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Les « Ritals » ont mal voté! Unsere Europe Kaputt!?!

Ah, là, là, en démocratie, les électeurs quand on leur donne la possibilité de voter, quels licences, ces veaux d’électeurs, ne se prennent-ils pas! Nos amis transalpins – que je qualifie très affectueusement ici de « ritals » – s’en sont payés une bien bonne …  La  presse internationale en est tout en émois, parfois rageurs, contre ces Italiens irresponsables qui risquent de relancer la crise de la zone Euro (comme si elle était déjà finie…). Ne voilà-t-il pas qu’ils oublient d’aller voter, ou qu’ils votent pour des gens vraiment pas bien raisonnables, des populistes, des démagogues, des anti-européens. Bernard Guetta, dans sa chronique matinale sur France-Inter, semblait lui-même avoir perdu espoir en l’Europe, c’est dire. Silvio Berlusconi et Beppe Grillo se trouvent ainsi mis dans le même sac, alors qu’ils ne représentent sans doute pas la même vision de l’avenir de l’Italie et de la manière de faire de la politique. On ne retient en l’occurrence que leur commune mise en cause de l’Euro, sans se rendre compte qu’elle s’avère de nature assez différente.  Beppe Grillo veut certes un référendum sur l’Euro – ce qui semble pour beaucoup de commentateurs la preuve qu’il représente rien moins que l’ultime incarnation du démon! un proche cousin, sinon d’Hitler, tout au moins du général Peron ou d’Hugo Chavez  -, mais, si le programme du M5S était appliqué intégralement, cela ferait sans doute de l’Italie un pays « scandinave », tant l’importance de la lutte contre la corruption des élites, l’utilisation d’Internet, le rôle des jeunes et des femmes, et l’écologie lui importent. Inversement, S. Berlusconi ne veut pas vraiment un tel référendum sur l’Euro; à mon avis, il bluffe complètement sur ce point, mais les forces politiques, économiques et sociales, qui l’ont presque porté à la victoire une nouvelle fois, sont tout sauf favorables en pratique à une véritable normalisation « à la scandinave » ou « à l’allemande » de l’Italie. Ils ne veulent pas se plier aux règles communes, c’est tout! Plus généralement, ces deux forces viennent d’horizons historiques différents : le PDL constitue le réceptacle de toute une histoire de la droitisation de la politique italienne depuis au moins le début des années 1980 (d’abord au sein du PSI de Bettino Craxi), alors que le M5S, cette force hyper-populiste, est issue des échecs répétées de la rénovation supposée de la politique après 1993. Hier soir, à la télévision italienne, la différence était hallucinante entre le vieux porte-parole de droite rappelant (avec une féroce ironie) qu’ils étaient eux (la droite) « affreux, sales et méchants », mais qu’il n’étaient pas morts politiquement contrairement aux prédictions de la veille, et la jeune (future députée) M5S, qui rougissait en parlant au journaliste…

Les Italiens ont donc mal voté, mais il ne faut donc pas trop simplifier le tableau tout de même.

Tout d’abord, les électeurs italiens ont humilié (un peu) les sondeurs. Bon, cela n’est qu’un détail. En dehors des scores du M5S, les autres partis sont plutôt dans les larges fourchettes d’il y a quinze jours.  Mais, surtout, ils n’ont pas envoyé dire par leur vote qu’ils n’étaient pas d’accord du tout avec la route suivie depuis quelques années – pas seulement dans les rapports entre l’Italie et ses engagements européens, mais bien plus largement.

Tout d’abord, ils envoient au Parlement, comme premier parti en nombre de suffrages, le parti dirigé par l’histrion Beppe Grillo, le « Mouvement 5 Étoiles », avec 25,6% des voix à la Chambre des députés et 23,8% au Sénat. C’est bien au delà des scores prévus par les sondages publiés il y a encore quinze jours. Surtout, à ma connaissance, c’est en absolu le premier courant politique nouveau depuis l’avènement de la République italienne en 1946 qui, à sa première participation à une élection générale, arrive à un score pareil, et de très loin. La « Ligue du Nord » d’Umberto Bossi avait fait un peu plus de 8% au niveau national en 1992 à sa première participation (et, encore, en fait, ses ancêtres directs étaient déjà là en 1983 et 1987). Le parti « qualunquiste » de la fin des années 1940, que, bizarrement les commentateurs italiens utilisent peu pour dévaloriser le M5S en l’assimilant à ce mouvement « poujadiste » avant la lettre, avait surtout des élus dans le sud du pays. Le premier parti de S. Berlusconi, Forza Italia, avait fait un score similaire en 1994, mais il ne représentait pas, comme la suite l’a bien montré, une force politique radicalement nouvelle dans son idéologie et ses méthodes d’action, mais bien plutôt la transmutation, incomprise au départ, d’une partie du camp modéré italien traditionnel (comme aujourd’hui, la liste civique de M. Monti semble être surtout une nouvelle illustration de la persistance d’une certaine Italie catholique). La nouveauté du M5S est d’apparaître d’emblée en plus comme une force  nationale. Quoiqu’il ne gagne pas les primes de majorité à la Chambre et au Sénat parce qu’il est toujours battu par l’une ou l’autre coalition, son succès en voix se traduit plutôt correctement en sièges, car il profite du fait qu’aussi bien à la Chambre qu’au Sénat, certains partis ou coalitions n’atteignent pas les seuils requis pour avoir des élus, et ne participent donc pas à la répartition des sièges à la proportionnelle entre perdants.

Ensuite, les électeurs de droite ont fait bloc autour de S. Berlusconi et de ses petits alliés de droite. Quand on pense à l’état de l’image personnelle de S. Berlusconi depuis 2010, on ne peut que saluer la performance.  La campagne de S. Berlusconi prenant des tonalités de « révolte anti-fiscale » (contre l’IMU [taxe d’habitation], contre Equitalia[agence chargée depuis 2007 de récolter les impôts et taxes]) a magnifiquement fonctionné pour ramener une bonne part des brebis égarés de la droite. Pas toutes, mais déjà assez pour rester compétitif. C’était: votez pour mon parti, je suis certes une crapule, mais, avec moi, vous payerez moins d’impôts.  L’aspect anti-germanique a dû jouer aussi. Je serais intéressé de voir si les collègues politistes italiens ont posé des questions en ce sens dans les sondages sorties des urnes.  La remarque du 27 janvier 2013 de S. Berlusconi sur l’anti-sémitisme de Mussolini qui aurait été uniquement amené par l’alliance avec l’Allemagne nazie prend dès lors tout son sens. Les  Allemands, aujourd’hui comme hier, sont la cause de tous les maux de l’Europe. En résumé, Mussolini était un brave garçon, qui avait bien mené sa barque depuis 1919 contre les communistes et autres socialistes, mais qui a été entraîné après  1938 à de bien  mauvaises choses par Adolf; moi-même (Silvio B.), j’ai été amené à accepter bien trop d’austérité mortifère par une certaine Angela M., désolé, je ne le referais plus.

La campagne a donc été l’occasion de réactiver le mythe du « bon » fascisme (italien). Italiani brava gente. Du point de vue européen, comme le PPE par la voix de Joseph Daul avait littéralement désavoué le PDL de S. Berlusconi et invité à voter pour la coalition de M. Monti (qui comprenait un parti, l’UDC, membre du PPE), je parierais que S. Berlusconi va lui faire rentrer dans la gorge cet affront. Il a déjà commencé ce matin, en disant que « le spread, il ne faut pas s’en préoccuper, les marchés sont fous »(sic). Autrement dit, notre bon Silvio semble bien avoir l’intention de faire monter les enchères en donnant un peu la fièvre aux marchés financiers, pour rendre indispensable un « gouvernement de responsabilité nationale ». A droite, il faut aussi admirer la performance du petit parti post-fasciste « Fratelli d’Italia » (presque 2% des voix), lancé en décembre 2012, il gagne le derby avec l’autre petit post-fasciste de la coalition Berlusconi, « la Destra » de Storace, 0,6%, mais surtout ses responsables humilient l’ancien leader d’AN, G. Fini, qui finit avec FLI à 0,5%. L’homme qui voulait normaliser totalement la droite italienne, l’européaniser depuis sa participation à la « Convention Giscard » il y a dix ans, ne vaut donc rien sur le plan électoral.

