Prétorianisation, suite et sans doute pas fin.

Il y a quelques années, en 2019, dans un post faisant un premier bilan du macronisme, après seulement deux ans de pouvoir, post repris sur mon blog de Mediapart, je me risquais à prédire la prétorianisation du régime. Par ce terme, j’entendais la dépendance de plus en plus grande du pouvoir macroniste vis-à-vis des forces de l’ordre – tout particulièrement de la police. Avec les mêmes conséquences fâcheuses que dans l’Empire romain finissant, à savoir que les prétoriens finissent par jouer un rôle politique qui ne devait pas être le leur au départ, l’instrument du pouvoir devenant acteur de celui-ci. En effet, en échange de leur loyauté sans faille lors de la répression des divers mouvements sociaux depuis 2017 (dont, à l’époque où j’écrivais, celui des Gilets Jaunes était alors le plus notable), les forces de l’ordre obtenaient pour leurs membres des avantages (surtout au regard du traitement de plus en plus déplorable réservé à tout le reste de la fonction publique), comme les prétoriens à Rome étaient mieux traités que les autres légionnaires. La récente répression du mouvement social contre la réforme des retraites a démontré encore une fois à quel point le pouvoir actuel se repose sur la capacité sans failles des forces de l’ordre à juguler toute contestation. Désormais ce sont même des personnes âgées un peu gueulardes et n’étant visiblement pas vraiment au fait des évolutions en cours que l’on emmène directement au poste.

Nous sommes du coup sans doute arrivés au moment où ce renversement de la primauté entre le pouvoir et ses forces de l’ordre – ses prétoriens – est devenu bien visible, sauf, bien sûr, très officiellement, pour les représentants du pouvoir, leurs porte-parole dans les médias, leurs soutiens dans la société et les forces de l’ordre elles-mêmes. La mort filmée par des tiers du n-ième « jeune des quartiers » lors d’une interpellation policière et les émeutes urbaines qui s’en sont suivi ont illustré cette dépendance. Irrité par le traitement judiciaire de l’affaire, le principal rassemblement de syndicats de policiers s’est rappelé au bon souvenir du pouvoir par un tract pour le moins menaçant à son égard. Il l’était tant à le prendre au premier degré que ses auteurs ont précisé ensuite que les propos utilisés étaient juste typiques de leur prose syndicale. En dépit de cet affront plutôt manifeste à son autorité, le pouvoir macroniste s’est pourtant lancé derechef dans une floraison d’éléments de langage exonérant la police de toute responsabilité dans la situation, signalant ainsi que le dit message avait été reçu cinq sur cinq. La police a même été dite « merveilleuse » par la présidente macroniste de l’Assemblée nationale. Il ne manque plus qu’un poète officiel au service de la macronie pour dire à quel point le policier est désormais le meilleur d’entre nous. Signalons toutefois que le Ministre de l’Intérieur a commis un gros impair lors de sa récente audition devant le Sénat suite aux émeutes en soulignant que le niveau scolaire de recrutement dans son ministère était plutôt bas, comparé aux autres ministères. Ce qui est un fait. Il s’en est platement excusé ensuite, faisant remarquer lui-même qu’il avait par ailleurs défendu la police pendant toute son audition.

Le leader de la France insoumise a dénoncé ce renversement des rôles dans un récent entretien avec Mediapart. Le sociologue Didier Fassin a décrit la même situation dans un texte pour AOC. Par ailleurs, tout ce que la France compte d’universitaires un peu critiques s’exprime en détaillant les difficultés de l’institution policière et les relations difficiles (euphémisme) qui existent de très longue date entre une partie des policiers et une partie de la jeunesse. La plupart ont indiqué que la police française avait tendance à discriminer une partie de la population, certains se sont même risqués à souligner qu’il existait un « racisme systémique » dans la police française – terme repris par la cheffe de la CGT. Bien plus important sur le plan politique, même le très cauteleux « journal de référence », le Monde, a fini par publier un article qui reconnait le problème créé par la manière actuelle de travailler de la police et souligne le peu d’appétence du pouvoir actuel à aborder de front le dit problème (pourtant identifié par le candidat Macron en 2016). Il est vrai qu’il devenait difficile au Monde de ne pas parler de ce que narre toute la presse internationale de qualité: la police française plutôt inefficace (ah les méchants supporters anglais…), l’illusion de l’« universalisme républicain » cachant mal des discriminations, et enfin une intégration économique, politique, et sociale en panne dans bien des quartiers populaires. A part les macronistes, la Terre entière semble désormais au courant que la France n’est pas vraiment un pays de cocagne pour ses populations en marge.

