Après les déclarations péremptoires du « discours de Grenoble » de N. Sarkozy, le gouvernement de François Fillon essaye de prouver sur le terrain à l’opinion publique qu’il est capable d’expulser à tour de bras les divers campements illégaux présents sur le territoire français métropolitain.
Du côté des « gens du voyage » (français), la situation bordelaise, due par ricochet à une expulsion dans une ville voisine, montre que ces derniers sont capables de se mobiliser pour défendre ce qu’ils considèrent être leur droit à la mobilité dans de bonnes conditions – y compris en retournant la rhétorique xénophobe à leur avantage. Leur utilisation du blocage routier comme répertoire d’action les fait du coup ressembler aux autres catégories de la population, peu nombreuses, mais disposant de véhicules/engins permettant de troubler la circulation (agriculteurs, taxis, routiers, etc.). Il y a toujours dans ce cas-là un jeu entre les forces de l’ordre et les manifestants qui tourne autour de la valeur vénale des véhicules/engins utilisés. Ici, la situation se complique du fait que les véhicules/engins constituent, non seulement l’outil de travail, mais aussi l’habitat, des personnes mobilisées… Au delà de cette querelle bordelaise, ces incidents signent l’échec de la loi Besson. Je me demande d’ailleurs s’il ne faudrait pas avoir une réflexion, inspirée par une approche à la Elinor Ostrom, sur la création et la gestion de ces aires d’accueil pour nomades. Est-ce que, dans le fond, les communes en tant que collectivités dirigées par des élus -même bien intentionnés – des sédentaires du lieu sont en état de créer et de gérer ce genre de services? De fait, au delà du problème de discrimination, de refus de leur présence par la majorité des populations dans les communes que transcrivent beaucoup de maires dans leurs politiques municipales de non-accueil (ou de mauvais accueil), n’y a-t-il pas un problème d’incitations? d’institutions? Ne faudrait-il pas faire des gens du voyage les responsables directs de leur propre hébergement? Par ailleurs, pour avoir vu plusieurs années de suite, le campus de Grenoble utilisé par les gens du voyage pendant une bonne partie de l’été, je ne me fais guère d’illusions sur la réalité des nuisances provoquées par certains d’entre eux. Les réticences de certaines municipalités ne sont pas sans fondements réels. Une année, sur le campus de Grenoble, à force de se comporter comme des sagouins, des gens du voyage avaient d’ailleurs réussi une mobilisation transversale des autres usagers du campus à leur encontre, rassemblant pour une fois personnels administratifs, enseignants-chercheurs, chercheurs, et étudiants, de toutes les institutions du site. L’adage néo-conservateur bien connu se vérifiait : « Un conservateur, c’est un libéral qui a été agressé. » A l’époque, Le Dauphiné libéré, toujours à la pointe de l’édulcoration des situations problématiques (c’est-à-dire donnant de quelque façon raison aux extrêmes) faisait de louables efforts pour présenter la situation sous le jour le moins défavorable possible à ces mêmes gens du voyage.