Du côté des perdants, ou de ceux qui ont fait une belle contre-performance, on mettra bien sûr l’alliance rassemblée autour du PD. Elle arrache d’un cheveu la majorité à la Chambre et rate de très loin la majorité au Sénat. Il semble que son leader Bersani ait reconnu sa défaite, sinon technique (en sièges), au moins morale (en dynamique), cet après-midi. Il appelle du coup à l’aide le M5S – amusant.  Apparemment, une grande partie des Italiens se sont souvenus que ce parti avait soutenu le gouvernement de Mario Monti depuis l’automne 2011,  certes le parti de S. Berlusconi aussi, mais le PDL a acquis un avantage tactique en rompant le premier l’alliance tripartite PD/UDC/PDL, et en se situant d’emblée dans une opposition féroce à l’action du gouvernement Monti depuis 2011. Un vrai gauchiste à la Stiglitz / Krugman, notre Berlusconi nouvelle mouture. Le PD a été pris au piège de son propre loyalisme envers un parcours institutionnel sans heurts pour l’après-gouvernement Monti. Il paye aussi sans nul doute l’impression donnée pendant la campagne qu’il ne prenait pas la mesure de la souffrance des Italiens due à la cure d’austérité qu’il avait accepté « au nom de l’Europe ». Sans compter le scandale sur la banque MPS, qui a frappé en plein cœur de l’un de ses fiefs historiques. L’austérité juste de son slogan (« Italia justa ») a dû apparaître à beaucoup comme juste de l’austérité.

Il y a aussi tous ceux qui incarnaient de vieilles forces politiques. L’échec de la liste « Rivoluzione civile » devrait interroger : en se mettant à quatre partis propriétaires de vieilles marques établies pendant l’autre siècle (deux néo-communistes, les Verts, et IdV), ils n’arrivent péniblement qu’à 2,3%,  même pas à 4%, ce qui leur aurait permis d’avoir des élus… Sic transiit gloria mundi. Du côté de la coalition Monti, l’UDC, héritière de la DC et membre du PPE,  s’écroule à  1,8%. Les autres tentatives de réanimer à droite ou à gauche un parti identifiable comme « démocrate-chrétien » ne rapportent rien ou presque (0,1% ou 0,5%). Plus généralement, les vieilles marques, présentes sur le marché électoral avant 1992 pour certaines, ou depuis les années 1990, sont démonétisées du point de vue électoral. Ce ne sont décidément pas des élections vintage. La seule exception me semble être le relatif dynamisme des marques post-fascistes ou néo-fascistes. En les additionnant (celles au sein de la coalition Berlusconi et les non-alignés), on arrive autour de 3% des voix. Si l’usage de « La faucille et le marteau » du PCI  ne pèse électoralement plus rien du tout, comme celle du « Scudo cruciato » de la DC, l’affichage plus ou moins marqué des valeurs nationales liées à l’héritage fasciste semble encore présentable pour une minorité d’électeurs. Plus généralement, on remarquera que le tricolore se trouve très présent dans les symboles électoraux – le nom du M5S fait lui aussi allusion à un symbole national. On pourrait ajouter à cette résistance des vieilles marques (de droite), celle de « la Ligue du Nord ». Malgré une contre-performance historique, elle reste juste au dessus des 4% des suffrages. Le parti, en principe le plus eurosceptique du paysage politique national depuis 1999, n’a certes nullement profité de la situation; il est vrai qu’avec ses multiples casseroles judiciaires, dont une en pleine campagne,  et avec son alliance avec S. Berlusconi qui révulse une partie de sa propre base, il n’avait rien d’engageant, mais il a surmonté l’épreuve. Roberto Maroni, son leader, devient même ce soir gouverneur de Lombardie. Still alive.Still jazzing.

Au total, au delà de la critique de la cure d’austérité imposée par les engagements européens de l’Italie, il me semble surtout qu’une bonne partie des électeurs italiens avaient envie de faire le ménage, envie de nouveauté. Les scores au sein de la coalition de Mario Monti illustrent ce fait. A la Chambre des députés, elle a recueilli seulement 10,5% des suffrages exprimés – ce qui, en soi, constitue un désaveu de la ligne suivie depuis l’automne 2011 -, mais sur ces derniers, 8,3% vont à « Scelta civica »(Choix civique), la liste civique des personnes entrées en politique à cette occasion, et seulement 1,8% à l’UDC et 0,5% à FLI, ce qui veut dire que 80% de ceux qui ont soutenu le pro-européen Monti  ne voulaient pas des vieux politiciens tout aussi pro-européens que lui. Il ne faut donc pas à mon avis confondre deux tendances  dans cette élection italienne : le problème conjoncturel avec la politique économique inspirée par le « consensus de Bruxelles » qui, d’évidence, ne marche pas bien (euphémisme);  la volonté plus structurelle d’une très grande part des électeurs italiens de renouveler entièrement leur classe politique. Il ne faut sans doute pas confondre les deux phénomènes.

Berlusconi grillé par les marchés financiers : le marchorat a voté.

Ce cher Silvio Berlusconi a démissionné ce samedi soir 12 novembre 2011.

La raison immédiate de son renoncement à sa charge n’est autre qu’un vote parlementaire qu’il a perdu quelques jours auparavant. 308 voix seulement à la Chambre des députés sur un texte du gouvernement. La perte de sa majorité parlementaire par S. Berlusconi est liée à la défection de quelques députés de son camp, effrayés il n’y a pas d’autre mot, par le sort de la dette italienne sur les marchés financiers. Il est vrai qu’un taux de prés de 7% pour se financer  a été atteint pendant un court moment. Une partie de ces braves gens, que S. Berlusconi avait pourtant soigneusement choisi (grâce à la loi électorale italienne, votée en 2005 et utilisée en 2006 et 2008) pour être députés en son nom, a fini par trahir la majorité élue en 2008. Il y avait déjà eu des pertes depuis 2008, avec la dissidence de Gianfranco Fini entre autres, mais il y avait eu des récupérations de dissidents et des prises dans le camp adverse. Je comprends que S. Berlusconi ait été confiant jusqu’au dernier moment.

L’histoire retiendra que ces mêmes députés et sénateurs ont appuyé leur chef à travers tous les scandales qui ont marqué cette lente agonie du berlusconisme, qui dure depuis l’été 2009 au moins. Seul le jugement des marchés les aura fait finalement bouger. Du point de vue électoral, les dernières élections en date, dans la (petite) région Molise, avaient même vu la victoire de son camp, allié de nouveau à l’UDC, et symétriquement, l’écroulement (peu noté dans les médias italiens) des scores du PD et de l’IDV (à moins de 10% des voix chacun). Les sondages pour S. Berlusconi étaient certes mauvais, mais, avec des élections prévues en 2013 seulement, la situation pouvait encore se retourner, surtout que le camp d’en face n’était pas brillant non plus. Bref,  la situation sur le plan intérieur n’était pas vraiment pire que d’habitude. Mais le marchorat a voté, et a fait voter par la peur qu’il inspire les quelques députés nécessaires à la chute de S. Berlusconi.

Ce dernier va donc être remplacé par Mario Monti, ancien Commissaire européen. Je ne peux que, comme le politiste italien I. Diamanti, noter l’extraordinaire ressemblance qui se crée ainsi entre la période 1992-1993 et la période actuelle. Dans les deux cas, un gouvernement qui a remporté une majorité parlementaire dans les urnes est balayé par une crise à quatre dimensions :

une dimension « européenne », la plus visible aujourd’hui, mais tout aussi présente en 1992-1993, quand le gouvernement de Giuliano Amato doit assumer la dévaluation  de la lire italienne et mettre en place des plans d’austérité : la crise d’alors fait suite à une période dite de « finanza allegra » (finance joyeuse), où l’État italien dépense plus qu’il ne fait entrer d’impôts dans les caisses; déjà, à l’époque, l’Union européenne fait pression sur l’Italie pour qu’elle mette ses comptes publics en ordre, et, déjà, les agences de notation font la pluie et le beau temps. (C’est d’ailleurs ainsi que j’entends moi-même parler pour la première fois des dites agences.)

une dimension économique : la crise de 1992-93 correspond aussi à une perte, via le niveau de la lire ancrée au mark (via son appartenance au SME) et l’inflation interne (liée à la puissance des syndicats confédérés, bousculés par les « comités de base »), de compétitivité des produits italiens; la dévaluation effectuée alors permet dans les années suivantes un boom à l’exportation. On retrouve cette dimension aujourd’hui : cet été, le patronat organisé, les syndicats ouvriers et la plupart des représentants des intérêts économiques ont rédigé un appel commun au gouvernement Berlusconi pour qu’il prenne des mesures en faveur de la compétitivité du pays et de la croissance économique. En 1992-93, le patronat italien organisé n’était pas en reste dans le travail de sape des gouvernements du pentapartito, et ses intellectuels organiques joueront un rôle dans la définition des objectifs de Forza Italia, le premier parti de S. Berlusconi. (En principe, ce parti aurait dû faire la « révolution libérale » attendue par le patronat organisé.)

une dimension morale : comme chacun le sait sans doute, les partis de la « Première République » (1946-1992) ont été emportés par la tourmente judiciaire nommée « Mains propres ». Bien que les années récentes aient vu une multiplication de scandales, y compris les célèbres frasques orgiaques de S. Berlusconi lui-même, aucun terme unique n’a désigné cette multiplication de scandales. Par contre, il existe une radicalisation du vocabulaire utilisé pour désigner les politiciens professionnels : en 1992-1993, suivant une longue tradition établie dès la fin du Dix-neuvième siècle, tous les commentateurs dénonçaient  « la classe politique » corrompue et inefficace. Aujourd’hui, on dénonce de même « la caste » des politiciens, tout aussi corrompue et encore plus inefficace si cela est possible.

une dimension populaire/référendaire : on s’en souvient peut-être, ce printemps 2011 a vu la victoire éclatante de trois référendums abrogatifs proposés par des groupes hostiles aux divers aspects du berlusconisme. Un référendum, celui sur l’« empêchement légitime », constituait même clairement un désaveu de S. Berlusconi lui-même en tant que personne privée cherchant à se soustraire à la justice de son pays. Avec 55% de votants parmi les inscrits, et 95% de oui parmi les votants  à l’abrogation, une nette majorité des électeurs avait pour la première fois exprimé son désaveu à l’encontre de S. Berlusconi personne privée. En 1992-1993, l’instrument référendaire, aux mains de segments de l’opposition à ce qu’ils qualifiaient alors de « régime » ou de « partitocratie », avait joué là aussi un rôle majeur de légitimation populaire pour casser la légitimité de la majorité parlementaire.