Désormais que le fait est acquis, quelles en sont les conséquences? Faute de réforme de la manière de faire la police en France, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est probable que des engrenages similaires se produisent à l’avenir. Surtout, au niveau des interactions quotidiennes entre la police et les « jeunes des quartiers », rien ne va donc changer, sinon éventuellement en pire, vu la tonalité des discours sur eux tenus par le pouvoir macroniste ces derniers jours. En effet, il n’aura échappé à personne qu’à la faveur des émeutes et des destructions et pillages, certes hors normes, qu’elles ont occasionnées, le discours du pouvoir macroniste a complètement basculé dans une rhétorique droitière. Les parents des émeutiers et pillards sont ainsi accusés de ne pas savoir tenir leurs gamins, et l’école de ne pas savoir les mettre au pas. C’est le grand péan du retour à l’ordre républicain qui est célébré désormais par la macronie.

Plus grave encore, comme la manière inefficace de faire la police va donc continuer, en dépit même des moyens accrus alloués aux forces de l’ordre depuis 2017, comme il est par ailleurs hors de question pour le pouvoir en place de créer par exemple un marché légal du cannabis (ce qui permettrait de se concentrer sur des crimes et délits plus graves: viols, cambriolages ou délits routiers par exemple), comme bien des problèmes sociaux facteurs de délinquance et de criminalité seront laissés en déshérence faute de moyens financiers et humains (cf. la situation de la Protection judiciaire de la jeunesse, ou de la pédopsychiatrie), comme les prisons sont déjà bien pleines et ne réinsèrent donc guère les délinquants, le gros de la population française va continuer à se demander pourquoi l’insécurité se trouve être si grande au quotidien. La réponse facile va être bien sûr de pointer le rôle de l’immigration ou le laxisme de la répression judiciaire des crimes et délits. Le parti Les Républicains est parti à fond dans cette voie facile. C’est un festival. Finalement, le RN avait donc raison, et Eric Zemmour exagérait à peine, voire pas du tout. Quant aux partis de la majorité présidentielle (Renaissance, Horizons et Modem), ils courent derrière tout ce beau monde, et, surtout, ils accusent les partis de gauche, en particulier la FI, qui ont l’outrecuidance de pointer le problème posé par la manière actuelle de faire la police de sortir du « camp républicain ». L’équation partagée par tout ce beau monde est devenue fort simple : critiquer (même minimalement) la (manière de faire la) police = être (totalement) en dehors de la République. Cela rassemble ainsi toutes les droites et au delà jusqu’à l’aile droite du PS autour d’une nouvelle définition conservatrice de la République, comme le décrit justement notre jeune collègue Emilien Houard-Vial dans son blog.

Au final, le pouvoir actuel parait être en train de creuser sa propre tombe. Le Rassemblement national ou toute autre force se situant à la droite du macronisme auront en effet beau jeu de souligner en 2027 que l’insécurité reste un problème majeur. Par ailleurs, sans se forcer d’aucune façon, sans changer leur comportement, sans même faire de la politique, les syndicats majoritaires de policiers servent la cause d’une droitisation à venir du pouvoir. Il leur suffit de continuer d’être dans cette relation de prétoriens avec le pouvoir macroniste et de continuer à faire la police médiocre que le pouvoir leur demande de faire. Contrairement aux prétoriens à Rome, ils n’ont même pas besoin de désobéir ou de s’insurger.

Malheureusement, le pouvoir actuel ne risque de comprendre son erreur qu’après coup. Aussi droitier sera son candidat en 2027, Gérald Darmanin ou Edouard Philippe par exemple, il ne le sera jamais assez pour l’électorat conservateur. La situation ressemble malheureusement de plus en plus à celle de la IVème République finissante en proie aux « événements d’Algérie ». Porté au pouvoir par les prétoriens de l’époque, le Général De Gaulle réussit à sauver la France d’un épisode de dictature en les feintant au final avec une grande habilité. Nous sommes dans une situation semblable mais pas similaire. En effet, il suffit aux partisans syndicaux de la manière actuelle de faire la police de ne rien changer à leur attitude pour favoriser l’issue qui serait la plus favorable pour eux. Et il est douteux qu’un pouvoir très à droite les trahisse ensuite au nom de l’intérêt supérieur de la nation.

