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Cabinet noir made in USA.

Apparemment, des informations sont en train de sortir dans la presse anglo-saxonne sur l’ampleur des efforts de surveillance déployés par le gouvernement américain sur Internet, et plus généralement sur l’ensemble des réseaux de télécommunication de la planète. Comme d’habitude, la bonne vieille agence NSA , celle de tous les fantasmes paranoïdes, semble bien être dans le coup. Cela ne nous change pas beaucoup.

Ces révélations sont censées déclencher un débat sur l’équilibre possible entre le droit à la vie privée des citoyens et le droit de l’État à protéger la sécurité nationale. Il n’y a pas d’équilibre possible. Je trouve qu’il serait plus raisonnable d’être réaliste en admettant le fait que tout ce que nous échangeons sur les réseaux électroniques se trouve surveillé – si le pouvoir le juge nécessaire – du moment même où nous tapons sur notre clavier. En effet, pour quiconque a seulement ouvert une fois dans sa vie un livre d’histoire des services secrets, il va de soi que tout pouvoir – démocratique ou autre – ira toujours jusqu’au bout de ses possibilités techniques et humaines en matière d’espionnage de ses adversaires, y compris de ses propres citoyens comme possibles adversaires. Le pire en la matière s’avère toujours sûr, et, pour la présente affaire, il semble se confirmer que tout l’Internet le plus en vue (Google, Facebook, etc.) est mité de surveillance américaine. A dire vrai, on s’en doutait un peu, et, franchement, à mon sens, ce n’est pas un scoop.

C’est comme avec le célèbre « cabinet noir » sous nos rois absolutistes : en principe, le courrier entre les particuliers était couvert par le secret et le pouvoir royal, qui lui aussi se voulait « moral » comme nos actuels dirigeants élus, s’était engagé à le respecter et à le faire respecter par autrui, mais une organisation spéciale, secrète, mais dont toutes les personnes qui n’étaient pas naïves avaient évidemment connaissance, le « Cabinet noir », était chargé par le Roi de surveiller discrètement le courrier. Bien sûr, les sujets se méfiaient et prenaient des contre-mesures en ne confiant pas en clair au courrier des informations sensibles.

Nous sommes de fait dans une situation fort semblable, mutatis mutandis bien sûr. Du coup, les deux revendications des « libertaires » devraient être vis-à-vis du pouvoir d’une part et d’eux-mêmes d’autre part :

– Il doit être interdit au pouvoir de prétendre publiquement qu’il ne nous espionne pas à tout moment, ce serait là le véritable progrès. Il le fait toujours à la limite de ses possibilités techniques et humaines. C’est ce mensonge-là qui devrait importer, ce n’est pas le fait pour le pouvoir d’espionner qui est nuisible aux libertés publiques réelles, mais de laisser le pouvoir prétendre qu’il ne nous n’espionne pas – ou bien, de le laisser prétendre qu’il ne le fait que de manière raisonnée et raisonnable dans des formes encadrées par le droit. Si j’ai bien compris d’ailleurs la première réaction des autorités américaines vis-à-vis de ces fuites, dues entre autres à un ancien employé de la NSA, elles traduisent justement l’irritation de voir découvertes au grand public toutes ces belles machineries de surveillance; du coup, elles peuvent être mieux déjouées par des gens qui se méfient désormais – en tout cas, par tous ceux qui ont été déniaisés à cette occasion.

 – Il doit être interdit à ceux qui croient avoir quelque chose à cacher au gouvernement de se leurrer sur l’importance des mesures de contre-espionnage à prendre s’ils veulent vraiment garder le secret sur leurs activités, pensées, etc. En conséquence, la paranoïa la plus extrême de leur part doit être la règle; dans le cas contraire, ils se trouvent tout bonnement être des idiots : en lisant des histoires de réussite en matière d’espionnage gouvernemental, souvent ce qui frappe, c’est que les espionnés ont toujours cru que « ce n’est pas possible » (techniquement), qu' »une telle surveillance ne pouvait continuer » (indéfiniment), qu’« ils n’oseront pas » (moralement), etc.  Et bien non, en la matière, tout est possible! Big Brother is really watching you! Pas de chance…

Je conçois qu’une telle double prise de position revienne à faire le deuil d’un pouvoir, fut-il démocratique, bienveillant, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Il faut avoir le courage d’admettre cette – certes triste! – condition politique qui est la nôtre. Un pouvoir, quel qu’il soit, même élu librement par les citoyens, ne manquera pas d’être pris d’une telle pulsion d’espionnage et de surveillance, et le citoyen doit vivre avec cette contrainte.

Sur ce, toutes mes salutations au programme automatique de lecture de mes propos!

Réflexions sur Wikileaks

Cela fait déjà un peu plus d’une semaine que la presse internationale s’appuie sur la fuite, concernant parait-il pas moins 250000 dépêches diplomatiques américaines  via Wikileaks, pour produire de nombreux articles en rendant compte . Il me semble qu’il est d’ores et déjà possible de tirer quelques leçons de ce qu’un ministre italien n’a pas hésité à qualifier, non sans exagération à mon sens, de « 11 septembre diplomatique ».