Dans les deux cas (1992-93 et 2011), la crise finit par se dénouer à travers l’appel pour prendre la tête du gouvernement à une personnalité « apolitique » d’orientation clairement libérale, soutenue par l’autorité présidentielle. En effet, face à une majorité parlementaire délégitimée, le Président de la République,  Oscar Luigi Scalfaro et Giorgio Napolitano respectivement (tous deux d’ailleurs un personnage de second plan dans leur parti respectif avant d’être élu président, mais jouant sur l’aura d’une longue carrière politique commencée dans la Résistance ou dans l’immédiate après-guerre), incarne la légitimité  de l’État italien, et ses choix pérennes, à savoir le choix de l’Europe dans les deux cas. En avril 1993, G. Amato, le Président du Conseil, issu de la majorité parlementaire d’avril 1992 cède donc  la place à Carlo Azeglio Ciampi. Ce dernier n’est autre que le gouverneur de la Banque d’Italie. Il reste en poste un an avec ce qu’on appellera le « gouvernement des professeurs », soutenu par une majorité de députés issus des urnes de 1992. On se dirige droit vers un scénario très semblable, avec un Mario Monti, ex-Commissaire européen, par ailleurs recteur de l’Université privée de la Bocconi, qui, de fait, va être soutenu par une majorité des élus de 2008 (ex-majorité et ex-opposition confondues).

Sur le fond, les mesures contenues dans le dernier texte voté sous le gouvernement Berlusconi (le « maxi-amendement » à la « loi de stabilité » exigé par l’Union européenne) donnent déjà le ton : flexibilité accrue du marché du travail, départ en retraite à 67 ans à mettre en place le plus tôt possible, privatisations y compris de services publics locaux, concurrence dans les secteurs des professions libérales, etc. . La lettre d’Oli Rehn en tant que Commissaire européen à Giulio Tremonti, Ministre de l’Economie, rendue publique le 8 novembre par la Repubblica avec ses demandes comminatoires en 39 points sur les progrès du gouvernement Berlusconi dans tous les domaines de l’action publique ou presque dessine clairement un programme en matière de politiques publiques à suivre. Le TINA européen triomphe.

Probablement, la différence avec 1992-93 tiendra dans l’inexistence de la soupape qu’avait représentée, face à la rigueur d’alors, la dévaluation de 1993 de la lire par rapport au mark et au franc français. Au moins à court terme, le gouvernement Monti n’aura sans doute pas plus de croissance à offrir aux citoyens italiens que celui de S. Berlusconi. Face au mécontentement qu’il ne manquera pas de produire ainsi, il pourra sans doute compter sur le soutien des députés et des sénateurs avides de rester en place jusqu’en 2013.  Mais, s’il réussit à s’installer et à durer, le gouvernement Monti ne devrait pas manquer de se créer ses oppositions : le vote de confiance qu’il sera bien obligé de demander aux deux Chambres d’ici quelques jours constituera une première indication en ce sens.

Et les ascari sauvèrent Silvio…

Et, voilà, c’est fait le « plus grand homme politique que l’Italie ait connu depuis l’Unité » selon ses propres termes , Silvio Berlusconi, vient de réaliser un autre exploit digne de sa légende:  il vient en effet de repousser une tentative de le renverser par la voie parlementaire, et ce malgré la perte d’une partie de la majorité qui l’avait porté de nouveau au pouvoir en Italie en 2008. La défection de la droite se voulant légaliste, emmenée par Gianfranco Fini, pourtant son allié depuis 1994, connait là un grave échec . Au Sénat, la majorité de S. Berlusconi reste solide comme prévu : 162 votes pour la confiance,  135 contre, et 11 abstentions. A la Chambre des députés, la motion de défiance à son égard a été repoussée selon la presse italienne par 314 voix contre 311. S. Berlusconi encaisse en plus ainsi la satisfaction d’échapper à  l’humiliation d’une courte défaite telle que celle connue à deux reprises par Romano Prodi, son rival de centre-gauche des années 1990-2000, en 1998 et en 2008.

Cette victoire parlementaire, qui laisse beaucoup de scenarii ouverts pour la suite, a été obtenue à la façon habituelle des gouvernements italiens des années 1880-1920 (sic), à savoir en faisant appel à la célèbre formule du « transformisme ». Pour durer, les gouvernements de l’époque, ceux du célèbre Giolitti en particulier, avaient en effet l’habitude de récupérer les élus d’opposition en leur promettant quelques avantages (pour eux-mêmes, pour leurs proches, pour leur circonscription dans un contexte de suffrage restreint). On appelait alors cette sorte d’élus à vendre les « ascari », en employant péjorativement à leur égard le terme désignant les troupes coloniales auxiliaires dans la zone de la Corne de l’Afrique alors l’objet de toutes les attentions impérialistes du récent Royaume d’Italie. Le présent vote parlementaire du 14 décembre 2010 ressemble fortement à ces votes d’autrefois : les transfuges élus sur les listes des partis d’opposition en 2008 ou ceux loyaux en principe au nouveau parti de Gianfranco Fini (Futur et Liberté pour l’Italie, FLI) ont fait la différence; il y a certes eu aussi des transferts de dernière minute dans l’autre sens, mais la balance a penché du bon côté pour S. Berlusconi grâce aux  bons offices des éternels ascari.

Parmi les retournements de veste les plus spectaculaires, on notera que des  députés n’ont pas hésité à passer du parti anti-Berlusconi par excellence, l’Italie des Valeurs (IdV) d’Antonio Di Pietro, au soutien au gouvernement de ce dernier. La situation n’est pas nouvelle pour la « Seconde République » italienne : le Parlement élu en 1996 avait connu lui aussi son lot de transfuges (passant à l’époque de l’opposition de centre-droit au soutien aux gouvernements de centre-gauche au pouvoir) , ce qui avait d’ailleurs incité le centre-droit revenu au pouvoir en 2001 à voter en 2005 une loi électorale donnant toute latitude aux dirigeants des partis pour sélectionner leurs élus au Parlement.  Cette centralisation du recrutement des élus à la main de chaque chef de parti (via des listes bloquées) ne donne en fait que des résultats médiocres en terme de loyauté partisane. A l’exception des élus de la Ligue du Nord (LN), tous les grands partis connaissent dans la présente législature des scissions ou des défections individuelles, que ne viennent le plus souvent plus couvrir aucune feuille de vigne idéologique. (En même temps, tous ces grands partis, là encore à l’exception de la LN, recrutent sans problème de conscience excessif des transfuges. )

De fait, le scénario actuel n’est que la conséquence de l’affaiblissement extraordinaire des organisations partisanes depuis un quart de siècle : ces dernières ne jouent plus du tout un rôle de filtrage des pures ambitions personnelles. Une bonne part des élus italiens sont des professionnels de la politique au sens le plus plat du terme, à savoir que  des individus pour lesquels seuls leurs intérêts matériels de carrière leur importent à l’exclusion de toute détermination précise en matière de politiques publiques à mener ou de gouvernement à soutenir. Comme il importe peu à un cadre supérieur de contribuer à vendre de la lessive, des couches-culottes, ou des meubles.  La fin des idéologies qui avaient marqué le XXème siècle se fait particulièrement sentir, sans être remplacé par autre chose qu’un acquiescement de fait à l’ordre établi des choses. De fait, avec un peu de mémoire, on se rend compte facilement des changements de positionnement des uns et des autres.  Cela donne un peu le tournis, et fait apparaître par contraste la classe politique française comme un ramassis d’idéologues psychorigides. Ainsi une telle qui fut un temps une critique acerbe de S. Berlusconi au nom d’une idée de la « droite » idéaliste – Daniela Santanché – en est devenue en 2010 la gardienne attitré, et inversement, des thuriféraires berlusconiens s’éloignent . En un sens, cela fait mieux comprendre la proposition d’il y a quelque temps de S. Berlusconi de réduire à rien le nombre des parlementaires italiens dans une prochaine réforme constitutionnelle. Il enregistre ainsi qu’ils ne sont que des employés sans idées, dont le débat politique pourrait se passer.