Il ne reste plus qu’à espérer que, face à une menace aussi claire d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite ou d’une droite radicalisée, les forces de gauche sachent mobiliser ce qui reste de citoyens attachés à une vision vraiment républicaine, libérale, comme le dit Emilien Houard-Vial de la République. Malheureusement, je ne crois guère à cette hypothèse.

Les émeutes et leurs éventuelles répétitions droitisent et droitiseront encore plus l’opinion publique. La majorité des électeurs est bien trop favorable à la police (en général) et hostile aux « jeunes des quartiers », surtout dans leur rôle d’émeutiers ou de pillards, pour espérer l’emporter sur ce terrain. Entre le slogan « Tout le monde déteste la police! » et le slogan « Tout le monde déteste les jeunes des quartiers! », il n’est pas bien difficile de dire lequel est le plus populaire dans l’électorat français.

Il faudrait vraiment que le débat politique se situe d’ici 2027 sur un tout autre terrain que celui du sort à réserver aux « jeunes des quartiers » pour que la gauche ait une chance de l’emporter. Ce n’est vraiment pas gagné.

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12 réponses à “Prétorianisation, suite et sans doute pas fin.

  1. Bonjour,
    toujours aussi difficile de dire le mot « immigration » quand on parle de délinquance.
    Pourtant le pedigree des incendiaires et des pillards interpelés (ou qui se sont filmés en train de saccager!) devrait aider à faire le lien entre ces deux termes.
    Sauf à être aveugle, on voit bien le lien entre délinquance et une partie minoritaire de cette immigration originaire du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne ou plus largement de pays de culture musulmane.
    Le grand déni de cette réalité de la part d’une partie des « clercs » et de toute la Gauche-Bisounours, les empêche par idéologie de bien comprendre ce problème récurrent et par conséquent ne leur permet pas de réfléchir rationnellement à des solutions permettant d’y mettre un terme avant que la situation ne dérape vraiment et se transforme en guerre civile.
    En conclusion, je fais mien le propos de Charles Péguy, « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

    • @ Jean Paul B: En même temps, si j’ai utilisé le terme de « jeunes des quartiers », c’est pour suivre la manière habituelle de nommer cette partie de la jeunesse issue de parents ou grands-parents eux-mêmes immigrés des régions que vous citez. Je ne souhaite pas euphémiser particulièrement.

      Après, il me semble peu conforme de confondre l’immigré au sens strict (celui qui vient d’arriver en France lors de sa vie adulte commencée ailleurs) et ces descendants d’immigrés récents. A part quelques jeunes sans papiers, à ce qu’on sait d’après le profil de ceux qui sont passés devant les tribunaux, les émeutiers et pillards étaient pour la plupart nés en France. C’est vraiment une différence à tenir bien en tête. Ce ne sont pas les travailleurs immigrés qui sont en train de faire le ravalement de mon immeuble pour prendre un exemple que j’ai sous les yeux qui sont les émeutiers ou pillards.

  2. Bonjour,
    pour illustrer mon précédent commentaire non encore publié, je mets le lien d’un article sur le lynchage récent de cette personne âgée de 72 ans (morte depuis!) par trois « jeunes » de 14, 17 et 19 ans, dont il faut surtout taire l’origine afin de respecter le « politiquement correct » en vigueur, ce qui nous évitera la volée de bois vert (de gris?) appliquée tous ceux qui osent dire le réel tel qu’il est.
    https://actu17.fr/faits-divers/nord-roue-de-coups-apres-setre-plaint-du-bruit-un-homme-de-72-ans-dans-un-etat-critique.html

    • @ Jean Paul B. : Vous avez raison, il vaudrait mieux citer les noms et prénoms des suspects. Mais il faut être aussi sûr de ne pas déterminer une culpabilité avant le jugement. Difficile équilibre à tenir.

  3. Excusez-moi de vous corriger, je n’ai jamais demandé de citer les noms et prénoms des mis en cause, mais simplement les origines ethniques de ces « présumés innocents » jusqu’à preuve du contraire.
    Cela nous donnerait des données plus fines pour mieux analyser l’explosion de la délinquance dans notre pays et vérifier enfin, si elle est ou non corrélée avec la présence d’une population d’immigrés (jeunes étrangers) et de jeunes nés en France dont les parents ou les grands parents sont originaires d’un pays étranger hors UE.
    Les mêmes données concernant la population carcérale seraient également un élément de réflexion intéressant et bienvenu.
    Il serait temps d’avoir un débat rationnel, avec des informations fiables, sur cette question qui pourrait (qui va?) bientôt dégénérer si les pouvoirs publics et les citoyens détournent le regard pour ne pas prendre ou ne pas accepter les mesures nécessaires à la restauration de la paix civile dans notre pays.