Premièrement, cette fuite, quelle qu’en soit la source humaine exacte (un simple soldat désœuvré?), s’inscrit dans une série d’échecs retentissants des Etats-Unis d’Amérique en matière de sécurité nationale. Je ne crois pas du tout à la théorie du complot qui est réapparue à cette occasion (y compris aux Guignols de l’Info d’ailleurs). Elle verrait le gouvernement des Etats-Unis organiser lui-même la fuite pour préparer les esprits à quelque attaque imminente contre  un Iran en voie de franchir le seuil nucléaire – mais, vu l’embarras américain dans tous les autres espaces géographiques concernés par  les fuites, cette hypothèse me parait pour le moins fantaisiste. J’écarterais de même la main du Mossad, évoquée par certains, car quelle mauvaise manière, ce serait pour l’État d’Israël envers son plus proche allié. Par contre, pour un État comme les Etats-Unis d’Amérique qui disposerait (selon une récente enquête d’un journal américain) de pas moins de 1000 agences dédiées à l’un ou l’autre aspect de sa sécurité , l’échec à sauvegarder ses (petits) secrets diplomatiques me semble  pour le moins patent. Euphémisme. Quel mauvais génie de l’organisation bureaucratique a pu produire une telle occasion de fuite? On peut du coup se demander à bon droit ce que les services secrets des autres Etats sont capables de savoir , avec des moyens sans doute bien plus professionnels que ceux de Wikileaks , sur le fonctionnement du gouvernement américain.  Face à une telle situation, il m’apparait dans le fond étonnant que les divers responsables du secteur concerné dans l’Administration Obama ne démissionnent pas en conséquence pour marquer le coup. Il est vrai que mettre pour cette raison Madame H. Clinton à la porte du Département d’État affaiblirait le Président B. Obama, qui n’a peut-être pas besoin de cette rupture d’alliance dans le camp démocrate.

Deuxièmement, cette affaire de fuite  et ce qu’on peut en lire dans la presse (qui filtre d’évidence le matériau brut) confirme un acquis en matière de renseignement et de sources. Il est de notoriété publique que le renseignement se fait en effet essentiellement à partir de sources ouvertes, et que la plupart des choses pertinentes à savoir sur une situation politique ou géopolitique quelconque se trouvent de fait dans le domaine public. Les spécialistes d’une situation arrivent en général par le simple suivi précis et rationnel de cette dernière (sans avoir  besoin de mettre des micros sous les tables ou les oreillers) à se faire une idée assez pertinente des choses.  Tout ce que j’ai pu voir publié jusqu’ici confirme cet acquis. Ainsi, pour ma part, si je regarde le cas italien, les documents de la diplomatie américaine ne m’apprennent rien que je ne sache déjà via la presse, les articles ou les livres : Silvio Berlusconi ne mène pas une vie bourgeoise de bon père de famille, Silvio Berlusconi entretient une amitié des plus étroites  avec Vladimir Poutine, Silvio Berlusconi approche des 80 ans, etc. … la belle affaire… Plus généralement, ces fuites pourront apprendre des détails (plus ou moins intéressants) aux spécialistes qui sauront les replacer dans un contexte précis d’énonciation, mais le tableau général des diverses situations  politiques ou géopolitiques, certes via le filtre des journalistes des journaux de référence, sans doute eux-mêmes spécialistes ou lecteurs des spécialistes des divers sujets abordés, ne change pas. Ainsi, grâce à ces fuites reprises sous la forme d’articles de presse, le grand public, celui qui aura la patience de lire ces articles publiés, se verra offert une révision générale de la situation géopolitique mondiale. Pas très encourageante à vrai dire, très marquée par un solide « réalisme » où l’intérêt de chacun prime, mais guère différente de ce que la lecture de la presse de qualité,  des articles ou des livres sérieux, lui aurait déjà appris auparavant.

Troisièmement, cet épisode des fuites fonctionne comme un magnifique analyseur des perceptions des uns et des autres des liens souhaitables entre le grand public et la diplomatie. La réaction d’un Hubert Védrine à ce sujet en dit long sur sa conception des affaires internationales, trop sérieuses pour être confiées aux peuples… Grâce à ces fuites, une liste se constitue d’elle-même des défenseurs de la « raison d’État », liste intéressante à observer…

Quatrièmement, cela changera-t-il quelque chose au cours de l’histoire? Oui, pour le responsable officiel de Wikileaks, Julian Assange. Ses avocats ont déclaré à la presse qu’il craignait pour sa vie… Monsieur de La Palice pourrait dire sans doute que sa vie va prendre un tour très, très, très compliqué, et,  là encore, ce n’est pas très surprenant pour quelqu’un qui se veut le pourfendeur des secrets des puissants de ce monde. Non, pour le cours général des relations internationales : je doute en effet qu’un seul acteur au plus haut niveau de ces dernières ait été surpris de quelque façon que ce soit par les conceptions américaines du monde ainsi étalées sur la place publique. Pour que la révélation d’un secret ait un effet sur une relation, encore faut-il qu’il y ait un dupe dans cette dernière.  Je ne ferais pas l’offense à ceux qui dirigent les Etats concernés de les croire aussi naïfs.