Cette situation s’explique sans doute par la mise au rencart de toute vraie ligne de fracture en matière de politiques publiques entre les grands partis : du Parti démocrate (PD) au Peuple de la Liberté (PdL), en passant par l’Italie des Valeurs (IdV), l’Union du Centre (UdC), et les nombreux autres (micro-)partis centristes, toujours presque sans électeurs mais toujours par un miracle perpétuel avec des élus au Parlement, tout le monde se trouve d’accord sur l’essentiel (le désaccord sur S. Berlusconi étant l’arbre qui cache la forêt du consensus). Il y a certes la Ligue du Nord qui poursuit son projet de fédéralisme sans solidarité, il y a certes une gauche de gauche qui relève légèrement la tête (mais qui se trouve depuis 2008 hors du Parlement), il y a certes des querelles d’arrière-garde entre catholiques et laïcs (et, encore, il faut se pincer pour prendre ces affaires très au sérieux vu les protagonistes et ce qu’on sait de leur vie privée), mais, pour le reste, le marais se trouve très  largement majoritaire parmi les parlementaires.

Pour l’heure, S. Berlusconi triomphe donc grâce à une classe politique majoritairement à son image, beaucoup de savoir-faire professionnels pour faire carrière, mais pas beaucoup de projets pour l’Italie.

Les derniers jours de Berlusconi?

Cette fois-ci, cela se précise, les derniers jours de la vie politique de l’homme qui a changé le sort de la politique italienne sur les 20 dernières années  semblent approcher à grands pas. Je n’épiloguerai pas sur les frasques de S. Berlusconi . La récurrence des révélations sur sa vie privée depuis plus d’un an tiennent peut-être, comme il le dit lui-même, d’un complot de la mafia, mais, surtout,  elles attirent l’attention  sur le vieillissement du personnage. S. Berlusconi n’entend pas changer son « mode de vie » pour reprendre sa propre expression, mais il est fort possible que ce dernier renvoie à un état précédent de la société italienne.  Profitant du scandale, Gianfranco Fini, pourtant son allié le plus constant depuis 1993, a enfin décidé d’appeler à la démission le « plus grand chef de gouvernement qu’ai connue l’Italie depuis son Unité » selon les dires mêmes  du dit chef moins de deux mois après lui avoir renouvelé  officiellement sa confiance par un vote  solennel au Parlement. Il est vrai qu’organiser un nouveau parti n’est pas de tout repos, et qu’il fallait absolument gagner du temps. Gianfranco Fini  a donc  franchi le Rubicon  devant la convention de fondation de son nouveau parti, « Futur et Liberté » (sic), tenu dans la capitale de l’Ombrie, à Pérouges. Les « futuristes » (comme les nomment déjà la presse italienne) – sans doute pour troubler les  lexicographes de l’avenir qui se demanderont pourquoi ce  même terme apparait à un siècle de distance dans l’histoire italienne  – menacent de quitter le gouvernement si S. Berlusconi ne démissionne pas de lui-même et ne propose pas un élargissement au centre de la majorité.

Gianfranco Fini, actuel Président de la Chambre des députés italienne, est l’ancien leader du Mouvement social italien (MSI) néofasciste des années 1980-90, parti devenu en 1994-1995, l’Alliance nationale (AN) post-fasciste. Sur la demande de S. Berlusconi, qui l’avait largement pris de court à l’automne 2007, G. Fini avait finalement accepté, non sans réticences évidentes, la fusion d’AN avec le parti de ce dernier  et  quelques autres petits partis dans le « Peuple de la Liberté » (PdL) en 2008-09. Or cet ancien néofasciste  finit par sortir de ce dernier  clairement par la porte de gauche! En effet, en dehors de l’hostilité personnelle entre S. Berlusconi et G. Fini (déjà bien visible dans les médias italiens à l’automne 2007), G. Fini se propose de construire à cette occasion un parti ayant un programme « républicain », au sens où il s’agit de refuser l’ingérence excessive de l’Église catholique dans la vie politique italienne, d’empêcher la différenciation Nord/Sud que promeuvent la Ligue du Nord ou les forces politiques s’organisant uniquement sur une base électorale méridionale, d’affirmer le rôle de la légalité dans la vie politique, économique et sociale contre le style berlusconien de rapport au droit (euphémisme…), de  travailler pour une intégration forte des immigrés dans la vie sociale, économique, politique de l’Italie, de soutenir enfin qu’il faut que l’État choisisse des politiques publiques et ne laisse pas dériver le pays au gré des lobbys intérieurs et des marchés internationaux . Cela ressemble beaucoup à un gaullisme idéalisé, qui représenta d’ailleurs une source d’inspiration du MSI dans les années 1970-90. G. Fini, cohérent d’ailleurs avec des déclarations précédentes, récuse même l’anticommunisme comme argument politique contemporain.

Avec de tels arguments, je doute que l’entente avec S. Berlusconi soit encore possible, puisque ce dernier est désormais présenté comme le parangon des vices italiens les plus classiques. A court terme, le nouveau parti des « futuristes » va chercher surtout à changer la loi électorale. Celle adoptée en 2006 (grâce à l’assentiment de G. Fini) possède en effet le défaut de faire du choix des députés et sénateurs une prérogative de facto des seuls chefs de parti. De fait, les électeurs peuvent choisir leur majorité, mais pas leurs élus de cette majorité ni ceux des oppositions. Bien malin sera cependant celui qui pourra prédire avec exactitude la loi électorale qui serait choisie par un bloc anti-berlusconien au Parlement dans les prochains mois. Toute la rhétorique des réformes institutionnelles depuis le début des années 1980, soutenue par une large part des politistes italiens, tend à attribuer l’inefficacité de la politique italienne en terme de politiques publiques au scrutin proportionnel. Gianfranco Fini et AN s’étaient d’ailleurs beaucoup investis dans l’adoption d’un mode de scrutin strictement majoritaire (sur le modèle britannique en particulier). Or le mode de scrutin depuis 1994 est devenu mixte, et, par la magie d’une tricherie partagée entre centre-droit et centre-gauche, a produit des effets de plus en plus majoritaires au fil des scrutins (1996, 2001). En 2006, malgré l’apparence de retour à des bases proportionnelles, le scrutin adopté revient à créer une circonscription unique pour désigner la Chambre des députés et autant de circonscriptions qu’il existe de régions pour désigner le Sénat, avec dans les deux cas l’application d’une majorité simple d’électeurs pour emporter une majorité (primée en plus) d’élus.

Probablement, le plus facile serait de revenir au scrutin mixte d’avant 2006,  mais faut-il revenir à sa version de 1994 ou à celle de 2001? (qui comportent des effets très différents pour les troisièmes forces). Cependant,  avec le  retour à un tel mode de scrutin, tout comme avec celui adopté en 2006, S. Berlusconi peut encore gagner les élections anticipées, organisées éventuellement au printemps 2011. Je suppose que les frondeurs anti-Berlusconi  feront tout pour éviter cette éventualité. Le plus simple serait alors de revenir à un scrutin proportionnel;  dans ce cas, le PdL et ses alliés n’arriveront jamais à gagner  à court terme une majorité au Parlement. De fait, on devrait assister dans ce choix d’un nouveau mode de scrutin à l’hésitation entre les croyances en matière de bonnes institutions qui poussent dans la direction majoritaire et l’intérêt partagé du large rassemblement anti-berlusconien à le priver de toute chance raisonnable de retour au pouvoir. Ce dernier aspect est bien sûr essentiel pour faire se dissoudre le PdL.

Vedremo… En tout cas, nous voilà reparti pour une belle crise politique.

Italie : « Le pouvoir use celui qui ne l’a pas »?

Le titre de ce post traduit une phrase fétiche de la politique des années 1980 : « Il potere logora quello che non ce l’ha », le pouvoir use celui qui ne l’a pas. Cet énoncé étrange par rapport à l’intuition ordinaire de l’usure du pouvoir à la fois en terme de consensus électoral et de capacité à penser et à agir était la philosophie, plutôt moqueuse et télévisuelle, de Giulio Andreotti, le célèbre homme politique italien de la « Première République » (1946-1992), revenu sur le devant de la scène (à son corps défendant) grâce au film qui lui est consacré il Divo et qu’il a déclaré ne pas aimer. Ce dernier, alors au sommet de son pouvoir et de son influence, constatait dans ces  déjà lointaines années 1980 que l’opposition, alors constituée essentiellement par le PCI, s’épuisait à force de ne pas avoir le pouvoir, et qu’au contraire, les forces au pouvoir depuis 1947 en Italie, y compris ses hommes, ne cessaient d’en être ragaillardis, y compris au sens physiologique du terme, comme lui-même au demeurant. Je me demande si cette phrase ne vaut pas de nouveau pour décrire la situation politique de l’Italie . S. Berlusconi a personnalisé cette campagne électorale locale en en faisant un test national et en s’engageant personnellement derrière (ou plutôt devant…) son candidat, et il semble vouloir rejouer  à sa manière le rôle des  « (toujours jeunes) vieillards inoxydables » que tenaient il y a longtemps G. Andreotti et quelques autres « jeunes hommes » de plus de soixante ans.