    • @ Jean Paul B. : Pouvoir faire de telles statistiques serait effectivement intéressant. Cela existe d’ailleurs avec les enquêtes TEO (Trajectoires et origines) et TEO 2 de l’INSEE.

      Après pour parler d’un fait précis dans l’espace public, « à chaud », seuls les noms et prénoms sont actuellement disponibles pour imputer par déduction une origine à quelqu’un. J’ai vu sur le cas de l’agression mortelle que vous citez qu’un journaliste a utilisé un « alias » avec un faux prénom dénotant en principe la même origine : un « Igor » plutôt qu’un « Vladimir » pour indiquer que la personne mise en cause a des ascendances russes. Mon exemple est particulièrement foireux (à dessein), parce que ces deux prénoms peuvent très bien être donné à un peu n’importe qui désormais.

      En tout cas, je suis pour la transparence sur ce sujet. A noter que, dans tous les cas, on donne le sexe et l’âge des agresseurs, deux informations majeures pour commencer à comprendre un délit ou un crime.

  4. Juste un dernier complément en date de ce jour, jeudi 13 juillet 2023 pour expliciter si besoin était mon propos.
    https://actu17.fr/faits-divers/strasbourg-un-homme-mis-en-examen-pour-le-viol-dune-ado-handicapee-dans-une-piscine.html

    • @Jean Paul B. : c’est vrai vous avez raison, regardons les origines des délinquants car elles en disent long et on peut déduire des généralités de manière scientifique.
      Jean-Marc Reiser, un alsacien bien de chez nous, vient d’être condamné, pas plus tard qu’il y a quelques jours, à la perpétuité pour le meurtre avec préméditation d’une étudiante. Il vient en outre d’être remis en examen pour le meurtre d’une jeune femme dans les années 80. Francis Heaulme, originaire de Moselle, a été condamné pour 9 meurtres. Patrice Alègre, un bon toulousain de souche, au nom bien français, a quant à lui commis au moins 5 meurtres et 6 viols. Quant à Emile Louis, un excellent franchouillard de nos campagnes, dit « le boucher de l’Yonne », il a massacré au moins 7 filles handicapées. Je m’arrête là car j’ai mon eau de tisane qui bout mais je pourrai continuer pendant des heures.
      Vous le voyez, on peut en déduire scientifiquement et indubitablement que les hommes français de souche, issus de nos terroirs, sont des pourritures perverses violeurs et assassins.
      Et vous, vous venez de quel coin de France, Jean-Paul?

  5. Il est bien clair que tous les immigrés et descendants d’immigrés du Maghreb installés dans les Bouches du Rhône ne sont pas des délinquants.
    Cependant, les faits sont têtus!
    L’honnêteté intellectuelle nous oblige à constater que les délinquants originaires du Maghreb sont largement surreprésentés par rapport au pourcentage que représente cette communauté dans la population totale de ce département..
    https://actu17.fr/faits-divers/un-baron-du-narcobanditisme-echappe-a-la-mort-pres-de-marseille.html

    • Jean Paul B.

      Oui, et l’honnêteté intellectuelle nous oblige aussi à constater que ces fameux descendants d’immigrés du Maghreb sont aussi largement surreprésentés dans l’Administration pénitentiaire de France…

      Les origines ethniques des délinquants, des gardiens de prisons, des footballeurs, des boxeurs, des humoristes… sont intéressantes et en disent long sur notre société à condition de les considérer dans leur globalité.

      On remarquera par exemple que les footballeurs et boxeurs blancs sont proportionnellement peu nombreux car ils ont trouvé plus forts et plus combatifs qu’eux.
      De la même façon, les délinquants blancs sont proportionnellement peu nombreux car ils ont aussi trouvé plus forts et plus combatifs qu’eux.
      Il faut donc avoir l’humilité de reconnaître que ces descendants d’immigrés du Maghreb peuvent être plus forts que nous…
      Et personnellement, ça ne me pose aucun problème de le reconnaître.

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