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Vacataire un jour, vacataire toujours…

J’ai vu passer il y a quelques jours sur la liste de l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique) la nouvelle selon laquelle, suite à l’action d’un syndicat de doctorants de l’Université de Paris X – Nanterre auprès du Défenseur des droits et au nom de la lutte contre les discriminations liées à l’âge, la règle selon laquelle les institutions universitaires ne peuvent faire appel à des « vacataires étudiants » de plus de 28 ans allait sauter. En bonne logique non-discriminatoire, un(e) doctorant(e) de 55 ans, inscrit(e) comme étudiant(e), serait à l’avenir éligible à ce statut de « vacataire étudiant ». J’étais un peu étonné de ne pas enregistrer de réactions, autres que positives, à cette modification du droit en vigueur, qui ne reculerait pas la limite d’âge (ce qui peut se défendre), mais l’abrogerait tout simplement. Il se trouve que, mardi 2 octobre, le bureau de l’ANCMSP a réagi, sur la liste et sur son site, de manière plutôt défavorable à cette nouveauté, en faisant remarquer que ce changement ouvre aux institutions universitaires un véritable boulevard en matière d’utilisation de thésards pour fournir au plus bas coût possible le contingent d’heures nécessaires à l’encadrement des étudiants. Ne plus avoir cette limite d’âge de 28 ans simplifie en effet les choses pour les institutions universitaires, dans la mesure où, effectivement, tout particulièrement dans les disciplines des sciences humaines, les thèses gardent une durée respectable, et que de nombreux thésards ont plus de 28 ans. (Selon le récent rapport du CNU de science politique, les qualifiés actuels restent sur une moyenne de 6 ans de thèse, avec un âge de qualification largement « christique ».)

De fait, les comparaisons, proposées par le bureau de l’ANCMSP, entre le coût d’un enseignement via les vacataires et via les titulaires sont sans appel. Le bureau aurait aussi pu faire noter que cette situation est singulière dans le droit du travail français. En effet, dans ce dernier, lorsqu’une entreprise privée fait appel à des formes de travail différente du C.D.I. (C.D.D et intérim essentiellement), le législateur a fait en sorte que l’entreprise subisse un coût horaire supplémentaire pour ce choix (par exemple avec une prime de précarité). La rémunération d’un intérimaire, à poste équivalent, se trouve donc normalement supérieure à celle d’un travailleur en C.D.I. . J’ai pu d’ailleurs le constater à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie lorsque ma femme a été employée sous ce genre de statut précaire. Cela n’a pas empêché d’ailleurs les entreprises d’embaucher de plus en plus de personnels sous ces  mêmes statuts précaires, pour d’autres raisons, liées surtout à la flexibilité d’ajustement des effectifs que cela leur offre. Mais, comme le montre à l’envi le combat de certains économistes libéraux pour le « contrat unique de travail » (qui fusionnerait CDD et CDI en un seul statut), ce choix du législateur reste coûteux pour les entreprises et constitue une (petite) incitation à employer les salariés en CDI.

La situation qui existe dans l’Université française ne connait pas le même frein économique au développement de la précarité. C’est un secteur d’activité dans lequel il est déjà bien moins cher d’avoir des « vacataires étudiants » que des titulaires. Pour remplacer 100% de la charge d’un titulaire en charge de cours (soit 192 heures éq. TD), cela coûte un peu moins de 8000 euros par an. Je me demande, dans le cadre d’un retour au droit commun, si les syndicats représentant les doctorants ne devraient pas demander une hausse radicale et pénalisante du prix de l’heure de vacations. Vu l’écart actuel, cela reviendrait à mettre le prix de l’heure de vacation aux alentours de 120 euros, voire plus. Bien sûr, il faut savoir ce que remplacent les vacations des « vacataires étudiants », est-ce le travail d’un ATER, celui d’un jeune MCF ou d’un moins jeune PR? On pourrait au minimum viser à ce que le prix de la vacation soit portée à un niveau tel qu’il soit moins intéressant économiquement pour l’Université de multiplier les vacations que d’employer des ATER. Cette mesure profiterait bien sûr aussi aux titulaires (dont je suis), mais l’État récupérerait une bonne part de cette hausse via l’impôt sur le revenu de ces derniers, puisque les heures complémentaires seront dorénavant de nouveau fiscalisées.

Cette mesure simple d’augmentation radicale du prix de la vacation serait ainsi peut-être de nature à limiter la casse entrainée par cette disparition de la limite d’âge des 28 ans, qui élargit le vivier des vacataires autant que de besoin.

En tout cas, voilà un bel exemple de nouveauté qui, en défendant les droits de certains, pourrait aboutir à une perte de bonheur pour tous. Comme quoi Bentham avait peut-être raison…