Lors des élections régionales anticipées en Sardaigne, le candidat du centre-gauche (qui rassemblait pourtant sur son nom tous les partis de l’ex-Union  du centre-gauche de 2001-2006) vient de se faire battre plutôt sèchement par le candidat de la droite berlusconienne (elle aussi dans un périmètre large avec les centristes de l’UDC comme soutiens). L’écart entre les deux camps (qui sont donc sur des périmètres semblables à ceux de 2001 ou de 2006) est de presque de dix points.  Le candidat du centre-gauche, le sortant forcé de faire appel aux urnes pour calmer des secteurs rétifs de sa majorité régionale,  était Renato Soru dont le Monde a d’ailleurs fait un propos flatteur il y a peu. Il s’agit du créateur d’une firme internet importante en Italie : Tiscali. En tant que chef d’entreprise, il apparaissait un peu du coup comme un « Berlusconi de gauche ». En tout cas, sa défaite pour le moins sans appel met fin aux spéculations sur son avenir comme possible leader du centre-gauche. Exit Soru…

Cette élection intermédiaire apparait surtout comme une confirmation régionale de ce que les sondages nationaux  montrent depuis au moins six mois, à savoir que le principal parti d’opposition, le Parti démocrate (PD), est en train de s’écrouler dans l’appréciation des électeurs italiens. Selon les premières données à disposition, le PD ne dépasserait même pas les 25% des voix… il aurait perdu en Sardaigne prés de 10 points en moins d’un an.

Cet écroulement tient sans doute à de multiples motifs – dont certains proprement régionaux .  Rappelons-le, R. Soru était le sortant obligé de faire appel aux urnes. La perte du primat du centre-gauche sur la « question morale » joue sans doute son rôle, le caractère peu enthousiasmant d’un leader national comme Walter Veltroni aussi sans doute, mais j’ai l’impression qu’il s’agit avant tout d’un problème d’offre politique au sens de positionnement dans l’espace des choix possibles (au moins fictivement). Le PD n’offre en effet pas pour l’instant l’impression d’une alternative au « berlusconisme ». Cela s’explique largement par le parcours de ses composantes : d’une part, l’ex-majorité du PCI, qui est devenue le PDS puis les DS, s’est complètement ralliée dans les années 1990 au « consensus de Bruxelles »,   dans sa forme vaguement social-démocrate incarnée par la « Stratégie de Lisbonne » en 2000, sans faire jamais l’effort de réfléchir si ce package correspondait bien aux attentes (et aux possibilités) d’une majorité d’Italiens; de l’autre, l’ex-minorité de la DC, la « gauche DC », devenu le PPI, qui a fini par se fondre dans un parti « libéral-démocrate »(DL-Marguerite), est lui aussi sur une ligne semblable de respect pour le « consensus de Bruxelles », suivi avec constance depuis les années 1980.  Cela ne fait pas vraiment rêver, et la droite au pouvoir entre 2001 et 2006 a démontré qu’elle savait elle aussi se couler dans ce consensus européen. En 2008, la droite a tenu un discours qui faisait la démonstration de sa capacité à tenir compte, au moins en paroles, des angoisses des Italiens, et,  si j’ose dire,  cela continue chaque jour depuis le retour au pouvoir de celle-ci : la méthode, qui parait ici si sarkozienne de prise en compte de certains faits divers pour faire à chaque fois une loi, pour prendre des mesures draconiennes, et pour faire tomber dans la sciure toujours fraiche des têtes parmi les responsables, est reprise avec intensité en Italie, au jour le jour, à flux continu (avec l’avantage de l’entrée en vigueur immédiate des mesures grâce aux décrets-lois à valider par le Parlement après 60 jours – ici pas d’effets d’annonce! c’est plus direct et efficace!) , et d’évidence, cela plait : Roberto Maroni, ministre de l’Intérieur léghiste, est la personnalité la plus appréciée du gouvernement. Il ne cesse de décider et de légiférer contre diverses catégories de délinquants, pas seulement d’ailleurs des « délinquants étrangers », et cela semble bien plaire à la majorité de la population, faisant même oublier du coup qu’il est un dirigeant historique de la Ligue Nord, pas en reste lui non plus au fil des ans d’appréciations peu amènes pour le sud du pays et pour ses vices supposés.

Pour finir ce tableau peu réjouissant pour l’opposition, il faut indiquer que cette nouvelle déroute électorale du PD fait ressortir la difficulté de la fusion qu’il représente (pourtant entamée par une liste unitaire aux  élections européennes en 2004, il y a cinq ans donc…) : unir post-communistes et post-catholiques sociaux-libéraux dans la même formation  partisane est a priori une idée généreuse, mais est-elle complètement cohérente? Je ne connais pas en Europe de l’Ouest de parti important qui ait fusionné ainsi une source socialiste (donc laïque et de quelque façon post-marxiste) avec une source clairement sociale-religieuse (catholique ou protestante). Il existe des alliances, mais pas de parti unifié. (Le cas du PS d’Epinay pourrait être un exemple, mais le choix fut alors fait  d’avoir une façade « marxisante »: le PD a lui plusieurs façades!).

Les élections européennes seront d’ailleurs un révélateur du caractère étrange (ou novateur?) du PD : de fait, les élus de ce dernier au Parlement européen sont majoritairement rattachés depuis 2004, soit au groupe du PSE, soit au groupe de l’ALDE (qui fédère les élus ELDR et PDE). La situation est clairement issue du passé, mais que se passera-t-il après juin 2009? Réitérer cette division sur base individuelle cette fois-ci? Faire un groupe au Parlement européen qui serait celui du PSE et du PDE? (ce qui suppose que le MODEM français y entre ou se retrouve seul). Ou inversement, inscrire tous les élus à quelques exceptions prés au groupe ALDE, ce qui suppose de rompre avec le PSE et l’Internationale socialiste (qui ne serait alors presque plus présente en Italie…)? L’absence d’homothétie entre la structure partisane du Parlement européen et celle du PD est tellement flagrante que la tentation va grandir dans les prochains mois de saisir l’occasion pour opérer à l’occasion des Européennes une restructuration sur des bases plus classiques : une partie irait se regrouper sur des bases libérales-laïques-socialistes (avec éventuellement les Verts et des ex-communistes); une autre partie tenterait de refaire la DC avec les cousins de l’UDC, cherchant à profiter de la droitisation du PDL. Ce scénario d’éclatement me parait toutefois hautement improbable tant les acteurs principaux du PD ont investi dans ce rassemblement depuis des années. De fait, le pire qui se profile de plus en plus pour les élections européennes ne va pas manquer de susciter des tensions internes, ce qui risque d’accentuer encore les risques de défaite.

A ce stade, il ne reste plus à l’opposition qu’à espérer que trop de jouissance du pouvoir finira pas affaiblir les coronaires de qui de droit…

Gauche(s) italienne(s), année zéro (ou moins dix?)

Je n’écris pas souvent sur les affaires italiennes dans ce blog. La raison en est une certaine désespérance face à l’évolution de ce pays. De fait, je suis en sympathie avec le sentiment dominant des citoyens italiens, dont tous les sondages à ma disposition montrent qu’ils n’ont guère d’espoir sur leur propre pays.

Plus spécifiquement, si je regarde l’état de l’opposition de gauche à la coalition de Silvio Berlusconi, j’ai l’impression qu’on ne pourrait guère faire pire. C’est sans doute moins que l’année zéro. Résumons :

à l’extrême gauche, la défaite cinglante des élections politiques de 2008 n’en finit pas de produire des effets de dissolution : le dernier en date n’est autre que la nième scission de Rifondazione comunista; prenant prétexte du changement de direction à la tête du journal du parti, Liberazione, la minorité autour du Président de la Région des Pouilles, N. Vendola, a annoncé sa sécession, avec la création d’un autre parti, le RSU, au nom de l' »unité de la gauche »(sic). On ne peut guère rêver pire : on a donc à ce stade au moins quatre petits tronçons de l’ancienne gauche du PCI et de l’extrême gauche des années 1970 : la majorité de Rifondazione qui garde le titre; la minorité (ex-majorité avant 2008) qui crée le RSU; le PCdI issu d’une scission des années 1990; et enfin un morceau de l’ex-majorité du PCI-PDS-DS, qui se nomme « Sinistra democratica », sans compter toute une série de groupusculaires « particules » plus ou moins ultra-orthodoxes (lénino-guévaristes, ou stalino-albanais et autres bolcheviks).

