numéros – à part qu’un tel ou un tel « a publié dans la RFSP »? Que sa carrière va donc avancer ou se poursuivre? Qu’il a bien occupé l’espace qui lui était alloué en démontrant à tous sa virtuosité? Qu’il reste un « cador » ou qu’il est une « étoile montante »?
Tout est sérieux, je le répète pour bien me faire comprendre, et je serais bien en peine d’atteindre le niveau scientifique de bien des articles, mais quel sentiment d’absurde vous envahit à la lecture de certains. Le comble fut atteint pour moi avec l’article de Pierre François, « Le marché et le politique. Le rôle de l’action publique dans le développement du monde de la musique ancienne », RFSP, vol. 57, n. 5, octobre 2007. C’est fort bien fait, mais ce genre d’article me parait presque risible en regard de la compréhension du monde contemporain. Cela existe certes (comme les associations de philatélistes et bien d’autres choses sans grand impact sur le vaste monde), mais cela représente combien du budget de l’Etat? Cela change quoi face aux grandes mutations du monde, de la démocratie, de la géopolitique, de la puissance? Et, à propos, il se passe quoi en Chine, en banlieue, dans la haute finance, à Vaduz, à Pristina? Et, puis, en France, combien y a-t-il eu d’accidents cardio-vasculaires la semaine dernière? les gens sont-ils heureux dans la cinquième puissance économique du monde?
Il est certain que la multiplication de bonnes revues thématiques ou « de tendance » en science politique tend à vider la revue centrale de son contenu sur les divers problèmes du monde ou sur les diverses aires de la politique, mais cela n’excuse pas l’ennui que ressent le lecteur. J’avais d’ailleurs constaté que les étudiants réagissaient le plus souvent mal à la proposition de lire un article de la RFSP. Pour eux, ces articles sont marqués par le jargon, le verbiage compliqué pour dire des choses simples en fait et banales au demeurant. Je ne partage pas complètement cette condamnation, mais je vois bien que le lien avec l’analyse d’Howard Becker sur l’écriture en sociologie : plus on est incertain de son fait, plus on se protège par des signes de scientificité. Cela doit être d’autant plus le cas que la revue, rappelons-le, sert souvent à valider la qualité d’un candidat à un des (très) rares postes disponibles.
En écrivant ces lignes, je me dis en même temps que c’est mon horizon d’attente qui pose problème : je voudrais lire quelque chose de « vraiment intéressant »… n’est-ce pas ne rien comprendre à la vraie règle du jeu de notre discipline. Je confonds sans doute « littérature » et « littérature ».