Du côté des Roms (étrangers!), on sent venir les abcès de fixation (accueil dans des gymnases) , et, quand j’entends que l’État roumain s’engage à faire un grand effort pour l’insertion des Roms rapatriés de France, je ne peux que prévoir l’impasse. A moins de les mettre dans des camps en Roumanie gérés par des anciens de la Securitate (s’il en reste qui n’ont pas fait fortune dans la nouvelle Roumanie…), ou de leur supprimer leurs passeports sous quelque motif fallacieux, ils reviendront inévitablement. Actuellement, sous l’égide du FMI et de l’Union européenne, sait-on bien que l’État roumain se trouve contraint de couper drastiquement dans ses dépenses. Les salaires des fonctionnaires ont été ainsi réduits de 25% (un quart)… et, tout va à l’avenant dans un secteur public, particulièrement sujet à la corruption en plus, selon les rapports à ce sujet de la Commission européenne! Le pays peine déjà à absorber les aides européennes prévues dans les divers secteurs aidés dans la mesure où, partout, la corruption menace d’engloutir les sommes versées. Je ne vois pas de fait comment l’État roumain pourrait avoir une action résolue d’insertion de ces populations – au delà de quelques villages Potemkine pour rassurer les interlocuteurs français. Si insertion veut dire, maintien sur place grâce à un tour de passe-passe policier quelconque, j’y crois un peu – sauf que la police roumaine elle-même n’est pas totalement irréprochable, les réseaux criminels continueront donc à agir. Si insertion veut dire entrée dans la vie économique standard de la Roumanie, dans quel secteur de cette dernière les insérer? Le secteur de la construction, sans doute le plus demandeur de travailleurs peu ou pas qualifiés, se trouve en panne : les prix de l’immobilier sont en chute libre ; l’État et les communes n’ont plus d’argent pour créer des emplois publics, et prévoient plutôt de licencier du personnel ; l’agriculture regorge déjà de bras, et est censée gagner en plus en productivité avec l’aide de l’Union européenne; l’industrie, portée par la faiblesse de la monnaie roumaine, semble plutôt avoir besoin d’ouvriers/ouvrières qualifiés; quant aux services privés (banques, assurances, publicité, etc.), ils n’ont pas besoin de Roms sans éducation… sauf à la marge (nettoyage, etc.) Pour avoir parcouru la Roumanie, je sais très bien qu’une bonne part des Roms du crû y vivent dans des taudis plutôt reconnaissables à force tant ils sont caractéristiques du paysage rural et urbain roumain. On se trouve effectivement souvent face à une misère sans nom. Je sais aussi que la seule fois où j’ai vu dans l’espace public des Roms travailler, c’est en tant que cantonniers pour la municipalité de Bucarest. Comme par hasard, tous les cantonniers étaient des femmes à la peau sombre bien caractéristique des Roms. Rappelons que, sous le régime communiste d’avant 1989, tous les Roms avaient du travail, mais qu’ils étaient particulièrement nombreux dans les occupations à faible productivité typiques du plein emploi sous ce type de régime d’économie planifiée. Une bonne part des Roms constituent donc un immense sous-prolétariat, dont l’économie officielle de la Roumanie capitaliste ne sait que faire. De fait, l’État français (qui dispose encore d’un fort secteur sanitaire, éducatif, et social, certes sous-financé aujourd’hui) possède sans doute, s’il le voulait, bien plus de capacités techniques et humaines d’insertion de ces Roms dans une société capitaliste développée que l’État roumain – mais il est vrai que ce n’est pas du tout ainsi que les Traités européens entendent faire jouer la solidarité entre Européens. Il est clair que, pour les individus qui ne sont pas porteur d’un facteur de production (travail ou capital) ou d’une rente financière (capitaux investis) ou sociale (retraite), chaque État reste responsable de ses inutiles au monde.
Bref, les droits de l’Homme, quelle gêne au fond!
Ps. Et je ne compte pas dans les désarrois gouvernementaux la reculade de plus en plus appuyée autour des projets de déchéance de la nationalité française appliquée largement… Non plus que la magnifique sortie de Christian Estrosi , ministre de l’Industrie et surtout maire de Nice, sur la sanction financière des maires incapables d’assurer la sécurité dans leur commune (pas mal comme idée de blame avoidance pour le pouvoir en place que de rejeter la faute sur les maires! tout ça, c’est la faute à Voltaire, Destot, Aubry, etc.), idée farfelue qui nous a valu un démenti officiel des plus républicains de la part de rien moins que du ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux. Tout juste si ce dernier n’a pas crû bon de rappeler le principe de libre administration des collectivités locales garanti par la Constitution (et, d’ailleurs, renforcé en 2003 lors de la dite « Phase II » de la Décentralisation chère à Jean-Pierre Raffarin, un gauchiste bien connu)… Finalement, il reste un peu de raison institutionnalisée dans ce gouvernement! Ouf! Pour ne pas parler des paroles d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui a manié le verbe avec élégance pour envoyer quelques piques bien senties ce matin 18 août sur France-Inter.
Doit-on alors prévoir à la manière évangélique que « Qui a vaincu par la sécurité, périra par la sécurité »?