La situation apparait d’autant plus désespérée qu’un accord semble être trouvé entre les deux grands partis, le « Peuple de la Liberté » (PDL) et le « Parti démocrate »(PD), pour réformer le mode de scrutin aux Européennes en introduisant un seuil minimal de 4% des voix au niveau national pour être représenté au Parlement européen. Jusqu’ici, ce mode de scrutin, qui datait de 1979, favorisait la représentation parlementaire des petits partis, on pouvait ainsi avoir un député européen avec moins de 1% des voix. Souvent ce seul élu était aussi pour les petites entreprises partisanes le leader de ce dernier, ou l’un de ses plus importants dirigeants (mais il était peu présent dans les affaires du Parlement européen…). Les différents tronçons de l’extrême-gauche auraient ainsi pu régler leur querelle dans les urnes européennes, « se compter » et avoir des élus tout de même. Là, s’ils vont séparés à la bataille – ce qui à la date d’aujourd’hui est probable-, ils n’auront pas d’élus, sauf miracle électoral improbable pour l’un d’entre eux, ou un petit cartel rassemblant quelques tronçons de ces gens éclatés façon puzzle.

Ce raisonnement s’étend aux Verts et à ce qui reste des héritiers du Parti socialiste italien. Avec une barre à 4%, sans s’insérer dans la liste-cartel du PD, ces petits partis n’auront pas d’élus au Parlement européen. Le grand parti vert européen souhaité par Daniel Cohn-Bendit ne peut sans doute espérer des élus en Italie que s’il va à Canossa auprès du PD. Quant aux socialistes de l’ex-PSI, il leur faut souhaiter la clémence du PD, c’est-à-dire de ces « assassins » du PSI, à savoir l’ex-majorité du PCI… à moins qu’ils essayent une réunification « socialiste » au sens de 1914 avec des ex-communistes.

au centre-gauche, le Parti démocratique, dirigé par Walter Veltroni, ne cesse de perdre du terrain dans les sondages. Il regroupe encore un peu plus d’un quart des intentions de vote en ce début d’année, mais il est désormais le parti auxquels les enquêtés font le moins confiance… Son candidat vient de perdre les élections régionales anticipées dans les Abruzzes. Cette situation s’explique par une absence de ligne politique bien claire, par les rancœurs publiquement exprimés entre dirigeants, et aussi par une incapacité de se débarrasser des « branches pourries ». Aussi bien la Maire de Naples (ex-DC) que le président de Région de la Campanie (ex-PCI) restent à leur poste, alors que la rumeur publique les désigne comme au mieux comme inefficaces dans la lutte contre la corruption dans leur ville et leur région. La « Question morale », qui avait fait le fond de sauce du PCI depuis les années 1970 et celui de la gauche de l’ex- DC dans les années 1990 contre S. Berlusconi, est en train de se retourner contre ceux qui ont utilisé cet argument de la moralisation de la vie politique et de l’administration. Les élections anticipées dans les Abruzzes avaient d’ailleurs été déclenchées par la démission du Président de la Région sous le coup d’une enquête de la magistrature. Il faut noter que le démissionnaire était un ex-socialiste des années 1980. Le PD semble donc à ce stade payer son caractère de parti de gouvernement, surtout au niveau local, depuis les années 1990. La « marque » PD, qui pourtant du passé souhaitait faire table rase et n’a pas trois ans, me semble déjà salie par toutes ces affaires.

A cette incertitude de la ligne politique et à l’incapacité de « nettoyer les écuries d’Augias », s’ajoute la concurrence du parti d’une personne, « Italie des valeurs », d’Antonio Di Pietro; ce dernier prétend représenter le « parti des honnêtes gens » contre S. Berlusconi et tous les corrompus du pays. Il avait eu le privilège d’être le seul parti dont la liste était associé à celle du PD aux élections de 2008, il avait connu une affirmation électorale inattendue à cette occasion en  attirant (déjà) un électorat mécontent du centre-gauche classique.  Depuis cette date, « Italie des valeurs » ne cesse de se distinguer du PD en voulant incarner (le terme est évident) une opposition fanatiquement anti-Berlusconi contre un PD cherchant à construire un bipartisme  (relativement) apaisé. A cette stratégie de distinction, s’ajoute sans doute aussi un élément d’énervement de la part de Di Pietro ; en effet, son propre fils est lui-même inquiété depuis peu par la justice pour des faits de corruption. A. Di Pietro ne cesse du coup d’augmenter la dose de ces critiques à 360 degrés. L’espoir pour le PD réside désormais dans l’auto-délégitimation par histrionisme du personnage, qui tend de plus en plus à ressembler à une sorte de Marco Pannella, le leader des radicaux dans les années 1970-90.

Vu de cette fin janvier 2009, les élections européennes se présentent donc plutôt mal pour toute l’opposition de gauche et de centre-gauche. En même temps, comme dirait Jean-Pierre Dupuy sur le changement climatique, le sens aigu de la catastrophe à venir conduira peut-être à des réactions plus rationnelles.

Du point de vue européen, en l’absence d’éléments nouveaux, la représentation italienne au Parlement italien n’enverrait donc personne ni pour les Verts ni pour la Parti de la gauche européenne. En revanche, un contingent important devrait aller au groupe ALDE, soit du côté ELDR, soit du côté PDE. Il semble en effet que le Parti démocrate n’a toujours pas réglé le problème de son adhésion ou non au Parti socialiste européen. Il se pourrait qu’on renouvelle la situation actuelle : élus pour le même parti en Italie, les députés PD s’inscriraient, soit comme ex-DS au groupe du PSE, soit comme ex-DL (Marguerite) au groupe ALDE tendance PDE, etc. pour les éventuels autres invités de la liste unique…  Cette situation est bien sûr délectable, mais témoigne plus sérieusement de l’hésitation fondamendale sur la ligne du PD : est-ce quand même un parti social-démocrate certes  trés « Neue Mitte » ou « Third Way »? ou est-ce la version italienne d’une nouvelle famille politique, les « Démocrates »? Cela importe sans doute peu aux électeurs italiens, mais cela rendra encore plus difforme la représentation politique italienne au Parlement italien, qui va plus ressembler du coup à celle d’un Pays Balte (avec uniquement des partis de centre ou de droite) qu’à celui d’un grand pays démocratique de l’Ouest européen (France, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne).

De fait, le plus grand espoir pour l’opposition à S. Berlusconi repose dans le contexte et dans la personne même de ce dernier. La crise économique d’ici juin prochain peut s’aggraver assez pour que les électeurs de gauche et de centre-gauche se remobilisent pour exprimer leur désarroi. Plus sûrement, l’opposition peut compter sur les conséquences éventuellement délètères de la création à droite du « Peuple de la liberté ». Normalement ce parti devrait officiellement fusionner dans un congrès le 27 mars FI, AN et quelques autres petites forces. Cette fusion ne va pas pourtant sans frictions entre S. Berlusconi et G. Fini (avec la situation historiquement amusante, qui voit le « post-fasciste » défendre le caractère démocratique, collectif, de la décision dans le futur parti). La fusion se fera sans doute, mais il n’est pas sûr qu’une partie des électeurs, des militants et des dirigeants d’AN, avalent cette couleuvre-là. Cette situation de fusion « malgré-nous » devrait avantager les concurrents de centre (UDC) et de droite (« Ligue Nord », « Droite ») du PDL. Selon les sondages, la « Ligue Nord » réussit actuellement  l’exploit d’ être à la fois au gouvernement avec le PDL et au coeur des protestations des Italiens du nord contre la situation du pays. Je ne sais pas si ce jeu sur deux tableaux pourra durer jusqu’en juin (par exemple sur les problèmes liés à l’immigration), mais, du coup, le PD peut encore rêver d’être au moins le premier parti du pays en juin 2009, même si la gauche et le centre-gauche se révèlent trés minoritaires dans l’électorat.Belle consolation, non?

Berlusconi troisième et dernier acte.

Et voilà, il a gagné de nouveau, et à la loyale en plus! Silvio Berlusconi vient d’enregistrer une grande victoire électorale pour son cartel électoral, « Peuple de la liberté », « Ligue du nord », et « Mouvement per les Autonomies », il laisse prés de 10 points derrière le cartel « Parti démocrate – Italie des valeurs ».

Pendant la campagne électorale, on a même bien peu parlé de son poids différentiel dans les médias audiovisuels. L' »autorité de garantie pour les communications » s’est plaint (un peu) du déséquilibre dans les médias audiovisuels, mais sans plus et sans grand écho. S. Berlusconi a protesté comme d’habitude contre la « par condicio », la loi qui régule l’équité lors des campagnes électorales, mais en fait il n’a pas plus insisté que cela. Il est vrai que le plus marquant a été la bipolarisation dans les grands médias de la campagne entre S. Berlusconi et W. Veltroni, et les deux leaders des deux grands cartels étaient d’accord pour réduire le débat à eux-mêmes.

De plus, S. Berlusconi n’a rien été obligé de promettre d’extraordinaire, contrairement aux fois précédentes. Il y a indéniablement une réussite personnelle dans tout cela : le lancement à l’automne dernier du nouveau (futur) parti dit « Le peuple de la liberté », depuis une manifestation dans un théâtre situé Place San Babila à Milan, haut lieu de la droite italienne (et surtout de l’extrême-droite), a été une contre-mesure aussi risquée que géniale à la crise de l’alliance « Maison de la liberté ». Les alliés, pourtant publiquement réticents au leadership du vieux leader, ont été obligé de suivre: c’est le cas en particulier de Gianfranco Fini. Il a suivi plus contraint qu’enthousiaste, et il a gagné, car son électorat a suivi lui aussi : du point de vue du positionnement idéologique, il était déjà difficile de distinguer un électeur d’AN et de FI, cela a bien fonctionné finalement, mais AN est décidément le « junior partner » de cette fusion autour de FI. A vérifier lors du processus constituant réel de la nouvelle force politique.

Il a aussi réussi à reconstituer une géographie variable de son système d’alliance, avec la « Ligue du nord » qui l’appuie au nord de Rome et ensuite de Rome au « sud profond » le « Mouvement pour les Autonomies ». Ce dernier est surtout implanté en Sicile, et son leader, Raffaele Lombardo, a remporté rien moins que l’élection pour le poste de Président de la Région (autonome) Sicile avec un écart énorme (60/40). Je suppose que cela va confirmer les analyses de Luca Ricolfi qui insistent sur la nature « anti-centraliste » et « anti-étatiste » de l’électorat des droites rassemblées (en 2006) derrière Berlusconi (ce qui néglige un peu la tendance « étatiste-laziale » d’AN).

Bref, une très belle victoire, logique vu les résultats de l’élection de 2006. Bien qu’il ait été au pouvoir, S. Berlusconi avait failli ne pas perdre. La victoire à la Chambre des député lui avait échappé de 22.000 voix à peine (0,1%) (ce qui correspondait à un parti autonomiste du nord laissé en dehors de la grande alliance d’alors) ; et au Sénat, il avait (presque) arraché l’égalité. Pour ces élections, avec des périmètres d’alliance différents, il gagne nettement dans les deux Chambres. C’est sans appel.

Autre nouveauté que tout le monde signale, et que j’envisageais dans mon « post » précédent : le massacre des petits partis porteurs d’anciennes identités politiques. La surprise, c’est la catastrophe électorale de la « Sinistra arcobaleno ». Je pressentais que Fausto Bertinotti n’était pas très vendeur comme tête de gondole, mais à ce point : le nouveau sujet politique rassemble à peine 3% de voix. En chiffres absolus, ce n’est pas très loin au dessus de « la Destra », l’ultime tentative d’une refondation néo-fasciste. Tout le monde le remarque : les marques électorales du XXième siècle sont en crise. A la gauche de la « Sinistra arcobaleno » (Sa), les résultats sont groupusculaires (ou crépusculaires?), mais ces voix ont manqué à Sa pour atteindre les 4% demandés pour avoir des représentants à la Chambre. Au centre-gauche, la diaspora socialiste récemment réunifiée coule corps et biens avec moins de 1% des voix. Au centre, il faut noter la disparition de l’UDEUR de Clemente Mastella, qui ne s’est même pas présenté aux élections. La tentative de ressusciter le PLI (d’avant 1994) a fini avec 0,3% des voix, et la plupart des petites entreprises de survie des anciennes enseignes se sont ralliées soit au PDL soit au PD quand la porte leur a été ouverte. Seuls la diaspora démocrate-chrétienne possède encore une enseigne : l’UDC de Casini (allié avec ses propres scissionnistes de la « Rose blanche ») sauve les meubles. Elle dépasse les 5% des voix. A droite, la tentative de reconstituer une droite néo-fasciste parlementaire échoue, et à l’extrême de l’extrême-droite, le « FN » fait un beau flop.

En résumé, tout ce qui n’a pas été rénové disparait, et ne survit que les deux forces issues de la crise des années 1980-90, « Ligue Nord » d’un côté, et « Italie des valeurs » de l’autre : le représentant des prolétaires nordistes en colère et celui des honnêtes gens en colère avides d’ordre et de légalité de l’autre. Les deux grands partis « Pd » et « Pdl » eux affirment leur nouveauté, leur positionnement l’un vis-à-vis de l’autre. Ils sont deux grands chaudrons où il serait intéressant de regarder les ingrédients, fort étonnants parfois. Ainsi Lamberto Dini, un traître au berlusconisme de 1995 à 2007, se retrouve dans le « PdL », et il en a défendu les raisons lors de cette campagne. Il faut savoir pardonner les offenses et « retourner sa veste » comme dit la chanson…

Dernière remarque : en France, on parle souvent pour l’alliance « Parti démocratique et Italie des valeurs » de la gauche. Il s’agit d’un simplification : de gauche au sens traditionnel du terme, il n’y a qu’une partie des dirigeants du PD, qui viennent effectivement de l’ex-majorité du PCI (d’avant 1990), mais pour le reste, on peut en douter. Le choix du mot de « Parti démocrate » pour se nommer n’est pas du tout anodin; il s’agit bien de rompre avec le communisme et même avec le socialisme (qui n’a d’ailleurs jamais attiré l’aile ex-démocrate chrétienne des dirigeants du parti). Si on se réfère à la gauche au sens strict (héritage socialiste, y compris la branche communiste issu du Congrès de Livorno des années 1920), il n’y a plus rien de revendiqué au niveau du nouveau Parlement italien.

En fait, on aura plutôt au Parlement une opposition entre deux centres (Parti démocrate et UDC) séparés entre autres par la question de la laïcité et une coalition des droites divisées territorialement. Bref, la « gauche » italienne a devant elle beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail.

Fin de campagne… fin de parti (sans e).

La campagne électorale italienne ne s’est guère agité jusqu’à la fin. On pourrait faire une longue liste des commentateurs qui se sont ennuyés. En fait, tout cela a été des plus classiques : W. Veltroni , candidat du Parti démocratique et d’Italie des valeurs, a fait le tour de l’Italie dans un bus. Il me semble bien qu’en 1995-96 R. Prodi avait fait la même chose en pré-campagne, et qu’en 2001, R. Rutelli avait la même chose en train. J’étais d’ailleurs allé voir une étape de ce train en Lombardie. Le symbolisme à l’américaine n’est donc pas très nouveau, j’ai bien l’impression aussi qu’en 2001, R. Rutelli avait prévu de visiter plus ou moins toutes les provinces italiennes comme W. Veltroni.

S. Berlusconi vient de faire sa promesse de dernière minute qui est compréhensible par tout le monde en terme d’argent de la vie quotidienne : il a promis de supprimer la vignette automobile (… comme un vulgaire Lionel Jospin!). En fait, ce qui a manqué dans cette campagne, c’est une invention médiatique quelconque de ce dernier. Il a été plutôt « sottotuono » : qu’aurait-il d’ailleurs pu inventer d’autre après toutes les inventions des campagnes précédentes?

Les forces en dehors de deux grands – « Parti Démocrate » et « Peuple de la Liberté » – ont été complètement étouffées dans les grands médias qui n’ont eu d’yeux que pour ces deux forces. La bipolarisation médiatique est évidente. Le débat le plus politique a été finalement la controverse autour du sort d’Alitalia, qui à ce stade semble devoir être réglé par le futur gouvernement.

A ce stade, deux grandes hypothèses viennent à l’esprit.

Premier cas (le plus probable) : comme d’habitude, les électeurs italiens changent peu leurs orientations politiques d’une élection à l’autre. Dans ce cas, le résultat ne change pas des derniers sondages disponibles. Le « Peuple de la Liberté » gagne à la Chambre des députés, et… après pour le Sénat, c’est la loterie vu le mode de scrutin et les primes régionales de majorité qu’il prévoit. S. Berlusconi peut payer le prix de la loi électorale qu’il a fait lui-même adopter in extremis à l’automne 2005.

Dans ce scénario, l’inconnue n’est autre que l’ampleur de la victoire de S. Berlusconi, qui détermine sa réelle capacité à gouverner. (Sans compter les sénateurs élus par les Italiens de l’étranger et le rôle éventuel des sénateurs à vie…)

Second cas (le moins probable) : un vrai mouvement dans l’électorat s’effectue. Le PdL est finalement plombé par ses ailes perdues (UDC, La Destra) et surtout par l’assimilation « PdL=Berlusconi », qui n’est pas si attirante que cela pour l’électorat (comme l’avaient montré les analystes en 2001 Berlusconi peut aussi être une raison de ne pas voter pour la coalition des droites… pour un électeur d’un parti de droite ou du centre). Le PD apparait symétriquement grâce à W. Veltroni comme autre chose que l’héritier du gouvernement Prodi. Il s’agit de la même tactique que le choix de Rutelli en 2001 pour guider la coalition de l’Olivier. Cela avait failli fonctionner à en croire les courbes de sondages. Donc peut-être que l’autre maire de Rome, du même parti désormais, « peut le faire » (pour reprendre son slogan « si può fare »).

Dans ce cas, si le PD dépasse le PDL à la Chambre des députés, la surprise serait telle (vu les sondages, vu l’histoire électorale précédente) que le résultat du Sénat compterait peu quel qu’il soit: l’aura de S. Berlusconi serait détruite; et, là, on changerait vraiment de période.

Raisonnablement, le second scénario est peu probable, mais qui sait?

Ce qui me parait par contre évident dans cette campagne, ce sont les dégâts sur certains acteurs politiques des choix de coalition et du mode de scrutin. Le PSI (Parti socialiste), qui se présente seul faute d’avoir pu s’allier au PD, va au désastre, sauf miracle : on sent que ce parti, récemment réunifié d’ailleurs, a perdu au jeu des chaises musicales. C’est assez absurde en fait, mais du coup Enrico Boselli, le leader du PSI, tient un discours de désespéré plutôt intéressant, dans la mesure où il dénonce les fausses promesses du PD d’un point de vue « social-libéral » ou l’incohérence de ce parti sur les questions éthiques tiraillé qu’il est entre « teodem » (catholiques intégristes démocratiques en jargon) et « laïcs ». Il parle d’or ce Boselli, mais on ne l’entend pas beaucoup bizarrement. De même « la Destra », qui veut faire survivre le néo-fascisme (modéré), risque énormément dans cette configuration. Pour ces deux partis, les seuils d’accès au Parlement sont tels qu’ils risquent de ne pas les dépasser… sauf surprise majeure. Au Sénat, la plupart des partis en dehors du PDL et du PD risquent de ne pas atteindre les 8% demandés dans une région pour avoir éventuellement des élus. La « Sinistra arcobaleno » (Gauche arc-en-ciel) risque moins la disparition, mais le choix d’un « vieux » leader comme Bertinotti pour un sujet neuf qui prétend défendre les jeunes ne me parait pas des plus adéquats. Ce dernier sujet réussira-t-il à bien faire comprendre la continuité avec les partis associés (RC, PCDI, Verdi, Sinistra democratica)? Je serais curieux de voir l’effet des deux petits partis néo-communistes qui essayent de le concurrencer, et qui eux affichent « la faucille et le marteau » dans leur symbole.

Bref, quelque soit le résultat global, il me semble que certaines traditions politiques jouent leur dernière carte. .. sauf miracle. Dommage.

Un ennui total…

Les 13-14 avril ont lieu les élections générales italiennes anticipées pour cause de dissolution prématurée de la coalition de centre-gauche qui avait gagné d’un cheveu en 2006. Je devrais me passionner pour ce nouveau développement, mais je me sens gagné par un ennui sans nom. Ce qui est étrange, c’est que beaucoup de commentateurs italiens expriment le même sentiment. Ilvo Diamanti, un grand nom de la science politique italienne, semble peiner à écrire ses commentaires pour la Repubblica, les « Mappe ». Il s’ennuie lui aussi, et surtout il semble douter de la pertinence de la science politique ordinaire pour expliquer ce qui se passe. La campagne actuelle n’est en effet pas le mieux en ce qui concerne l’affirmation de la rationalité politique : les deux camps ont explosé en plusieurs factions, ce qui contredit toutes les règles précédemment établies qui avaient si bien été confirmées en 2006 (après 1994, 1996, et 2001). Pour gagner, il faut réunir l’alliance la plus large possible. Cette fois-ci, les deux camps se sont réduits à leur partenaire principal et à de petits alliés, ce qui logiquement promet une défaite au camp le plus divisé, à savoir celui de l’ancien centre-gauche (Olivier). Pourtant, il fait semblant de pouvoir gagner sur la simple vertu de son leader « nouveau », Walter Veltroni, et en dépit du fait qu’il est le sortant au moment où les Italiens sont d’un pessimisme noir foncé sur leur avenir collectif.
I. Diamanti soupçonne qu’à droite au moins les considérations personnelles ont joué un rôle immense, ce qui est confirmé par le leader de l’UDC (catholiques du centre-droit), Casini, dans l’Espresso. La rupture selon lui serait due simplement à l’incompatibilité d’humeur entre lui-même et Silvio Berlusconi. Ce n’est plus de la politique, c’est une scène de ménage; et la situation n’est guère meilleure avec Gianfranco Fini, le leader d’AN, rallié à Berlusconi aprés avoir été fort désagréable avec lui cet automne.
La situation est donc la suivante : ce qui est l’ancien centre-gauche est sûr ou presque de perdre, et l’ancien centre-droit de gagner tout en étant parcouru de rancoeurs diverses et en étant affligé d’un leadership qui ne peut plus durer bien longtemps.
La situation est d’autant plus bloquée que d’aprés les sondages publiées, l’attrait du candidat de centre-gauche tend à baisser, encore plus vite que celui du candidat de centre-droit. En fait, tous les candidats voient leur attrait baisser auprés des électeurs. Ce n’est pas seulement un effet de la campagne qui radicalise les jugements, mais aussi de l’ennui de cette situation. Tous sont des animaux politiques à la longue carrière et tous prétendent incarner le renouveau. On est revenu à la situation d’avant 1992, les cheveux sont gris, les personnages sont des clowns tristes d’une vieille fête qui ne mène à rien, et trop les revoir dans les émissions politiques n’arrange rien.
Ceci étant, les camps en présence sont :
– « le Peuple de la Liberté », le PDL le parti-cartel qui rassemble FI, AN et quelques petits partis divers de centre-droit et d’extrême-droite (sic), allié à la Ligue du Nord au nord du pays et au « Mouvement pour les autonomies » en Sicile;
– le « Parti démocratique », qui fusionne les « Démocrates de gauche » et la « Margherite », allié seulement au parti-personnel « Italie des valeurs », d’Antonio Di Pietro, et ayant absorbé sur ses propres listes, le courant principal des Radicaux (M. Panella et E. Bonnino).
A gauche :
– le cartel « Arc-en-Ciel », qui regroupe les deux partis se revendiquant communistes (RC et PCDI), les Verts (de gauche), et un groupe de scissionnistes des DS ayant refusé le « Parti démocrate »; les plus radicaux de RC présentent en dehors de ce cartel des listes « communistes » maintenues et rénovées.
Au centre :
– le Parti socialiste, qui a refusé de se noyer dans le « Parti démocrate », et qui a un vieux contentieux avec A. Di Pietro et l’ex-majorité du PCI devenue le groupe dirigeant du « Parti démocrate » ;
– l’UDC, un allié historique de S. Berlusconi, ayant fini par rompre avec le dit leader, mais ayant réabsorbé une propre scission qui critiquait le fait de ne pas rompre (« la Rose blanche », sic) et ayant accueilli quelques anciens « populaires » (DC de gauche) insatisfaits du « Parti démocrate ».
A l’extrême-droite :
– un groupe de scissionistes d’Alliance nationale qui reprochent à G. Fini d’avoir renié le fascisme et ses valeurs éternelles (sic); ce groupe dit « la Destra » a été soutenu au départ par S. Berlusconi pour diviser AN et affaiblir G. Fini; aujourd’hui, ce groupe est en opposition frontale au PDL, et joue sa survie; il est à noter qu’ il est constitué de leaders ayant eu une expérience de pouvoir local; une partie de l’extrême-droite (petit-fille du Duce) est elle dans le PDL; les plus radicaux présentent encore d’autres listes séparées.
En fait, tout pourrait s’analyser comme une bataille entre deux systèmes politiques : un système à l’américaine avec deux partis attrape-tout aux programmes presque identiques, et auxquels personne ne peut rationellement ajouter foi, fortement liés à la personnalité « charismatique » de leur leader; un système à l’italienne où les vieilles identités politiques qui ont structuré le jeu depuis les années 1920 ne veulent pas mourir : communistes, fascistes, socialistes, démocrates-chrétiens sont toujours là sous leurs couleurs (parfois sans leur symbole historique : plus de « marteau et faucille » pour la coalition « Arc-en-ciel »), tout en n’ayant eux aussi pas grand chose à proposer de bien crédible au pays.
L’enjeu est donc de savoir si ces vieux partis sauveront encore une fois la mise au point d’empêcher l’américanisation du système politique.
C’est effectivement d’une importance historique en un sens, mais cela m’ennuie quand même. C’est peut-être qu’une telle évolution est promise au pays depuis le début des années 1990. En fait, dans les deux cas, le résultat sera piteux : si les deux grands PDL et PD s’affirment et deviennent à eux deux hégémoniques dans l’électorat, cela sera le triomphe de la politique-spectacle sans contenu et revenant à neutraliser l’arène électorale pour faire les grands choix en terme de politques publiques; si les petits survivent, le blocage qui peut en résulter ne sera guère propice aux avancées vers une Italie mieux gouvernée.
Suite au prochain numéro.